www.diploweb.com Classiques
de Science politique - Rubrique réalisée par
Alexandra Viatteau N°5 : Le Pape Jean Paul II, le pacifisme et la guerre, la non-violence et le combat
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Quelle
a été la part du Pape Jean Paul II dans la chute du communisme en Europe
centrale et orientale ? L’auteur donne des clés pour comprendre comment
durant les années 1980 s’est clairement faite entendre la voix de
l’Eglise, du Pape, et des laïcs conscients de l’enjeu, pour
expliquer la nature et la finalité du combat polonais contre le soviétisme. A.
Viatteau détaille l’esprit dans lequel il devait être mené, les moyens de lutte
qu’il pouvait employer, et les forces
sur lesquelles il pouvait compter. |
Biographie d'Alexandra Viatteau en ligne En bas de page, extrait d'un texte de Jean-Marie Mayeur : « Les Papes, la
guerre et la paix, de Léon XIII à Pie XII. Mots clés - Key words: alexandra viatteau, www.diploweb.com classiques de sciences-politiques, la quinzaine européenne, l’osservatore romano, sala stampa della santa sede, salle de presse du saint-siège, documentation catholique, archevêque de cracovie karol wojtyla, pape jean-paul II, « la personne et l’action », phénoménologie, thomisme, saint thomas, participation, pacifisme, « pacifisme couard », guerre d’irak, 2003, « guerre juste », « guerre injuste », « légitime défense », jean-marie mayeur, non-violence, solidarnosc « premier mouvement social du XXIème siècle », jerzy wojciechowski, insurrection de varsovie, bataille de l’été 1944, victoire polonaise de monte cassino en 1944, puissance armée américaine, otan, pacte de varsovie, urss, pologne, communisme, propagande-désinformation, perestroika, nouvelles de moscou, mikhail gorbatchev, richard nixon, ronald reagan. *
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« La
pensée de Karol Wojtyla refuse les clichés », ont observé tous ceux et
celles qui connaissent le Pape Jean Paul II depuis les temps universitaires en
Pologne ( à
Cracovie et à Lublin), mais
aussi à Fribourg (1975) ou à Harvard (1976). Lorsque l’on mettait l’Archevêque
de Cracovie, puis le Pape, en garde contre l’usage des slogans de
« paix » ou de « paix et progrès », du
fait qu’il s’agissait de slogans communistes
soviétiques, il répondait
que la vraie
paix – et non cette paix des cimetières qui voile les intérêts et
les lâchetés à la mode – est une valeur chrétienne et aussi celle de tous les
hommes de bonne volonté. Lorsque l’on a
cherché à transformer les message forts du Pape en appels à la
« Realpolitik », au
défaitisme ou à l’indifférence, il ripostait par une défense courageuse de ce
qui devait être défendu et par une condamnation ferme de ce qui devait être
vaincu. Il développa la réflexion sur la « guerre juste » et la
« guerre injuste », tout en
essayant toujours de pousser les hommes, Etats, religions, civilisations à user au moins de non-violence, s’ils
ne pouvaient user de charité, de dialogue et de conciliation.
Textes
et sources
Les
textes que nous avons choisis pour illustrer notre commentaire figurent
partiellement, sous forme de citations,
dans le corpus du commentaire, puis, sous forme de citation d’un extrait
de l’étude du professeur Jean-Marie Mayeur, « Les papes, la guerre et la
paix, de Léon XIII à Pie XII » (in
« Dissuasion nucléaire et conscience chrétienne », Les
quatre fleuves, Paris , éd. Beau Chesne, 1984). Par ailleurs, nous
recommandons vivement aux lecteurs de consulter tous les documents officiels du
Pape Jean Paul II et des dicastères romains du Saint-Siège concernant la
« guerre juste » et la « guerre injuste » (à la
Documentation catholique de Paris ou directement à la Sala Stampa della Santa
Sede au Vatican).
Rapport
interhumain et participation
Dès
son premier grand ouvrage de philosophie, « La Personne et
l’Action », le cardinal Wojtyla (devenu Pape Jean Paul II au moment où
était éditée l’œuvre achevée) posait
deux principales questions qui ne cesseront d’influencer son
pontificat : 1) Quel genre de rapport interhumain, donc social et
politique, national et international, permet à l’homme de s’épanouir dans son
humanité ? 2) Quelles conditions doivent- être remplies par les systèmes
sociaux, politiques, économiques (et donc par les régimes nationaux et les
systèmes internationaux, transnationaux ou globaux) pour qu’un tel rapport
interhumain authentiquement épanouissant soit possible ?
