Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, agrégé et docteur en histoire, ancien membre de l’École française de Rome. Spécialiste de l’histoire de la papauté et de ses relations avec l’Asie, Thomas Tanase a notamment publié "Jusqu’aux limites du monde. La papauté et la mission franciscaine, de l’Asie de Marco Polo à l’Amérique de Christophe Colomb" (École française de Rome 2013) et une nouvelle biographie de Marco Polo (Éditions Ellipses, 2016).
Au-delà de la seule question du statut du catholicisme ou des autres confessions chrétiennes en Chine, T. Tanase étudie comment l’amorce d’une relation en pointillés entre le Vatican et la République populaire de Chine est un signe parmi d’autres de la sortie de l’ordre mondial identifié à l’ordre atlantique qui avait réussi à conquérir le monde entier depuis les années 1980, et cela justement grâce à l’intégration de la Chine. Une sortie néanmoins chaotique et mal assurée puisqu’aucun autre ordre n’a pour l’instant émergé pour le remplacer.
ALORS QUE la République populaire de Chine se prépare à célébrer en grande pompe ses 70 ans, la situation est brutalement devenue instable. Depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2016, la présidence américaine a clairement affiché sa volonté de lancer une offensive économique contre la Chine sur fond de remise en cause des règles de la globalisation. Mais c’est aussi dans ce contexte que, il y a désormais un an, la République populaire et le Vatican ont annoncé le 22 septembre 2018 avoir signé un « accord provisoire » qui a suscité beaucoup de commentaires, et ce d’autant plus que le texte de l’accord n’a pas été publié, même si on peut tenter d’en deviner les principales dispositions. Or, si les critiques à cet accord sont nombreuses, au sein du monde catholique comme en dehors, elles semblent avant tout déterminées par un critère fondamental : l’atlantisme, et le rapport aux États-Unis. De fait, les opposants à l’accord n’ont pas manqué d’utiliser le terme d’Ostpolitik, du nom de la défunte politique vaticane de détente avec le bloc soviétique des années 1960-1970, souvent opposée d’une manière un peu simpliste à l’attitude de Jean-Paul II face à l’Union soviétique [1].
La question du rapprochement entre le Vatican et la République populaire de Chine va donc bien au-delà de la simple question des catholiques en Chine. Bien sûr, elle a pour l’Église catholique un aspect pastoral, lié à la situation du terrain. Mais la signature de l’accord, tellement voulue par le pape François, est aussi liée à sa volonté de construire une « mondialisation polyédrique » [2], et cela au moment même où Xi Jinping appelle à un nouveau type de relations internationales, qui ne devraient plus être structurées autour du système d’alliance américain [3]. L’accord entre la Chine et le Vatican pose aussi la question du rapport aux États-Unis, et plus largement du rapport à la mondialisation telle que nous la connaissons depuis les années 1990, alors que celle-ci traverse une phase de turbulences intenses. Plus en profondeur, l’accord de 2018 montre que la République Populaire de Chine est forcée de prendre en compte le facteur religieux : il ouvre une fenêtre sur un phénomène parfois négligé quand il s’agit de la Chine.
Les accords entre le Vatican et la République populaire de Chine permettent également de poser à leur manière la grande question qui est celle de toutes les études sur l’avenir de la Chine : celle de sa démocratisation et de son hypothétique normalisation aux standards occidentaux. Dans le fond, il semble inconcevable que le progrès économique chinois n’amène pas à une forme de convergence avec les sociétés occidentales, encore que la tendance aujourd’hui soit à admettre que cette libéralisation est bien improbable dans un avenir proche, et à la repousser de plus en plus loin [4]. Après tout, la modernité économique et sociale est bien née dans un Occident européen puis nord-américain face auquel le monde chinois semble aujourd’hui en phase de rattrapage. De surcroît, l’écroulement du monde soviétique nous a habitué depuis les années 1990 à penser en termes de « fin de l’histoire », c’est-à-dire d’unification du monde autour d’un idéal libéral de progrès universel porté par les échanges économiques et aboutissant à l’uniformisation autour des métropoles, des quartiers d’affaires et des centres commerciaux.
Cet article, en essayant d’aller au-delà de la seule question du statut du catholicisme ou des autres confessions chrétiennes en Chine, cherche à étudier comment cette amorce d’une relation en pointillés entre le Vatican et la République populaire de Chine est un signe parmi d’autres de la sortie de l’ordre mondial identifié à l’ordre atlantique qui avait réussi à conquérir le monde entier depuis les années 1980, et cela justement grâce à l’intégration de la Chine ; une sortie néanmoins chaotique et mal assurée puisqu’aucun autre ordre n’a pour l’instant émergé pour le remplacer. Dans ce contexte incertain, les rapports entre États-Unis, Union européenne, Russie et Chine sont en pleine reconfiguration et de nouvelles convergences sont en train de se créer, tandis que le Vatican peut poursuivre sa politique de redéploiement au-delà du monde occidental et atlantique en explorant les voies d’une entente avec la République populaire de Chine.
De manière significative, le terme qui vient à l’esprit d’un public cultivé occidental pour définir la culture chinoise est celui de « confucéen ». Dans le fond, le destin de la Chine, née de l’unification imposée par la force par l’empereur Qin Shihuangdi en 221 av. J.C., puis par la dynastie des Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C), peut faire penser à ce qu’aurait été le destin d’un empire romain qui n’aurait pas connu le christianisme, mais aurait en revanche réussi à se maintenir d’une manière ou d’une autre jusqu’au XXe siècle, assimilant progressivement les différents peuples venus le menacer. En effet, le monde chinois est resté à travers les siècles parcouru d’une multitude de cultes, le tout uni en dernière instance par des grands rites communs comme le culte des ancêtres ou les cultes rendus par le pouvoir impérial. La tradition taoïste a recueilli et sédimenté ces pratiques, tout en les enrichissant d’une multitude de pratiques magiques et de rites d’initiation. Cette tradition religieuse vivante et colorée a toujours subsisté et imprégné la société, débordant le cadre formel de la tradition lettrée. Celle-ci, marquée par la figure de Confucius (Ve siècle av. J.C.), a développé un véritable humanisme et une religiosité réduite à quelques grands principes avant tout moraux. La pensée légiste, entièrement tournée vers la recherche des lois absolues permettant au pouvoir de contenir les ferments de désordre, s’est développée en parallèle à la naissance de l’Empire, et a sans doute eu autant d’importance que le confucianisme [5]. À terme, ces deux écoles de pensée différentes ont fini par se mélanger dans une culture des mandarins qui a unifié la Chine autour d’un humanisme rationalisé et d’une vision très épurée du religieux, qui correspondrait bien plus au concept d’une « religion de sortie de la religion » que le christianisme occidental.
Le bouddhisme asiatique s’est inscrit à la marge de cette histoire. Venu du monde indien, il a connu un très grand succès sous la dynastie des Tang (618-907), qui a vu une grande époque d’expansion pour le monde chinois et dont la capitale, Chang’an (aujourd’hui Xi’an), était ouverte sur l’Asie centrale et l’étranger. C’est aussi l’époque de la première rencontre entre le monde chinois et un islam qui investit l’Asie centrale à partir de 751. De petites communautés musulmanes s’installent en Chine, en particulier dans des ports ouverts vers les échanges maritimes comme Canton. Toutefois, en 840 le pouvoir impérial proscrit les religions étrangères, à commencer par le bouddhisme, dont l’ascension est de la sorte brisée. Cet exemple montre déjà les difficultés d’acculturation qui peuvent exister pour une foi perçue comme « étrangère », même si le bouddhisme est toujours resté un élément du paysage chinois.
Après l’époque de gloire de la dynastie Tang, l’empire s’effondre et passe par plusieurs siècles de divisions. Il est finalement réunifié au XIIIe siècle par les Mongols. Le grand-khan Khubilai, qui reçoit Marco Polo, choisit comme capitale la ville de Pékin excentrée géographiquement par rapport au monde chinois, mais idéalement placée pour faire le lien avec les steppes. Cet héritage a été repris et consolidé par la dynastie authentiquement chinoise des Mings (1368-1644), qui a chassé les Mongols, avant que celle-ci ne soit à son tour mis à bas par un autre peuple d’origine nomade, les Mandchous, qui ont fondé la dynastie Qing (1644-1912). Chemin faisant, le pouvoir chinois noue des liens avec le Tibet et investit le Xinjiang, autrement dit le Turkestan oriental, ancienne terre d’origine des populations turques auxquelles sont apparentés les actuels Ouighours. Cependant, la Chine du XIXe siècle, qui doit faire face au colonialisme européen, est dominée par une dynastie « étrangère » : l’affirmation nationale va de pair en 1911 avec une révolution qui renverse le pouvoir impérial pour proclamer une nouvelle République.
Au regard de cette histoire, le christianisme semble particulièrement éloigné. La première présence chrétienne, sans lendemain, remonte au lointain VIIe siècle à la cour des Tang, lorsque des missionnaires venus de Perse apportent en 635 à Chang’an le christianisme dit « nestorien », du nom d’une Église d’Orient qui s’est séparée au Ve siècle du tronc commun unissant alors Rome et Constantinople, d’où sont issus l’orthodoxie et le catholicisme. La première mission venue d’Europe est celle du franciscain Jean de Montecorvino, arrivé en Chine en 1294, à l’époque de la domination mongole, et nommé en 1307 par le pape Clément V premier archevêque catholique de Pékin. Mais cette première présence chrétienne essentiellement liée à la cour mongole ne réussit pas à s’implanter durablement, et s’étiole dès la seconde moitié du XIVe siècle.
Ce sont les missions jésuites de l’époque moderne, au moment où les Portugais circulent en Asie, qui font vraiment découvrir la Chine aux Européens. Placées sous la figure de saint François-Xavier, mort en 1552 aux portes de la Chine dans l’île de Sancian, non loin de Macao et du futur Hong-Kong, les missions sont notamment dominées par la personnalité du jésuite italien Matteo Ricci, auteur de traités en chinois mandarin tentant de montrer la convergence de la pensée classique chinoise et d’un christianisme imprégné depuis le Moyen-Âge de philosophie aristotélicienne. Les jésuites, dans leur volonté d’accommodement destinée à rendre plus aisée la conversion, acceptent par exemple le culte des ancêtres comme un acte civique compatible avec le christianisme. Mais ces pratiques sont condamnées par le pape Clément XI en 1704, interdiction réitérée par Benoît XIV en 1742, tandis que le monde chinois reste finalement relativement imperméable à la conversion jésuite.
La question se pose d’une manière nouvelle avec la mise sous tutelle de la Chine par les puissances occidentales du XIXe siècle, dans un rapport colonial dont les guerres de l’opium et les traités inégaux sont restés le symbole [6]. Les traités de Nankin en 1842, après la première guerre de l’opium, ou de Whampoa en 1844, pour la France, autorisent l’installation dans les ports chinois d’Occidentaux, missionnaires compris. Une présence chrétienne beaucoup plus conséquente peut s’installer à Hong-Kong, sous domination britannique depuis le traité de Nankin, et dans les quartiers occidentaux des « villes ouvertes » chinoises. Des missionnaires de toutes confessions s’installent en nombre à l’intérieur de la Chine, qui continue de fasciner et susciter les vocations. Le nombre de croyants augmente rapidement (les catholiques passent de 330 000 à 1,4 millions en 1912) tandis que se met en place tout un ensemble de structures qui maillent le territoire chinois, écoles, hôpitaux, orphelinats. Mais cette fois-ci, il s’agit aussi d’un christianisme souvent anglican ou protestant, tandis qu’une petite communauté orthodoxe se développe avec le soutien russe. Cependant cette présence de type colonial et le choc de la modernité désorganisent tout l’édifice social et politique chinois, annonçant sa désintégration.
