Régis Koetschet est un ancien diplomate français. Son livre Diplomate dans l’Orient en crise fait écho à ses fonctions de consul général à Jérusalem (2002-2005) puis d’ambassadeur en Afghanistan (2005-2008). Juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile, il poursuit différents engagements associatifs en lien avec l’Afghanistan. Il est également l’auteur de A Kaboul rêvait mon père – André Malraux en Afghanistan paru aux Editions Nevicata. Marie-Caroline Reynier étudie les relations internationales à Sciences Po Paris et contribue au Diploweb depuis l’été 2021.
Être diplomate français à Jérusalem puis à Kaboul, quelles comparaisons possibles ? Quelle place pour la diplomatie dans ces environnements complexes ? Compte tenu du poids des États-Unis dans la région, quel rôle de la France au Moyen-Orient ? Comment évaluer l’action des puissances étrangères en Afghanistan ? Auteur « Diplomate dans l’Orient en crise. Jérusalem et Kaboul, 2002-2008 » (Éditions Maisonneuve et Larose Hémisphères, 2021), Régis Koetschet répond avec précision et générosité aux questions de Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com.
Marie-Caroline Reynier (M.-C. R.) : Votre livre, « Diplomate dans l’Orient en crise. Jérusalem et Kaboul, 2002-2008 » (Editions Maisonneuve et Larose Hémisphères, 2021) met en perspective deux de vos affectations diplomatiques, à Jérusalem (de 2002 à 2005) et à Kaboul (de 2005 à 2008). Pourquoi avez-vous privilégié une approche comparée pour faire le récit de ces deux expériences ?
Régis Koetschet : Trois raisons principales ont motivé cette approche comparée.
En premier lieu, il s’agit de deux postes diplomatiques anciens. Ainsi, on célèbre en 2022 le centenaire des relations entre la France et l’Afghanistan. À Jérusalem, la création du poste diplomatique fait écho aux pèlerinages. Ces deux postes sont également confrontés à des crises fondatrices de l’ordre international.
Deuxièmement, leur panoplie d’actions diplomatiques est d’une richesse rare, comme le souligne le réseau culturel à Jérusalem.
Troisièmement, ils portent tous deux une histoire, une culture, un imaginaire qui en font des « centres du monde ».
Enfin, servir dans ces deux postes l’un après l’autre est une expérience unique.
M.-C. R. : Vous soulignez la multiplicité d’acteurs intervenant dans le champ diplomatique, aussi bien à Jérusalem à travers les quatre cercles de relations interagissant avec vous (pp. 25-28) qu’à Kaboul entre l’OTAN et les partenaires européens (p. 79). Comment appréhendez-vous la place du diplomate dans cet environnement complexe ?
R. K. : Le métier de diplomate se situe dans la multiplicité, la complexité, la diversité. Il est à la fois dans l’analyse, la transmission, la mise en œuvre, la représentation, l’anticipation. La particularité des deux postes diplomatiques à Jérusalem et à Kaboul réside dans la capacité à donner une information très directe à Paris.
Le diplomate apporte des composantes relatives au temps long, à la culture, au terrain lorsqu’il décrit les réalités tribales par exemple. Le cœur de la diplomatie est d’essayer de bâtir des relations entre les peuples. Il est donc important pour le diplomate d’être au plus près des réalités. Dans mon ouvrage, je fais notamment référence à cette exigence du terrain à travers la « diplomatie par la peau », pour reprendre l’expression de la « connaissance par la peau » évoquée par Gérard Chaliand.
Néanmoins, une des difficultés de cette mission repose dans la transmission, tout particulièrement en Afghanistan où la réalité de la guerre dépasse une simple approche binaire. Cette difficulté est également liée à la géographie administrative puisque le dossier afghan, tout particulièrement au temps de l’engagement de nos forces, est concerné et réparti de fait entre plusieurs directions au sein du Quai d’Orsay.
L’importance de la relation avec les acteurs non-diplomatiques dans ces deux postes est également significative. À Kaboul, elle se traduit par les interactions avec le militaire opérationnel relevant de l’OTAN – des soldats français se battent et meurent au nom de la France - et les acteurs humanitaires. À Jérusalem, elle est incarnée par le lien avec les congrégations qui portent l’un des aspects de la dimension spirituelle de la ville. Le diplomate doit donc réussir à s’inscrire dans ce réseau, et cela également sur le plan personnel.