Dans
la dernière partie de son livre, qui fait un détour par la phénoménologie, Jean Paul II – encore cardinal – propose une
théorie qui se réfère à la pensée de saint Thomas sur la participation : à savoir que l’homme de par sa nature participe à l’existence et à l’épanouissement
d’autrui, et que c’est par autrui qu’il atteint son propre épanouissement.
Inversement, si la nature de l’homme est niée, violée, brutalisée, torturée,
dégénérée, avilie, appauvrie, c’est aussi l’homme, celui d’en face, du rapport
interhumain, ainsi que la société entière, qui sont atteints.
Jean
Paul II a combattu le totalitarisme communiste De par cette pensée, à laquelle il est toujours resté attaché, le Pape s’est opposé à tout ce qui porte atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne humaine, il a mobilisé et encouragé les forces positives, il a combattu le totalitarisme communiste sous toutes ses formes et au premier plan sous sa forme soviétique. Il s’est aussi élevé contre tout les autres types de dictature dans le monde. Cette pensée a également incité le Pape à mettre en garde contre le capitalisme sauvage en tant qu’application inhumaine d’un « libéralisme » réservé au plus « fort » et au plus riche au détriment de la liberté, et donc du « libéralisme » , du plus « faible » et du plus pauvre . Fidèle à son idée, le Pape souhaite la paix des hommes et du monde, mais il ne s’oppose pas au conflit lorsque celui-ci prend la défense des opprimés, et dans les cas extrêmes, des suppliciés, comme en Irak, pour les libérer de la tyrannie et de l’horreur.
Jean-Paul II. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure
Le
Pape Jean Paul II n’est pas un pacifiste
Le
Pape Jean Paul II n’est pas un pacifiste. Encore moins un « pacifiste
couard », comme on a pu appeler à l’époque ceux des dirigeants européens
qui ont cédé à Hitler (1933-1945) jusqu’au jour où ils furent eux- mêmes
directement menacés et agressés.
A
Pâques
2003, en pleine guerre d’Irak, les réflexions pour le traditionnel
Chemin de Croix au Colisée de Rome furent écrites par Jean Paul II lui- même.
Elles s’inspiraient directement des recollections de Carême que le cardinal
Wojtyla avait prêchées devant le Pape Paul VI au Vatican, en 1976 ;
l’année où il exposait aussi sa pensée philosophique à l’université de Harvard,
aux Etats Unis.
Le
combat pour la vie et la liberté ne se gagne pas sans sacrifice
A
Pâques 2003, donc, le Pape priait certes pour « la paix en Irak »,
mais ajoutait que les Irakiens devaient retrouver la liberté après la tyrannie,
et « devenir les sujets (concept
important pour le Pape s’opposant à la réduction de la personne humaine à un
objet) de la reconstruction de leur pays » . Le Pape a rappelé aussi que le combat pour la vie et la liberté
ne se gagne pas sans sacrifice. C’est dans ce contexte qu’il appela à la
paix. Au demeurant, c’est Saddam
Hussein que le Pape avait exhorté, notamment par l’intermédiaire de ses
émissaires, à épargner la guerre à son peuple et à le libérer de sa propre
tyrannie. Il n’a pas appelé la Coalition à interrompre les combats, une fois
que ceux-ci furent déclenchés. Pendant le Chemin de Croix de Pâques 2003, Jean Paul II appela aussi ce soir-là à
« la paix dans toutes les parties du monde où des conflits oubliés perdurent et provoquent morts et blessures
dans l’ignorance, l’oubli ou le silence des opinions publiques ».
Aussi,
le danger des appels à la « paix » à tout prix était-il dénoncé par le Pape, au même titre que les malheurs de la guerre.
Les médias et les milieux politiques et diplomatiques qui ont transformé ce message en appels
« pacifistes » n’étaient-ils pas
bien plus partisans
qu’observateurs ? (Cf. Alexandra Viatteau, « Varsovie
1933-Washington 2003, la guerre
préventive », diploweb.com , classiques de sciences-politiques , septembre
2003 ; cf. aussi A.V.
« L’alliance américano-polonaise en Irak » in « La
Quinzaine européenne », 17 novembre 2003, n°49, Strasbourg, France).
