Que nous apprend la recherche sur l’armée de l’Air et de l’Espace ? Entretien avec J. de Lespinois

Par Jérôme de LESPINOIS, Pierre VERLUISE, le 22 mai 2022  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Jérôme de Lespinois est lieutenant-colonel de l’armée de l’air et de l’espace et docteur en histoire (université Paris-Sorbonne). Il est référent histoire de l’armée de l’air et de l’espace. Il vient de publier : Jérôme de Lespinois (dir.) « Nouvelle Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace », éd. Pierre de Taillac, 2022. Pierre Verluise est docteur en géopolitique (Université Paris-Sorbonne), fondateur du Diploweb.com. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages, et producteur de trois Masterclass sur Udemy : Quels sont les fondamentaux de la puissance ? L’URSS, c’était quoi ? Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ?

Quelles ont été les principales étapes de la quête d’indépendance de l’armée de l’air ? Il se dit que l’arme aérienne serait intimement liée à l’échelon politique, est-ce que cela se vérifie historiquement ? Quel est aujourd’hui le rôle de l’armée de l’Air et de l’Espace dans l’acquisition du renseignement ? Le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois répond aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb. Il vient de diriger la « Nouvelle Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace », éd. Pierre de Taillac.

Pierre Verluise (P. V.) : L’histoire de l’armée de l’air et de l’espace a fait l’objet de relativement peu d’ouvrages. Comment expliquez-vous cela et qu’apporte cette «  Nouvelle Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace » à l’historiographie actuelle ?

Jérôme de Lespinois (J. d. L. ) : Il est vrai que cette « Nouvelle histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace » succède par son ampleur, son caractère collectif, sa rigueur universitaire et le nombre de ses illustrations à l’ « Histoire de l’aviation militaire française » publiée en 1980 chez Lavauzelle. Mais il ne faut pas minorer l’apport d’autres travaux intermédiaires, en particulier ceux conduits par les chercheurs du Service historique de l’armée de l’air pendant cet intervalle de temps. En fait, ce nouvel ouvrage cristallise l’état actuel de la recherche à un moment où l’accumulation récente de connaissances, grâce en particulier à l’aboutissement de plusieurs thèses importantes, rendait nécessaire une nouvelle synthèse. Il intervient d’ailleurs à un moment particulier où les historiens comme d’autres observateurs sentent bien que le monde bascule à nouveau et que le cycle ouvert par la fin de la Guerre froide laisse la place à une autre séquence où la place de l’outil militaire sera sans doute bien différente.

Que nous apprend la recherche sur l'armée de l'Air et de l'Espace ? Entretien avec J. de Lespinois
Jérôme de Lespinois
Le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois vient de diriger la « Nouvelle Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace », éd. Pierre de Taillac.
CESA

Enfin, cet ouvrage symbolise la vitalité de la recherche autour de cet objet constitué par le fait aérien militaire puisque 56 contributeurs ont participé à la rédaction du livre. Il est de plus illustré par plus de 750 photos et des œuvres de peintres de l’air. Ce qui permet de reconstituer des cadres et des ambiances. Une infographie complètement nouvelle offre enfin une représentation graphique de certaines données.

Mais pour revenir au nombre d’ouvrages sur l’histoire de l’armée de l’air, il faut relativiser cette rareté. Si la marine française a inspiré davantage d’historiens (Jean Meyer, Rémi Monaque, Philippe Masson, ou le britannique Ernest Harold Jenkins pour les ouvrages récents), il n’existe pas de synthèse sur l’histoire de l’armée de terre depuis ses origines si l’on admet bien entendu qu’elle se distingue de l’histoire de l’armée française.

Mais au-delà de ces histoires d’armées, il n’existe pas une histoire militaire française qui ne soit pas seulement une juxtaposition de chapitres sur chacune des trois armées à l’image de la grande synthèse publiée en quatre volumes sous la direction d’André Corvisier aux Presses universitaires de France en 1993. Il reste donc beaucoup de synthèses à écrire pour faire progresser le vaste chantier de l’histoire militaire.

P. V. : Le livre suit le fil rouge de la quête d’indépendance de l’armée de l’air. Quelles en sont les principales étapes ?

J. d. L. : L’armée de l’air est née d’une innovation technique, l’avion, qui permet de se déplacer librement dans l’air et de son utilisation dans le cadre d’une action violente organisée. Le processus d’institutionnalisation de l’arme aérienne, c’est-à-dire l’évolution du système militaire qui a permis de générer une organisation indépendante apte à employer cette nouvelle invention qu’est l’avion, s’apparente à la courbe en S identifiée par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter dans ses études sur le développement de l’innovation et son effet de destruction créatrice.