À terme, le christianisme finit même par être associé à la mise sous tutelle coloniale. La révolte des Boxers est par exemple accompagnée de massacres de chrétiens et de destructions d’églises, avant d’aboutir en 1900 au siège des légations étrangères, libérées par une intervention occidentale. Mais cette révolte est encore officiellement perçue en Chine comme la première grande lutte contre la domination coloniale. L’incapacité du pouvoir mandchou à résister à l’humiliation aboutit à la proclamation de la République en 1911 ; mais celle-ci est suivie de l’éclatement du pays autour des « seigneurs de la guerre ». À vrai dire, le projet nationaliste de réunification de la Chine autour d’une modernisation à l’occidentale n’est pas sans lien avec le christianisme protestant. Le père du nationalisme chinois et de son parti, le Guomindang, Sun Yat-sen, a passé son adolescence à Honolulu, sous influence américaine, avant de revenir en Chine puis de s’installer à Hong-Kong, où il se convertit au protestantisme congrégationaliste, tandis que son exil le fait voyager du Japon, qui sert à l’époque de modèle de révolution asiatique, à Londres ou aux États-Unis. C’est d’ailleurs là qu’il se trouve au moment de la révolution de 1911, avant de rentrer en Chine. Il est un proche de Charles Soong, un homme d’affaires de Shanghai, missionnaire méthodiste, soutenu et financé par les églises américaines. Chang Kai-Shek, qui devient le personnage fort de la Chine des années 1920, est aussi lié aux milieux d’affaires de Shanghai et, comme Sun Yat-sen avant lui, il épouse une des filles de Charles Soong, éduquée aux États-Unis. Il se convertit au méthodisme. Mais il n’arrive pas à réunir complétement la Chine et n’est finalement que mollement soutenu par son allié américain lors de la dernière phase de la guerre civile contre les communistes de 1945 à 1949, en raison des doutes sur sa capacité effective à réorganiser la Chine et mettre fin à la corruption profonde de son pouvoir. À cette date, l’Église catholique en Chine, qui avait continué à se développer, arrive vers 1945 à 3,2 millions de fidèles. Pour la première fois, des Chinois sont consacrés évêques en 1926 et la Chine obtient son premier cardinal chinois en 1946, Mgr Thomas Tian Gengxin, qui ne tarde pas à s’exiler aux États-Unis puis à Taiwan.
L’histoire du christianisme en Chine est donc plus compliquée qu’elle n’en a l’air. C’est une religion qui est venue de l’extérieur, et a même fini par être perçue comme une des formes de la domination coloniale. La réunification de la Chine et l’affirmation de son indépendance sont finalement venues à partir de 1949 d’un modèle soviétique qui n’a pas tardé à se siniser, et qui, outre une dimension anti-occidentale importante, permettait de construire un État à l’échelle d’une nation-continent sous-développée. En ce sens, le modèle soviétique a précisément réussi ce que le nationalisme ouvert sur l’Occident, parfois lié au christianisme américain, n’a pas réussi, tout au moins à l’échelle de la Chine continentale. En revanche ce dernier modèle a réussi à faire de Taiwan un pays démocratique et prospère après une longue phase de dictature. Aujourd’hui encore, le pouvoir chinois est l’héritier de ce choix, qui a servi de matrice à la construction du parti-État et de l’ensemble de la hiérarchie des pouvoirs locaux et administratifs. Or une des données de ce modèle est sa dimension antireligieuse, exacerbée lors de la période maoïste.
Sur le principe, la pratique religieuse est encadrée par un Bureau national des Affaires religieuses créé en 1951 et par de grandes associations patriotiques come le Mouvement patriotique protestant triplement autonome de Chine, créé en 1951, l’Association bouddhiste de Chine (créé en 1953), l’Association islamique de Chine (1953) ou l’Association taoïste de Chine (1957). Le dispositif est enfin complété par la mise en place d’une « Association patriotique catholique chinoise » (1957), fondée avec une déclaration saluant les « grandioses résultats » obtenus par le parti communiste et le gouvernement populaire et qui appelait l’Église catholique à changer radicalement. S’il était possible de maintenir des « rapports religieux » avec la papauté, il fallait en échange rompre les rapports politiques et économiques, sans se laisser influencer par les « complots » du Vatican [7]. En théorie, les évêques sont désignés de manière démocratique par les fidèles, mais sous le contrôle des autorités. Dans ce cadre, ne pas adhérer à cette association signifie commettre un acte de rébellion, qui plus est lié à des influences étrangères.
Ce cadre s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui, et pose les bases du problème auquel l’accord de 2018 tente d’offrir une solution. Pour l’Église catholique, ce contrôle par les autorités s’oppose frontalement aux principes romains qui se sont au contraire définis à travers les siècles par la volonté de construire une chrétienté universelle autour de l’institution pontificale, de manière transversale aux États et en refusant précisément le concept d’Église nationale séparée. Dans un premier temps, la question n’a de toute manière qu’une importance limitée. L’Église catholique est profondément désorganisée par la Révolution de 1949 alors qu’elle est encore très liée à des sociétés missionnaires d’origine étrangère. Ses biens sont nationalisés, les séminaires fermés, le clergé étranger chassé du pays pendant que les arrestations se multiplient. Le nonce apostolique ambassadeur du Saint-Siège est expulsé pour avoir « comploté » en 1951 et les relations diplomatiques sont rompues. Les persécutions touchent tout autant les églises protestantes, tandis que l’orthodoxie, qui avait réussi à se maintenir dans l’entre-deux-guerres grâce à la présence des Russes blancs, disparaît.
C’est aussi dans ce contexte que se pose pour la première fois la question des nominations épiscopales pour l’Église catholique : alors que les sièges vacants se multiplient, les autorités chinoises procèdent à des nominations à leur convenance pour remplacer les évêques exilés ou emprisonnés. Ces évêques, non reconnus par la papauté, entraînent l’Église patriotique à la rupture avec Rome. En retour, une partie de l’Église catholique refuse l’adhésion à l’Église patriotique et entre dans la clandestinité. Le pontife de l’époque, Pie XII, condamne dans une lettre aux fidèles de 1952 puis dans les encycliques Ad sinarum gentes de 1954 et Ad apstolorum principis de 1958 le principe d’une Église patriotique séparée de Rome et refuse toute forme de régularisation des évêques nommés par l’Église officielle chinoise, malgré les demandes de cette dernière [8].
La question passe au second plan avec la maoïsation du pays, qui atteint son paroxysme sous la révolution culturelle des années 1960. Le bureau des affaires religieuses et les associations patriotiques sont dissoutes, tandis que la religion fait précisément partie des idéologies du passé que la révolution culturelle se doit d’éliminer. Ce qui reste des églises est détruit ou transformé en usines, les prêtres, même « patriotiques », sont arrêtés et envoyés en camp ou, au mieux, se retrouvent en situation de clandestinité. La question va cependant bien au-delà du christianisme. Au Tibet annexé en 1951, la mise au pas passe par la lutte contre les monastères et la culture des lamas, tandis que d’une manière générale la période de la révolution culturelle a vu à travers toute la Chine la destruction systématique de tout un patrimoine taoïste et bouddhiste. La pensée confucéenne fait l’objet de campagnes d’éradication en raison de son lien avec un passé historique à évacuer. En ce sens, c’est bien la période de la révolution culturelle qui a véritablement laïcisé le paysage chinois, et mis fin à la présence régulière des cultes traditionnels dans la vie quotidienne, en particulier celle du monde rural. Elle a aussi préparé le terrain pour la nouvelle société qui commence à se développer à partir des années 1980, de plus en plus urbanisée, installée dans de nouveaux quartiers d’immeubles et tournée vers la consommation.
La situation s’assouplit après la mort de Mao en 1976. Dans le cadre de la politique d’ouverture menée par Deng Xiaoping, la pratique religieuse est de nouveau tolérée, les associations religieuses rétablies. Cependant, la ligne suivie par Deng, malgré la rupture radicale en termes de politique économique et de rapport au monde, s’inscrit plus en profondeur dans le même cadre que celle de son prédécesseur, avec les mêmes objectifs : permettre à une Chine unifiée de redevenir une puissance mondiale. Après tout, c’est bien Mao Zedong qui a reçu Richard Nixon à Pékin en 1972, amorçant cette alliance stratégique qui a permis de faire tomber l’URSS avant de donner aux firmes occidentales la possibilité d’utiliser la main d’œuvre chinoise pour étendre aux quatre coins du globe une mondialisation dont les États-Unis sont restés plus que jamais le centre économique, financier et culturel. Mais les avantages pour la République populaire de Chine, qui peut désormais traiter d’égal à égal avec les États-Unis, sont évidents, tandis que petit-à-petit le monde du G7 s’est dilaté au monde autrement plus divers du G20, dont l’immense Chine est l’autre grand moteur économique. Toutefois, l’ouverture à la globalisation américaine a aussi des implications sociales et politiques : les échanges ne peuvent indéfiniment rester que des échanges de marchandises, et, malgré toute l’attention du régime chinois pour garder le contrôle de la situation et éviter une remise en cause brutale comme lors des contestations de la place Tien-an-Men de 1989, l’ouverture à la mondialisation a aussi signifié une mutation majeure pour la société chinoise.
Shanghai a une caractéristique particulière : c’est l’un des rares points du globe où l’on trouve nettement plus de croyants parmi les jeunes générations que parmi leurs aînés : sur les 30% de croyants déclarés, toutes religions confondues, 62% avaient entre 16 et 39 ans, selon une estimation qui remonte déjà à 2011 [9]. Compte tenu du fait que les générations plus âgées sont celles qui ont grandi sous le maoïsme ou dans la Chine à peine ouverte des années 1980, il n’y a rien là d’étonnant. Il n’en reste pas moins que le renouveau de la foi religieuse parmi les jeunes générations renverse les schémas habituels que l’on voit à l’œuvre en Occident, et ce d’autant plus qu’en Chine ce phénomène touche d’abord les jeunes générations métropolitaines, connectées à la mondialisation.
Compte tenu de la méfiance des autorités chinoises, il est difficile d’avoir des chiffres précis. Les estimations peuvent varier considérablement, et ce d’autant plus que beaucoup de croyants pratiquent clandestinement. Il n’en reste pas moins que selon toutes les données, le fait religieux est en plein essor au sein de la République Populaire. Si l’on part des chiffres donnés par les autorités chinoises à travers le State Council Information Office, il y aurait en Chine 200 millions de croyants sur une population totale d’environ 1,4 milliard de personnes. Parmi eux, au-delà d’une large majorité de bouddhistes, on compterait 38 millions de protestants (dont 20 enregistrés), 6 millions de catholiques et environ 20 millions de musulmans. Mais la plupart des observateurs considèrent que ces estimations minimisent la situation. Selon les estimations d’une Organisation non gouvernementale (O.N.G.) comme Freedom House, les croyants en Chine seraient en fait bien plus nombreux : de 185 à 250 millions de bouddhistes (sans comptabiliser les 6 à 8 millions de bouddhistes tibétains), entre 60 et 80 millions de protestants, peut-être entre 30 et 40 millions de musulmans, 12 millions de catholiques et plusieurs centaines de millions de pratiquants occasionnels des cultes traditionnels [10]. Fenggang Yang, de l’Université de Purdue, va jusqu’à une estimation d’une centaine de millions de protestants (dont une trentaine de participants réguliers aux églises enregistrées) [11]. Plus généralement, une religiosité diffuse recommence à voir le jour, sensible par exemple avec un retour aux cultes traditionnels. Les cultes taoïstes peuvent connaître un certain succès et même être parfois assez prisés des élites pour leur caractère ésotérique, y compris dans certains milieux d’affaires et chez certains membres du parti, qui peuvent prendre leur distance avec la doxa marxiste.
Plus que les chiffres absolus, malgré tout assez faibles, ce qui est révélateur est la dynamique du phénomène. Les chrétiens étaient peut-être, pris dans leur ensemble, 6 millions au lendemain de la Révolution culturelle [12]. Si l’on prend les seuls chiffres officiels des autorités chinoises le nombre de croyants est passé de 200 millions en 1997 à 300 millions en 2018 ; les catholiques de 4 à 6 millions et les protestants de 10 à 38 millions, à comparer avec la faible croissance démographique de la Chine (1,265 milliard d’habitants en 2000 et 1, 420 milliard en 2019 selon l’ONU). On note la présence encore discrète de Mormons, Témoins de Jéhovah et Adventistes [13]. Des projections comme celles de Fenggang Yang estiment que le nombre de chrétiens pourrait atteindre les 250 millions vers 2030 [14]. La croissance est particulièrement spectaculaire et explique pourquoi la question du christianisme finit par devenir un véritable enjeu pour la République populaire de Chine. Quand bien même les chrétiens ne feraient qu’une petite minorité, la Chine pourrait se retrouver être un des pays au monde avec la plus forte population chrétienne.
À cela s’ajoute le cas très particulier de Hong-Kong, qui selon les dernières statiques compte une population d’à peu près 900 000 chrétiens, soit 12% des 7,4 millions d’habitants du territoire, répartis de manière à peu près équilibrée entre protestants (500 000) et catholiques (390 000) [15], auxquels il faut encore ajouter une communauté immigrée de quelques 166 000 Philippins catholiques [16]. Cette situation reflète l’histoire de Hong-Kong, où les confessions chrétiennes ont pu continuer à se développer à l’abri du maoïsme au temps de la domination britannique et participent à l’identité spécifique du territoire. En d’autres termes, Hong-Kong, réintégrée en 1997 à la République populaire de Chine mais qui, dans le cadre du principe « un pays, deux systèmes », a été dotée d’une large autonomie et autorisée à garder pour une période d’au moins cinquante ans son système politique, juridique et économique propre, « capitaliste », marqué par l’héritage britannique, est aussi une tête de pont de la présence chrétienne en Chine, en même temps qu’elle offre le visage d’une ville chinoise où la présence de toutes les communautés religieuses d’un monde globalisé est chose normale, faisant partie de la vie quotidienne.
