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www.diploweb.com Géopolitique des institutions européennes

Quelle répartition des pouvoirs au Conseil européen de l'UE25 ?  

par P. Verluise, spécialiste de géopolitique,

 

Comment fonctionne l'UE25 ? Quels sont les Etats qui possèdent le plus de voix au Conseil ? Quels sont les habitants de l'UE qui pèsent politiquement le moins lourd ? Quels sont les gagnants et les perdants de la redistribution des pouvoirs organisée par le traité de Nice pour faire de la place aux 10 Etats entrés le 1er mai 2004 ? Cette étude géopolitique des institutions communautaires apporte des réponses précises. Vous découvrirez, en outre, une carte de l’évolution du poids politique relatif d’un habitant au Conseil de l’UE15 à l’UE25, selon sa nationalité. 

 

Tant que le projet de traité constitutionnel du 18 juin 2004 n’est pas validé par les Parlements ou les citoyens de l’UE élargie, les observations faites ici restent à priori valables.

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Depuis l’élargissement du 1er mai 2004 à dix nouveaux Etats, l’Union européenne fonctionne selon de nouvelles règles souvent méconnues. Comment le traité de Nice (2001)  revu par  le traité d’adhésion signé à Athènes (2003)  redistribue-t-il les pouvoirs? Le propos se concentre ici sur le Conseil européen, où les pays de l’UE15 ont dû abandonner environ 30 % des voix aux dix nouveaux Etats membres.

 

Au niveau des Etats

Le Conseil est formé  par un représentant de chaque Etat membre au niveau ministériel, dans le domaine concerné. Le Conseil assure la coordination des politiques générales des Etats membres, dispose d’un pouvoir de décision et confère à la Commission les compétences d’exécution des règles qu’il établit.

Depuis le 1er novembre 2004, chaque pays adhérent reçoit au Conseil le nombre de voix prévu dans la déclaration n°20 du traité de Nice. Le seuil de la majorité qualifiée – c’est à dire le nouveau nombre de voix représentant la majorité des membres du Conseil – est fixé, conformément à la déclaration 21 du traité de Nice, à 232 des 321 voix, soit 72,3%.  Une décision du Conseil est donc acquise lorsqu’elle recueille au moins 232 voix sur 321, sous réserve de la clause démographique.

En effet, un paragraphe a été ajouté à l’article 205 du traité CE. Il spécifie que, sur demande d’un membre du Conseil, il sera vérifié lors d’une prise de décision à la majorité qualifiée si cette majorité qualifiée représente au moins 62 % de la population de l’Union. Faute de quoi l’acte en question n’est pas adopté.

Ainsi, il faut dans l’UE25 : 

- 72,3% des voix au Conseil représentant plus de 62% de la population de l’UE pour emporter une décision à la majorité qualifiée.

- 27,8 % des voix de l’UE25 pour empêcher une décision à la majorité qualifiée . Il importe de noter que les pays entrés le 1er mai 2004 ont 26,17% des voix de l’UE25. Ils ne peuvent donc pas bloquer le processus de décision à eux seuls. Même en étant unis – ce qui n’est jamais acquis - ces dix Etats devraient trouver un appui auprès d’un Etat entré antérieurement dans l’UE.

- 38, 1% de la population de l’Union pour empêcher – en faisant jouer la clause démographique - une décision à la majorité qualifiée. 

 

Considérons maintenant la pondération des voix au Conseil de l’UE25. La réunification de l’Allemagne en 1990 - qui a notablement augmenté sa population - n’a pas eu d’effet sur sa représentation au Conseil. Elle reste identique à celles du Royaume-Uni, de la France ou de l’Italie, soit désormais 9%. On ne peut donc pas parler d’un gain pour Berlin en ce qui concerne le Conseil de l’UE25. La Pologne – le plus peuplé des pays entrants – se trouve au même niveau que l’Espagne (8,4%). Il est vrai que ces deux pays ont à la veille de l’élargissement des populations assez équivalentes. Les Pays-Bas obtiennent un peu plus de voix (4%) que les 5 pays suivants (3,7%) : la Grèce, la République tchèque, Belgique, Hongrie, Portugal. La Suède et l’Autriche sont à 3,1%. Dix pays récoltent entre 2,2 et 1,2 % des voix au Conseil : Slovaquie, Danemark, Finlande, Irlande, Lituanie, Lettonie, Slovénie, Estonie, Chypre et Luxembourg. Ce qui leur donne à la fois peu et beaucoup de pouvoir parce qu’ils peuvent compléter une majorité qualifiée ou tout aussi bien contribuer à l’empêcher. Malte obtient 0,9%.