La
non-violence enseignée par le Pape
Le
Pape - comme tout chrétien, tout
croyant en Dieu et tout homme de cœur devraient l’être - est indigné par la
souffrance et la mort qu’entraînent la guerre, la révolution, la violence. Dans
son propre pays, la
Pologne, le Pape Jean Paul II avait pris fermement position
pour le combat de Solidarnosc contre le communisme au pouvoir. Mais il
avait recommandé la « non-violence ». Avec succès, à l’époque.
Nous allons revenir vingt ans en arrière pour voir comment la non-violence enseignée par le Pape, y compris dans un conflit grave, aigu et fondamental, fut alors appliquée et remporta la victoire. Elle fut appliquée comme profession de foi par les uns, comme tactique par d’autres, avec succès puisque provoquant la chute du communisme. Ce succès est devenu un cas d’école de la non-violence, mais aussi un cas d’école de l’appui stratégique de la super-puissance des armes (super-puissance militaire américaine) à la non-violence. Mikhail Gorbatchev et son journal phare de la perestroïka, Moskovskiie Novosti (en version française : Nouvelles de Moscou) avaient rendu hommage dès 1987-1988 à la puissance américaine des armes, dont la menace ferme et résolue a permis la victoire de la démocratie, y compris en Russie.
M. Gorbatchev et V.I. Lénine. Crédits : Pierre Verluise
Le
rôle de l’IDS
Dans
un de ces numéros des Nouvelles de Moscou, un spécialiste français
exprimait de vives critiques contre la « politique militariste »
(l’Initiative de Défense Stratégique) du
président Reagan, ce à quoi son
interlocuteur soviétique lui a répondu que c’est grâce à cette force et à cette
fermeté que les conservateurs du Kremlin avaient du se résoudre à accepter de réviser
le régime par la perestroïka de Gorbatchev !
La
non-violence
en
Pologne
« La
Troisième Guerre mondiale a commencé avant- même que la Seconde ne fut
terminée », écrivait en 1980, l’année des événements de Gdansk, l’ancien
président des Etats Unis,
Richard Nixon. Le successeur de ceux qui avaient cédé
le bastion avancé à l’Est de l’Europe occidentale à Moscou, reconnaissait que la
Pologne, trente cinq ans plus tard, continuait la
lutte. Au moment de sa dissolution en 1945, le Conseil d’Unité Nationale,
dernier parlement de la
Pologne combattante avant la rupture par les puissances
occidentales des relations diplomatiques avec le gouvernement légal en exil,
avait lancé un ultime appel : « La nation polonaise n’a pas cessé
d’être elle- même. Dans les plus grands malheurs, elle n’a pas été brisée
moralement et n’a plié l’échine devant aucun de ceux qui ont voulu la gouverner
contre ses intérêts et contre sa volonté. C’est ce trésor que la
Pologne
combattante transmet en héritage à ceux qui reprendront la lutte pour la
souveraineté – par d’autres moyens ».
La
Pologne, un pays paradoxal
De
fait, on est amené à deux constatations : la
Pologne n’a jamais pris son
parti de ce qu’elle continuait de ressentir profondément comme une
« occupation » idéologique, politique, économique, militaire par
l’URSS. Des discussions ou divergences dans le pays portaient, parfois au sein même du pouvoir inféodé à
Moscou, sur la méthode et les moyens de faire face, ainsi que sur l’esprit qui
devait animer la résistance civile, sur la nature et la finalité du combat
politique, ou sur les nuances du non conformisme admissible. Ainsi,
découvrait-on le paradoxe d’un pays en majorité hostile à l’alliance militaire
étrangère dont il était le centre (Pacte de Varsovie) , et favorable à
l’alliance militaire étrangère adverse (OTAN). Cependant, du fait même que les
deux pactes lui étaient étrangers, l’un dominé par l’occupant (soviétique),
l’autre formé de puissances qui avaient démontré soit leur manque de volonté, soit leur incapacité à conserver la
Pologne dans le camp occidental, la nation polonaise semblait abandonner pour
la première fois depuis des siècles le Primat
der Aussenpolitik (la primauté des événements extérieurs).