En effet, ce renouveau du christianisme est clairement une conséquence de la globalisation, encore qu’il faille le replacer dans un contexte plus large. La révolution culturelle et la destruction de la Chine traditionnelle ont aussi eu pour effet de faire s’effondrer en tant que phénomène social d’ensemble les rites anciens ou le taoïsme (et, dans une moindre mesure, le bouddhisme). Pourtant, comme ailleurs dans le monde, si la religion comme élément central de l’organisation des sociétés s’effondre, le fait religieux ne disparaît pas, et peut continuer d’animer des communautés importantes, même minoritaires, de sorte que la société née de la politique de table rase de l’époque maoïste a fini par favoriser l’émergence de formes de religiosité nouvelles, nourries par l’ouverture de la Chine au monde occidental. Ce renouveau n’est qu’un élément dans la mutation anthropologique de grande ampleur qui accompagne l’urbanisation de la population. Mais le déracinement des traditions religieuses combiné à l’idéal désormais proposé aux Chinois d’une consommation à l’occidentale finit par amener paradoxalement à la croissance rapide d’un protestantisme une nouvelle fois très lié à l’influence américaine. Cependant, la conversion au christianisme est aussi une prise de distance envers les valeurs du Parti et l’ordre politique et social. Dans une société devenue très individualiste, et gangrenée par la corruption, elle permet également de s’inscrire dans des liens de solidarité alternatifs à l’État [17]. Et, à un niveau supérieur, l’intelligentsia urbaine a parfois tendance à se réclamer en même temps des valeurs libérales et d’un christianisme à l’américaine, les deux étant souvent promus de pair par des O.N.G. qui mettent la liberté religieuse au centre de leur modèle : tout un réseau d’activistes lié aux églises protestantes se met ainsi en place entre la Chine continentale, Hong-Kong, Taiwan et les États-Unis [18].
Le développement du protestantisme chinois doit en effet lui-même être réinséré dans un ensemble asiatique plus large. Il décalque à sa manière le développement industriel de la Chine depuis les années 1980, qui s’est fait à travers les liens avec Hong-Kong, Taïwan puis Singapour et d’autres pays asiatiques, où les communautés chinoises ont pu servir d’intermédiaire, le tout inscrit dans un espace globalisé autour de l’économie américaine. Or le prosélytisme protestant fait aussi partie de ce modèle américain, et ce plus encore depuis que les années 1980 ont vu l’essor évangéliste combiné avec un renouveau néo-conservateur. Partout dans le monde l’ouverture à la mondialisation s’est accompagnée d’un développement des réseaux protestants et évangéliques, qui n’ont pas peur de mener une politique missionnaire très prosélyte, appuyée sur la réussite économique, l’insertion dans les milieux d’affaires tournés vers les États-Unis, en même temps que la capacité à mettre en place des communautés déployant un enthousiasme et une solidarité attractifs : c’est la pratique théorisée en Amérique latine sous l’expression de « théologie de la prospérité », mettant en valeur l’enrichissement, à opposer à la « théologie de la libération » par la politique et la révolution, ou d’une manière générale à une Église catholique tournée vers les plus pauvres, les démunis, les communautés indigènes, et qui au nom de la solidarité, a parfois tendance à les présenter en modèle de vie chrétienne.
L’Asie du Sud-Est est un des plus grands lieux de réussite de cette pratique, en dehors du Japon, dont la culture demeure décidément à part. La Corée du Sud a vu le nombre de chrétiens augmenter de 18% de la population en 1970 à plus de 30% en 2000, les années même du décollage économique – dans un pays directement protégé par l’armée américaine [19]. Un quart de sa population est désormais protestante (c’est devenu la communauté religieuse la plus importante du pays, devant le bouddhisme), dans un pays marqué par la fièvre de constructions de méga-églises à l’américaine, même si aujourd’hui cette croissance est en train de se bloquer. Comme aux États-Unis, mais dans une mesure nettement plus importante, les jeunes générations se détachent de la religion, et se montrent plus attirées par la consommation. À Singapour, cité-État de population chinoise autrefois colonie britannique, la part des chrétiens est passée de 13% dans les années 1990 à 18% en 2010, un chiffre stable depuis (presque 19% au dernier recensement de 2015, dont plus de 60% de protestants) – mais avec là aussi une hausse de l’incroyance dans les jeunes générations [20]. Si le christianisme, d’abord protestant, est plus en retrait à Taïwan, où il ne représente que 5% de la population, il n’en a pas moins un poids non-négligeable dans l’État fondé par Chang Kai-Shek [21].
À vrai dire, le protestantisme chinois est non seulement en pleine croissance, mais il est particulièrement bien implanté dans les nombreuses diasporas chinoises de l’étranger, au point de donner parfois un tour inattendu aux « nouvelles routes de la soie » promues par la République Populaire. En Afrique, où la présence chinoise connaît une croissance exponentielle, les missionnaires chinois s’adressent aussi bien à leurs compatriotes, dans un contexte où ils ne sont pas surveillés par les autorités, qu’aux populations africaines. La mission protestante rencontre ainsi par l’autre bout une terre où les évangélistes américains sont très actifs, tandis que les pasteurs africains se mettent à apprendre le chinois [22]. Plus surprenant encore, alors que le Pakistan est un des nœuds importants des projets chinois de nouvelles routes de la soie, le meurtre par une cellule djihadiste en juin 2017 d’un couple de jeunes missionnaires protestants chinois a mis le gouvernement de la République Populaire dans l’embarras [23]. Enfin, à Rome même, les communautés chinoises évangéliques sont de plus en plus visibles, et mettent leur réseau de petites boutiques et restaurants au service de la mission chrétienne [24]. La ferveur des communautés chinoises peut désormais prendre le relais missionnaire alors que le phénomène semble avoir atteint ses limites dans le reste de l’Asie, voire aux États-Unis, où le reflux de l’engagement religieux chez les jeunes et la montée d’un libéralisme sociétal très critique remettent en cause les équilibres politiques.
La politique des autorités chinoises envers les religions se comprend à l’aune de cette mutation plus générale de la société chinoise vers un monde urbain et consumériste. Les nombreux problèmes qu’il pose aux autorités sont bien connus. Outre les déséquilibres économiques, s’ajoute le problème pris très au sérieux par les autorités des « petits empereurs » [25] : la génération de l’enfant unique a produit de jeunes adultes souvent gâtés, peu sensibles à l’esprit du sacrifice socialiste, mais surtout, obligés de trouver une place dans une société où le taux de croissance commence à ralentir. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans faire écho à ce qui se passe dans les autres pays développés, notamment en Europe, preuve que la Chine est bien connectée au reste du monde, et relève désormais de problématiques communes. L’autre conséquence de cet essor, c’est d’une manière générale la diversification de la société chinoise, dont l’essor religieux est un autre aspect, qui peut parfois se croiser avec les contestations qui peuvent exister notamment au sein de la jeunesse.
Le Parti communiste chinois n’a cessé de démontrer sa capacité de s’adapter depuis Deng Xiaoping, et à accompagner les évolutions de la société chinoise sans renoncer à l’encadrer le cas échéant par des méthodes autoritaires. Depuis soixante-dix ans, le Parti communiste a réussi à façonner une vision du monde, et à créer un consensus de masse, en plus d’être un système de pouvoir très efficace. Mais il est à présent confronté à une nouvelle situation, à laquelle doit faire face Xi Jinping, qui a affirmé dès son investiture en 2013 sa volonté de défendre la puissance chinoise, de canaliser la diversité de la population et surtout d’éviter les révoltes. Plus que jamais, la volonté des autorités est d’éviter un scénario à la soviétique, ce qui se traduit d’abord par une bataille contre le « nihilisme historique » qui aurait gagné la société soviétique dans les années 1980, perdant foi dans le modèle communiste et l’autorité du parti, raison de la chute en 1991 [26]. La politique de Xi est donc de réaffirmer une idéologie capable de rassembler en une synthèse commune nationaliste et communiste. Dans ce cadre, Xi Jinping a pu évoquer dès son arrivée au pouvoir l’utilité des religions, avec leurs valeurs morales, qui permettraient de combattre l’égoïsme devenu trop présent dans la société – à condition bien sûr de rester dans un cadre patriotique [27]. Cependant, cette valorisation modérée du fait religieux signifie avant tout que, puisque son développement est inévitable dans une société de plus en plus diverse, il doit être pris en main et contrôlé pour l’empêcher de devenir un ferment de désordre. D’ailleurs, les autorités chinoises ont parfaitement présent à l’esprit le précédent de Solidarność en Pologne, c’est-à-dire d’un mouvement ouvrier catholique soutenu par le pape Jean-Paul II [28], et qui a été le premier grand élément de déstabilisation ayant porté à la chute de l’URSS, avec les moudjahidines afghans, promus en « freedom fighters » par l’administration Reagan.
Le contrôle par les autorités a un contenu très concret. En 2015, Xi Jinping lance le mot d’ordre d’une nécessaire « sinisation » des religions, repris et développé par le 19ème congrès du parti communiste chinois en octobre 2017 [29]. L’accent est ainsi mis sur le fait de siniser les chants, la musique, les représentations, ou sur le fait de siniser les édifices et d’adopter une architecture conforme aux traditions chinoises. Sur le principe, cette démarche peut se révéler l’occasion d’expérimentations intéressantes, tout à fait en ligne avec l’idée d’une nécessaire inculturation du christianisme. Mais dans la pratique, cela signifie aussi éviter d’afficher des signes religieux dans l’espace public : les croix surmontant les édifices religieux sont à prohiber. De sorte que la « sinisation » finit par se traduire par une nouvelle bataille autour des édifices religieux.
En effet, les lieux de culte chrétiens se sont multipliés, souvent de manière non contrôlée voire illégale, tandis que la Chine a été prise par une fièvre de construction de « megachurches » à l’américaine. Or la multiplication de ces édifices [30], accompagnés de leurs signes religieux parfois particulièrement visibles (à l’image des croix surplombant les coupoles) est le signe aux yeux de tous d’une réapparition du religieux, capable de réinvestir l’espace public. Elle remet en cause une stratégie de la marginalisation, cantonnant la pratique religieuse à une pratique privée et fermée, qui la rendrait invisible, incapable d’attirer des fidèles. Les campagnes de destructions de symboles religieux et parfois d’églises, qui touchent les protestants comme les catholiques, se sont par conséquent multipliées au cours des dernières années, avec une intensité et des modalités variables selon les régions [31]. Ce qui peut parfois devenir une fièvre de destruction iconoclaste multiplie les conflits, en particulier dans le cas des nombreux édifices clandestins, ce qui peut se finir par des arrestations et persécutions. Outre le drapeau rouge à l’entrée, les églises devront à l’occasion afficher des règles d’ordre public : l’entrée y est interdite aux mineurs. En effet, les interdictions de ce genre se multiplient localement, tout comme les interdictions pour les mineurs de participer au catéchisme, avec l’idée que c’est là que se joue l’avenir. En retour, ces pratiques de prise sous contrôle autoritaire des groupes religieux sont régulièrement dénoncées par le Département d’État américain ou les grandes O.N.G. et la mobilisation médiatique [32].
Cependant, la question du christianisme n’est pas la seule question religieuse qui préoccupe les autorités chinoises. La question du Tibet est récurrente, alors que le Dalaï-Lama reste une figure populaire en Occident. Le mouvement du Falun Gong, fondé en Chine en 1992, pouvait sembler renouer avec des pratiques ancestrales, même s’il a aussi un air de famille avec les mouvements « new age » de l’époque. De fait, son fondateur, Li Hongzhi, n’a pas tardé à faire le tour des pays occidentaux, étant de moins en moins présent en Chine avant de s’installer définitivement aux États-Unis en 1998. Parallèlement, le mouvement s’est structuré comme une organisation de masse et a demandé sa légalisation [33]. Les autorités communistes ont décidé en 1999 de réagir par l’interdiction, procédant à de nombreuses arrestations et persécutions, parfois accompagnées de brutalités immédiatement dénoncées avec vigueur aux États-Unis et dans les pays occidentaux.
