L’outre-mer français est soumis à des climats difficiles. La plupart des terres ultramarines sont situées dans des zones tropicales ou équatoriales (Caraïbes, Amérique du Sud, Océan Indien, Polynésie…) ; les autres relèvent de climats froids rigoureux. En outre, du fait de sa situation géographique, la France d’outre-mer est davantage exposée que la métropole à des risques naturels, cycloniques, sismiques ou volcaniques. Les inégalités qui sous-tendent la vulnérabilité de ces territoires soulignent l’idée essentielle que le risque est un objet politique.
Synthèse de la conférence, par Emilie Richard pour Diploweb.com
Le 25 septembre 2019, à Monaco, est présenté le Rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ; un rapport spécial portant sur l’avenir des océans et de la cryosphère sur la planète. Le rapport souligne qu’il importe de définir « des mesures prioritaires opportunes et ambitieuses pour faire face aux changements environnementaux sans précédents que subissent les océans et la cryosphère ». En tout, 680 millions d’êtres humains vivent dans des zones côtières dans le monde. Ces sociétés côtières et les sociétés insulaires particulièrement vont subir de plein fouet les effets de ces changements climatiques. À titre d’exemple, le rapport souligne que le niveau de la mer va continuer d’augmenter ces prochaines décennies. Cette hausse pourrait atteindre 30 à 60 cm environ d’ici 2100 et ce, même si les émissions de gaz à effet de serre sont fortement réduites et si le réchauffement planétaire est limité. Elle pourrait atteindre 60 à 110 cm si les émissions continuent d’augmenter fortement.
Les changements climatiques, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, la perte de biodiversité, les modifications des systèmes hydrologiques et de l’approvisionnement en eau douce, la dégradation des sols, constituent ce qui est aujourd’hui défini comme étant des risques environnementaux globaux.
Dans cette présentation, nous nous intéresserons particulièrement aux villes des outre-mers français. La vulnérabilité des espaces insulaires, ajoutée à celle des espaces urbains, se pose en témoin des conséquences des changements environnementaux globaux aujourd’hui. Ces faits nvitent à une réflexion sur la gestion des risques liés à ces changements.
Ce voyage réflexif autour des outre-mers français face aux risques environnementaux globaux s’articulera autour d’une tension liée à la fragilité de ces espaces, mais également aux ressources dont ceux-ci disposent pour maîtriser ces risques.
La problématique proposée est ainsi la suivante : Dans quelle mesure les villes des outre-mers français peuvent-elles être des territoires particulièrement vulnérables face aux risques causés par les changements environnementaux globaux, tout en sécrétant dans un même temps des ressources propres leur permettant de s’assurer résilience et adaptabilité ?
Pour répondre à celle-ci, un plan en trois parties sera décliné : la première partie s’intéressera aux échelles du risque ; la deuxième partie intitulée « habiter des territoires à risques » s’articulera autour de la question des dynamiques spatiales des villes des territoires ultramarins français et des inégalités socio-spatiales ; enfin, la dernière partie abordera la question de la gestion des risques environnementaux globaux et à la résilience de ces territoires.
Tout au long de cette présentation, des concepts géographiques liés aux risques naturels entreront en résonance les uns avec les autres : l’aléa, l’exposition ou encore la vulnérabilité. En filigrane, ceux-ci permettront d’appréhender la relation des sociétés des outre-mers français avec leur environnement dans un contexte de changements environnementaux globaux.
Considérons successivement Risques et vulnérabilité dans les outre-mers français (A) ; Les villes dans les outre-mers français (B).
A. Risques et vulnérabilité dans les outre-mers français
« Avec 2,7 millions d’habitants aujourd’hui, la France d’outre-mer a une population équivalente à celle de la région Bourgogne-Franche-Comté, mais éparpillée sur 120 000 km2, soit plus de 2,5 fois la superficie de celle-ci, répartie sur les trois grands océans - Pacifique, Indien et Atlantique - et dans les deux hémisphères. À l’exception de la Guyane, il s’agit d’îles, pour la plupart de petites tailles, appartenant aux archipels de la Caraïbe, des Mascareignes (Réunion) et des Comores (Mayotte), ou formant plusieurs archipels (Nouvelle-Calédonie ou Polynésie française). » (Jean-Christophe Gay, 2018).
« La France est soumise à toute une panoplie de risques naturels y compris les risques typiquement tropicaux comme les cyclones » (Yvette Veyret, 2004). « Peuvent être cités en première instance, comme espaces les plus vulnérables, les outre-mers français. En effet, la vulnérabilité liée à l’intensité de divers aléas (cyclones, volcanisme, sismicité …) est accrue par l’insularité et par l’éloignement par rapport à la métropole » (Vincent Clément et Emmanuel Jaurand, 2005). Cette réalité va s’aggraver dans les décennies et siècles à venir.