M.-C. R. : Vous témoignez de la prégnance de la « vision américaine » pour Jérusalem et Kaboul à la suite des attentats du 11 septembre 2001 (p. 35) et des questionnements suscités par l’action de la diplomatie française (p. 73). Comment analysez-vous le rôle de la France au Moyen-Orient ?
R. K. : Il faut rappeler l’importance de 2003, date de la guerre d’Irak, qui est un cap majeur tant dans le conflit israélo-palestinien qu’en Afghanistan. En 2003, le processus de paix au Proche-Orient est détourné lorsque la feuille de route constitutive d’un chemin vers les deux Etats est mise de côté au profit d’un retrait de Gaza. La vision américaine d’un Orient réenchanté a des conséquences considérables. L’été 2021 apparaît ainsi comme un aboutissement géographique de 2003. La guerre d’Irak, lancée sur une fake news , relève d’une lecture messianique qui se retrouve dans la vision des talebân. Pour autant, comme le rappelle Bertrand Badie, « le monde n’est plus géopolitique ». On ne doit pas tout interpréter par la géopolitique mais être attentif aux dérives des sociétés qui pèsent sur le jeu international.
Dans ce contexte, la France joue un rôle majeur qui se décline en plusieurs aspects. Elle doit dire le droit, surtout au Proche-Orient. Elle peut avoir un rôle de mobilisation des acteurs européens. Elle doit également être imaginative. Dans ce cas, la situation en Afghanistan est tout à fait singulière car depuis le retrait américain en août 2021, il est difficile de savoir qui a un rôle à y jouer. Par exemple, l’Allemagne qui avait une action significative est prise à contrepied par ce retrait américain. L’Afghanistan se retrouve être un pays sans partenaire en dehors de ses voisins pakistanais, chinois, iranien.
De plus, le rôle de la France est d’apporter une aide au développement. La France a une tradition humanitaire avec des ONG présentes sur le terrain. Enfin, il faut insister sur la dimension migratoire qui est un sujet de politique étrangère aussi bien concernant la Mer Méditerranée que l’Afghanistan. J’en mesure toute la réalité en siégeant comme juge assesseur au titre du Conseil d’Etat à la Cour nationale du droit d’asile.
En somme, il existe un rôle pour la France. En témoigne sa politique active dans la protection du patrimoine en zone de conflit. Néanmoins, à la différence de mon poste à Jérusalem (2002 à 2005) où la démarche européenne était très articulée, l’Union européenne n’a plus la même homogénéité.
M.-C. R. : Vous montrez la difficulté à trouver des outils de sortie de crise adéquats pour ces deux pays, comme le souligne notamment les résultats mitigés du Compact de Londres (contrat établi en 2006 entre l’Afghanistan et la communauté internationale dans le cadre de la Conférence de Londres, pp. 72-73). Quel est votre point de vue sur l’action des puissances étrangères en Afghanistan ?
R. K. : La Conférence de Londres apparaît paradoxalement comme un moment de rupture, où l’on prend, si j’ose dire, le « mauvais pli ». En caricaturant, on peut dire que le Compact est un contrat passé entre une « communauté internationale qui n’existe pas » selon les mots d’Hubert Védrine et un pays comme « externalisé » qui n’existe guère plus. Le concept de « communauté internationale », s’il nous aide, a en effet ses limites. D’autre part, en face, les interlocuteurs afghans approuvent un document assez largement préparé par des petites mains occidentales. A-t-on alors suffisamment mesuré que l’Afghanistan ne se résume pas à cette construction cooptée et quelque peu artificielle ?
Cependant, il faut également tenir compte des actions importantes qui furent réalisées dans le domaine de la santé, de l’éducation, des infrastructures. Il ne faut pas céder à la tentation d’effacer toutes les démarches entreprises pour les populations afghanes depuis 20 ans.