En France, le processus d’innovation débute avec Clément Ader mais commence à se traduire institutionnellement en 1910 avec la création de l’Inspection permanente de l’aéronautique. Une fois l’indépendance acquise, en 1933, la question devient celle de l’autonomie des aviateurs vis-à-vis des autres composantes à l’intérieur du système militaire français. Après la Seconde Guerre mondiale, les relations se complexifient car les interactions et les rapports de dépendance ne sont pas seulement à rechercher à l’intérieur du modèle militaire français mais aussi dans un ensemble qui s’élargit à des acteurs extérieurs avec la création de l’Alliance atlantique. Sous cet angle, l’histoire de l’armée de l’air peut se diviser en trois périodes.

Les pilotes Alfred Heurtaux et Georges Guynemer le 28 juillet 1916.
CESA

La première court de la naissance de l’aéronautique militaire à l’effondrement de 1940, c’est-à-dire de la naissance d’un nouveau système d’arme, puis la transformation organisationnelle qui a suivie avec la création de l’armée de l’air, à la sanction de l’expérience : la défaite de 1940.

Paradoxalement, la création de l’armée de l’air en 1933 ne constitue pas la rupture principale pourtant envisagée comme telle par l’historiographie traditionnelle. Par bien des égards, l’indépendance de l’armée de l’air demeure très largement virtuelle. Certes de nouveaux états-majors sont apparus dans les organigrammes militaires, des écoles ont recruté et formé un personnel destiné à servir exclusivement dans l’armée de l’air, un budget a été dédié en propre à cette armée nouvelle. Mais, lorsque nous étudions l’histoire des forces aériennes de 1918 à 1939, sous l’angle de l’emploi, il faut bien admettre qu’il n’y a pas de rupture en 1933. L’armée de l’air n’apparaît que comme le nouveau nom des forces aériennes réservées de 1918.

La deuxième période débute après la défaite de 1940 et s’étend jusqu’au milieu des années 1960, c’est presque une deuxième création qui aboutit à l’organisation d’une armée de l’air moderne intégrée au bloc occidental à travers son appartenance à l’OTAN.

L’armée de l’air s’émancipe de la tutelle de l’armée de terre en poursuivant le combat d’abord aux côtés de la RAF (Royal Air Force) puis de l’USAAF (United States Army Air Force). Au contact de ces deux armées de l’air, elle apprend comment on conduit la guerre aérienne. Après la victoire, forts des leçons apprises durement au cours du conflit, les aviateurs français veulent reproduire l’organisation qui avait rendu ce succès possible. Mais ils se heurtent au même conservatisme qu’avant la guerre symbolisé par la note du général Juin, chef d’état-major de la défense nationale, de mai 1946 assignant à l’armée de l’air des missions de soutien des forces terrestres et de défense aérienne. C’est une nouvelle fois grâce aux alliés que les aviateurs réussissent à se débarrasser de l’étroite sujétion dans laquelle le haut-commandement français veut les placer à nouveau. La mise en place de la structure militaire permanente de l’OTAN permet en effet à l’armée de l’air de se conformer aux structures éprouvées durant la guerre dans de grands commandements aériens intégrés. Cette deuxième institutionnalisation se fait donc en grande partie grâce à la reproduction du modèle anglo-saxon à travers la participation de la France à l’alliance Atlantique.

La troisième période commence alors que la France constitue sa force de frappe (1964) et sort du commandement militaire intégré de l’OTAN (1966). C’est l’émancipation d’un outil qui est devenu capable de jouer un rôle propre pour peser sur les relations entre États et pour participer à la résolution des crises et conflits.

Dassault Rafale et Mirage 200OD avec chacun deux réservoirs supplémentaires, un pod de désignation laser, des bombes AASM en mars 2011. (SIRPA Air)

Le départ de la France du commandement militaire intégré laisse l’armée de l’air seule avec la nécessité de pouvoir agir sans le soutien de ses alliés, c’est-à-dire en disposant en propre des capacités indispensables pour mener des opérations aériennes offensives ou défensives (dans ce cas, elle continue à bénéficier de l’environnement opérationnel de l’Alliance). Mais, à partir du début des années 1990, l’indépendance de l’armée de l’air tant au point de vue organisationnel que national semble avoir moins de sens, d’une part parce que l’action militaire devient de plus en plus intégrée – interarmées puis multidomaines et multichamps – ce qui se traduit notamment pour l’armée de l’air par l’extension de ses responsabilités à l’espace extra-atmosphérique – et d’autre part car la France a peu à peu rejoint les organismes militaires intégrés de l’OTAN et agit de plus en plus au sein de vastes coalitions qui partagent leurs capacités et agissent selon des procédés normalisés et communs.

