Le 27 avril 2014, le pape François a canonisé le pape Jean-Paul II, ainsi que le pape Jean XXIII. Le texte ci-dessous date de 2003 et n’en a que plus de force.
Quelle a été la part du Pape Jean Paul II dans la chute du communisme en Europe centrale et orientale ? L’auteur donne des clés pour comprendre comment dès les années 1980 s’est clairement faite entendre la voix de l’Eglise, du Pape, et des laïcs conscients de l’enjeu, pour expliquer la nature et la finalité du combat polonais contre le soviétisme.
« LA pensée de Karol Wojtyla refuse les clichés », ont observé tous ceux et celles qui connaissent le Pape Jean Paul II depuis ses temps universitaires en Pologne ( à Cracovie et à Lublin), mais aussi à Fribourg (1975) ou à Harvard (1976). Lorsque l’on mettait l’Archevêque de Cracovie, puis le Pape, en garde contre l’usage des slogans de « paix » ou de « paix et progrès », du fait qu’il s’agissait de slogans communistes soviétiques, il répondait que la vraie paix – et non cette paix des cimetières qui voile les intérêts et les lâchetés à la mode – est une valeur chrétienne et aussi celle de tous les hommes de bonne volonté. Lorsque l’on a cherché à transformer les message forts du Pape en appels à la « Realpolitik », au défaitisme ou à l’indifférence, il ripostait par une défense courageuse de ce qui devait être défendu et par une condamnation ferme de ce qui devait être vaincu. Il développa la réflexion sur la « guerre juste » et la « guerre injuste », tout en essayant toujours de pousser les hommes, Etats, religions, civilisations à user au moins de non-violence, s’ils ne pouvaient user de charité, de dialogue et de conciliation.
Dès son premier grand ouvrage de philosophie, « La Personne et l’Action », le cardinal Wojtyla (devenu Pape Jean Paul II au moment où était éditée l’œuvre achevée) posait deux principales questions qui ne cesseront d’influencer son pontificat : 1) Quel genre de rapport interhumain, donc social et politique, national et international, permet à l’homme de s’épanouir dans son humanité ? 2) Quelles conditions doivent- être remplies par les systèmes sociaux, politiques, économiques (et donc par les régimes nationaux et les systèmes internationaux, transnationaux ou globaux) pour qu’un tel rapport interhumain authentiquement épanouissant soit possible ?
Dans la dernière partie de son livre, qui fait un détour par la phénoménologie, Jean Paul II – encore cardinal – propose une théorie qui se réfère à la pensée de saint Thomas sur la participation : à savoir que l’homme de par sa nature participe à l’existence et à l’épanouissement d’autrui, et que c’est par autrui qu’il atteint son propre épanouissement. Inversement, si la nature de l’homme est niée, violée, brutalisée, torturée, dégénérée, avilie, appauvrie, c’est aussi l’homme, celui d’en face, du rapport interhumain, ainsi que la société entière, qui sont atteints.
De par cette pensée, à laquelle il est toujours resté attaché, le Pape s’est opposé à tout ce qui porte atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne humaine, il a mobilisé et encouragé les forces positives, il a combattu le totalitarisme communiste sous toutes ses formes et au premier plan sous sa forme soviétique. Il s’est aussi élevé contre tout les autres types de dictature dans le monde. Cette pensée a également incité le Pape à mettre en garde contre le capitalisme sauvage en tant qu’application inhumaine d’un « libéralisme » réservé au plus « fort » et au plus riche au détriment de la liberté, et donc du « libéralisme » , du plus « faible » et du plus pauvre . Fidèle à son idée, le Pape souhaite la paix des hommes et du monde, mais il ne s’oppose pas au conflit lorsque celui-ci prend la défense des opprimés, et dans les cas extrêmes, des suppliciés, comme en Irak, pour les libérer de la tyrannie et de l’horreur.
Le Pape Jean Paul II n’est pas un pacifiste. Encore moins un « pacifiste couard », comme on a pu appeler à l’époque ceux des dirigeants européens qui ont cédé à Hitler (1933-1945) jusqu’au jour où ils furent eux- mêmes directement menacés et agressés.