Des
« provocateurs » voulaient pousser Solidarnosc aux armes Jusqu’alors, ce primat avait toujours poussé les Polonais aux armes, dans l’espoir qu’ils obtiendraient l’indépendance de leur pays au prix de leur sang versé sur les champs de bataille étrangers ou chez eux pour la liberté de tous. Revenus de cet espoir, les Polonais des années 1970-1980 se sentaient beaucoup moins concernés par le débat mondial et européen sur les armements, la dissuasion nucléaire, ou le pacifisme, que par une alternative non-violente de lutte contre le régime communiste soviétique, préférable à une insurrection armée. Cela d’autant plus qu’une partie de l’opinion polonaise avait parfois l’impression que des « provocateurs » voulaient pousser Solidarnosc aux armes : les uns à la recherche d’un motif de « pacification » et de liquidation du mouvement ; d’autres d’un détonateur contraignant l’URSS à une guerre sur deux fronts (Afghanistan, Pologne). Cette sensibilité de l’opinion à la provocation était un phénomène nouveau, de même que la réticence des Polonais à mourir dans un conflit entre puissances étrangères. Même si leur sympathie allait tout entière dans ce cas à l’Occident, dans l’espoir, refoulé mais tenace, de le voir cette fois engagé et vainqueur en Europe centrale et orientale.
L. Walesa. Crédits: Ministère des Affaires étrangères, F. de la Mure
Nous
allons
donc
distinguer
à
l’époque
les
réactions
polonaises,
d’une
part
à
l’égard
de
la
guerre,
notamment
nucléaire,
et
du
pacifisme,
et
de
l’autre,
à
l’égard
du
combat,
insurrectionnel
ou
non-violent.
Les
dangers de la guerre et ceux du pacifisme
Le
problème de la guerre, des armements nucléaires, de la dissuasion et du
pacifisme suscitait chez des Polonais issus de milieux très divers (nous
n’analysons pas ici la position officielle du Pacte de Varsovie) les réactions
suivantes : il faut, certes, éviter à l’humanité la guerre nucléaire. Le
pacifisme, c’est bien, « à
condition qu’il soit réciproque, raisonnable, courageux et qu’il ne se laisse
pas manipuler par le communisme soviétique ». Tel qu’il existait, notamment dans la conception des
« compagnons de route » occidentaux,
il agissait au profit de Moscou, en désarmant l’Occident.
« Mieux
vaut être rouge que mort, criait l’écrevisse au moment d’être plongée dans
l’eau bouillante »
« Mieux
vaut être rouge que mort, criait l’écrevisse au moment d’être plongée dans
l’eau bouillante », persiflaient
les Polonais et les dissidents d’URSS et des Pays de l’Est. La propagande
officielle communiste soviétique ayant fait son cheval de bataille de l’
« encerclement capitaliste » et de l’arme nucléaire brandie par les
Etats Unis au-dessus de la tête de l’URSS et des Pays de l’Est, par l’OTAN
contre le Pacte de Varsovie, personne dans ces pays, en tout cas en
Pologne, ne prenait la chose au
sérieux. Au demeurant, en Pologne, la population n’était pas mécontente que les
dirigeants (« si tant est qu’ils
croient ce qu’ils disent ») aient peur. Dans les sphères du pouvoir, il
semblait que certains redoutaient en effet la puissance conventionnelle, dite
« force de paix amicale »,
autant que la force nucléaire
des Soviétiques. Plus que celle des Américains, en tout cas...
Enquête
Nous
citons ici deux réponses à notre enquête de l’époque, dont l’une exprime
l’opinion d’un intellectuel dissident,
mais l’autre le simple avis d’une paysanne à la campagne. Cette dernière
disait ceci : « Je
prie pour le Saint Père, afin qu’il ait la force de vaincre tout le mal de
notre époque, car on se croirait au temps de Néron. Que va-t-il arriver ?
J’espère que la Vierge de Czestochowa nous viendra en aide, car le monde entier
gronde. J’ai peur d’un bain de sang ; j’ai déjà vécu deux guerres
mondiales. Et voilà que ces voyous (les médias – AV) nous menacent de bombes,
d’atomes etc… Que ces coquins aillent
se faire pendre au lieu de nous faire
peur, comme si la vie n’était pas assez dure comme ça. Et comment va la vie
chez vous ? Est-ce que vous vous sentez en sécurité ? Est-ce qu’ils
vous mentent comme à nous et vous promettent aussi que les poires vont pousser
sur les saules ?… »
« Notre
vaillant général Jaruzelski… »
La
réflexion de notre interlocuteur intellectuel était moins pittoresque, mais
tout aussi désabusée :
« Il
nous arrive de plaisanter en suggérant que notre vaillant général (Jaruzelski –
AV) déclare la guerre à Reagan et que nous soyons enfin occupés par les Américains. Mais ce n’est que
l’expression de rêves de liberté.