Enfin, l’inscription de la République populaire dans l’espace mondialisé pose un dernier problème aux autorités chinoises : celui de l’islam. Pourtant, les musulmans de Chine, pour l’essentiel aux alentours de 11 millions de Hui (Chinois musulmans) et 10 millions d’Ouighours, sont inscrits dans une spatialité et une histoire propre, éloignées de la péninsule arabique. La population ouighoure du Xinjiang, proche des autres populations turcophones d’Asie centrale des ex-républiques soviétiques est généralement considérée comme très laïcisée. De plus, il n’y a pas d’augmentation notable de la population musulmane auprès de la population Han (chinoise), qui reste très éloignée de ces problématiques. Le principal problème pour Pékin est celui de la montée de revendications nationalistes ouighoures, devenues particulièrement visibles avec les émeutes anti-chinoises d’Urumqi de 2009. Elles doivent beaucoup à l’arrivée en masse de Chinois, quasi-absents de la région à la fin des années 1970. Désormais, ils sont presque à parité avec les Ouighours (officiellement 40% de Han –mais ils n’étaient que moins de 5% en 1949-, contre 45% de Ouighours, mais 60% si l’on ajoute les autres ethnies musulmanes : Kazakhs, Kirghizes, Hui). Cependant, ils dominent entièrement les domaines économiques et politiques, tandis que les Ouighours sont mis à l’écart [34]. Les Ouighours sont soumis aux mêmes influences qui travaillent les anciennes républiques soviétiques, et qui sont pour certaines d’entre elles devenus poreuses aux réseaux islamistes, qui exportent le modèle d’un islam plus radical et puritain que celui des traditions locales, et même parfois salafisé. Ces réseaux ont également pu profiter de l’effondrement afghan et de l’affaiblissement des pouvoirs locaux pour se développer et déborder de l’autre côté de la frontière, au Xinjiang, avec l’émergence du Parti islamique du Turkestan oriental (E.T.I.P.), organisation indépendantiste ouighoure [35].
Les revendications identitaires islamistes peuvent dès lors venir appuyer le discours nationaliste ouighour, nourri par la construction de mosquées, le développement de pratiques halal et l’islamisation de l’espace public (avec des inscriptions en alphabet arabe). Plus encore que pour les édifices chrétiens, la République populaire de Chine est engagée contre la « halalisation » de l’espace public, qui se traduit là aussi par de nombreuses destructions de signes religieux et d’édifices de culte. Outre la campagne de « rectification » au Xinjiang qui a vu la destruction de plusieurs milliers de mosquées [36], on note aussi de manière plus originale une campagne de promotion de la vente d’alcool et de cigarettes [37].
Cependant, la lutte contre le séparatisme ouighour a fini par se traduire par des méthodes de répression de masse particulièrement brutales : la Chine s’est ainsi retrouvée mise en accusation en 2019 pour avoir remis au goût du jour un véritable système de camps de rééducation, où un nombre considérable de personnes semble interné uniquement en raison de leur identité ouighoure. Plus encore que les États-Unis, c’est l’Union européenne qui a mené sur ce sujet une campagne qui s’est traduite par la signature d’une lettre officielle de condamnation auprès de l’O.N.U. La Chine a cependant réussi à mobiliser une cinquantaine de pays pour approuver les pratiques de Pékin et dénoncer le caractère excessif des accusations occidentales. Outre la Russie, on note parmi les signataires de la lettre favorable à Pékin une grande majorité d’États arabes, comprenant non-seulement des pays généralement « anti-impérialistes » comme l’Algérie, mais également l’Arabie Saoudite et toutes les monarchies du Golfe arabo-persique : quel que soit par ailleurs leur soutien aux réseaux salafistes, les pays du Golfe semblent néanmoins très attentifs à être conciliants avec la puissance chinoise [38].
La question religieuse inscrit donc bien la République populaire de Chine dans toute une géopolitique mondiale, qui finit par la mettre en porte-à-faux avec les États-Unis ou l’Union européenne. Sa politique religieuse peut faire l’objet de condamnations et servir à mobiliser les populations occidentales en cas de litige. Mais plus profondément, le développement religieux pose en fait la question de la transformation de la société chinoise : l’intégration à la mondialisation n’est pas qu’économique, et à terme elle finit aussi par occidentaliser les esprits. En échange, la question religieuse est un autre point qui peut rapprocher Pékin et Moscou, à certains égards confrontés aux mêmes problématiques. Moscou regarde elle aussi avec beaucoup de méfiance les mouvements religieux venus des États-Unis, et se fait régulièrement dénoncer par les autorités américaines pour sa politique envers un mouvement comme les témoins de Jéhovah. La Russie a également une importante population musulmane qui a son histoire et ses traditions spécifiques : elle doit mener une lutte sur le plan intérieur contre les mouvements salafistes et djihadistes, sans oublier la Tchétchénie qui reste un territoire particulier. Comme Pékin, Moscou est particulièrement attentive à ce qui se passe en Asie centrale. Le facteur religieux, moins souvent évoqué, pousse donc lui aussi au rapprochement de la Russie et de la Chine. Or, dans ce contexte général, qui voit la République populaire de Chine devenir un point central dans une géopolitique religieuse de grande ampleur, le Vatican est finalement resté relativement en retrait : il pâtit de la faiblesse du catholicisme chinois, ce qui rend d’autant plus importante l’entente avec les autorités de la République populaire.
L’Église catholique est pourtant restée en retrait dans cette nouvelle émergence du christianisme en Chine, qui profite bien davantage aux Églises protestantes. Les chiffres, évoqués plus haut, demeurent modestes. Le catholicisme, qui avait une implantation rurale a en revanche plus de mal à s’adapter aux réalités des métropoles chinoises nouvelles, alors que tout son réseau associatif et institutionnel habituel est absent [39]. Cela ne préjuge d’ailleurs en rien du dévouement des missionnaires sur le terrain, qui ont réussi à maintenir malgré tout une Église vivante qui recommence à se développer depuis les années 1980. Mais le contexte reste particulièrement difficile, en partie en raison de la division entre l’Église officielle et l’Église clandestine, ou « underground » selon la terminologie anglaise, dont il est par définition difficile d’évaluer les effectifs, mais qui semble clairement majoritaire sur le terrain en termes de fidèles. En outre, ce contexte pose aussi des problèmes liés à la spécificité du catholicisme, qui a besoin pour se développer de prêtres consacrés ou d’une présence monastique ; or les chiffres montrent que le nombre de vocations est clairement en train de baisser [40].
Cependant, il faut aussi nuancer l’opposition entre Église clandestine et Église patriotique. Certes, comme dans tous les régimes communistes, il ne fait pas de doute qu’une partie des évêques nommés par le régime ne sont guère des modèles de foi pour leurs fidèles. Mais ce n’est pas le cas de tous les évêques de l’Église officielle qui parfois ont tout simplement fait le choix de s’enregistrer pour pouvoir faire vivre leur communauté. Les fidèles sont attachés à une paroisse et leur statut est souvent lié aux choix faits par leur prêtre, ou un évêque, raison pour laquelle les fidèles de l’Église patriotique n’ont jamais été rejetés par la papauté. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, si en principe l’Église patriotique est séparée de Rome, beaucoup de ses évêques ont néanmoins vu leur situation régularisée après-coup par les différents pontifes depuis les années 1980, une dynamique sur laquelle s’appuie l’accord de 2018.
La réalité est en effet que les autorités vaticanes ont recherché des accommodements de longue date. Au cours des années 1980, les contacts se multiplient [41]. Cependant, c’est aussi le moment où la question de l’Église clandestine revient sur le devant de la scène avec les débuts du renouveau religieux de la Chine. Dans ce contexte, Jean-Paul II, afin d’éviter le lent étouffement d’une Église clandestine dont le clergé n’aurait pas été remplacé, autorise les évêques de l’Église clandestine à procéder de leur propre chef à des consécrations épiscopales, ratifiées après coup par l’autorité pontificale. Cela n’empêche pas que – parallèlement - Jean-Paul II accepte parfois de reconnaître les évêques nommés par Pékin. D’autres évêques de l’Église officielle sont progressivement régularisés au cas par cas, ce qui illustre un des atouts dont dispose la papauté : elle reste la seule source qui peut conférer une véritable légitimité, même pour les évêques patriotiques, obligés de venir chercher sa bénédiction. Enfin, des négociations sont menées avec les autorités chinoises à partir de 1996 avec la visite à Pékin de Mgr Claudio Celli, à tel point qu’en 2000, un accord très proche de celui signé en 2018 semble déjà presque finalisé avec le soutien du Président Jiang Zemin, avant que finalement les négociations ne soient rompues.
On voit donc comment face à la situation chinoise, la papauté utilise trois leviers, qui peuvent être associés : le soutien à l’Église clandestine, le fait de retisser des liens avec les évêques « patriotiques » ce qui permet de réunir petit-à-petit une large partie de l’Église officielle avec Rome, et enfin la recherche d’un accord global avec Pékin. Mais de leur côté, les autorités chinoises, lorsqu’elles voient qu’un trop grand nombre d’évêques patriotiques se réconcilient avec Rome, procèdent à de nouvelles nominations unilatérales. La situation n’est donc pas réglée, et ce d’autant plus que les régularisations auxquelles procède la papauté tout en laissant le champ libre à l’Église clandestine finissent par aboutir à des situations aberrantes d’un point de vue canonique, alors qu’il peut arriver de trouver dans un même diocèse un évêque clandestin et un évêque officiel reconnu par Rome [42].
Benoît XVI continue cette politique, avec un infléchissement. Il rédige une grande lettre sur la question chinoise en 2007, qui sert jusqu’à aujourd’hui de cadre d’action [43]. Dans cette lettre, Benoît XVI appelle à renouer des liens avec la République populaire de Chine tout en rappelant que l’idée d’une Église basée sur les principes d’indépendance, autonomie et autogestion est irrecevable en droit canonique. La lettre relève également le cas du nombre réduit d’évêques encore non réconciliés, et rappelle que, même illégitimes, les sacrements qu’ils administrent sont valides puisqu’ils ont été consacrés selon les formes. Enfin, le pape demande de cesser les consécrations épiscopales clandestines sur le terrain autorisées par son prédécesseur : le risque est qu’elles se multiplient sans contrôle et qu’elles compliquent la situation. Cependant, une nouvelle fois, la papauté et la République Populaire de Chine semblent sur le point en 2010 de conclure un accord proche de celui de 2018, alors que les négociations sont menées jusqu’en 2009 par le futur secrétaire d’État du pape François, Pietro Parolin. Mais, autre exemple des ambiguïtés du terrain, celui de la nomination en 2012 comme évêque auxiliaire de Shanghai de Taddeo Ma Daquin, en accord entre Rome et Pékin : le jour de sa consécration, le nouvel évêque annonce sa démission de l’Association Patriotique. Il est arrêté le jour même, et, malgré la réintégration à sa demande dans l’Église patriotique en 2015, encore assigné à résidence à ce jour [44]. Entretemps, l’échec une nouvelle fois des négociations témoigne des difficultés qui demeurent pour franchir le dernier pas. Une reconnaissance du Vatican par le biais d’un accord peut créer des mécontentements au sein du parti communiste chinois. Mais de l’autre côté, le Vatican doit aussi surmonter bien des résistances liées à la nature du régime chinois.
Cependant, la situation de l’Église clandestine et les aléas des rapports de Pékin avec le Vatican ne sont pas une explication suffisante à ce renouveau limité du catholicisme en Chine. Après tout, les Eglises protestantes sont tout autant et peut-être même plus persécutées, tandis que les catholiques « clandestins » peuvent aussi ouvrir de véritables églises et développer leurs communautés, même s’ils sont toujours soumis au risque d’un brusque changement d’attitude de la part des autorités locales. Toutefois, les Églises protestantes peuvent aussi profiter de leur fonctionnement en réseau et de la souplesse de leur organisation sur le terrain. En échange, l’originalité du modèle catholique est de pouvoir s’appuyer sur un appareil d’État, le Vatican, qui déploie une diplomatie et une structure ecclésiale à l’échelle de toute la planète ; mais ce fonctionnement devient un handicap à partir du moment où Pékin refuse toute entente et cherche justement à couper ce lien.
