Docteur en géopolitique de l’Institut français de géopolitique – Université Paris 8. Vincent Piolet publie « Paradis fiscaux : enjeux géopolitiques », Préface de Béatrice Giblin - Postface de Jean-François Gayraud, éditions Technip, 2019.
Alors que la répartition du pouvoir d’achat et le consentement à l’impôt sont au coeur d’une crise politique en France, la dissimulation fiscale s’impose comme un sujet majeur. Eclairons une face cachée de la mondialisation avec Vincent Piolet, auteur de « Paradis fiscaux : enjeux géopolitiques », Préface de Béatrice Giblin - Postface de Jean-François Gayraud, éditions Technip, 2019.
LES PARADIS FISCAUX créent des distorsions économiques gigantesques, jusqu’à être à l‘origine de certaines crises, comme les Îles Caïmans qui jouèrent un rôle primordial dans l’origine de la crise économique de 2008. Leur fonctionnement financier avait pourtant déjà donné lieu à des dénonciations officielles. Sous une légitimité qui semblait alors incontestable, des organisations internationales s’étaient penchées sur cette question complexe.
En 1998, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ainsi publié un premier rapport sur les conséquences des systèmes financiers des paradis fiscaux. Des territoires y sont pour la première fois listés [1]. En 2000, sont publiés les noms de 35 juridictions considérées comme paradis fiscal et 47 autres jugées à fiscalité dommageable [2]. En 2004, la liste est considérablement réduite : seuls Monaco, Andorre, le Liechtenstein, le Liberia et les Îles Marshall y demeurent [3]. Parallèlement, à cette période, les États-Unis de Georges W. Bush n’apportent pas un soutien actif à l’initiative de l’OCDE et laissent des États-membres, comme les paradis fiscaux suisse et luxembourgeois, freiner la lutte contre les territoires à fiscalité dommageable [4].
La crise économique de 2008 amène l’OCDE à revoir sa définition des paradis fiscaux. Le contexte géopolitique est alors tout autre : une nouvelle administration américaine est en place et, surtout, l’opinion publique a saisi le rôle des territoires de complaisance dans la gravité de la crise. Les gouvernements se tournent vers l’organisation internationale pour régler le sort des places financières offshores. L’OCDE doit alors répondre rapidement à l’indignation générale, en définissant une liste noire des paradis fiscaux. Mais, afin de ne pas froisser les paradis fiscaux sous la protection des grandes puissances, les États « coupables » ont été sélectionnés parmi des pays sans appui géopolitique, isolés de tout soutien et sans influence internationale : l’Uruguay, la Malaisie, le Costa-Rica et les Philippines.
Après des critiques virulentes qualifiant de farce cette liste où ne figuraient pas le Liechtenstein, Hong Kong, les Îles Caïmans ou Monaco, l’OCDE déclara en avril 2009 que plus aucun pays ne faisait partie de la liste noire : les paradis fiscaux avaient disparu en quelques semaines, le secrétaire général de l’OCDE se félicitant des « progrès tout à fait significatif » [5] réalisés…
Sortir de la liste noire était relativement aisé : chaque État devait obtenir au moins 12 accords de coopération avec des pays tiers. Ce critère se plaçait de facto comme base à la définition ou non d’un paradis fiscal, une définition de l’OCDE qui montra très vite ses limites. Par exemple, Monaco a atteint son quota grâce à des accords avec des pays comme Andorre, les Bahamas, le Liechtenstein, le Luxembourg, le Qatar, Samoa, Saint-Marin, Saint-Christophe-et-Niévès, etc. Des paradis fiscaux notoires s’accordant mutuellement des accords de coopération…
Pourquoi l’OCDE a-t-elle choisi un nombre de conventions fiscales pour définir si un territoire est ou non un paradis fiscal ? Car lister les paradis fiscaux a des enjeux géopolitiques. Et l’OCDE, qui regroupe les plus grandes puissances souvent tutélaires des paradis fiscaux, ne peut donc pas aller contre les intérêts de ses États-membres. Définir un paradis fiscal ne peut donc pas être du ressort d’une organisation comme l’OCDE, trop tributaire de la rivalité des pouvoirs géopolitiques. Face à cette farce, et face aux multiples scandales comme les « Panama Papers », le sommet du G20 de Hangzhou en Chine en septembre 2016 somme l’OCDE de préparer une liste des juridictions qui n’ont pas assez progressé pour atteindre un niveau satisfaisant de mise en œuvre des normes internationales reconnues sur la transparence fiscale. L’OCDE doit donc revoir sa copie une nouvelle fois.