Pendant ce temps, tout ce qui
est soviétique fait naître hostilité ou mépris. On en veut aux Russes pour
Katyn, pour
l’Insurrection de Varsovie
(la bataille de 1944 – AV), et surtout pour la situation dégradée de notre
peuple, pour le mensonge qui accompagne
chacune de leurs paroles, chacune de
leurs déclarations pacifistes. Leur élément, c’est la haine, la guerre, les
troubles, le terrorisme. Et ils n’ont que la paix sur les lèvres ; Reagan
est très populaire en Pologne, car il essaie de s’opposer au communisme qui est
un grand fléau pour le monde d’aujourd’hui. Mais il est clair que l’Occident veut avoir la paix à tout prix, et que
pour lui, le commerce et le gain, c’est
ce qui compte le plus.
Le
neutralisme et le pacifisme occidentaux sont très dangereux, car ils désarment
psychiquement l’Occident et renforcent le communisme. Cette politique de
l’autruche prouve à quel point on ignore à l’Ouest les objectifs soviétiques à
long terme. Il faudrait que dans chaque ville occidentale soit exposée une
carte du monde où serait indiquée en couleur rouge la progression du
communisme. Cela contribuerait peut-être à mettre un frein à l’expansion
méthodique et à la stratégie de conquête de cet ennemi de l’Occident. »
Les
« idiots utiles » n’ont pas changé
Cette
mise en garde, vingt ans plus tard, dans un autre contexte de danger, de
conflit, et face à un autre ennemi, est à méditer à nouveau. Car la méthode et
la sémantique de la propagande sont semblables, et les « idiots utiles » n’ont pas changé non plus.
On
finit toujours par revenir aux modes possibles de combat contre le mal, le
danger, l’agression : autodéfense, mais
par quels moyens ? Le combat que les Polonais menaient à l’époque
« par d’autres moyens » que violents, tout en attendant de l’Occident qu’il prenne une part active à
cette forme non-violente de lutte contre le communisme, notamment par la puissante pression sur
l’URSS de l’ armement américain de
pointe, a réussi.
En
définitive, les Polonais, sous
l’influence de « leur »
Pape, ne souhaitaient pas de
confrontation militaire entre l’Est et l’Ouest. Même si certains sont longtemps
restés persuadés que « rien ne changerait pour la Pologne sans
guerre ». Mais, la « guerre juste » leur apparaissait
soudain faisable sous la forme civile non-violente. Avec la menace d’un appui
armé américain.
Résistance
à la provocation et non-violence au combat
Dès
août 1980, des Polonais et des observateurs attentifs de la lutte en
cours ont été préoccupés par l’éventualité d’une provocation. Celle-ci eut pu
conduire à une intervention soviétique armée,
provoquant un bain de sang. Sans aucune chance de soutien extérieur à la
Pologne, si celle-ci était représentée
comme « terroriste ». De telles provocations ont été quelquefois
évitées en 1981, et après
l’instauration de l’ « état de guerre ». A Paris, en 1982, un
« expert de Solidarnosc » anonyme tenta de faire publier par
un quotidien socialiste l’annonce de l’organisation en Pologne de
« desperados comme l’Europe de l’Est n’en a jamais connus », etc. …
De
fausses lettres
De
façon systématique, de nombreux commentaires débouchaient sur l’affirmation que
« la Pologne ne pourra désormais éviter l’explosion ». De fausses lettres attribuées à des dirigeants
de Solidarnosc séjournant à l’étranger, notamment à Paris, « dévoilaient » que Solidarnosc
possédait des « camps d’entraînement militaire » en Europe, etc… « Le pouvoir a peu à
peu réussi à rendre impossible la résistance non-violente…, qui est condamnée à
l’inefficacité. Une explosion violente
constitue donc une probabilité de plus en plus vraisemblable »,
clamaient de plus en plus haut et fort ceux pour qui la lutte armée est le seul mode d’action matériellement efficace,
contrairement au combat non-violent qui n’a de valeur que spirituelle.
Expliquer
la nature et la finalité du combat polonais
C’est
à ce moment que s’est clairement fait entendre
voix de l’Eglise, du Pape,
et des laïcs conscients de l’enjeu,
pour expliquer la nature et la finalité du combat polonais, l’esprit dans lequel il devait être mené,
les moyens de lutte qu’il pouvait employer,
et les forces sur lesquelles il pouvait compter. Les Etats Unis ne
représentaient pas la moindre de ces forces, y compris dans la politique du
Pape Jean Paul II.