Le développement du catholicisme en Chine se retrouve également handicapé par la situation globale de l’Église catholique, et ses difficultés dans son cœur européen. Face à un essor des Eglises protestantes qui reflète la capacité de mobilisation économique des Eglises américaines, le catholicisme a déjà bien du mal à se maintenir en Europe, alors que les dons et financement ne cessent de reculer. L’Église catholique américaine, qui a des moyens financiers plus conséquents, est absorbée par ses propres besoins et doit consacrer une partie de ses revenus à soutenir le catholicisme européen et l’appareil d’État romain. Mais plus fondamentalement encore, le catholicisme en Chine pâtit sans doute de l’effacement de l’Europe en tant que modèle culturel ou politique, en particulier en Asie du Sud-Est. Si la mission catholique est animée par de grands ordres chargés d’histoire et à l’excellence culturelle reconnue, comme les jésuites, la réalité est que cette excellence intellectuelle est moins à la mode qu’un essor des églises protestantes lié à la fascination pour la réussite économique américaine. Face à la puissance des États-Unis, centre du monde qui attirent en même temps qu’ils sont perçus comme un rival, l’Europe peut fasciner par sa sophistication, attirer les touristes (y compris bien sûr aux musées du Vatican et la chapelle Sixtine) et arriver à mettre en valeur un savoir-faire de marques, mais peine en Asie du Sud-Est plus qu’ailleurs à avoir un véritable poids politique et plus encore à incarner un modèle d’avenir pour le XXIe siècle. En ce sens, le catholicisme et l’Europe ont malgré tout encore une fois des destins parallèles, sinon liés : l’effacement des cultures et nations européennes, prises dans une mondialisation de matrice américaine et incapables de définir une voix singulière audible en Asie se reflète dans celui du catholicisme.
Le fait que Hong-Kong soit le centre de la présence catholique dans le monde chinois participe aussi de cette problématique. Le catholicisme y est non seulement bien implanté, mais aussi très représenté à travers les élites du territoire, grâce au rôle de son système éducatif [45]. Or Hong-Kong reste marquée par son histoire britannique et par son système politique spécifique, qui l’inscrit aussi dans la mondialisation de langue anglaise. De fait, les communautés catholiques de Hong-Kong sont aussi actives que les protestantes pour le maintien de la spécificité du territoire et dans la contestation des autorités de Pékin. Nombre de catholiques ont participé aux manifestations de 2014, à commencer par le cardinal archevêque émérite Joseph Zen, un engagement que l’on retrouve dans les contestations de 2019, sur lesquelles nous allons revenir plus bas [46].
Ce n’est donc pas un hasard que le catholicisme hongkongais soit au cœur de la campagne menée pour dissuader le pape François de signer un accord avec Pékin. La reprise des négociations en vue d’un accord a été une des premières priorités du nouveau pape, qui a appelé Pietro Parolin à devenir son secrétaire d’État. De nouveau, les négociations semblent avancer en 2016 puis 2017, mais n’aboutissent pas. Cependant, lorsque la perspective d’un accord se précise début 2018, un véritable front du refus s’organise avec la venue à Rome du cardinal Zen, qui remet au pape une lettre de mise en garde contre l’accord. Plus encore, à son retour le cardinal rend publiques ses critiques [47]. Le clergé catholique de Hong-Kong se mobilise pour écrire au pape François une lettre ouverte condamnant l’accord [48].
Or justement, il apparaît clairement à travers les propos relayés par des journalistes proches du pape François que le pontife et son entourage veulent sortir de la confrontation directe avec Pékin dans laquelle se sont engagées les Églises protestantes [49]. En mai 2018, Gianni Valente expliquait au sujet de la répression du Hebei qu’elle était d’abord dirigée contre les mouvements sectaires extrémistes et les megachurches à l’américaine, même si elle finissait par s’en prendre aussi aux églises catholiques. De fait, les campagnes de destructions s’en prennent en effet en priorité aux megachurches, particulièrement visibles, même si on peut facilement reconnaître que le passé et le discours général des autorités communistes garantissent qu’elles n’ont pas de trop de scrupules à détruire des églises catholiques. Dans son article, Gianni Valente propose au contraire d’essayer de construire une démarche positive, et de montrer à Pékin que les églises catholiques sont en fait une digue contre les extrémismes qui l’inquiètent.
Les accords de 2018 illustrent à cet égard clairement une volonté de la part du pape François de reprendre la main, en renouant avec un modèle traditionnel d’entente entre pape(s) et États même lorsque les rapports sont difficiles [50]. Malgré toute l’originalité extra-européenne du pape argentin, il s’agit bien de réaffirmer un modèle missionnaire catholique qui a toujours laissé la place à une part de négociation diplomatique. Cependant, il est notable qu’après tant d’hésitations, Pékin se soit décidé à franchir le pas ; le Vatican n’est plus tout à fait une puissance tenue pour irrémédiablement hostile et sans grande importance stratégique.
L’accord « provisoire » a donc été signé à Rome entre, pour le Vatican, le sous-secrétaire pour les rapports avec les États, Antoine Camileri et, pour la Chine, le vice-ministre des Affaires étrangères, Wang Chao. Les communiqués qui ont suivi l’accord, en particulier de la part du Saint-Siège ont confirmé que les sept derniers évêques excommuniés et non reconnus par Rome ont été réadmis à la communion (plus un huitième évêque mort avant l’accord et réconcilié) [51]. L’accord prévoit à l’avenir une nomination conjointe des évêques, qui tout en laissant le dernier mot à l’autorité pontificale permet de fait à Pékin d’exercer un droit de regard, même si les modalités exactes ne sont pas communiquées. Même si dès l’origine, la République populaire reconnaissait un lien « religieux » entre l’Église patriotique et le Vatican, l’accord reconnaît clairement que la nomination des évêques chinois par le pape n’est pas une ingérence étrangère : en principe la Chine ne pourra plus procéder à des nominations unilatérales. Jusqu’à cet accord, le Vatican était un acteur non reconnu par la République Populaire de Chine ; pour la première fois, cette dernière s’adresse directement à un Vatican reconnu comme acteur international. C’est le point majeur qui a été souligné par le pape François lorsqu’il a commenté et justifié cet accord : si l’idée est avant tout de procéder par le dialogue, la nomination des évêques sera bien faite par Rome [52].
Une autre concession majeure des autorités de la République populaire est que cet accord a été signé sans évoquer la question de la République de Chine, Taiwan, alors que depuis les années 1950, le gouvernement de la République populaire exigeait comme un préalable la rupture des relations entre le Vatican et Taiwan. C’est aussi la raison pour laquelle les autorités vaticanes insistent tellement sur la notion d’accord « pastoral » et non politique : l’accord ne touche pas au domaine des relations diplomatiques officielles. Enfin, la réconciliation avec les derniers évêques excommuniés permet en principe d’en finir avec une Église officielle en rupture avec Rome : l’accord ouvre la porte à l’existence d’une Église catholique unie en Chine, sous l’autorité du pape tout en satisfaisant le pouvoir chinois – en d’autres termes, une Église sous le double contrôle des autorités de la République populaire et du Vatican.
L’accord pose une question : comment se passera exactement le processus de désignation des évêques ? Apparemment, le conseil des évêques chinois sous le contrôle des autorités ou le gouvernement auront bien la possibilité de proposer leurs candidats, que le pape pourra refuser ; mais dans les faits, la question est de savoir comment se déroulera la négociation, qui suppose aussi que les autorités de Pékin ne veuillent pas forcer les nominations ou imposer à tout prix leur candidat. Enfin, l’accord laisse surtout en suspens un problème fondamental : celui de l’Église clandestine, toujours non reconnue par les autorités.
Un point suscite plus particulièrement les critiques des opposants. Deux des évêques régularisés tenaient un diocèse pour lequel l’Église clandestine avait son propre évêque. Une des conséquences de l’accord est de voir ces deux évêques clandestins renoncer à leur siège, afin d’unir l’Église et ne plus avoir dans leur diocèse qu’un seul évêque, celui de l’Église officielle dont l’excommunication est levée avec l’accord de 2018, auquel les deux évêques clandestins serviront d’auxiliaire. Cela augure de l’esprit de l’accord, et de la manière dont l’Église clandestine, pourtant majoritaire sur le terrain, semble promise au nom de l’union à être récupérée par l’Église officielle. Pour les critiques, il s’agit d’un marché de dupes : un catholicisme vivant passerait sous le contrôle d’une hiérarchie acquise au pouvoir de Pékin, moyennant une promesse de négociation qui dans le fond laisserait à Pékin la latitude d’imposer ses volontés, tandis que l’Église clandestine continue concrètement à être persécutée si elle refuse l’enregistrement et le contrôle des autorités [53].
De fait, les premières nouvelles venues du terrain ne sont pas très positives. Les destructions d’églises, vexations et les arrestations ne cessent pas [54]. La situation n’est pas toujours acceptée sans difficultés [55], même si un certain nombre de prélats chinois expriment aussi leur satisfaction devant l’accord [56] : il est raisonnable de penser que les communautés peuvent être partagées, alors qu’un des problèmes de l’Église catholique en Chine est justement sa fragmentation en des groupes qui ont de plus en plus de mal à se parler. Le clergé catholique est plus que jamais encouragé à se déclarer auprès des autorités, ce qui ne va pas sans poser de problèmes : l’enregistrement suppose souvent de souscrire à des documents dans lesquels les prélats s’engagent à interdire l’entrée de l’église aux mineurs, ne pas leur faire de catéchisme, ne pas mettre en ligne des documents religieux [57] ; en outre, ils doivent reconnaître les principes de l’Église patriotique et l’indépendance à toute influence étrangère.
Face à cette situation le Vatican a officiellement publié le 28 juin 2019 des « Orientamenti » qui restent très ambivalents, ce qu’il justifie par la situation [58]. Ceux-ci autorisent les évêques à signer en expliquant que le dialogue en cours entre le Vatican et Pékin change la situation : l’accord signé reconnaît le rôle du pape tandis que l’indépendance de l’Église chinoise doit se comprendre seulement sur un plan politique. Cependant, le Vatican reconnaît aussi le caractère parfois problématique de ces déclarations, et se fie au jugement des prêtres sur le terrain. Ils peuvent donc aussi, en cas de doute, signer en rajoutant la clause qu’en tout état de cause, l’engagement ne peut aller contre le respect de la doctrine catholique, ou même ne pas signer. En attendant, les Orientamenti affirment explicitement que le Vatican attend aussi un comportement nouveau de la part de Pékin : c’est là qu’est tout le pari, qui ne pourra se juger que sur le long terme.
De fait, l’avantage de cet accord est assez facile à saisir pour la République Populaire de Chine, encore qu’elle ait beaucoup hésité à le signer : la symbolique d’une reconnaissance officielle du souverain pontife est importante. Néanmoins, à première vue, l’accord peut être utilisé par les autorités communistes dans le sens de leur politique de contrôle de la société chinoise. Puisque le christianisme ne cesse de se développer, l’accord avec le Vatican permet de créer une communauté catholique sous le regard des autorités. Si l’entente avec le Vatican se développe, cela peut être la garantie que les catholiques chinois, tout au moins au niveau institutionnel, ne seront pas impliqués au premier rang dans l’organisation des contestations et dissidences, et que les autorités de Pékin auront un interlocuteur qui a montré sa volonté de négocier, la papauté. Et à partir du moment où la papauté s’est engagée pour une entente et reste éloignée, les autorités de Pékin pourraient être en capacité d’imposer largement leurs choix, avec l’accord du pontife.
Une nouvelle fois, Hong-Kong peut servir de marqueur. En effet, la désignation d’un nouveau gouverneur en 2017 avait valeur de symbole, surtout après l’étouffement de la « révolution des parapluies » de 2014. Celui-ci est élu par un comité électoral composé par des personnalités pro-Pékin et un Parlement dominé par des collèges professionnels, en d’autres termes par le Hong-Kong des affaires lié à Pékin [59]. Carrie Lam, qui a finalement été désignée comme gouverneur est passée par une formation privée catholique, affiche sa foi et est proche des autorités ecclésiastiques [60]. En ce sens, sa désignation illustrait déjà comment les catholiques, dans une ville de Hong-Kong où ils jouent un rôle, pourraient se voir reconnus une place, à condition de s’entendre avec les autorités chinoises. Parallèlement, à la différence de son prédécesseur le cardinal Zen, le cardinal archevêque Tong, en poste de 2009 à 2017, s’était montré dès 2016 beaucoup plus accommodant et favorable au sujet d’un accord entre Pékin et le Vatican [61], une attitude poursuivie par son successeur, Michael Yeung, proche de Carrie Lam.