Aussi, le danger des appels à la « paix » à tout prix était-il dénoncé par le Pape, au même titre que les malheurs de la guerre. Les médias et les milieux politiques et diplomatiques qui ont transformé ce message en appels « pacifistes » n’étaient-ils pas bien plus partisans qu’observateurs ? [1]
Le Pape - comme tout chrétien, tout croyant en Dieu et tout homme de cœur devraient l’être - est indigné par la souffrance et la mort qu’entraînent la guerre, la révolution, la violence. Dans son propre pays, la Pologne, le Pape Jean Paul II avait pris fermement position pour le combat de Solidarnosc contre le communisme au pouvoir. Mais il avait recommandé la « non-violence ». Avec succès, à l’époque.
Nous allons revenir vingt ans en arrière pour voir comment la non-violence enseignée par le Pape, y compris dans un conflit grave, aigu et fondamental, fut alors appliquée et remporta la victoire. Elle fut appliquée comme profession de foi par les uns, comme tactique par d’autres, avec succès puisque provoquant la chute du communisme. Ce succès est devenu un cas d’école de la non-violence, mais aussi un cas d’école de l’appui stratégique de la super-puissance des armes (super-puissance militaire américaine) à la non-violence. Mikhaïl Gorbatchev et son journal phare de la perestroïka, Moskovskiie Novosti (en version française : Nouvelles de Moscou) avaient rendu hommage dès 1987-1988 à la puissance américaine des armes, dont la menace ferme et résolue a permis la victoire de la démocratie, y compris en Russie.
Dans un de ces numéros des Nouvelles de Moscou, un spécialiste français exprimait de vives critiques contre la « politique militariste » (l’Initiative de Défense Stratégique) du président Reagan, ce à quoi son interlocuteur soviétique lui a répondu que c’est grâce à cette force et à cette fermeté que les conservateurs du Kremlin avaient du se résoudre à accepter de réviser le régime par la perestroïka de Gorbatchev !
« La Troisième Guerre mondiale a commencé avant- même que la Seconde ne fut terminée », écrivait en 1980, l’année des événements de Gdansk, l’ancien président des Etats Unis, Richard Nixon. Le successeur de ceux qui avaient cédé le bastion avancé à l’Est de l’Europe occidentale à Moscou, reconnaissait que la Pologne, trente cinq ans plus tard, continuait la lutte. Au moment de sa dissolution en 1945, le Conseil d’Unité Nationale, dernier parlement de la Pologne combattante avant la rupture par les puissances occidentales des relations diplomatiques avec le gouvernement légal en exil, avait lancé un ultime appel : « La nation polonaise n’a pas cessé d’être elle- même. Dans les plus grands malheurs, elle n’a pas été brisée moralement et n’a plié l’échine devant aucun de ceux qui ont voulu la gouverner contre ses intérêts et contre sa volonté. C’est ce trésor que la Pologne combattante transmet en héritage à ceux qui reprendront la lutte pour la souveraineté – par d’autres moyens ».
De fait, on est amené à deux constatations : la Pologne n’a jamais pris son parti de ce qu’elle continuait de ressentir profondément comme une « occupation » idéologique, politique, économique, militaire par l’URSS. Des discussions ou divergences dans le pays portaient, parfois au sein même du pouvoir inféodé à Moscou, sur la méthode et les moyens de faire face, ainsi que sur l’esprit qui devait animer la résistance civile, sur la nature et la finalité du combat politique, ou sur les nuances du non conformisme admissible. Ainsi, découvrait-on le paradoxe d’un pays en majorité hostile à l’alliance militaire étrangère dont il était le centre (Pacte de Varsovie) , et favorable à l’alliance militaire étrangère adverse (OTAN). Cependant, du fait même que les deux pactes lui étaient étrangers, l’un dominé par l’occupant (soviétique), l’autre formé de puissances qui avaient démontré soit leur manque de volonté, soit leur incapacité à conserver la Pologne dans le camp occidental, la nation polonaise semblait abandonner pour la première fois depuis des siècles le Primat der Aussenpolitik (la primauté des événements extérieurs).