Un
philosophe canadien d’origine polonaise, Jerzy Wojciechowski, explicita alors
la portée nouvelle du choix de Solidarnosc, inspiré par Jean Paul
II : « les théories sociales et politiques prônaient jusqu’à présent
la philosophie du conflit. A l’époque des moyens de destruction limités, ce
principe pouvait paraître justifié par ses résultats. Depuis l’arme atomique,
il est devenu désuet…. Solidarnosc est le premier mouvement
social du XXIème siècle parce qu’il pose comme principe d’action la non-conflictualité
dans la solution des problèmes sociaux. Le mouvement est né d’une situation
conflictuelle. Mais il veut que les conflits réels soient résolus non par un
conflit nouveau, mais dans l’optique d’une entente entre les forces actuellement
en conflit… Or, le sens du marxisme,
c’est le conflit. Le marxisme se justifie par le conflit existant entre classes
sociales et il fait de ce conflit la raison d’être de son idéologie, le modus
operandi de son système. »
Aujourd’hui, le
terrorisme
Combien cette situation, qui
nous apparaissait alors dangereuse et difficile, semble aujourd’hui
« civilisée » par rapport aux conflits et aux périls auxquels l’Occident et une partie du
monde se trouvent maintenant confrontés sans possibilité de les résoudre par la
non-violence. Parce que cet ennemi ne reconnaît que la violence, et une
violence aveugle, contre les siens aussi bien que contre tous les autres. Dictateurs contre leurs peuples, peuples contre leurs dictateurs, mais
également peuples forcés et entraînés dans une escalade de la violence contre
leurs libérateurs par des agents terroristes nationaux et internationaux.
Terreur irrationnelle et manœuvrée.
Quel va être le prix à payer
pour la libération des hommes et des sociétés contre les criminels qui y
sévissent ? « Mourir pour la liberté ! » : cette
question se pose-t-elle à ceux que l’on va secourir – et à ceux qui portent
secours - de la même manière qu’elle s’est posée dans notre
histoire européenne et occidentale récente ?
Le prix à payer pour la liberté
Au
temps de Solidarnosc et du combat pour la nouvelle indépendance de la
Pologne, Jean Paul II a souvent
abordé la notion de prix à payer pour
la liberté, l’indépendance, la dignité humaine, la vérité, la foi chrétienne.
Il l’a souvent fait dans ses discours à l’adresse des jeunes, notamment en
1984, année du quarantième anniversaire
de la bataille de Monte Cassino (1944),
remportée par des soldats polonais,
et de l’Insurrection de Varsovie. (Cf. sous la direction d’Alexandra
Viatteau, « L’Insurrection de Varsovie, la bataille de l’été 1944 »,
Paris, éd. Presses universitaires de Paris Sorbonne, septembre 2003). Le discours de Jean Paul II porte cette
notion de prix sur un autre plan que matériel,
pragmatique. Il y voit une question de générosité désintéressée (je
ferai cela, même s’il m’en coûte), et non d’agressivité intéressée (si ça me
rapporte, je frapperai ; mais je ne bougerai pas si ça me coûte trop
cher).
La
volonté d’une vie digne et indépendante
Le 17
mai 1984, le Pape a dit à des Polonais
émigrés politiques ayant fui le régime communiste, qu’il avait invités chez lui en même temps que des Polonais de
Pologne communiste : « la mort (au combat – AV) témoigne de la
volonté de vie de la nation ; de la volonté d’une vie digne et
indépendante » . Mais, a-t-il
ajouté : « pourquoi les hommes et les nations se sont-ils combattus
les uns les autres ?… Ils y ont été poussés par la puissance d’un système qui… s’était impitoyablement imposé comme
programme aux uns, et avait forcé les autres à lui résister par les
armes… ».
Certes,
les chrétiens et les hommes de bonne volonté doivent tenter de dominer la
violence, le recours à la force, pour rechercher des solutions par la voie du
dialogue, dans le respect des raisons de chacun. Mais seulement lorsque les
solutions envisageables peuvent être
mises au service de l’apaisement et du bien commun. Si cela est
impossible, il faut avoir le courage de combattre, et payer
le prix du sang s’il le faut, dès lors que le dialogue et la négociation sont impuissants face à la
tyrannie, au crime, au mensonge, à la menace, à l’agression.