À cela s’ajoute un deuxième avantage évident : non seulement la République Populaire de Chine ne prend pas beaucoup de risques avec cet accord sur le plan intérieur, qui peut même se révéler utile, mais de surcroît la position chinoise se trouve légitimée sur le plan extérieur. L’entente avec le pape François est un argument tout trouvé face aux critiques de la politique religieuse de Pékin. Plus encore, la République Populaire peut de la sorte jouer la carte du multilatéralisme et de la construction de convergences et règles internationales, face aux États-Unis de Donald Trump qui jouent au contraire la carte de l’unilatéralisme et de la remise en cause permanente de cadre internationaux trop normatifs et contraignants. Et s’il est certainement réducteur de faire de cet accord uniquement un défi à l’Amérique de Donald Trump du côté du Vatican, dans la mesure où l’on a vu à quel point les négociations remontent dans le temps, cette dimension n’est pas non plus entièrement à écarter.
C’est en effet du côté du Vatican que ce rapprochement avec la République Populaire appelle à davantage de commentaires. Pour commencer, il n’est peut-être pas aussi fragile sur le terrain que ses critiques le pensent. De toute manière, comme l’indique bien l’intitulé d’accord « provisoire », l’accord de 2018 n’est qu’un ballon d’essai, qui « prévoit des évaluations périodiques quant à son application ». Il n’a donc rien de définitif, et le surcroît de légitimité gagnée par les autorités de Pékin ne durera que tant qu’elles continueront de trouver un terrain d’entente avec le Vatican. Les négociations entre République populaire de Chine et Vatican sont un processus encore ouvert, mais qui va devoir faire l’objet de bien des tâtonnements. Aucune politique commune ne peut être durable si les deux acteurs n’y trouvent leur avantage : et c’est là que se trouve le pari, qui table sur un intérêt de long terme de la République Populaire au développement de ces relations.
Tous les arguments peuvent en effet être renversés. Bien sûr, il ne faut pas se faire d’illusion sur le fait que comme dans tout régime communiste, une partie du clergé officiel a été placée par le parti, et relève davantage d’une fonction de surveillance pour ne pas dire de police. Mais il n’est pas impossible de faire le pari que par la réconciliation, dans un contexte plus favorable, l’Église peut recommencer à s’étendre, gagner des fidèles, qui sauront s’orienter vers tel prêtre plutôt que tel autre (ce à quoi les autorités vaticanes les encouragent explicitement), tout en respectant formellement l’autorité du clergé officiel et les discours patriotiques : l’expérience de la vie dans une société totalitaire enseigne souvent à adopter de telles stratégies, même si elles surprennent vues de l’extérieur. En d’autres termes, tout en s’inscrivant dans le cadre officiel de Pékin, une Église en expansion et largement animée sur le terrain par des prêtres et des fidèles d’autant plus de qualité que leur engagement est risqué pourrait aussi absorber les prêtres imposés par le régime. Et, puisque quoiqu’il arrive les autorités de Pékin vont devoir gérer des masses chrétiennes conséquentes, le pari est qu’à l’avenir elles auront besoin d’interlocuteurs : le Vatican a préempté ce rôle.
La papauté est ainsi réintroduite dans le jeu : elle est redevenue un interlocuteur qui compte, et qui a son mot à dire dans l’organisation du catholicisme chinois, appelé lui-même à prendre une place dans une géopolitique religieuse beaucoup plus globale. Et c’est aussi ce qui invalide les schémas faisant de l’accord juste une « Ostpolitik » à la chinoise, qui appliquent à la politique vaticane en Chine les grilles d’interprétations des temps de la Guerre froide. La question n’est plus d’établir des liens avec des pays de l’autre côté du mur, dont les régimes ont pu se permettre un temps d’être imperméables aux influences extérieures et se couper du monde. Au contraire, la Chine est aujourd’hui au cœur d’un système globalisé, avec lequel elle est dans une interaction profonde.
L’accord de 2018 n’a pas tardé à être vivement critiqué. Le cardinal Zen a dit tout le mal qu’il pensait d’un accord accepté par un pape François « ingenuo » et négocié par Pietro Parolin au nom d’une ligne « mondialiste » [62]. Aux États-Unis, l’ex-conseiller catholique de Donald Trump, Steve Bannon, a condamné les accords et demandé au Vatican d’en rendre public le texte [63], une demande relayée par l’ambassadeur des États-Unis pour la liberté religieuse internationale, Sam Brownback [64]. Cette position a aussi trouvé des échos à Londres [65]. Les journalistes proches du pape François n’hésitent pas à parler de campagnes de presse « qui arrivent des États-Unis, de Hong-Kong et de cercles qui depuis des décennies prétendent parler depuis l’extérieur de la Chine au nom des communautés catholiques chinoises, et en particulier de celles qualifiées de clandestines » [66]. On ne s’étonnera plus dès lors que les critiques de l’accord, et plus largement du pape François, évoquent « la thèse sortie de sainte Marthe (lieu de résidence du pape François) d’un complot américain contre l’entente entre Pékin et le Vatican » [67]. La question de l’accord entre le Vatican et la République populaire de la Chine s’inscrit en effet dans un contexte beaucoup plus global, et est également liée à la question des rapports de la papauté avec les États-Unis ou la Russie.
Le fait est que l’élection de Donald Trump s’est faite en contradiction avec les prises de positions de l’épiscopat catholique américain et plus en encore du Vatican. La question des migrants venus d’Amérique centrale, restée au cœur de l’actualité, n’a fait qu’augmenter les tensions, alors que le pape François n’a cessé d’appeler à une ouverture des frontières. Plus préoccupant encore vu du Vatican, Donald Trump a été soutenu par une large partie de l’électorat populaire catholique, d’origine italienne ou irlandaise, sensible aux thèmes du déclassement des classes moyennes, du retour de la nation et du protectionnisme – des thèmes qui impliquent de remettre en cause le rapport avec la Chine et les profits qu’elle a tirés de son adhésion à l’O.M.C. Il était peut-être raisonnable sur le principe de soutenir qu’il vaudrait mieux pour les États-Unis comme pour le Vatican éviter une rupture ouverte, mais le fait est que les sujets de dispute ne cessent de s’étendre [68]. En Italie, un Matteo Salvini, tout en se présentant comme catholique, a mené en tant que ministre de 2018 à 2019 une politique opposée à celle promue par la papauté et les associations catholiques italiennes. En Europe de l’Est, les adversaires les plus ouverts des positions du pape François sont le P.I.S. catholique polonais ou le hongrois Viktor Orbán. Ces luttes interviennent dans un contexte particulièrement empoisonné où les scandales de pédophilie se généralisent et mettent en question le fonctionnement même de l’Église catholique.
Et enfin, plus que jamais Hong-Kong est un autre lieu d’affrontement. La crise de 2019 arrive alors que l’évêque Yeung est mort au mois de janvier 2019. En septembre 2019, il n’a pas été possible de lui trouver un successeur : c’est son prédécesseur, Tong, qui est en charge de l’évêché en attendant. La nomination est compliquée, et ce d’autant plus que les modalités de l’accord entre Pékin et le Vatican ne sont pas publiques. Mais compte tenu du contexte, il est difficile pour le Vatican de souscrire à une nomination qui irait dans le sens d’un soutien au mécontentement ou qui irait trop dans le sens de Pékin. C’est dans ce contexte qu’a éclaté en 2019 la vague de manifestations qui met à mal les institutions du territoire, avec pour objectif de changer le rapport de force avec Pékin et de combattre ce qui est perçu comme une normalisation progressive de Hong-Kong. Or le mouvement est largement animé par des groupes religieux, notamment protestants, tandis que les autorités chinoises dénoncent le soutien américain [69]. Mais bien des catholiques sont eux aussi mobilisés, ce qui prend le contrepied de l’attitude conciliante de la papauté envers le gouvernement de Pékin, ou de l’archevêque Tong, qui, après avoir essayé de dissuader Carrie Lam de signer le projet de loi controversé d’extradition qui a déclenché la révolte, tente de trouver une voie qui donne satisfaction aux revendications des manifestants sans déstabiliser le pouvoir [70].
Cependant, la question est beaucoup plus large que celle de la lutte entre le pape François et les États-Unis de Donald Trump, y compris sur le terrain chinois. La véritable question est de voir comment la papauté est en train de se repositionner dans un ordre international en pleine transformation. La papauté est traditionnellement universaliste, parfois méfiante envers les États, surtout lorsque ceux-ci se définissent par une souveraineté absolue, et liée par son histoire avec l’Europe et l’Occident. Tout cela amène aujourd’hui à une politique qui est en fait très ambivalente, dans un monde où les repères sont de moins en moins stables. À un premier niveau, la papauté reste attachée à la promotion d’un ordre mondialisé, théorisée notamment au cours des années de Vatican II. En ce sens, sa vision recoupe jusqu’à un certain point celle des démocraties libérales occidentales. À cet égard, le rapprochement entre la Chine et le Vatican pourrait aussi être interprété comme une avancée extrême de cette logique : la mondialisation a amené à s’entendre deux pouvoirs qui représentent des pôles opposés. Cependant, la papauté s’est aussi inscrite dans une politique de contestation d’un ordre global centré sur l’Occident, et cela depuis déjà les temps de Vatican II, lorsque Paul VI appelait à un rééquilibrage en faveur des pays du Sud. Malgré la forte alliance des années 1980 entre Jean-Paul II et les États-Unis contre le monde soviétique, les discours pontificaux contre une mondialisation sur un modèle libéral anglo-saxon n’ont cessé de monter dès les années 1990, critiquant notamment les guerres « humanitaires » (première guerre du golfe de 1990-1991, guerre en ex-Yougoslavie de 1999, invasion de l’Irak de 2003).
Si le pape François, avec ses engagements sur les questions du climat, des migrants, de l’injustice économique, s’inscrit dans un horizon plus progressiste que son prédécesseur Benoît XVI, qui partageait ces thèmes mais pensait davantage à une mondialisation conservatrice autour de noyaux chrétiens, principalement occidentaux, le cadre fondamental reste le même : la papauté est en faveur d’une autre mondialisation, tournée vers les pays du Sud, et s’inscrit de plus en plus dans un monde post-occidental, qui correspond à la géographie de ses fidèles, lesquels se trouvent désormais majoritairement en Amérique latine et en Afrique. Or justement, la globalisation totale de la planète par le libre-échange et l’O.M.C. est en train d’arriver à ses limites : elle est d’un côté remise en cause dans son cœur même, des États-Unis à Londres voire l’Union européenne, malgré la résistance institutionnelle de Bruxelles, Berlin ou Paris, et de l’autre elle semble multiplier les crises aux quatre coins de la planète. En réponse à ce système mondialisé, de nouveaux nationalismes appuyés sur une réaffirmation de l’État semblent réapparaître, avec le début d’une remise en cause du système international actuel non seulement dans la Chine de Xi Jinping, la Russie de Vladimir Poutine ou la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, mais aussi aux États-Unis de Donald Trump.
Néanmoins, cette réémergence des nations est loin de créer une nouvelle forme de stabilité, et la papauté est ainsi amenée à penser ses politiques dans un monde de plus en plus mouvant. Pour commencer, la partie est loin d’être jouée alors que le projet de globalisation libérale reste porté par des pouvoirs institutionnels et économiques puissants qui s’appuient sur une réalité profonde, celle de l’interaction économique de toutes les parties du monde. Mais cette conflictualité générale, qui court à travers toute la planète, se croise avec une autre dimension, celles des rapports entre États-Unis, Russie, Chine et de la compétition entre les grandes nations en train de réémerger. Or la Russie et la Chine, dont le rapprochement pouvait paraître il y a une dizaine d’années comme conjoncturel et peu solide, s’est accéléré notamment depuis les sanctions occidentales de 2014 contre la Russie. Outre le développement de l’Organisation de coopération de Shanghai et la construction de nouvelles interactions stratégiques, les deux pays apparaissent de plus en plus comme des partenaires dans le développement des routes eurasiatiques, avec en particulier le grand projet chinois « One Belt, One Road ». Cela n’a d’ailleurs rien d’évident, dans la mesure où traditionnellement la Chine et la Russie étaient plutôt deux adversaires en Asie centrale, et que le rapport de force peut sembler de plus en plus déséquilibré entre une Russie qui pense en termes multipolaires (notamment face à l’essor de la puissance chinoise), et la République populaire de Chine qui veut simplement émerger comme le nouveau pôle à côté voire à la place des États-Unis [71].
Or, malgré son inscription initiale dans l’ordre atlantique et son soutien à la mondialisation, le Vatican voit le catholicisme bousculé partout dans le monde par la mondialisation libérale avec ses transformations technologiques. Plus en profondeur, l’Église catholique est bousculée par la sociologie qui porte la mondialisation, celle de populations urbaines aisées, dont l’idéal est fluide, sans point fixe, émancipé de l’histoire et des constructions sociales ou morales, toutes choses qu’incarne au plus haut point la papauté. De sorte que, tout en se faisant l’avocate d’une autre forme de mondialisation, la papauté dont l’influence s’écroule en Europe cherche désormais à construire des liens avec la République populaire de Chine. Cette politique n’a rien d’un renversement inattendu : elle prolonge la politique menée envers la Russie qui a abouti à la rencontre de La Havane entre le pape François et le patriarche Cyrille le 12 février 2016.