 

Par rapport aux populations

Il importe maintenant de mettre en relation la répartition des voix au Conseil par rapport à la population de chaque Etat, estimée mi-2003, c’est à dire à la date de la signature du traité d’adhésion à Athènes. Pour cela, il faut avoir à l’esprit le poids démographique des différents Etats de l’UE25. Sur la carte ci-dessous, la population est représentée par un cercle proportionnel à son importance.

Si les citoyens européens ont tous les mêmes droits théoriques (Maastricht), ils n’ont pas tous le même poids politique. Loin s’en faut si l’on étudie le nombre de voix au Conseil de l’UE25 pour 1 million d’habitants.

Le nombre de voix au Conseil pour 1 million d’habitants va de 0,4 voix pour l’Allemagne à 8 voix pour le Luxembourg, soit un rapport de 1 à 20. Autrement dit, un Luxembourgeois pèse 20 fois plus qu’un Allemand en terme de décision au Conseil.

Les habitants des pays les moins peuplés sont en réalité largement avantagés. Le Luxembourg, Malte, Chypre et les trois pays baltes sont en bien meilleure posture que l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni.

Résultat, les 57% de la population (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie) n’ont que 36% des voix au Conseil. A l’inverse, les 19 Etats les moins peuplés (25,5% de la population) ont 47% des voix au Conseil. Les Etats à la charnière des deux groupes – Espagne et Pologne (17,5% de la population) -  ont 17% des voix au Conseil.

Observons maintenant sur la carte l’évolution du poids politique relatif d’un habitant au Conseil de l’UE15 à l’UE25. 

 

Date de la mise en ligne: octobre  2005.

 

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Carte de l’évolution du poids politique relatif d’un habitant au Conseil de l’UE15 à l’UE25, selon sa nationalité, par Pierre et François Verluise 

 

         
   

Légende de la carte ci-dessus

Le propos de cette carte consiste a mettre en avant - selon sa nationalité - l’évolution du poids politique relatif d’un habitant au Conseil de l’UE15 à l’UE25. 

La population d’un Etat est représentée par un cercle proportionnel à son importance.

Le poids relatif d’un Etat au Conseil correspond ici au pourcentage de voix qui lui est attribué.

Le poids relatif d’un habitant correspond ici au poids relatif de l’Etat divisé par le nombre d’habitants de cet Etat.

L’évolution de la représentation des habitants au Conseil est visualisée de la façon suivante  dans l’axonométrie présentée : la barre de droite correspond au poids relatif d’un habitant dans l’UE15. La barre de gauche correspond à la  situation dans l’UE25.

La comparaison entre les deux barres met ainsi en évidence la perte relative de représentativité lors du passage de l’UE15 à l’UE25. Bien évidemment, cette comparaison ne peut se faire que pour les Etats membres de l’UE15. De manière logique, les Etats arrivants n’avaient pas de représentation au Conseil de l’UE15. Leur barre droite est donc au niveau 0.

Commentaire de la carte

La carte fait apparaître 5 groupes d’Etats, en fonction de leur poids démographique. 

Le groupe 1 compte seulement l’Allemagne, dont le poids relatif des habitants au Conseil est le plus faible. Ce qui peut paraître étonnant pour le premier contributeur au budget de l’UE. Le citoyen de l’Allemagne réunifiée semble le grand perdant de la nouvelle distribution des voix au Conseil.