L’origine naturelle des risques est ainsi claire. Mais la répartition inégale des risques renvoie largement à des contextes plus ou moins favorables à l’occurrence des aléas.
Sur le concept d’aléa. L’aléa est caractérisé par sa nature, par son intensité et sa fréquence.
Par exemple, l’aléa cyclonique fait peser une menace sur la partie de la France ultramarine. Les populations gardent en mémoire les noms les plus violents cyclones de ces dernières décennies : Colleen en 1969 en Nouvelle-Calédonie, Hyacinthe en 1980 à La Réunion, Hugo en 1989 en Guadeloupe, Dina en 2002 à La Réunion. (Source : Gay, 2018).
B. Les villes dans les outre-mers français
Les territoires, les sociétés, les individus ne sont pas égaux face aux menaces. « Des propriétés inhérentes aux enjeux vont définir les formes de dommages spécifiques et plusieurs niveaux de fragilité. » (Reghezza-Zitt, 2016).
Nous pouvons apprécier cette idée géographique au regard du concept d’exposition :
« L’exposition est un facteur de risque important. Elle renvoie à la localisation des enjeux (populations, biens, activités, territoires, etc.) par rapport à la source de danger. La notion d’enjeu permet de spatialiser le risque. En situant les enjeux par rapport à la source de danger, on définit un espace dit « à risque ». » (Reghezza-Zitt, 2016).
Nous comprenons ici en filigrane, que les espaces urbains, parce qu’ils concentrent les populations, les biens et les activités, représentent des espaces dits « à risque ». Sur des espaces insulaires, chacun comprend bien que les populations, les biens et les activités sont davantage concentrées dans les villes puisque la topographie particulière ne permet pas un développement en extension des sociétés humaines.
Cernons successivement les Dynamiques spatiales et accroissement de la vulnérabilité (A) ; Risques et inégalités de développement entre les territoires (B)
A. Dynamiques spatiales et accroissement de la vulnérabilité
La vulnérabilité aux aléas naturels a été renforcée au cours du XXème siècle en lien avec certaines dynamiques spatiales.
Sur le concept de vulnérabilité : La vulnérabilité est le troisième paramètre - avec l’aléa et l’exposition - qui explique la production du risque. L’évolution des pratiques, des modes d’habiter, créent voire renforcent la vulnérabilité de certains lieux.
Dans les pays du Sud, l’urbanisation rapide et l’exode rural ont conduit des populations vivant dans des conditions déjà très précaires à s’installer, souvent de façon illégale, dans des espaces dangereux.
Un article de Tahiti Info Inondation en février 2018 indiquait : « Les inondations spectaculaires se multiplient ces dernières années, avec des séquelles encore visibles dans la zone urbaine, laissés par les torrents de boues qui ont envahi la ville l’année dernière. Mais le principal facteur derrière ces récentes catastrophes naturelles reste l’urbanisation galopante de la zone urbaine, menée au pas de charge par les citoyens et entreprises qui construisent des bâtiments dans le lit des rivières, et par les pouvoirs publics qui bâtissent des routes et des ponts parfois trop petits. »
B. Risques et inégalités de développement entre les territoires
La question des risques met en lumière des inégalités de développement à plusieurs échelles. À l’échelle infra-urbaine d’abord, nous pourrons observer des inégalités entre des quartiers aisés et des quartiers dits « prioritaires ».
En France, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014 redessine les contours des concentrations urbaines de pauvreté en identifiant des « quartiers prioritaires » de la politique de la ville (les QPV), qui remplacent les zones urbaines sensibles ( ZUS). Au cœur même de ces espaces urbanisés, les quartiers prioritaires de la politique de la ville regroupent plus d’un demi-million de personnes dans les collectivités ultramarines bénéficiant de ce dispositif. Et si, en métropole, c’est un douzième de la population qui vit dans de tels quartiers, c’est presque un quart en outre-mer (Gay, 2018).
À des quartiers résidentiels aisés, situés notamment en proche périphérie ou dans des secteurs touristico-résidentiels, s’opposent des quartiers très défavorisés. Aux Antilles et à La Réunion, on trouve surtout des grands ensembles ou des « taudis durcifiés » comme le quartier Trenelle-Citron à Fort de France.
La question des risques permet ainsi de souligner les inégalités entre logements bâtis, construits et logements informels en tôle.
À une autre échelle enfin, nous pourrons observer des inégalités entre les territoires d’outre-mer et la métropole, mis en exergue par la question des risques.
En effet, de nombreux travaux mettent en évidence le rôle des inégalités de développement dans l’exposition aux risques et la répartition des catastrophes. Un indice faible de développement humain (IDH) est généralement associé à une privation d’accès à l’information préventive, à l’eau potable, à la nourriture, aux soins, aux secours d’urgence, aux mécanismes de protection et d’indemnisation, à la décision politique, etc. Autant de facteurs qui expliquent une forte vulnérabilité sociale. On a pour cette raison eu tendance à distinguer les « risques des riches » de ceux des « pauvres ».