L’accord entre la République Populaire de Chine et le Vatican doit donc aussi se comprendre comme un jalon dans une géopolitique post-occidentale, ou post-atlantique, dont la logique profonde vient d’avant l’élection de Donald Trump. Alors que le modèle libéral des puissances occidentales semble en difficulté, quarante ans d’ouverture au monde globalisé n’ont fait que renforcer le pouvoir des autorités chinoises. Dans ce contexte, la politique des autorités vaticanes peut être lue comme une volonté de ne pas jouer un écroulement de la République Populaire de Chine aux conséquences imprévisibles, et ce alors que cette dernière devient elle aussi un enjeu stratégique pour le monde catholique. En ce sens, la papauté continue de se placer dans une géopolitique de plus en plus multilatérale, en se plaçant comme un intermédiaire entre les différents puissances, depuis l’Union Européenne ou les États-Unis jusqu’à la Russie et même la Chine.
Plus profondément encore, dire aujourd’hui que le monde sera multipolaire, avec l’émergence de pays du Sud, de l’Amérique latine, de la Chine, de l’Inde, demain de l’Afrique, n’est pas d’une grande originalité. Toutefois, les conséquences n’en ont peut-être pas été entièrement tirées, alors que beaucoup espèrent encore pouvoir fermer la parenthèse populiste et revenir en arrière au monde rêvé des années 1990 : l’émergence d’un monde multipolaire se ferait sans remise en cause de l’ordre libéral et atlantique, auquel ces différents pôles viendraient s’intégrer. Toutefois, les États-Unis ou le Royaume-Uni sont en train de montrer qu’eux-mêmes ne se résument à leur version mondialisée, simplifiée et facilement consommable, et qu’ils peuvent faire éclater cet ensemble. Quant à la Chine, quels que soient ses atouts, il lui sera impossible de devenir un nouveau pôle unique, à la manière dont les États-Unis l’ont été. Le monde va donc vers un système à plusieurs pôles, mais sans systèmes d’alliances intégrés, alors que l’OTAN semble moins assurée qu’autrefois, tandis que la Chine refuse toute alliance stricte, par exemple avec la Russie. Pourtant, si les désordres se multiplient, les problèmes sont communs, les échanges permanents et des convergences existent, dans une globalisation qui fait interagir des visions largement différentes, qui ne peuvent disparaître dans une « world culture » de consommation, mais qui ne sont pas non plus immuables, figées à jamais dans un choc de civilisations.
Dans cette perspective, la papauté, suivant en cela sa tradition universaliste, tente d’être présente partout : alors qu’elle n’est plus tout à fait d’Occident, elle regarde vers l’autre bout du monde, et jusqu’en Chine, où le christianisme est en train de se développer. Alors que son inscription européenne ne cesse de s’affaiblir, la papauté semble de plus en plus déterritorialisée. Sur le long terme, dans un monde qui semble incertain, alors que toutes les cultures et les États vont être touchés par des mutations dont on peut difficilement anticiper les conséquences, ce positionnement peut être une force. Cependant, dans l’immédiat, cette politique finit par devenir très paradoxale, et peut se retrouver en grande difficulté sur le terrain, comme à Hong-Kong. Finalement, dans sa volonté de soutenir une autre mondialisation, la papauté se rapproche de la Russie et de la Chine, alors même qu’à l’Ouest le pape se fait l’avocat d’un certain nombre de causes libérales, parfois rejetées par une partie du peuple catholique, qui vote contre le pape et déserte les églises. C’est aussi la faiblesse d’une projection trop déterritorialisée : le retour actuel des nations montre qu’il faut aussi être ancré dans un territoire, une histoire. Or quel que soit le déploiement mondial de la papauté, son histoire l’inscrit malgré tout en Europe, ou plus largement en Occident. L’intérêt de la République populaire pour le Vatican, et partant de là la capacité de concession des autorités chinoises, sera d’ailleurs proportionnel non seulement à la capacité à faire vivre un véritable catholicisme chinois, enraciné, mais aussi à la capacité du Vatican à peser en Europe et aux États-Unis.
Copyright Septembre 2019-Tanase/Diploweb.com
[1] Voir, par exemple, les critiques avant même la signature de l’accord du cardinal archevêque émérite de Hong-Kong, Joseph Zen, qui mène la rébellion, traduites en italien sur le blog de Sandro Magister : « Zen : "Questo accordo è una resa, una svendita, un suicidio" », Settimo Cielo, 25 février 2018 (http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2018/02/25/zen-questo-accordo-e-una-resa-una-svendita-un-suicidio/) ou George Weigel , « La stratégie chinoise du pape François est anachronique » (tr. Bérengère Viennot), Slate, 26 février 2018 (http://www.slate.fr/story/157912/diplomatie-vatican-pape-francois-accord-chine-communisme-ostpolitik-casaroli). Les pages internet données en référence dans cet article ont été consultées le 18 août 2019.
[2] Selon les termes du discours tenu devant les membres du corps diplomatique en 2019, rappelés par le cardinal Parolin en préface d’un ouvrage dédié à la présentation de l’accord (http://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2019/january/documents/papa-francesco_20190107_corpo-diplomatico.html ; Agostino Giovagnoli, Elisa Giunipero, L’Accordo tra Santa Sede e Cina. I cattolici cinesi tra passato e futuro, Vatican, 2019, p. 12.
[3] Alice Ekman, Ivan Sand, « La Chine dans le monde. Entretien avec Alice Ekman », Diploweb, 13 janvier 2019 (https://www.diploweb.com/La-Chine-dans-le-monde-Entretien-avec-Alice-Ekman.html).
[4] Pour une analyse de cette grille de lecture et sa critique, au moins sur le court terme, voir Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature, Paris, 2018, p. 10-24.
[5] Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, 1997, p. 61-93 et 234-249. Sur cet héritage dans la politique contemporaine (et les raison de le nuancer) : Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature ?, Paris 2018, p. 67-70.
[6] Un résumé de la période dans Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 154-189.
[7] Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 206. Voir aussi Wang Meixu, « La fondazione dell’Associazone patriottica dei cattolici cinesi nel 1957 », dans Agostino Giovagnoli, Elisa Giunipero, L’Accordo tra Santa Sede e Cina. I cattolici cinesi tra passato e futuro, Vatican, 2019, p. 101-118.
[8] Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 210.
[9] Michel Masson, « Christianisme et culture en Chine aujourd’hui », Histoire et Missions Chrétienne, 2011/2, n°18, p. 89-103
[10] Chiffres tirés du rapport sur la liberté religieuse du Département d’État américain 2018 (https://www.state.gov/wp-content/uploads/2019/05/CHINA-INCLUSIVE-2018-INTERNATIONAL-RELIGIOUS-FREEDOM-REPORT.pdf, p. 3-4).
[11] Eleanor Albert, « Christianity in China », Council on Foreign Affairs, 11 octobre 2018 (https://www.cfr.org/backgrounder/christianity-china) Voir aussi Katharina Wenzel-Teuber, « Statistik zu Religionen und Kirchen in der Volksrepublik China Ein Update für das Jahr 2018 Teil 2 : Religionen und Religiosität allgemein », China Heute, 2019/2, p. 93-101 (http://www.china-zentrum.de/fileadmin/downloads/china-heute/2019/China_heute_202_Themen_Wenzel-Teuber_Statistik_zu_Religionen_und_Kirchen_in_der_VR_China_Ein_Update_fuer_das_Jahr_2018__Teil_2_-_Religionen_und_Religioesitaet_allgemein.pdf)
[12] Eleanor Albert, « Christianity in China », Council on Foreign Affairs, 11 octobre 2018, (ttps ://www.cfr.org/backgrounder/christianity-china)
[13] Pierre Vendassi, Christianisme en Chine : entre mondialisation et contrôle étatique, Sciences-Po/ Centre de recherches internationales, mai 2018, et Pierre Vendasi, « Le mormonisme et l’État chinois », Perspectives chinoises, n°2104/1, p. 47-54.
[14] Eleanor Albert, Christianity in China, Council on Foreign Affairs, 11 octobre 2018, (ttps ://www.cfr.org/backgrounder/christianity-china consulté le 30/07/2019).
[15] Voire le chapitre 21 du Hong-Kong Yearbook publié par les autorités, dont la dernière version à l’heure de rédaction de ces lignes est celle de 2017 (https://www.yearbook.gov.hk/2017/en/pdf/E21.pdf).
[16] Katharina Wenzel-Teuber, « Statistics on Religions and Churches in the People’s Republic of China – Update for the Year 2016 », Religions & Christianity in Today’s China, 2017, 7/ 2, p. 26-53, p 48.
[17] Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature, Paris, 2018, p. 112
[18] Ibid., p. 147, qui cite l’exemple significatif de l’O.N.G. China Aid. Si l’on s’en tient aux informations données sur sa page wikipedia en anglais, l’association a été fondée par un pasteur chinois, Bob Fu, ancien militant de la place Tien-an-Men, qui a réussi à fuir via Hong-Kong aux États-Unis. Il y a fondé cette O.N.G. qui entretient tout un réseau d’activiste en Chine pour défendre à la foi les droits de l’homme et le christianisme. On peut suivre ses activités sur son site internet, https://www.chinaaid.org/.
[19] Philipp Connor, « 6 facts about South Korea’s growing Christian population », Pew Research Center, 12/08/2014 (https://www.pewresearch.org/fact-tank/2014/08/12/6-facts-about-christianity-in-south-korea/) ; Sarah Eekhoff Zylstra, « Why Christianity Quit Growing in Korea », The Gospel Coaliation, 14 mai 2019.
[20] https://www.singstat.gov.sg/-/media/files/visualising_data/infographics/ghs/highlights-of-ghs2015.pdf
[21] On notera encore à cette date (2019) la personnalité du vice-président de Taiwan, Chen Chien-jen, connu pour être un catholique convaincu.
[22] Jeremy Luedi, « China’s Belt and Road : Exporting Evangelism ? », The Diplomat, 4 juillet 2018 (https://thediplomat.com/2018/07/chinas-belt-and-road-exporting-evangelism/)
[23] Les deux jeunes faisaient partie d’un groupe évangélique dirigé par des missionnaires coréens. Voir note précédente et Gianni Valente, « Cina, lo “strano caso” delle chiese dell’Henan chiuse ai bambini », La Stampa, 21 mai 2018 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2018/05/21/news/cina-lo-strano-caso-delle-chiese-dell-henan-chiuse-ai-bambini-1.34017763).
[24] Gianni Valente « Chinese evangelical Christians in Rome, in memory of the martyrs », La Stampa, 28 juin 2018 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/en/2018/06/28/news/chinese-evangelical-christians-in-rome-in-memory-of-the-martyrs-1.34027959).
[25] Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature, Paris, 2018, p. 230.
[26] Ibid., p. 49.
[27] Ibid., p. 143
[28] Voir les remarque de Pierre Morel lors du colloque du C.E.R.I., Le pape François : une nouvelle diplomatie au Saint-Siège, 15 décembre 2017 (disponible en podcast, de 3h05 à 3h21, 3h03 pour la partie citée : http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/le-pape-francois-une-nouvelle-diplomatie-au-saint-siege).
[29] Li Yuan, « Al Congresso Xi ribadisce : Sinicizzare le religioni sotto il Partito comunista », Asianews, 19/10/2017 (http://www.asianews.it/notizie-it/Al-Congresso-Xi-ribadisce:-Sinicizzare-le-religioni-sotto-il-Partito-comunista-42096.html). Le site ucanews.com a publié la traduction anglaise des plans quinquennaux adoptés par le conseil protestant des trois autonomies (https://www.ucanews.com/news/protestant-five-year-plan-for-chinese-christianity/82107) et par l’Église patriotique catholique (https://www.ucanews.com/news/sinicization-of-china-church-the-plan-in-full/82931). Voir aussi Juliette Duléry, « la Sinisation du protestantisme en Chine », Sciences-Po/ Centre de recherches internationales, mai 2018 (https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/la-sinisation-du-protestantisme-en-chine).
[30] Les églises et lieux de culte protestants seraient ainsi environ 56 000 en Chine, et les églises catholiques plus de 6 000, selon l’estimation de Katharina Wenzel-Teuber, « Statistics on Religions and Churches in the People’s Republic of China – Update for the Year 2016 », Religions & Christianity in Today’s China, 2017, 7/ 2, p. 43 et 45.