Jusqu’alors, ce primat avait toujours poussé les Polonais aux armes, dans l’espoir qu’ils obtiendraient l’indépendance de leur pays au prix de leur sang versé sur les champs de bataille étrangers ou chez eux pour la liberté de tous. Revenus de cet espoir, les Polonais des années 1970-1980 se sentaient beaucoup moins concernés par le débat mondial et européen sur les armements, la dissuasion nucléaire, ou le pacifisme, que par une alternative non-violente de lutte contre le régime communiste soviétique, préférable à une insurrection armée. Cela d’autant plus qu’une partie de l’opinion polonaise avait parfois l’impression que des « provocateurs » voulaient pousser Solidarnosc aux armes : les uns à la recherche d’un motif de « pacification » et de liquidation du mouvement ; d’autres d’un détonateur contraignant l’URSS à une guerre sur deux fronts (Afghanistan, Pologne). Cette sensibilité de l’opinion à la provocation était un phénomène nouveau, de même que la réticence des Polonais à mourir dans un conflit entre puissances étrangères. Même si leur sympathie allait tout entière dans ce cas à l’Occident, dans l’espoir, refoulé mais tenace, de le voir cette fois engagé et vainqueur en Europe centrale et orientale. Nous allons donc distinguer à l’époque les réactions polonaises, d’une part à l’égard de la guerre, notamment nucléaire, et du pacifisme, et de l’autre, à l’égard du combat, insurrectionnel ou non-violent.
Le problème de la guerre, des armements nucléaires, de la dissuasion et du pacifisme suscitait chez des Polonais issus de milieux très divers (nous n’analysons pas ici la position officielle du Pacte de Varsovie) les réactions suivantes : il faut, certes, éviter à l’humanité la guerre nucléaire. Le pacifisme, c’est bien, « à condition qu’il soit réciproque, raisonnable, courageux et qu’il ne se laisse pas manipuler par le communisme soviétique ». Tel qu’il existait, notamment dans la conception des « compagnons de route » occidentaux, il agissait au profit de Moscou, en désarmant l’Occident.
« Mieux vaut être rouge que mort, criait l’écrevisse au moment d’être plongée dans l’eau bouillante », persiflaient les Polonais et les dissidents d’URSS et des Pays de l’Est. La propagande officielle communiste soviétique ayant fait son cheval de bataille de l’« encerclement capitaliste » et de l’arme nucléaire brandie par les Etats Unis au-dessus de la tête de l’URSS et des Pays de l’Est, par l’OTAN contre le Pacte de Varsovie, personne dans ces pays, en tout cas en Pologne, ne prenait la chose au sérieux. Au demeurant, en Pologne, la population n’était pas mécontente que les dirigeants (« si tant est qu’ils croient ce qu’ils disent ») aient peur. Dans les sphères du pouvoir, il semblait que certains redoutaient en effet la puissance conventionnelle, dite « force de paix amicale », autant que la force nucléaire des Soviétiques. Plus que celle des Américains, en tout cas...
