Que peut nous apprendre une approche pluridisciplinaire sur le rôle des femmes dans la radicalisation des hommes ? Voici une première réponse sous la forme d’une synthèse de la conférence-débat organisée à Paris le 10 juillet 2017 sur le rôle des femmes dans la radicalisation des hommes, autour de Bruno Dupré, diplomate européen, et de son roman, "Si tu veux une vie, vole-la !" (Ed. L’Harmattan), dans les locaux de l’Académie Diplomatique Internationale. Environ deux cents personnes étaient présentes.
Cette conférence a été préparée par l’ESSEC IRENE et l’Académie Diplomatique Internationale, avec le soutien actif de Diploweb. Ouverte par l’ambassadeur Corinne Breuzé (ADI) et le professeur Aurélien Colson (IRENE), le débat a été modéré par Linda Benrais, professeur affilié à l’ESSEC et Bruno Dupré. Etaient invités autour de la table, Carole Andre-Dessornes, sociologue et consultante en géopolitique, Béatrice Brugère, magistrate, Muriel Domenach, secrétaire générale du comité de prévention de la délinquance et de la radicalisation et Nicolas Henin, journaliste.
Dans une première partie, le thème de la conférence a été introduit via le roman de Bruno Dupré, dans lequel son héroïne, Eve, une diplomate française en poste à Pékin, se trouve confrontée à plusieurs types de radicalisation :
. celle de mouvements terroristes d’Asie Centrale en plein renouveau et qui, sous l’influence de Daesh, sèment la terreur sur la Route de la Soie ;
. celle de son père et de sa sœur, ambassadeur et agent secret, dont elle ignore tout, jusqu’à leurs rôles dans un Iran nucléaire ;
. celle, enfin, de sa propre radicalisation, cette envie de vivre qui la poussera à la révolte et la marginalité.
Le débat d’experts qui a suivi sur le rôle des femmes dans la radicalisation des hommes a privilégié une approche pluridisciplinaire avec pour objectif de mettre en lumière les dimensions historique, sociologique et de terrain de ce phénomène peu étudié et encore tabou. Du fait de la sensibilité du sujet, les règles de "Chatham House" ont été suivies.
Les principales conclusions de la conférence sont les suivantes.
. L’histoire de l’humanité a été marquée par de nombreux exemples de femmes martyres ou meurtrières capables de même violence que les hommes. C’est dans les moteurs de la radicalisation que se trouve la différence entre hommes et femmes. Contrairement aux hommes, la religion est rarement le premier facteur de motivation pour les femmes qui font le choix de devenir martyres.
. La question du terrorisme est étroitement liée à celle du territoire physique ou numérique. Sur ce territoire, le pouvoir des femmes exercé par le biais de la reproduction ou de l’éducation leur confère un rôle stratégique dans la bonne marche d’une organisation terroriste, y compris dans un mouvement tel que l’Etat Islamique. La violence est offerte aux femmes par l’EI comme un bien qui serait à la fois libérateur et purificateur.
. La notion d’héroïsme est cruciale dans le choix du martyre au féminin. Les femmes radicalisées en France ont une vision occidentale voire romantique de l’EI, même si une fois sur place, elles se retrouvent plus souvent en position de victime, restreintes dans leur mouvement, contrôlées dans leurs agissements par d’autres femmes d’ailleurs, que libres comme elles l’imaginaient.
. Le phénomène de concurrence joue également un rôle. Celle qui existe par exemple entre les différentes mouvances en Palestine et en Irak a encouragé les mouvements islamistes, au départ opposés au recrutement de femmes, à s’engager dans cette voie soit pour choquer l’ennemi soit pour encourager d’autres hommes à rejoindre le mouvement. Nous l’avons dit, la religion n’est que peu souvent le facteur principal de motivation des femmes. Au Liban, dans les opérations suicides menées par les organisations d’extrême gauche, les femmes se sont engagées pour être sur un pied d’égalité avec les hommes et participer au même titre que ces derniers à la lutte contre l’occupation du territoire par l’armée israélienne.
. En France, les programmes de prévention de la radicalisation datent de 2014, accusant un certain retard par rapport à d’’autres pays européens. De plus, les politiques publiques ne prennent que peu en compte les spécificités relatives au recrutement des femmes. Il y a probablement à cet égard un angle mort politique et culturel sur lequel il conviendrait de travailler (le sujet de la violence féminine est encore tabou) tout en reconnaissant qu’il n’existe pas, là non plus, de profil types, chaque femme se situant dans un contexte différent avec des spécificités culturelles, politiques et sociologiques propres.
Cette conférence sur le rôle des femmes dans la radicalisation des hommes a suscité un réel intérêt. Invités et participants ont souligné qu’un tel thème mériterait d’être approfondi, notamment par la mise en place de tables rondes et la venue d’experts étrangers en provenance de différentes régions (Asie, Afrique, Moyen-Orient, Europe) pour discuter des spécificités culturelles de la radicalisation des femmes.
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