[31] Voir par exemple Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 291-292 ; Bernardo Cervellera, « Chiese demolite, tombe divelte, asili chiusi : la persecuzione nella Chiesa dell’Henan », Asianews.it, 20 avril 2018 (http://www.asianews.it/notizie-it/Chiese-demolite,-tombe-divelte,-asili-chiusi:-la-persecuzione-nella-Chiesa-dell%E2%80%99Henan-43677.html) ou l’exemple photo à l’appui de de l’église de Yining au Xinjiang donné par Sandro Magister, « Il Vaticano s’inchina e la Cina ringrazia. Così », Settimo Cielo, 3 mai 2018 (http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2018/03/03/il-vaticano-sinchina-e-la-cina-ringrazia-cosi/).
[32] On pourra ainsi suivre le détail des persécutions au jour le jour avec le site Bitter Winter (https://bitterwinter.org/).
[33] Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature, Paris, 2018, p. 144.
[34] Ibid., Paris, 2018, p. 171
[35] Marc Julienne, « La Chine en Asie centrale, un nouvel acteur de sécurité en zone d’influence russe », Diploweb, 14 février 2018 (https://www.diploweb.com/La-Chine-en-Asie-centrale-un-nouvel-acteur-de-securite-en-zone-d-influence-russe.html).
[36] Jérôme Doyon, « La juridisation de l’islam chinois », Sciences-Po/ Centre de recherches internationales, avril 2017 (https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/la-judiciarisation-de-l-islam-chinois).
[38] Xie Wenting et Bai Yunyi , « Fifty ambassadors throw weight behind China on Xinjiang », Global Times, 27 juillet 2019 (http://www.globaltimes.cn/content/1159357.shtml) et Tom Miles, « Saudi Arabia and Russia among 37 states backing China’s Xinjiang policy », Reuters, 12 juillet 2019 (https://www.reuters.com/article/us-china-xinjiang-rights/saudi-arabia-and-russia-among-37-states-backing-chinas-xinjiang-policy-idUSKCN1U721X).
[39] Valeria Martano, « I cattolici in Cina e il loro futuro », dans Agostino Giovagnoli, Elisa Giunipero, L’Accordo tra Santa Sede e Cina. I cattolici cinesi tra passato e futuro, Vatican, 2019, p. 235-246, p. 244-245.
[40] Ibid., p. 240. Voir aussi la mise au point de Benoît Vermander lors du colloque du CERI, Le pape François : une nouvelle diplomatie au Saint-Siège, 15 décembre 2017, disponible en podcast (de 3h21’ à 3h52’ http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/le-pape-francois-une-nouvelle-diplomatie-au-saint-siege).
[41] Sur l’ensemble de ce qui suit : Agostino Giovagnoli, « Santa Sede e Cina dal 1978 al 2018 », dans Agostino Giovagnoli, Elisa Giunipero, L’Accordo tra Santa Sede e Cina. I cattolici cinesi tra passato e futuro, Vatican, 2019, p. 35-70 ; Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 236-243 et 262-267.
[42] Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 284.
[43] « Lettera del santo padre Benedetto XVI ai vescovi, ai presbiteri, alle persone consacrate e ai fedeli laici della chiesa cattolica nella Repubblica popolare cinese » (http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/it/letters/2007/documents/hf_ben-xvi_let_20070527_china.html).
[44] Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 286.
[45] Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature, Paris, 2018, p. 146.
[46] Tony Cheung et Timmy Sung , « Police let Occupy organisers walk away without charge after they turn themselves in », South China Morning Post, 3 décembre 2014 (https://www.scmp.com/news/hong-kong/article/1654634/police-let-occupy-organisers-walk-away-without-charge-after-they-turn).
[47] Sandro Magister, « Pericolo di scisma in Cina. Il cardinale Zen : "Il papa mi ha detto…". Con un Post Scriptum », Settimo Cielo, 29 janvier 2018 (http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2018/01/29/pericolo-di-scisma-in-cina-il-cardinale-zen-il-papa-mi-ha-detto%e2%80%a6/)
[48] « Cattolici di Hong Kong ai vescovi del mondo : Fermate il possibile accordo fra Cina e Santa Sede », Asianews, 12 février 2018 (http://www.asianews.it/notizie-it/Cattolici-di-Hong-Kong-ai-vescovi-del-mondo:-Fermate-il-possibile-accordo-fra-Cina-e-Santa-Sede-43079.html).
[49] Cette position, qui intervenait en plein débat autour de l’idée d’accord, a aussi été très critiquée, par exemple sur le site Bitter Winter (Gianni Valente, « Cina, lo “strano caso” delle chiese dell’Henan chiuse ai bambini », La Stampa, 21 mai 2018 – https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2018/05/21/news/cina-lo-strano-caso-delle-chiese-dell-henan-chiuse-ai-bambini-1.34017763 - Massimo Introvigne « Who Is Afraid of Bitter Winter ? », Bitter Winter, 16 août 2019 (https://bitterwinter.org/who-is-afraid-of-bitter-winter/).
[50] Et ce d’autant plus que le pape François a lui-même évoqué dans sa présentation des accords des précédents historiques comme les accords de patronage royal des monarchies ibériques au temps des colonies américaines.
Conferenza stampa del Santo Padre durante il volo di ritorno da Tallin (Estonia), 25 septembre 2018 (http://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2018/september/documents/papa-francesco_20180925_voloritorno-estonia.html).
[51] Pour un bilan, voire par exemple Benoît Vermander (http://www.ktotv.com/video/00241050/chine-que-signifie-l-accord-avec-le-saint-siege) ou Bernardo Cervellera, initialement circonspect quant à un accord : « L’accordo Cina-Vaticano : qualche passo positivo, ma senza dimenticare i martiri », Asianews, 24 septembre 2018 (http://www.asianews.it/notizie-it/L%E2%80%99accordo-Cina-Vaticano:-qualche-passo-positivo,-ma-senza-dimenticare-i-martiri-45023.html)
[52] Conferenza stampa del Santo Padre durante il volo di ritorno da Tallin (Estonia), 25 septembre 2018 (http://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2018/september/documents/papa-francesco_20180925_voloritorno-estonia.html).
[53] Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 297-298.
[54] Sandro Magister, « Pasqua amara in Cina. Nella partita con Roma stravince Pechino », Settimo Cielo, 18 avril 2019 (http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2019/04/08/pasqua-amara-in-cina-nella-partita-con-roma-stravince-pechino/) ; « Arrestato mons. Cui Tai, vescovo sotterraneo di Xuanhua, Asia news », 29 mars 2019 (http://www.asianews.it/notizie-it/Arrestato-mons.-Cui-Tai,-vescovo-sotterraneo-di-Xuanhua-46630.html).
[55] Voir le cas de l’évêque clandestin de Mindong dans le Fujian, devenu l’auxiliaire d’un évêque réconcilié Sandro Magister, « La Cina viola l’accordo. Un vescovo si ribella », Settimo Cielo, 4 juillet 2019 (http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2019/07/04/la-cina-viola-l%e2%80%99accordo-un-vescovo-si-ribella/ )
[56] Gianni Valente, « Cina, dopo l’accordo vescovi e fedeli pregano per il Papa », La Stampa, 29 septembre 2018 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2018/09/29/news/cina-dopo-l-accordo-vescovi-e-fedeli-pregano-per-il-papa-1.34048753) ; Gianni Valente, « Cina, il vescovo Wei : sta finendo l’epoca della clandestinità », La Stampa, 24 décembre 2018 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2018/12/24/news/cina-il-vescovo-wei-sta-finendo-l-epoca-della-clandestinita-1.34068867).
[57] Bernardo Cervellera, « Soffocare la Chiesa cinese con ‘l’indipendenza’, mentre si applaude all’accordo Cina-Vaticano », Asianews, 25 juillet 2019 (http://www.asianews.it/notizie-it/Soffocare-la-Chiesa-cinese-con-lindipendenza,-mentre-si-applaude-allaccordo-Cina-Vaticano-47373.html).
[58] Orientamenti pastorali della Santa Sede circa la registrazione civile del Clero in Cina, 28 juin 2019 (https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2019/06/28/0554/01160.html) ; voir aussi Gianni Valente, « Gli “Orientamenti” per il clero cinese, tra realismo e profezia », La Stampa, 30 juin 2019 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2019/06/30/news/gli-orientamenti-per-il-clero-cinese-tra-realismo-e-profezia-1.36544997)
[59] Jean-Pierre Cabestan, Demain la Chine : démocratie ou dictature, Paris, 2018, p. 232
[60] Massimo Introvigne, « Hong Kong Protests : The Catholic Factor », Bitter Winter, 9 août 2019 (https://bitterwinter.org/hong-kong-protests-the-catholic-factor/)
[61] Cheung, Tony ; Lau, Stuart (5 August 2016). « Beijing, Vatican reach initial accord on appointment of bishops, Hong Kong cardinal says », South China Morning Post. 5 août 2016 (https://www.scmp.com/news/hong-kong/politics/article/1999710/beijing-vatican-reach-initial-accord-appointment-bishops).
[62] Yves Chiron, La longue marche des catholiques en Chine, Paris, 2019, p. 304-305.
[63] Elise Harris, « Pope’s shout-out to Chinese Catholics comes as pressure over deal mounts », Crux, 23 mai 2019 (https://cruxnow.com/church-in-asia/2019/05/23/popes-shout-out-to-chinese-catholics-comes-as-pressure-over-deal-mounts/).
[64] Elise Harris, « US religious freedom envoy insists Vatican-China deal should be made public », Crux, 12 juillet 2019 (https://cruxnow.com/church-in-the-usa/2019/07/12/us-religious-freedom-envoy-insists-vatican-china-deal-should-be-made-public/).
[65] Par exemple avec l’intervention dans le Catholic Herald britannique du parlementaire catholique conservateur Sir David Amess : Gianni Valente, « L’accordo Cina-Santa Sede nel mirino », La Stampa, 19 novembre 2018 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2018/11/19/news/l-accordo-cina-santa-sede-nel-mirino-1.34061324).
[66] Gianni Valente, « Cina, dopo l’accordo vescovi e fedeli pregano per il Papa », La Stampa, 29 septembre 2018 (https://www.lastampa.it/vatican-insider/it/2018/09/29/news/cina-dopo-l-accordo-vescovi-e-fedeli-pregano-per-il-papa-1.34048753). Voir aussi, dans un ouvrage de présentation de l’accord préfacé par le secrétaire d’Etat Parolin, Agostino Giovagnoli, « Santa Sede e Cina dal 1978 al 2018 », dans Agostino Giovagnoli, Elisa Giunipero, L’Accordo tra Santa Sede e Cina. I cattolici cinesi tra passato e futuro, Vatican, 2019, p. 35-70, p. 68.
[67] Sandro Magister, « Ultime da Santa Marta : c’è un complotto USA contro l’intesa tra Roma e Pechino », Settimo Cielo, 29 mai 2018 (http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2018/05/29/ultime-da-santa-marta-ce-un-complotto-usa-contro-lintesa-tra-roma-e-pechino/).
[68] Thomas Tanase, « Le monde catholique à l’épreuve de Donald Trump », Diploweb, 7 janvier 2017 (https://www.diploweb.com/Le-monde-catholique-a-l-epreuve-de.html).
[69] Voir par exemple la diffusion d’une vidéo montrant la rencontre d’un groupe de leaders du mouvement, dont Joshua Wong, et de la directrice de la section politique du consulat général des États-Unis à Hong-Kong, Julie Eadeh : « Pékin agite la photo d’une visite de militants hongkongais au consulat américain », R.F.I., 9 août 2019 (http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190809-pekin-visite-militants-hong-kong-consulat-usa-joshua-wong)
[70] Massimo Introvigne, « Hong Kong Protests : The Catholic Factor », Bitter Winter, 9 août 2019 (https://bitterwinter.org/hong-kong-protests-the-catholic-factor/) ; Paul Wang, « Card. Tong e leader cristiano : Ok per le scuse di Carrie Lam, ma la legge sull’estradizione va ritirata », Asianews, 19 juin 2019 (http://www.asianews.it/notizie-it/Card.-Tong-e-leader-cristiano:-Ok-per-le-scuse-di-Carrie-Lam,-ma-la-legge-sullestradizione-va-ritirata-47325.html).
[71] Mathieu Boulegue, « La “lune de miel” sino-russe face à l’(incompatible) interaction entre l’Union Economique Eurasienne et la « Belt & Road Initiative », 15 octobre 2017 (https://www.diploweb.com/La-lune-de-miel-sino-russe-face-a-l-incompatible-interaction-entre-l-Union-Economique-Eurasienne-et.html#nb3).
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