Il faut néanmoins rester prudent sur ce type de grand-messe dont on mesure les limites quand on voit que la délégation des Etats-Unis fut dirigée par la First Lady, Laura Bush, lors de la Conférence de Paris en juin 2008. L’effet sera paradoxal sur les Afghans, à la fois illusionnés et suspicieux sur les chiffres impressionnants annoncés lors de ce type de conférences. Un doute va se répandre sur le sens de la présence étrangère.
Cette séquence de 2003 à 2006 est importante car elle détermine la suite des événements. On peut analyser l’échec de cette période à la lumière de plusieurs facteurs. Le temps long, la mémoire, la complexité, les facteurs culturels ont été insuffisamment pris en compte. Le terme « complexité » a longtemps été un tabou pour évoquer la situation afghane, notamment sous la période Bush (2001-2009), et il a fallu attendre la période Obama (2009-2017) pour qu’il soit employé.
Ainsi, début 2022, le processus de paix au Proche-Orient paraît en panne dans son essentielle dimension palestinienne en dépit des reconnaissances d’Israël effectuées par les Emirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan, le Maroc en 2020.
Concernant l’Afghanistan, les voisins sont à l’affût. Les pays occidentaux oscillent entre la mauvaise conscience, la gueule de bois et l’indifférence.
M.-C. R. : Vous décrivez la diplomatie culturelle comme un instrument au service de l’action diplomatique à Kaboul et à Jérusalem (p. 112). Quel rôle a-t-elle pu et peut-elle jouer dans ces pays ?
R. K. : En premier lieu, la diplomatie culturelle, dont il faut bien mesurer le poids des deux mots dans cette expression, a un rôle majeur dans la diffusion culturelle. En effet, grâce à elle, nous diffusons nos idées, notre langue, nos valeurs éducatives.
Deuxièmement, il est fondamental d’avoir une curiosité et une connaissance des pays. Je me réfère en ce sens à la phrase d’Edward Saïd : « La volonté de comprendre d’autres cultures à des fins de coexistence et d’élargissement de son horizon n’a rien à voir avec la volonté de dominer ».
Troisièmement, la diplomatie culturelle soutient l’échange, la création effectuée par les artistes. Ils mettent en valeur le doute et l’esprit critique, qui ont pu être délaissés après les révolutions arabes au profit de discours présentant l’islam comme la « solution ».
Enfin, la diplomatie culturelle valorise les sociétés civiles. Elle accompagne tout en restant modeste.
Le travail de diplomatie culturelle en sortie de crise est particulièrement important. En effet, lors d’une crise, les gens ont perdu confiance ou ont trop de confiance. Il faut donc réussir à remettre de la confiance dans la relation à un juste niveau.
Dans ce cadre, la diplomatie culturelle française a un réel savoir-faire à travers son important réseau culturel. Il s’agit d’une spécificité française remarquable, de Kaboul jusqu’à Gaza. J’ai pris plaisir à inscrire cette dimension culturelle dans mon action diplomatique, notamment en créant un Institut culturel franco-allemand à Ramallah, inauguré en 2004.
M.-C. R. : Vous rappelez que ces deux villes sont des berceaux de l’action humanitaire (chapitre 8) où les nombreuses ONG françaises jouent un rôle clé. Après votre carrière de diplomate, vous vous êtes engagés dans le monde associatif, en tant que membre du conseil d’administration de l’association Amitié franco-afghane (AFRANE) et du comité Solidarité migrants de la Fondation de France. Quel lien établissez-vous entre l’action diplomatique et associative ?
R. K. : Il faut garder à l’esprit que le monde est pluri-acteurs. Lors du Printemps arabe, on semblait découvrir la réalité du tissu associatif et le concept de société civile. Mais, les projets diplomatiques se caractérisent par leur construction pluri-acteurs comme le souligne l’exemple de la Convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel qui fut portée en 1997 à la fois par la France, le Canada et l’ONG Handicap International. Les questions globales sont également des réalités pluri-acteurs, à la lumière de l’action menée par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). En effet, la connaissance académique est essentielle dans la vie internationale. La création par Bernard Kouchner, ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères (2007-2010), de la Direction générale de la Mondialisation, en 2009, traduit la prise en compte de ces « questions globales » qui déterminent l’agenda international.