Du nombre d’accords d’échanges, elle passe à un autre critère, à savoir celui de la mise en place ou non de l’échange automatique d’informations financières. Plus précisément, aujourd’hui l’OCDE considère comme paradis fiscal un territoire ne remplissant pas au moins deux critères sur les trois établis par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Soit :
. « Large » (sic) respect des règles de l’échange d’information à la demande.
. Engagement à appliquer les standards de l’échange automatique d’information.
. Participation à une convention multilatérale d’assistance mutuelle ou d’un réseau d’échange « suffisamment large » (sic) pour permettre les échanges à la demande ou automatique.
Si le deuxième critère est clair, les deux autres restent relativement flous et sujets à interprétation. Aussi, l’OCDE ne craint-elle toujours pas le ridicule en publiant en juin 2017 une liste noire pour le sommet du G20 à Hambourg en Allemagne où ne figure qu’un unique État, à savoir Trinidad-et-Tobago. Par exemple, le Panama, au centre du scandale mondial « Panama Papers » l’année précédente figure dans la catégorie des pays qui respectent « largement » (sic) les critères…
Au gré des rivalités politiques et géopolitiques, l’OCDE continuera de changer de critères d’identification des paradis fiscaux, s’enfermant in fine dans ses contradictions pour aboutir à des listes fantoches.
Il faut bien comprendre le pouvoir de telles listes de telles organisations : elles se placent en définition du terme « paradis fiscal » et légitime ou non, ostracise ou non, un territoire. L’impact est important car les médias reprennent ce processus sémantique. Lorsque l’OCDE déclare qu’il n’y pas ou plus de paradis fiscaux, les hommes politiques et les médias reprennent le même discours. Comme exemple de ce processus fallacieux, on peut citer l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy qui annonce au journal de TF1 en 2009 que « les paradis fiscaux, c’est fini ». Si l’OCDE l’avait déclaré quelques jours auparavant, c’était donc une réalité. Magie de la sémantique.
Variante de cette stratégie de la sémantique, nous pouvons noter aussi un processus de type « fabrication de l’ennemi » [6]. Le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI), créé par le G7 en 1989, a concentré ses efforts sur l’adoption et la mise en œuvre de mesures pour contrer l’utilisation criminelle du système financier. En 1990, le GAFI a élaboré une série de recommandations, révisée depuis régulièrement, d’application universelle. Le GAFI se décline en groupes d’action régionaux [7], voire nationaux comme TRACFIN pour la France (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). La liste des pays ou territoires non coopératifs est régulièrement dressée. En 2000, le GAFI épingle plusieurs États [8] sur le manque de moyens mis en œuvre. Le rapport de 2005 [9] publie une nouvelle liste, suivie d’une autre en 2006 [10]… où plus aucun territoire ou pays n’apparaît ! Le GAFI avait-il vaincu les paradis fiscaux grâce à la sémantique, comme l’OCDE ? Le processus est ici plus pernicieux. Il s’agit ici de continuer à fabriquer un ennemi, donc simplement d’associer « paradis fiscaux » et « axe du mal », car le GAFI – bien qu’organisation internationale – est bien le bras armé de la production de normes et de règlements bancaires et financiers des États-Unis, arme de softpower par excellence. Fin 2018, le couperet tombe : pour le GAFI, les trous noirs de la finance mondiale, la « liste noire », sont l’Iran et la Corée du Nord. Inutile d’être un fin connaisseur de la finance offshore pour savoir qu’aucun criminel ou évadé fiscal n’irait placer son argent dans de tels territoires.
L’OCDE ou le GAFI nomment donc les bons et les mauvais élèves. Pour l’ancien magistrat suisse, Bertrand Bertossa, ces listes contribuent davantage à blanchir les paradis fiscaux qu’à les combattre : « Les États visés ont revu ou complété leur législation pour se conformer aux standards internationaux requis. Mais, dans de nombreux cas, tout le monde sait qu’il s’agit avant tout de faire bonne figure à l’égard des organisations supranationales. Il n’y a jamais eu de véritable examen de la mise en œuvre concrète de ces lois. […] L’épuration de ces listes noires s’est ainsi le plus souvent fondée sur des critères purement formels, ou plutôt purement politiques » [11]. En prétendant stigmatiser des paradis fiscaux quasi imaginaires, l’OCDE et le GAFI cautionnent dans le système financier international les réels paradis fiscaux : ils les intègrent en tant qu’acteurs légitimes de la finance mondiale au lieu de les mettre au ban. La finance offshore devient alors structurelle [12].