Nous citons ici deux réponses à notre enquête de l’époque, dont l’une exprime l’opinion d’un intellectuel dissident, mais l’autre le simple avis d’une paysanne à la campagne. Cette dernière disait ceci : « Je prie pour le Saint Père, afin qu’il ait la force de vaincre tout le mal de notre époque, car on se croirait au temps de Néron. Que va-t-il arriver ? J’espère que la Vierge de Czestochowa nous viendra en aide, car le monde entier gronde. J’ai peur d’un bain de sang ; j’ai déjà vécu deux guerres mondiales. Et voilà que ces voyous (les médias – AV) nous menacent de bombes, d’atomes etc… Que ces coquins aillent se faire pendre au lieu de nous faire peur, comme si la vie n’était pas assez dure comme ça. Et comment va la vie chez vous ? Est-ce que vous vous sentez en sécurité ? Est-ce qu’ils vous mentent comme à nous et vous promettent aussi que les poires vont pousser sur les saules ?… »
La réflexion de notre interlocuteur intellectuel était moins pittoresque, mais tout aussi désabusée : « Il nous arrive de plaisanter en suggérant que notre vaillant général (Jaruzelski – AV) déclare la guerre à Reagan et que nous soyons enfin occupés par les Américains. Mais ce n’est que l’expression de rêves de liberté. Pendant ce temps, tout ce qui est soviétique fait naître hostilité ou mépris. On en veut aux Russes pour Katyn, pour l’Insurrection de Varsovie (la bataille de 1944 – AV), et surtout pour la situation dégradée de notre peuple, pour le mensonge qui accompagne chacune de leurs paroles, chacune de leurs déclarations pacifistes. Leur élément, c’est la haine, la guerre, les troubles, le terrorisme. Et ils n’ont que la paix sur les lèvres ; Reagan est très populaire en Pologne, car il essaie de s’opposer au communisme qui est un grand fléau pour le monde d’aujourd’hui. Mais il est clair que l’Occident veut avoir la paix à tout prix, et que pour lui, le commerce et le gain, c’est ce qui compte le plus.
Le neutralisme et le pacifisme occidentaux sont très dangereux, car ils désarment psychiquement l’Occident et renforcent le communisme. Cette politique de l’autruche prouve à quel point on ignore à l’Ouest les objectifs soviétiques à long terme. Il faudrait que dans chaque ville occidentale soit exposée une carte du monde où serait indiquée en couleur rouge la progression du communisme. Cela contribuerait peut-être à mettre un frein à l’expansion méthodique et à la stratégie de conquête de cet ennemi de l’Occident. »
En définitive, les Polonais, sous l’influence de « leur » Pape, ne souhaitaient pas de confrontation militaire entre l’Est et l’Ouest. Même si certains sont longtemps restés persuadés que « rien ne changerait pour la Pologne sans guerre ». Mais, la « guerre juste » leur apparaissait soudain faisable sous la forme civile non-violente. Avec la menace d’un appui armé américain.
Dès août 1980, des Polonais et des observateurs attentifs de la lutte en cours ont été préoccupés par l’éventualité d’une provocation. Celle-ci eut pu conduire à une intervention soviétique armée, provoquant un bain de sang. Sans aucune chance de soutien extérieur à la Pologne, si celle-ci était représentée comme « terroriste ». De telles provocations ont été quelquefois évitées en 1981, et après l’instauration de l’ « état de guerre ». A Paris, en 1982, un « expert de Solidarnosc » anonyme tenta de faire publier par un quotidien socialiste l’annonce de l’organisation en Pologne de « desperados comme l’Europe de l’Est n’en a jamais connus », etc.
De façon systématique, de nombreux commentaires débouchaient sur l’affirmation que « la Pologne ne pourra désormais éviter l’explosion ». De fausses lettres attribuées à des dirigeants de Solidarnosc séjournant à l’étranger, notamment à Paris, « dévoilaient » que Solidarnosc possédait des « camps d’entraînement militaire » en Europe, etc… « Le pouvoir a peu à peu réussi à rendre impossible la résistance non-violente…, qui est condamnée à l’inefficacité. Une explosion violente constitue donc une probabilité de plus en plus vraisemblable », clamaient de plus en plus haut et fort ceux pour qui la lutte armée est le seul mode d’action matériellement efficace, contrairement au combat non-violent qui n’a de valeur que spirituelle.
C’est à ce moment que s’est clairement fait entendre voix de l’Eglise, du Pape, et des laïcs conscients de l’enjeu, pour expliquer la nature et la finalité du combat polonais, l’esprit dans lequel il devait être mené, les moyens de lutte qu’il pouvait employer, et les forces sur lesquelles il pouvait compter. Les Etats Unis ne représentaient pas la moindre de ces forces, y compris dans la politique du Pape Jean Paul II.
