Mélissa Cornet, Juriste spécialisée dans les questions de droits humains, et habite à Kaboul de 2018 à 2024. En 2024, elle est lauréate avec la photographe irano-canadienne Kiana Hayeri du prix de photojournalisme de la fondation Carmignac, qui leur permet de consacrer six mois à un reportage au long-cours sur la situation des femmes et des filles afghanes, trois ans après le retour des taliban au pouvoir. Ce travail, « No Woman’s Land », a été exposé à Paris en novembre et décembre 2024 au Réfectoire des Cordeliers puis sur le quai Anatole France.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 14 janvier 2025.
Synthèse par Emilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
Le 31 août 2021, le dernier avion de l’armée américaine quitte Kaboul, achevant le retrait des États-Unis d’Afghanistan et mettant ainsi un terme à une guerre qui durait depuis l’automne 2001. Depuis l’Afghanistan est repassé dans l’ombre de l’actualité. Plus de trois ans après le départ des Etats-Unis, quelles sont les nouvelles réalités de l’Afghanistan ? Sans remonter trop dans le temps, rappelons que l’Afghanistan se trouve engagé depuis 1979 dans une spirale délétère, avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan, qui met fin à la « détente Est-Ouest ». Dix ans plus tard les soldats soviétiques quittent l’Afghanistan, en 1989, année qui se termine par l’ouverture du Rideau de fer. Les attentats du 11 septembre 2001 par Al Qaida aux Etats-Unis relancent un cycle de violences puisque Washington et ses alliés recherchent en Afghanistan le cerveau des attentats, un certain Oussama Ben Laden. Tout en mettant dix ans à localiser Ben Laden, au Pakistan, les Etats-Unis font de l’amélioration du statut des filles et des femmes afghanes un marqueur de leur action… Et pourtant, vingt ans plus tard, quand les taliban entourent la capitale, les Etats-Unis quittent ce pays de façon chaotique. Mais pouvait-il en être autrement ? Plus de trois ans après le départ des Etats-Unis, quelles sont les nouvelles réalités de l’Afghanistan, notamment pour les femmes ? Pour répondre à cette question, nous avons l’honneur de recevoir Mélissa Cornet qui connait ce pays comme sa poche. Avec une synthèse rédigée par Emilie Bourgoin, revue et validée par M. Cornet.
Cette émission, Planisphère, Plus de trois ans après le départ des Etats-Unis, quelles sont les nouvelles réalités de l’Afghanistan ? Avec M. Cornet, sur RCF
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Synthèse de cette émission, Planisphère, Plus de trois ans après le départ des Etats-Unis, quelles sont les nouvelles réalités de l’Afghanistan ? Avec M. Cornet, rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb. Revue et validée par M. Cornet
Depuis le retrait des troupes américaines en août 2021, l’Afghanistan a entamé une nouvelle ère marquée par des changements radicaux et des défis profonds. La fin du conflit direct a apporté un semblant de paix, mais les difficultés socio-économiques et les crises humanitaires se sont intensifiées. Les taliban [1], revenus au pouvoir, ont promis de stabiliser le pays et d’améliorer le bien-être de la population. Cependant, la réalité montre un tableau contrasté où la population, en particulier les femmes et les enfants, fait face à des situations de précarité alarmantes.
Travailler en tant que femme occidentale en Afghanistan peut sembler périlleux, mais cela présente aussi des avantages spécifiques. Dans ce pays, les femmes internationales bénéficient souvent d’une position unique, presque un genre neutre, qui leur permet de dialoguer tant avec les hommes qu’avec les femmes. En tant que chercheuses et reporters, elles peuvent accéder à des témoignages diversifiés et couvrir des sujets sensibles tout en circulant relativement librement, grâce à un certain respect et une protection tacite de la part des autorités talibanes. Cette situation contraste fortement avec la période précédant 2021, où les internationaux étaient des cibles et risquaient enlèvements et menaces constantes.
Le retrait des forces américaines en août 2021 a mis fin à des décennies de conflit armé, permettant une réduction significative des violences armées. Cependant, la paix apparente s’est accompagnée de nouvelles difficultés, notamment sur le plan économique. L’Afghanistan dépendait massivement de l’aide internationale, qui représentait environ 80 % du budget national. Avec la suspension de cette aide, l’effondrement du système bancaire et le gel des avoirs de la Banque centrale, la crise économique s’est installée rapidement, plongeant la majorité de la population dans une situation de précarité.
Les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été particulièrement touchés par l’absence de systèmes de protection sociale. Les familles, déjà appauvries, ont dû prioriser les membres masculins en âge de travailler, laissant souvent les femmes et les jeunes filles en situation d’insécurité alimentaire. Dans les hôpitaux, les ONG ont rapporté une augmentation inquiétante des admissions de bébés filles, plus souvent malnutries et plus exposées aux décès, illustrant une hiérarchie discriminatoire.
L’Afghanistan fait face à plusieurs crises interconnectées. La crise économique a conduit à une insécurité alimentaire généralisée, menaçant même les classes moyennes éduquées. Bien que les ONG parviennent à stabiliser temporairement la situation, la pérennité de ces efforts reste incertaine. Parallèlement, les droits humains, en particulier ceux des femmes, subissent une régression significative, ramenant le pays vers un modèle sociétal d’avant 2001. Les Afghans subissent non seulement la politique restrictive des taliban mais aussi le manque d’implication de la « communauté internationale », en particulier dans le domaine économique. Il est important de noter que les femmes qui travaillaient en Afghanistan représentaient environ 5 % du PIB du pays, soit un impact estimé à 1 milliard de dollars, selon une estimation du Programme des Nations Unies pour la Développement.
Depuis le retour des taliban, la situation des femmes s’est significativement détériorée. Alors que des promesses initiales laissaient espérer un certain maintien des droits acquis durant les deux décennies précédentes, la réalité s’est vite assombrie. Les femmes sont contraintes de se conformer à des règles vestimentaires strictes et ne peuvent se déplacer qu’accompagnées d’un chaperon masculin. Toute déviation de ces règles expose leur gardien à des sanctions, illustrant la perception des femmes comme des êtres dépendants et soumis. L’accès à l’éducation a également été restreint, privant des milliers de jeunes filles de leur droit fondamental à l’instruction.
La « communauté internationale » a réagi avec une indignation marquée mais d’efficacité limitée. Les sanctions économiques et la suspension de l’aide internationale visent à faire pression sur les taliban pour qu’ils respectent les droits humains, en particulier ceux des femmes. Cependant, ces mesures ont souvent eu l’effet inverse, aggravant la crise économique et renforçant le contrôle des taliban sur les ressources restantes. Des organisations non gouvernementales continuent d’agir en tant que principaux acteurs pour fournir de l’aide humanitaire, mais leurs opérations sont contraintes par le manque de moyens.
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Pour en savoir plus, voici quelques ressources recommandées :
. Site Internet de Mélissa Cornet : www.melissacornet.org propose de nombreuses photos, dessins et des liens vers les publications de l’auteur.
. International Crisis Group : Ce think tank belge offre aujourd’hui certaines des meilleures analyses sur la situation en Afghanistan.
. Journalistes français : Des reporters comme Solène Chalvon-Fioriti réalisent un travail remarquable sur le terrain.
Copyright pour la synthèse Janvier 2025 -Bourgoin/Diploweb.com
[1] NDLR : Taliban : cette appellation est le pluriel de « taleb » (instruit, dans le sens coranique) et ne prend donc jamais de « s ».
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