Monte
Cassino
Jean
Paul II définissait clairement la nature et la finalité du combat décisif , et
dans ce cas non-violent, que les Polonais allaient livrer contre le régime
communiste soviétique en recherchant l’entente entre alliés, mais aussi
une entente avec d’anciens adversaires. Il y discernait aussi un lien avec
le combat décisif armé que les Polonais avaient livré contre le système nazi et
ses crimes : « Par d’étranges voies de la providence, Monte Cassino a été libéré et pris par le
soldat polonais. Il y avait peut-être dans cette victoire une mission
prophétique : de la même façon que le soldat polonais a mené un combat
sanglant pour prendre le monastère, de
la même façon, avec un égal effort, la
nation luttera pour rester fidèle aux idéaux chrétiens, et cette fidélité
exigera de la générosité et des sacrifices… pour un véritable humanisme, la
dignité de l’homme, la vraie liberté… Tel
sera l’homme, telle sera la nation. » (Cf . Osservatore Romano,
18 mai 1984).
Les pouvoirs qui livrent
sans fin des hommes à la mort - de l’âme, de l’esprit et du corps,
terrifiés
et
martyrisés
–
doivent
être
combattus
par
les
armes,
s’il
le
faut
Partout dans les mondes chrétien, juif, musulman…, la lutte contre
l’avilissement de l’homme et de la société s’impose. Si ce combat peut être
non-violent, cela est évidemment
préférable. Mais, lorsqu’un régime
assassine autant qu’il avilit, la
non-violence ne déguise-t-elle pas l’abandon ? Les cultures, y compris religieuses, les systèmes, les
pouvoirs qui livrent sans fin des
hommes à la mort - de l’âme, de l’esprit et du corps, terrifiés et martyrisés – doivent être combattus par les armes,
s’il le faut. Ils doivent être défaits
par les armes, comme ils doivent l’être ensuite par la politique, l’économie,
la culture, l’éducation, la santé et la morale renaissantes dans la vraie paix
retrouvée. Ces combats-là se
livrent aussi au prix du sang. Sang des
libérés, mais aussi sang offert par des libérateurs, qui méritent le respect et
non l’excitation malsaine des pourfendeurs, des moqueurs et autres critiques
faussement apitoyés. Ce prix tragique du sang au combat, le Pape Jean Paul II en a toujours douloureusement
conscience. Il l’a toujours respecté et exige qu’on le respecte.
Le sens
« Le
Pape n’est pas un pacifiste, disait récemment Jean-Bernard Raymond ancien ambassadeur de
France en Russie,
après l’avoir été en Pologne (1983-1988) et auprès du Saint-Siège
(1988-1991). L’ambassadeur tentait
d’expliquer pourquoi on avait tant parlé, lors de la campagne d’Irak en 2003,
de l’engagement « pacifiste » de Jean Paul II : « Il était contre
une guerre en Irak qui semblait opposer le christianisme à l’islam ». Or, ce n’étaient pas le christianisme et
l’islam qui étaient opposés, mais la
« civilisation de la vie » et la « civilisation de la mort »
en Irak et dans le monde. Avec le danger et les risques que cet enjeu
comportait s’il était faussé par l’une ou l’autre partie, ou toutes les parties
à la fois. Cette vision, le Pape Jean
Paul II l’avait. Tel était le sens de ses appels angoissés. Ecrire à l'auteur : Alexandra Viatteau, cours sur la Désinformation (Journalisme européen), Université de Marne-la-Vallée, Département des Aires culturelles et politiques, Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée, Cedex 2, France. Sommaire des Classiques de Science politique Copyright 20 novembre 2003-Viatteau/www.diploweb.com L'adresse url de cette page est : |
Date de la mise en ligne: décembre 2003 |
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Extrait du texte de Jean-Marie Mayeur : « Les Papes, la
guerre et la paix, de Léon XIII à Pie XII. |
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in « Dissuasion nucléaire et conscience chrétienne », Les Quatre Fleuves, n° 19,
Paris, éditions Beau chesne, 1984, (adresse actuelle: 17 rue du Cardinal
Lemoine, 75005, Paris).
Alexandra
Viatteau et Pierre Verluise remercient les éditions de leur aimable
autorisation de reproduction de ce texte sur le diploweb.com.