Un philosophe canadien d’origine polonaise, Jerzy Wojciechowski, explicita alors la portée nouvelle du choix de Solidarnosc, inspiré par Jean Paul II : « les théories sociales et politiques prônaient jusqu’à présent la philosophie du conflit. A l’époque des moyens de destruction limités, ce principe pouvait paraître justifié par ses résultats. Depuis l’arme atomique, il est devenu désuet…. Solidarnosc est le premier mouvement social du XXIème siècle parce qu’il pose comme principe d’action la non-conflictualité dans la solution des problèmes sociaux. Le mouvement est né d’une situation conflictuelle. Mais il veut que les conflits réels soient résolus non par un conflit nouveau, mais dans l’optique d’une entente entre les forces actuellement en conflit… Or, le sens du marxisme, c’est le conflit. Le marxisme se justifie par le conflit existant entre classes sociales et il fait de ce conflit la raison d’être de son idéologie, le modus operandi de son système. »
Combien cette situation, qui nous apparaissait alors dangereuse et difficile, semble aujourd’hui « civilisée » par rapport aux conflits et aux périls auxquels l’Occident et une partie du monde se trouvent confrontés en 2003 sans possibilité de les résoudre par la non-violence. Parce que cet ennemi ne reconnaît que la violence, et une violence aveugle, contre les siens aussi bien que contre tous les autres. Dictateurs contre leurs peuples, peuples contre leurs dictateurs, mais également peuples forcés et entraînés dans une escalade de la violence contre leurs libérateurs par des agents terroristes nationaux et internationaux. Terreur irrationnelle et manœuvrée. Quel va être le prix à payer pour la libération des hommes et des sociétés contre les criminels qui y sévissent ? « Mourir pour la liberté ! » : cette question se pose-t-elle à ceux que l’on va secourir – et à ceux qui portent secours - de la même manière qu’elle s’est posée dans notre histoire européenne et occidentale récente ?
Au temps de Solidarnosc et du combat pour la nouvelle indépendance de la Pologne, Jean Paul II a souvent abordé la notion de prix à payer pour la liberté, l’indépendance, la dignité humaine, la vérité, la foi chrétienne. Il l’a souvent fait dans ses discours à l’adresse des jeunes, notamment en 1984, année du quarantième anniversaire de la bataille de Monte Cassino (1944), remportée par des soldats polonais, et de l’Insurrection de Varsovie. [2] Le discours de Jean Paul II porte cette notion de prix sur un autre plan que matériel, pragmatique. Il y voit une question de générosité désintéressée (je ferai cela, même s’il m’en coûte), et non d’agressivité intéressée (si ça me rapporte, je frapperai ; mais je ne bougerai pas si ça me coûte trop cher).
Le 17 mai 1984, le Pape a dit à des Polonais émigrés politiques ayant fui le régime communiste, qu’il avait invités chez lui en même temps que des Polonais de Pologne communiste : « la mort (au combat – AV) témoigne de la volonté de vie de la nation ; de la volonté d’une vie digne et indépendante » . Mais, a-t-il ajouté : « pourquoi les hommes et les nations se sont-ils combattus les uns les autres ?… Ils y ont été poussés par la puissance d’un système qui… s’était impitoyablement imposé comme programme aux uns, et avait forcé les autres à lui résister par les armes… ».
Certes, les chrétiens et les hommes de bonne volonté doivent tenter de dominer la violence, le recours à la force, pour rechercher des solutions par la voie du dialogue, dans le respect des raisons de chacun. Mais seulement lorsque les solutions envisageables peuvent être mises au service de l’apaisement et du bien commun. Si cela est impossible, il faut avoir le courage de combattre, et payer le prix du sang s’il le faut, dès lors que le dialogue et la négociation sont impuissants face à la tyrannie, au crime, au mensonge, à la menace, à l’agression.