Le sujet devenant incontournable, l’opinion publique faisant pression, l’Union européenne (UE) n’a pas eu d’autre choix que de sortir aussi sa liste noire. Dès le départ, l’entreprise fut hardie : l’UE est en effet dirigée par Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre luxembourgeois de 1995 à 2013 – soit la période dénoncée par le scandale des « LuxLeaks ». Ce scandale éclatant en pleine investiture de son mandat européen n’a pas ému les différents dirigeants politiques. « Je suis politiquement responsable », a-t-il assumé [13]. Son repentir de circonstance au accent marxiste a même convaincu les membres de l’UE : « Ne me décrivez pas comme le meilleur ami du grand capital, le grand capital a de plus grands amis dans cette maison. […] Ne doutez pas de mon ardeur [à lutter contre l’évasion fiscale] » [14].
La liste noire de l’UE est ainsi un cas d’école dans l’étude des représentations et des luttes de pouvoir au sujet de la question des paradis fiscaux. Lorsque l’UE s’empare du sujet, les critères définissant un paradis fiscal deviennent une réelle usine à gaz sans volonté politique, sans message cohérent. La liste devait être au départ une simple compilation des 18 listes noires européennes des 28 pays membres de l’UE bien que certaines listes n’avaient pas été mises à jour depuis plusieurs années. La liste « brute » comportait alors environ 90 paradis fiscaux selon les sources, soit environ 1 pays sur 2 dans le monde ! Preuve que chaque pays nomme « paradis fiscal » un territoire qu’il a toutes les raisons de stigmatiser – ou non – selon ses impératifs géopolitiques. Les députés européens ont donc fait du bricolage : n’étaient retenus que les territoires dont les noms apparaissaient sur au moins dix listes, sans tenir compte des critères de sélection utilisés par ses États membres…
Face à ce manque de sérieux, il a été ensuite décidé de retenir ces territoires s’ils ne remplissaient pas trois critères : conformité aux standards d’échange automatique de données de l’OCDE, mise en œuvre des mesures de l’OCDE contre l’optimisation fiscale agressive, absence de mesures fiscales préférentielles dommageables.
Il est surprenant qu’aucun territoire de l’UE (Irlande, Malte, Luxembourg, Pays-Bas), ni européen (Suisse, Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin) ou dépendants du Royaume-Uni (Jersey, Guernesey, Île de Man, Bermudes, Îles Caïmans, Gibraltar, Îles Vierges britanniques) n’apparaissent dans la liste des paradis fiscaux alors qu’ils semblent pourtant remplir les critères de l’UE.
Nous retrouvons ainsi validés par les ministres européens des finances en décembre 2017 17 territoires placés dans une liste noire mais, preuve de la précipitation et du manque de préparation, les ministres des Finances de l’UE allège seulement un mois après cette publication, soit en janvier 2018, la liste de 8 pays. Le Panama, Macao et les Émirats Arabes Unis entre autres peuvent souffler. "L’UE se dépêche de retirer des pays de sa liste noire sans dire clairement ce qu’ils ont promis d’améliorer, cela sape le processus", s’indigne Aurore Chardonnet de l’ONG Oxfam [15]. En plus du manque de préparation déjà évoqué, obérant la crédibilité d’une telle liste, plusieurs faits montrent que les rapports de force entre États ont joué un rôle et se sont invités à la table des négociations pour que « tout change afin que rien ne change ».
Il est surprenant qu’aucun territoire de l’UE (Irlande, Malte, Luxembourg, Pays-Bas), ni européen (Suisse, Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin) ou dépendants du Royaume-Uni (Jersey, Guernesey, Île de Man, Bermudes, Îles Caïmans, Gibraltar, Îles Vierges britanniques) n’apparaissent dans la liste alors qu’ils semblent pourtant remplir les critères de l’UE. Étant juge et partie, l’UE ne peut décemment pas établir une telle liste. De même que l’OCDE avec ses États membres, le critère d’indépendance dans une telle démarche n’est pas respecté.