Ainsi, la question des risques dans les outre-mers français met en lumière des inégalités de développement à plusieurs échelles. Il convient maintenant, dans une dernière partie, de s’interroger sur les mesures destinées à gérer ces risques au sein des espaces ultramarins français et sur les ressources dont disposent ces territoires à risques pour devenir plus résilients.
Distinguons successivement Aménager pour intégrer le risque (A) ; et S’adapter pour répondre à l’incertitude (B).
A. Aménager pour intégrer le risque
Depuis les années 1990, l’État a développé une véritable politique de gestion des risques en France. Le système est certes efficace, mais apparaît souvent rigide et peu adapté aux réalités insulaires.
L’État développe la politique de connaissance des risques et il est responsable des dispositifs de surveillance, d’alerte et de secours. Exemple de l’affiche#OutreMerSénat : celle-ci est destinée à faire la promotion du rapport du Sénat sur les risques naturels majeurs dans les outre-mers. L’affiche précise que les territoires d’outre-mers sont plus exposés aux risques naturels majeurs que la métropole et que les risques sont multiples. Cette affiche, diffusée dans la presse mais aussi sur Twitter, met en lumière le rôle informatif de l’État sur les risques naturels en France.
Par ailleurs, via les préfets, l’État contrôle l’élaboration et la validation des Plans de prévention des risques (PPR). Les régions et les départements ont peu de pouvoir décisionnel dans le système d’acteurs actuel. Les collectivités territoriales interviennent cependant dans le financement des travaux de réduction de la vulnérabilité, et peuvent aussi être impliquées dans des actions de surveillance et d’éducation de la population. À l’échelle des communes ou des groupements de communes, les maires sont responsables du respect des règles d’urbanisme et doivent s’impliquer dans la réalisation de PPR. Ils ont aussi des responsabilités de police et d’organisation des secours, en liaison avec les préfectures.
B. S’adapter pour répondre à l’incertitude
Face à des politiques étatiques souvent décontextualisées, les territoires ultramarins doivent s’appuyer sur leurs ressources et connaissances propres pour améliorer leur résilience.
Sur le concept de résilience : « Dans le cadre de l’analyse socio-spatiale, la résilience désigne la capacité d’un système à assimiler, voire à tirer profit, d’une perturbation extérieure. Dans ce cas, il s’agit de capacités d’adaptation, plus que de retour à un état initial, telles qu’elles permettront au système socio-spatial de fonctionner après un désastre, en présence d’un stress continu ou plus couramment d’une bifurcation géopolitique, économique, environnementale. » (Reghezza-Zitt, 2016).
Dans un dossier sur "les risques majeurs de la Nouvelle-Calédonie " datant de 2016, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a mis en évidence la vulnérabilité du territoire. En parallèle de photographies rendant compte de l’importance que peuvent prendre certaines catastrophes environnementales, sont proposées un certain nombre d’actions préventives propres à la région. Il est ainsi souligné que les enfants doivent être éduqués et formés aux risques. Assimiler une perturbation c’est aussi assimiler l’information pour être préparé.
Les espaces des outre-mers français adaptent ainsi la gestion des risques naturels étatique à leurs territoires. Pour ce faire, les agents publics parient sur la connaissance qu’ont les populations locales sur leurs territoires. Les facteurs culturels et politiques peuvent ainsi être considérés comme partiellement favorables à la résilience.
L’outre-mer français est soumis à des climats difficiles. La plupart des terres ultramarines sont situées dans des zones tropicales ou équatoriales (Caraïbes, Amérique du Sud, Océan Indien, Polynésie…) ; les autres relèvent de climats froids rigoureux. En outre, du fait de sa situation géographique, la France d’outre-mer est davantage exposée que la métropole à des risques naturels, cycloniques, sismiques ou volcaniques.
Les inégalités qui sous-tendent la vulnérabilité de ces territoires soulignent l’idée essentielle que le risque est un objet politique. « Les risques posent la question de la justice sociale et environnementale. Ils appellent à réfléchir à un droit universel des individus à la sécurité, indépendamment de leur âge, de leur genre, de leur religion, de leur richesse ou de leur niveau d’éducation » (Magali Reghezza-Zitt, 2006). Plus largement, l’étude des risques et des catastrophes est aujourd’hui un indicateur des relations entre les êtres humains et leur environnement.
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NDLR 12 octobre 2023, à la demande de Madame Emilie Richard la vidéo a été retirée.
Bonus vidéo
Vidéo. Y. Giron. Les outre-mers français et les nouveaux risques maritimes
Super bonus : le résumé de cette vidéo
Cette vidéo peut facilement être diffusée en classe ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.
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