Jean Paul II définissait clairement la nature et la finalité du combat décisif , et dans ce cas non-violent, que les Polonais allaient livrer contre le régime communiste soviétique en recherchant l’entente entre alliés, mais aussi une entente avec d’anciens adversaires. Il y discernait aussi un lien avec le combat décisif armé que les Polonais avaient livré contre le système nazi et ses crimes : « Par d’étranges voies de la providence, Monte Cassino a été libéré et pris par le soldat polonais. Il y avait peut-être dans cette victoire une mission prophétique : de la même façon que le soldat polonais a mené un combat sanglant pour prendre le monastère, de la même façon, avec un égal effort, la nation luttera pour rester fidèle aux idéaux chrétiens, et cette fidélité exigera de la générosité et des sacrifices… pour un véritable humanisme, la dignité de l’homme, la vraie liberté… Tel sera l’homme, telle sera la nation. » (Cf . Osservatore Romano, 18 mai 1984).
Partout dans les mondes chrétien, juif, musulman…, la lutte contre l’avilissement de l’homme et de la société s’impose. Si ce combat peut être non-violent, cela est évidemment préférable. Mais, lorsqu’un régime assassine autant qu’il avilit, la non-violence ne déguise-t-elle pas l’abandon ? Les cultures, y compris religieuses, les systèmes, les pouvoirs qui livrent sans fin des hommes à la mort - de l’âme, de l’esprit et du corps, terrifiés et martyrisés – doivent être combattus par les armes, s’il le faut. Ils doivent être défaits par les armes, comme ils doivent l’être ensuite par la politique, l’économie, la culture, l’éducation, la santé et la morale renaissantes dans la vraie paix retrouvée. Ces combats-là se livrent aussi au prix du sang. Sang des libérés, mais aussi sang offert par des libérateurs, qui méritent le respect et non l’excitation malsaine des pourfendeurs, des moqueurs et autres critiques faussement apitoyés. Ce prix tragique du sang au combat, le Pape Jean Paul II en a toujours douloureusement conscience. Il l’a toujours respecté et exige qu’on le respecte.
« Le Pape n’est pas un pacifiste, disait récemment Jean-Bernard Raymond ancien ambassadeur de France en Russie, après l’avoir été en Pologne (1983-1988) et auprès du Saint-Siège (1988-1991). L’ambassadeur tentait d’expliquer pourquoi on avait tant parlé, lors de la campagne d’Irak en 2003, de l’engagement « pacifiste » de Jean Paul II : « Il était contre une guerre en Irak qui semblait opposer le christianisme à l’islam ». Or, ce n’étaient pas le christianisme et l’islam qui étaient opposés, mais la « civilisation de la vie » et la « civilisation de la mort » en Irak et dans le monde. Avec le danger et les risques que cet enjeu comportait s’il était faussé par l’une ou l’autre partie, ou toutes les parties à la fois. Cette vision, le Pape Jean Paul II l’avait. Tel était le sens de ses appels angoissés.
Copyright 2003-Viatteau/Diploweb.com
Ce texte a été initialement publié sur le Diploweb.com en décembre 2003 sous le titre "Le Pape Jean Paul II, le pacifisme et la guerre, la non-violence et le combat". Il est toujours disponible sous ce titre dans la section Archives à la page http://www.diploweb.com/science-politique/papejeanpaul2.htm
Puis il a été publié sous le titre "Le Pape Jean Paul II et la chute du Rideau de fer" au chapitre 3 du livre dirigé par Pierre Verluise "Une nouvelle Europe. Comprendre une révolution géopolitique", Préface de François Géré, Paris, Karthala, 2005, pp. 35-46. C’est cette version qui a été mise en ligne dans la version Spip du site à l’occasion de la béatification de Jean-Paul II, en mai 2011.
[1] Cf. Alexandra Viatteau, « Varsovie 1933-Washington 2003, la guerre préventive », diploweb.com , classiques de Science-politique , septembre 2003 ; cf. aussi A.V. « L’alliance américano-polonaise en Irak » in « La Quinzaine européenne », 17 novembre 2003, n°49, Strasbourg, France.
[2] Cf. sous la direction d’Alexandra Viatteau, « L’Insurrection de Varsovie, la bataille de l’été 1944 », Paris, éd. Presses universitaires de Paris Sorbonne, septembre 2003.
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