Ensuite, il a été révélé que des tractations de dernière minute ont eu lieu obérant encore une fois du sérieux de la méthodologie ou des vérifications nécessaires. Le Cap-Vert, le Maroc, mais surtout le Qatar, figuraient ainsi sur la liste quelques jours avant sa diffusion avant d’en être précipitamment retirés.
La « Realpolitik » nous apprend aussi que le cas américain ou russe a d’emblée été écarté. Les États-Unis n’ont pourtant pas pris l’engagement de faire de l’échange automatique, de même que leur rival russe.
Enfin, il a été révélé que les sanctions attachées à la liste noire ont fait long feu. Avant publication, il n’y a pas eu de majorité parmi les États membres pour imposer aux pays et juridictions à l’index des sanctions « paneuropéennes » censées être appliquées avec la même fermeté par tous les États membres. Face à un bloc de pays dont la France, l’Allemagne et l’Italie, plaidant pour des sanctions dures (taxation des flux financiers entrants et sortants), d’autres comme le Royaume-Uni, Malte, le Luxembourg ou l’Irlande estiment que le seul fait de figurer sur la liste suffit. On notera au passage la « puissance politique » du couple franco-allemand à peser sur les décisions…
Finalement, la critique de l’ONG Oxfam décrédibilise totalement cette liste. Oxfam a appliqué les propres critères de l’UE aux 92 pays passés au crible par l’UE, ainsi qu’aux 28 États membres. Selon son analyse, au moins 35 pays non-membres de l’UE devraient ainsi figurer sur la liste noire européenne des paradis fiscaux, ainsi que quatre États membres que l’on pressentait bien : l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et Malte.
L’étude d’Oxfam montre que les profits réalisés dans les paradis fiscaux sont démesurés par rapport à l’activité économique réelle des pays en question. Par exemple, les montants des revenus issus des redevances et des services financiers que certains paradis fiscaux attirent sont tout simplement absurdes. Les Bermudes, où se trouve le siège d’Appleby, le cabinet au cœur de l’affaire des « Paradise Papers », attirent des profits d’une valeur environ 4,5 fois supérieure au produit intérieur brut (PIB) du pays. Les multinationales recourent en outre souvent à des prêts artificiels pour transférer leurs bénéfices au moyen du paiement d’intérêts entre leurs filiales. L’étude d’Oxfam révèle que les revenus générés par ces intérêts représentent 73 % du PIB des îles Caïmans, 40 % du PIB des Bermudes et 25 % du PIB du Luxembourg [16]. Aucune trace de ces territoires dans la liste noire…
OCDE, GAFI, UE, qu’en est-il au niveau national, notamment de la France ? L’administration fiscale française a régulièrement publié une liste de paradis fiscaux : les États et territoires non coopératifs (ETNC), un euphémisme qui ne trompe personne. Début 2014, il fut annoncé que Jersey et les Bermudes n’étaient plus considérés comme des ETNC : dans une lettre du ministre de l’Économie et des Finances adressée au rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, il est indiqué que « les discussions avec les Bermudes et Jersey ont ainsi notamment permis de trouver des solutions concernant les modalités pratiques. […] Ces fructueux résultats attestent de la volonté de ces partenaires de respecter leurs engagements ».
Une information surprenante car le régime des trusts à Jersey permet la dissimulation des détenteurs de comptes et donc des bénéficiaires économiques. Bercy n’a peut-être pas été insensible à la forte présence des banques françaises sur l’île, à l’instar de BNP Paribas qui dispose de 8 filiales et de 350 employés. Après le rachat de la banque Hambros, la Société générale en compte, elle, 150. Laisser Jersey dans la liste des ETNC aurait donc pénalisé ces banques françaises…
Concernant les Bermudes, ce sont surtout les réassureurs qui sont comblés. Comme les banquiers, ils ont évité de justesse des contraintes fiscales [17] qui auraient fait perdre toute forme d’intérêt aux transactions avec le territoire [18] (les Bermudes jouent un rôle de premier plan dans le marché mondial de la réassurance).