Mon passage de la diplomatie à l’action associative s’est donc fait graduellement en m’intéressant à la relation avec le monde associatif vu du Quai d’Orsay, notamment avec les sociétés civiles du Sud, dans le cadre de mon poste de chef de la Mission des relations avec la société civile et des partenariats à la Direction générale de la Mondialisation (2009-2014).
Il me paraît important, aujourd’hui, de faire bénéficier d’une certaine expertise, de prolonger mon engagement de diplomate.
Copyright Janvier 2022- Koetschet-Reynier/Diploweb.com
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« Diplomate dans l’Orient en crise. Jérusalem et Kaboul, 2002-2008 »
« Dans la tête d’un diplomate » : tel aurait pu être le sous-titre de ce récit, qui nous fait toucher du doigt le travail diplomatique dans sa diversité politique et culturelle, au cœur d’un Orient sous haute tension sécuritaire, celui de « l’après-11 septembre » dans deux avant-postes exposés : Jérusalem où Régis Koetschet a été consul général de 2002 à 2005 et l’Afghanistan où il a représenté la France de 2005 à 2008. Deux implantations diplomatiques insérées, comme il l’écrit, « dans un environnement de violence. Celle de la guerre et du terrorisme, des représailles, de l’occupation, de la criminalité, de la drogue. S’y ajoute la violence de la pauvreté, de l’intégrisme religieux et de la misère sociale. »
Nous voici conviés à de multiples découvertes et confrontations, car à Jérusalem comme à Kaboul, le diplomate est à la croisée d’un double cheminement, difficile, parfois baroque, souvent douloureux : l’abord d’histoires millénaires, de spiritualités ardentes, de brillantes civilisations dans l’écrin de leurs paysages. Mais aussi une histoire qui s’écrit au jour le jour, entre guerre et paix, droit et faits accomplis, développement et corruption.
La rencontre, marquée par de prégnantes ignorances mutuelles, entre un monde de souffrances et d’humiliations et les exigences et les impatiences de l’action diplomatique, soulève nombre de questions et de lucides observations. On pratique presque au quotidien la complexité palestinienne, jusqu’à la mort de Yasser Arafat et l’avènement de Mahmoud Abbas et on accompagne un pouvoir afghan écartelé entre ses solidarités traditionnelles et les engagements de la coalition internationale.
Régis Koetschet, de Jérusalem à Kaboul, de Gaza à Bâmiyân, s’attache à éclairer ces différentes temporalités et les faire coïncider au service d’un objectif de dialogue et de compréhension. Mais un ambassadeur n’est pas seulement immergé dans son terrain de mission : il représente un pouvoir politique, une tradition, des intérêts, des influences, des ambitions qui peuvent prendre la forme de hâtives certitudes parisiennes, de délicates frilosités européennes ou d’un brutal réalisme de
puissance. Il faut alors essayer d’expliquer, plaider une complexité dont on sait qu’elle dérange dans une approche de la vie internationale de plus en plus binaire.
Ce passionnant récit renoue avec le terrain et les acteurs de cet Orient en crise, des ruelles de la Ville sainte aux contreforts bleutés de l’Hindou Kouch ; rehaussé d’une note d’espoir portée par une vraie confiance humaniste et par une profonde empathie avec les cultures apprises dans le temps long. C’est aussi une façon vivante de découvrir la fonction diplomatique dans son quotidien et son savoir-faire.
« La diplomatie par la peau » comme la revendique l’auteur.
Régis Koetschet, ancien diplomate français, a notamment été en poste à Tripoli, Bagdad, Islamabad et La Haye. Il a été ambassadeur au Sultanat d’Oman et au Togo avant d’être consul général à Jérusalem et ambassadeur à Kaboul. Il a, par la suite, pris part à la mise en place de la Direction générale de la Mondialisation au quai d’Orsay. Il a gardé un fort engagement avec l’Afghanistan comme membre du conseil d’administration de l’association Amitié franco-afghane (AFRANE) et contributeur régulier de sa revue Les Nouvelles d’Afghanistan. Il est membre du Centre de recherches et d’études documentaires sur l’Afghanistan (CEREDAF). Il siège au comité Solidarité migrants de la Fondation de France et comme juge assesseur au titre du Conseil d’État à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
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