P. V. : La défaite de 1940 semble être un traumatisme qui a profondément changé la façon dont les stratèges ont considéré l’arme aérienne. De manière plus générale, les principales évolutions de la puissance aérienne française sont-elles consécutives à des crises ou à des guerres ?

J. d. L. : L’expérience acquise au cours des opérations n’apparaît pas comme le principal facteur d’évolution organisationnel. La grande leçon retenue par les chefs militaires à l’issue de la Première Guerre mondiale est la « combinaison des armes ». C’est au nom de ce principe que l’aéronautique militaire reste au sein de l’armée de terre jusqu’en 1933 et les principales missions retenues pour les régiments d’aviation sont relatives à l’observation, la reconnaissance ou la défense aérienne. La puissance offensive de l’arme aérienne n’est pas développée car la mission de destruction doit être remplie par l’artillerie. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les grands chefs n’ont pas compris l’utilité de l’aviation. En septembre 1938, lors d’une séance consacrée aux plans d’opérations avec tous les commandants d’armée désignés y compris les commandants d’armée aérienne, le général Gamelin, commandant en chef désigné et ancien chef d’état-major de Joffre en 1914, déclare, constatant l’état de faiblesse de l’armée de l’air : « Qu’à cela ne tienne, nous ferons la guerre sans aviation ».

Après la guerre, les slogans utilisés par le haut-commandement interarmées comme celui d’« unité d’action » en 1951 apparaissent dans l’esprit des aviateurs bien plus comme des principes destinés à brider les possibilités offensives de l’arme aérienne en la maintenant sous une étroite sujétion que comme des principes destinés à réellement combiner les effets des différents systèmes d’armes. Le manque de coopération interarmées en Indochine et en Algérie constaté par le général Ély, chef d’état-major de la défense nationale de 1955 à 1959, illustre bien les pesanteurs du système militaire français malgré les leçons de la Seconde Guerre mondiale.

En 1991, lorsque le commandant des éléments français dans le Golfe persique demande que les avions de chasse de l’armée de l’air soient retirés des opérations offensives alliées pour être assignés à la couverture aérienne de la division Daguet [NDLR : forces terrestres françaises engagées au sein de la coalition], il défend finalement des conceptions assez proches de celles des chefs de 1940.

L’innovation et l’adaptation militaires face à l’évolution de la conflictualité constituent une question complexe dont les fondements ont été posés par le professeur américain Barry Posen dans son ouvrage sur « The Sources of Military Doctrine » (1984). En ce qui concerne le cas français, il semble que les principales évolutions viennent de l’extérieur du système et s’appuient sur la clairvoyance de quelques chefs d’exception : les généraux Gérardot, Léchères ou Stehlin pour prendre quelques exemples de chefs d’état-major de l’après seconde guerre mondiale qui vont forger l’armée de l’air des années 1960.

P. V. : Il se dit souvent que l’arme aérienne serait intimement liée à l’échelon politique. Est-ce que cela se vérifie historiquement ?

J. d. L. : À travers son utilisation dans tout type de conflit, l’aviation militaire a constamment offert au chef militaire un très large éventail d’effets applicables tant au niveau tactique qu’au niveau stratégique ou opératif. Néanmoins, lorsque l’on étudie l’histoire de l’armée de l’air, une caractéristique majeure apparaît : sa maniabilité dans la gestion de crise, c’est-à-dire sa plasticité politique. Et cette dimension politique de l’arme aérienne apparaît dès l’origine de l’aviation. En février 1915, par exemple, alors que les Autrichiens se sont emparés depuis décembre de la capitale du royaume de Yougoslavie, le gouvernement Viviani apporte un soutien militaire à son allié serbe en envoyant une centaine d’aviateurs et six avions Maurice Farman MF-11 de reconnaissance. Après la défaite de 1940, alors que le général de Gaulle a appelé les Français à le rejoindre pour continuer le combat, les aviateurs sont les premiers à reprendre la lutte. Ainsi, le 15 juillet 1940, trois pilotes français participent, au sein d’un squadron de la Royal Air Force, à un bombardement sur la Ruhr. De Gaulle peut alors annoncer fièrement à la radio de Londres que, pour les Français, « le combat a repris dans les airs au-dessus du territoire allemand ». L’immense portée symbolique de cette reprise du combat masque pourtant l’extrême faiblesse numérique des Forces aériennes françaises libres.