La liste des ETNC est source d’interrogations. En 2013, on y trouve, avant le retrait de Jersey et des Bermudes, le Botswana, Brunei, le Guatemala, les Îles Marshall, les Îles Vierges britanniques, Montserrat, Nauru et Niue. Les services fiscaux français n’auraient-ils pas oublié la Suisse où un ministre français a réussi à dissimuler son compte bancaire ? À l’instar du retrait des Bermudes et de Jersey, cette liste n’est donc pas exempte de pressions politiques et économiques. Elle n’a qu’une valeur symbolique car elle ne peut comprendre des États comme la Suisse ou même le Luxembourg, des places financières incontournables. De la même façon, les facteurs économiques sont évidents face à la troublante absence des Îles Caïmans, du Liechtenstein et de Hong Kong qui disposent de places bancaires et financières autrement plus opaques et développées que certains territoires présents dans la liste des ETNC.
En décembre 2015, la liste des ETNC est actualisée : exit les Îles Vierges britanniques et Montserrat. "La quasi-totalité des demandes transmises aux îles Vierges britanniques a abouti", a indiqué Bercy dans un communiqué, pour expliquer le retrait de sa liste de ce territoire d’outre-mer du Royaume-Uni. Les autorités de cet archipel "ont, en outre, pris l’engagement de modifier leurs procédures internes pour faciliter l’obtention des renseignements demandés", a ajouté Bercy. Concernant Montserrat, territoire dépendant lui aussi du Royaume-Uni, le retrait a été décidé après la ratification par les autorités de la convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. "Cette convention, conforme au standard de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), offre désormais un cadre juridique permettant d’échanger tout renseignement nécessaire", selon Bercy [19]. Dont acte.
Le problème des paradis fiscaux dépasse largement le cadre fiscal, il remet en cause la souveraineté des États et le consentement des peuples à mettre en commun des efforts - via l’impôt – pour financer un choix de société. Il est donc majeur.
En pleine crise des « Panama Papers », agissant sous la pression médiatique, le gouvernement français rajoute le Panama à sa liste en avril 2016 (il en était sorti en 2012, preuve que les déclarations de bonne intention ou promesses font long feu). Il est à noter l’action salutaire du consortium de journalistes qui a révélé cette affaire, provoquant une action politique concrète. La France « découvre » ainsi le secret fiduciaire lorsque le Panama ne transmet pas l’identité des bénéficiaires effectifs et les résultats des sociétés immatriculées au Panama. Après avoir menacé la France de représailles en cas de réinscription sur la liste noire des paradis fiscaux, le Panama s’est résigné, preuve que jouer du rapport de force géopolitique n’est pas peine perdue.
Finalement quelle est l’utilité de telles listes ? Pourquoi y attacher une importance ? Le problème des paradis fiscaux dépasse largement le cadre fiscal, il remet en cause la souveraineté des États et le consentement des peuples à mettre en commun des efforts - via l’impôt – pour financer un choix de société. Il est donc majeur. Or tant que l’ennemi n’est pas nommé – ou lorsque nous assistons à une parodie de dénonciation avec des listes fantoches -, l’action politique pour lutter contre ce phénomène se limite à de la gesticulation médiatique. Le rapport de force est pourtant clair : la Suisse ou le Luxembourg ont un besoin vital d’échanger avec la France ou l’Allemagne, l’inverse étant faux. Si la France et l’Allemagne décident de sanction contre le Luxembourg, ces deux puissances n’en souffriront pas. En revanche, le Luxembourg pourrait s’inquiéter légitimement. Le général De Gaulle avait ainsi trouvé une solution simple pour régler ce problème. Il disait à propos du paradis fiscal monégasque qui lui faisait du tort : « Pour faire l’embargo de ce territoire, il suffit de mettre un panneau « Stop » sur la route et attendre. » Depuis ce jour, les résidents français installés dans la Principauté doivent s’acquitter de l’impôt.
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Vincent Piolet, Paradis fiscaux : enjeux géopolitiques , éditions Technip, 2019. Sur Amazon
4e de couverture
Cet ouvrage traite le sujet des paradis fiscaux sous un angle inédit : celui de la géopolitique. Loin d’être un nouveau catalogue des différentes techniques d’évasion fiscale – tentative vouée à l’échec tant l’astuce des fiscalistes est sans limite et la réglementation en perpétuel changement –, ce livre a pour ambition de retracer les enjeux géopolitiques qui ont toujours dominé le sujet des paradis fiscaux.