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Au total, les orientations majeures de la papauté, de Léon XIII à Pie XII face aux problèmes de la paix et de la
guerre s’inscrivent dans une remarquable continuité. Elles trouvent leur
fondement dans le souci du bien commun de l’humanité, auquel l’Eglise veut
apporter son concours. Le double
souvenir de la chrétienté et du rôle des papes à l’époque médiévale est présent
au long des interventions successives. Fidèles à l’enseignement du Père
Taparelli, les papes affirment la
nécessité d’un ordre international fondé sur le droit naturel face à la
souveraineté absolue des Etats et au « droit nouveau » né de la
Renaissance et de la Révolution ; Dès lors, la papauté ne cessa
d’ « employer sa force morale (…) pour opposer au droit de la force
la force du droit. « (selon les mots du Secrétaire d’Etat le Cardinal
Rampolla au ministre des Affaires étrangères russe le Comte Mouraviev, le 15
septembre 1899). De l’ère bismarckienne
au monde bipolaire qui suit la
Seconde Guerre mondiale, elle fut
favorable aux tentatives successives d’organisation d’une véritable société internationale, susceptible
d’apporter son arbitrage dans les conflits.
Dès la fin du XIXème siècle aussi, la papauté
prit décision en faveur du désarmement. Celui-ci fut toujours défini comme
progressif et réciproque, et non unilatéral. Aussi bien le pacifisme a-t-il été
rejeté avec la même fermeté que le nationalisme
et l’exaltation de l’Etat ; (Faut-il
renvoyer à la première partie du livre du Père Fessard, « Pax
nostra » - Grasset 1936 – intitulée : « vérité et fausseté du
pacifisme et du nationalisme » ?). On voit sans peine que les lignes
de continuité s’inscrivent jusqu’à notre temps et il n’est pas indispensable
d’y insister. En revanche, ce survol permet de déceler les tentatives
avortées : Léon XIII avait voulu remettre en honneur le rêve médiéval
d’une médiation pontificale dans les conflits internationaux et Benoît XV en
août 1917 crut pouvoir agir en médiateur.
L’insuccès de sa tentative explique que Pie XII, qui avait été l’un de
ses plus proches collaborateurs, jugea vaine une telle initiative pendant la
Seconde Guerre mondiale.
A
l’essai d’intervention directe, inspirée d’un modèle théocratique, se substitue
le souci d’éducation des esprits appelés à exercer leurs responsabilités.
Mutation dans la méthode, mutation aussi dans les thèmes. Léon XIII et Benoît
XV abordèrent le problème de la conscription et des armées permanentes en hommes du XIXème siècle pour qui la
« nation armée » était une réalité récente. Revenir à l’état de
choses antérieur et aux armées de métier, constituait à leurs yeux une étape
vers la paix. Par la suite, les mutations de la technologie des armements
imposèrent une autre approche des problèmes du désarmement. Un
approfondissement doctrinal considérable conduisit de la notion de « juste
guerre » à celle de « légitime défense ». ( Préfaçant le livre
de Luigi Sturzo, « La communauté internationale et le droit de
guerre », chez Bloud et Gay, 1931,
le juriste français Louis Le Fur estimait que « si un nouveau Concile
reprenait l’œuvre interrompue en 1870,
et traitait des droits et devoirs entre Etats en présence des conditions
nouvelles de la vie internationale, la notion de « guerre
juste » - le droit de guerre -,
serait peut-être limité aux deux cas
dans lesquels il ne peut être nié sous peine de tomber dans la théorie tolstoienne
de la non-résistance au mal : la légitime défense et l’exécution forcée
collective).
Pie XII affirma le devoir de guerre défensive face à une injuste
agression. A des décennies de
distance, ses analyses conservent leur
cohérence et leur rigueur. En
rappelant l’évolution de la pensée des papes depuis Léon XIII jusqu’à Pie XII, on a souhaité montrer les novations
qu’elles impliquent en même temps que la fermeté de quelques principes, ceux dont s’inspirent après la mort de Pie
XII, ses successeurs jusqu’à Jean
Paul II. Jean XXIII et Paul VI ont été
amenés à élargir les applications de ces principes, notamment au
Tiers-monde et aux problèmes
spécifiques qui s’y posent. Jean Paul
II manifeste depuis le début de son pontificat son intense désir d’éviter au
genre humain, ET les horreurs d’un
conflit nucléaire, ET celles d’une soumission
au pouvoir totalitaire (communiste soviétique en l’occurrence – AV).
C’est bien entre ces deux limites que les problèmes du monde continueront à se
poser dans les années qui viennent. »
Extrait d'un texte de Jean-Marie Mayeur : « Les Papes, la
guerre et la paix, de Léon XIII à Pie XII. in « Dissuasion nucléaire et conscience chrétienne », Les Quatre Fleuves, n° 19,
Paris, éditions Beau chesne, 1984. (adresse actuelle: 17 rue du Cardinal
Lemoine, 75005, Paris)
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