L’outil aérien est également employé par d’autres puissances comme l’URSS dans la gestion politique des conflits limités de la Guerre froide. Lors du conflit coréen, l’URSS, après avoir enjoint la Chine d’assister militairement la Corée du Nord dont les troupes refluent devant la contre-offensive des forces de l’ONU, envoie, en novembre 1950, le 64e corps aérien sur les aérodromes à proximité du Yalu pour assurer la défense aérienne du territoire chinois. En déployant ses MiG-15 et ses systèmes antiaériens et en soutenant logistiquement ses alliés, Staline veut éviter un engagement direct de l’armée rouge dans des combats au sol contre les forces américaines qui risquerait de conduire à une escalade militaire. Le même raisonnement est tenu par Brejnev lorsque Nasser vient lui demander une assistance accrue face aux raids de l’aviation israélienne en janvier 1970. L’URSS prend à sa charge la défense d’Alexandrie, du Caire et du barrage d’Assouan en déployant des intercepteurs MiG-21 et des batteries de missiles SA-2 et SA-3.

La puissance aérienne offre par ailleurs la capacité de mener des opérations coercitives, c’est-à-dire des démonstrations de force militaire destinées à faire changer d’attitude un adversaire, comme l’opération Hamilton en 2018. Le professeur américain Robert Pape a écrit dans son livre « Bombing to win » (1996) que : « De toutes les composantes majeures de la puissance militaire moderne – puissances terrestre, navale et aérienne – susceptibles d’être utilisées à des fins de coercition, la puissance aérienne, en particulier le bombardement stratégique, se révèle l’expression la plus convaincante des différentes stratégies coercitives ». Le conflit du Kosovo constitue une des opérations les plus emblématiques de cette coercition aérienne. Après celui-ci, Alain Richard, alors ministre de la Défense, déclare que : « La stratégie aérienne a montré qu’elle se prêtait particulièrement, dans sa conduite, à une gestion politique partagée de la crise ».

Dans la gestion de crise, la projection de force et de puissance aériennes apparaît donc comme un échelon intermédiaire dans l’engagement militaire entre un premier stade qui serait le soutien logistique avec la fourniture d’armes et de matériels et un second stade qui serait le déploiement de forces terrestres régulières. En somme, l’arme aérienne se montre suffisamment souple pour pouvoir se plier à des règles d’engagement restrictives ayant pour objectif d’éviter une confrontation ouverte entre les forces militaires de deux adversaires qui s’opposent indirectement. Comme le dit encore Robert Pape : « En bref, étant donné la vulnérabilité limitée des États industriels modernes aux blocus navals et le coût des stratégies terrestres coercitives, la puissance aérienne est apparue comme l’outil principal de la coercition militaire ».

P. V. : L’arme aérienne a été développée tout d’abord en lien avec la mission d’observation. Quel est aujourd’hui le rôle de l’armée de l’air et de l’espace dans l’acquisition du renseignement ?

J. d. L. : Cette question dépasse le cadre de l’ouvrage. Mais il est certain que les capteurs emportés par l’aviation et les moyens spatiaux jouent de plus en plus un rôle central dans l’acquisition du renseignement. Le milieu aérien comme l’espace extra-atmosphérique, la mer ou le cyberespace sont des milieux de transit et de commerce et donc propices à l’interception des flux. Chaque milieu en fonction de ses caractéristiques influe sur la collecte de ce renseignement. Grâce aux drones, l’espace aérien peut être occupé et fournir du renseignement en continu mais la circulation dans cet espace est contrainte par la souveraineté des États. L’espace extra-atmosphérique est quant à lui entièrement libre mais il ne permet pas (encore ?) la surveillance en continu d’un point d’intérêt même si le taux de revisite peut être important.

Mais du Maurice Farman MF.7 qui a détecté le changement de direction de l’armée de von Kluck devant Paris et qui a permis la victoire de la Marne en 1914 au drone Reaper de l’escadron 1/33 Belfort opérant au-dessus de la BSS en passant par le C.160 Gabriel orbitant à proximité de l’Ukraine ou la constellation de satellites Pléiades, le développement des moyens aériens et spatiaux n’offrent pas seulement un accroissement des capacités d’acquisition du renseignement. Il unifie le théâtre d’opération et permet à un commandement centralisé de le contrôler en temps réel et en continu. Cette connaissance offerte par les capteurs aériens et spatiaux, combinée aux moyens de commandement et de contrôle – dont de larges segments dépendent de plate-formes aériennes ou placées dans l’espace extra-atmosphérique – permet de mener des opérations en temps réel. Comme le disait Hervé Coutau-Bégarie, l’emploi des moyens aériens et spatiaux dilate l’espace de l’action militaire et en contracte le temps.