Le groupe 2 -  France, Royaume-Uni et Italie, avec près de 60 millions d’habitants -  semble très également représenté. La diminution de leur pondération au Conseil est identique. Les citoyens de ces pays sont perdants dans la nouvelle distribution des voix au Conseil.

Le groupe 3 - Espagne et Pologne – sont légèrement mieux représentées que les précédents. Il faut savoir que l’Espagne est,  des pays de l’UE15,  celui dont la représentation a proportionnellement le moins diminué. Ce qui peut expliquer l’attitude défensive de l’Espagne lors des discussions du sommet européen de décembre 2003 au sujet des travaux de la Convention. Les citoyens de ces deux pays auraient à perdre de leur poids politique par la redistribution des pouvoirs prônée par le projet de traité constitutionnel.

Le groupe 4 - Pays-Bas, Grèce, Belgique, Portugal, République tchèque, Hongrie, Suède et Autriche, avec entre 16 et 8 millions d’habitants chacun. Ceux de ces pays qui étaient déjà membres de l’UE15,  c’est à dire tous sauf la République tchèque et la Hongrie,  ont :  

-          perdu , comme le montre la comparaison des deux barres, une partie relativement importante – de l’ordre du tiers – de leur avantage antérieur;

-          obtenu une représentation par habitant qui est près du double de la représentation des quatre pays les plus peuplés.

Les citoyens de ces pays semblent relativement gagnants au passage de l’UE15 à l’UE25.

Le groupe 5 - Slovaquie, Danemark, Finlande, Irlande, Lituanie, Lettonie, Slovénie, Estonie, Chypre, Luxembourg et Malte :

-          malgré la perte relative la plus importante des membres de l’UE15 (cf. Luxembourg, Irlande, Finlande, Danemark, Suède) ;

-          conservent – ou acquièrent pour les entrants – le poids relatif le plus avantageux en voix au Conseil de l’UE25 par habitant.

Les citoyens de ces onze Etats sont les grands gagnants de la nouvelle donne induite par le traité de Nice revu par le traité d’adhésion.

Quelle égalité ?  

Ainsi, la citoyenneté européenne instituée par le traité de Maastricht se trouve-t-elle marquée par une inégalité du poids politique des habitants de l’UE au Conseil, selon qu’ils appartiennent ou non à un pays peu, moyennement ou beaucoup peuplé. Il en va de même au Parlement et à la Commission.

Pour conclure, une approche géopolitique des institutions de l’UE25 doit intégrer une perspective de puissance. Les traités communautaires fournissent-ils à priori des outils adaptés à une prise de décision rapide et efficace ?  Le passage de l’UE15 à l’UE25 se traduit par l’élévation du seuil de la majorité qualifiée, de 71% à 72,3% et même 73,91 % dans l’espace UE27 (UE25+Roumanie et Bulgarie). Ceci risque d’accroître la difficulté d’emporter une décision. D’autant que le nombre de participants augmente de manière significative.

Le système de Nice n’améliore donc pas la capacité décisionnelle de l’Union. Bien au contraire, la probabilité de prise de la décision diminue (1).  L’Union élargie risque d’avoir davantage de difficulté à réunir une majorité qualifiée sur les sujets sensibles.

S’il est justifié de chercher à distinguer des gagnants et des perdants dans la nouvelle distribution des pouvoirs, les observations précédentes posent deux questions. Les 25 Etats membres de l’Union européenne ne risquent-ils par d’être tous perdants s’ils n’arrivent pas à faire fonctionner ces institutions peu propices à la prise de décision ?  

Pierre Verluise

NDLR: Vous trouverez une étude plus détaillée dans le livre de Pierre Verluise, "Géopolitique de l'Europe", Ellipses, 2005.


Note

1. Cf. CARTON (Benjamin), LACOSTE (Olivier), « La majorité qualifiée au Conseil des ministres de l’Union européenne : une question de décision et de pouvoir », DP Analyses économiques, n°23, décembre 2003, Paris, ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 5 pages, 5 graphiques.

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