Si, depuis la crise économique de 2008, l’opinion publique a pris conscience du phénomène, l’actualité nous montre que l’on est loin des déclarations du président français de l’époque affirmant : « Les paradis fiscaux, c’est fini ! ». Offshore Leaks, Lux Leaks, Swiss Leaks, Panama Papers, Bahamas Leaks, Malta Files et autre Paradise Papers, chaque mois apporte son lot de scandales. La raison en est simple : les paradis fiscaux ne sont pas un problème pour les grandes puissances tant qu’elles réussissent à conserver leur pré carré offshore. Toucher à ces territoires, c’est toucher à leur contrôle sur le système financier mondial et donc à leur souveraineté.
Ni sujet financier ou fiscal, ni sujet juridique, les paradis fiscaux sont le nouveau grand jeu des rivalités de pouvoir géopolitique entre puissances impliquant aussi certains lobbies industriels et financiers.
Destiné au plus grand nombre et illustré de cas concrets, l’angle inédit proposé satisfera autant le lecteur curieux que le connaisseur souhaitant un éclairage nouveau.
Table des matières : Préface. Définir le paradis fiscal : un acte géopolitique. Les paradis fiscaux : naissance de l’industrie du secret. À chaque puissance économique son paradis fiscal. Rivalités de pouvoir pour la captation de la finance offshore : les États-Unis et l’arme FATCA. "Leaks", "Papers" et autres "Files" : quelles conséquences pour l’industrie du secret ? Conclusion. Postface. Cartographie du marché du secret – Clients et vendeurs. Bibliographie indicative.
La première édition de ce livre, parue en 2015, a reçu le Prix EDF-CONFLITS 2016 du premier ouvrage de géopolitique, remis dans le cadre du Festival de Géopolitique de Grenoble en 2016. Ce prix récompense un nouvel auteur du domaine pour un ouvrage capable de guider l’action des décideurs grâce à la géopolitique.
[1] Concurrence fiscale dommageable. Un problème mondial, OCDE, 1998.
[2] Progress Report on Harmful Tax Practices, OCDE, 2000.
[3] Rapport d’étape 2004 : projet de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables, OCDE, 2004.
[4] Besson, Sylvain, L’argent secret des paradis fiscaux, Le Seuil, 2002.
[5] Le Monde, 7 avril 2009.
[6] Conesa, Pierre. La fabrication de l’ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi, Robert Laffont, 2011
[7] Cf. le Groupe d’action financière des Caraïbes (GAFIC), le Groupe anti-blanchiment de l’Afrique orientale et australe (GABAOA), le Groupe Eurasie, le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), le Groupe d’action financière du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (GAFIMOAN), le Groupe Asie-Pacifique (GAP), le Groupe d’action financière d’Amérique du Sud (GAFISUD) et le Moneyval du Conseil de l’Europe.
[8] Rapport visant à identifier les pays ou territoires non coopératifs : améliorer l’efficacité, au plan mondial, des mesures de lutte contre le blanchiment, GAFI, 2000.
[9] Annual and Overall Review of Non-Cooperative Countries or Territories, GAFI, 2005.
[10] Annual Review of Non-Cooperative Countries or Territories, GAFI, 2006. Nauru, le Nigeria, la Birmanie, les Bahamas, les Iles Cook, l’Indonésie, les Philippines et l’Ukraine sont sortis de la liste.
[11] Bertossa, Bernard et Duparc, Agathe, La justice, les affaires, la corruption, Fayard, 2009 cité in Deneault, Alain. Paradis fiscaux : la filière canadienne, Écosociété, 2014.
[12] Deneault, Alain, Paradis fiscaux : la filière canadienne, Écosociété, 2014.
[13] « LuxLeaks : Jean-Claude Juncker se défend d’être “l’ami du grand capital” », Le Monde, 12 novembre 2014.
[14] Ibid.
[15] « Paradis fiscaux : l’Europe retire huit pays de sa liste noire », ladepeche.fr, 24 janvier 2018
[16] Chardonnet, Aurore et Langerock, Johan, Liste noire ou carte blanche à l’évasion fiscale, Oxfam, 27 novembre 2017
[17] Modification du régime relatif aux filiales interdisant toutes formes d’exonération et prélèvement forfaitaire à la source au taux de 75 % institué sur les produits de placement.
[18] Luginsland, Marie, « Les Bermudes et Jersey échappent à la liste noire de Bercy », L’argus de l’assurance, 6 janvier 2014.
[19] « Paradis fiscaux : Bercy sort les îles Vierges britanniques et Montserrat », lepoint.fr, 21 décembre 2015
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