Au-delà des capacités, le problème du renseignement est celui de son interprétation et de son intégration dans la boucle de décision. La multiplication des capteurs ne permet de lever qu’en partie le brouillard de la guerre. Le problème est aujourd’hui le même que pour Foch au printemps 1918 lors des grandes offensives de Ludendorff. Où l’ennemi compte attaquer ? Et les résultats des reconnaissances de l’escadrille de reconnaissance stratégique du capitaine Weiller n’apportent qu’une partie de la réponse.

P. V. : En 2020, l’armée de l’Air devient l’armée de l’Air et de l’Espace. Quels sont les ressorts de cette évolution ? S’inscrit-elle dans une continuité historique ?

J. d. L. : Le principal ressort est bien entendu l’extension de la conflictualité à l’espace extra-atmosphérique et la reconnaissance que nos moyens spatiaux ont besoin d’être protégés en premier lieu parce que les plate-formes militaires ou duales sont devenues indispensables dans la conduite des opérations et par ailleurs parce que les plate-formes civiles sont essentielles à la vie économique et sociale de la nation. La France devait donc se doter des outils lui permettant de protéger ses intérêts de puissance dans l’espace extra-atmosphérique et d’utiliser l’espace pour conduire ses propres opérations militaires.

Mais dans l’élargissement de la responsabilité de l’armée de l’air à l’espace, la continuité historique n’est pas évidente. La véritable continuité est physique, entre les milieux aérien et extra-atmosphérique. En fait, les aviateurs se sont toujours intéressés à l’espace. Le colonel Robert Genty est, par exemple, un des pionniers de l’aventure balistique française dans les années 1950. Le général de division aérienne Robert Aubinière devient le premier directeur général du CNES en 1962. Six des dix premiers astronautes français étaient auparavant pilotes de chasse dans l’armée de l’air. Les premiers interprétateurs de photos satellites sont des aviateurs. Animés par leur goût pour la technique et l’innovation, les aviateurs se sont donc investis dans le développement du spatial militaire.

La décision de placer le commandement de l’espace sous la responsabilité du chef d’état-major de l’armée de l’air est à la fois la reconnaissance de cet investissement individuel et historique de nombreux aviateurs mais aussi le fruit de choix institutionnels qui, dès les années 1990, ont attribué à l’armée de l’air la mission de surveillance de l’espace. Bien que l’espace soit interarmées par construction, ce choix apparaît comme le plus cohérent. L’absence d’archives documentant les raisons de cette décision ne permet pas d’être totalement affirmatif mais il semble que la ministre des Armées a eu le choix entre créer une armée spatiale indépendante des autres armées, créer un commandement placé sous les ordres du CEMA ou rattacher ce commandement à l’armée de l’air. La « continuité historique » a peut-être emporté la décision de Florence Parly.

Copyright Mai 2022-Lespinois/Diploweb.com


Plus

. Jérôme de Lespinois (dir.) « Nouvelle Histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace » éd. Pierre de Taillac, mai 2022, 480 p.

Le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) coédite avec les éditions Pierre de Taillac une « Nouvelle histoire de l’armée de l’Air et de l’Espace ». Elle succède à l’ « Histoire de l’aviation militaire française » publiée, en 1980, par le Service historique de l’armée de l’air et le Musée de l’air, aux éditons Lavauzelle.

L’ambition de ce nouvel ouvrage est d’apporter aux lecteurs une synthèse, en moins de 500 pages, accessible et précise sur l’histoire de l’Armée de l’Air et de l’Espace depuis l’achat des premiers avions par le ministère de la Guerre en 1909 jusqu’à l’extension de son action à l’espace extra-atmosphérique en 2020. Les textes ont été rédigés par une équipe de plus de 50 contributeurs comprenant des historiens du SHD, du CReA et du CESA, des universitaires et des étudiants. L’ouvrage bénéficie d’une très belle iconographie constituée par plus de 750 photographies puisées dans les collections du SHD, du Musée de l’air et de l’espace, de l’ECPAD et du SIRPA Air. Il est de plus rehaussé par une vingtaine de tableaux de peintres de l’air et de l’espace.

Tous les auteurs et artistes ayant contribué à l’ouvrage ont abandonné leurs droits à la Fondation des œuvres sociales de l’armée de l’air.


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| Dernière mise à jour le mercredi 18 décembre 2024 |