Antoine Gouin, avocat et Vincent Piolet, docteur en géopolitique abordent ces questions à l’occasion d’une conférence prononcée dans le cadre du Festival géopolitique (2019). Résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com
Faut-il soutenir une fiscalité nationale ou privilégier une fiscalité européenne ? L’Europe protège-t-elle les riches ? Antoine Gouin, avocat et Vincent Piolet, docteur en géopolitique abordent ces questions à l’occasion d’une conférence prononcée dans le cadre du Festival géopolitique. Vidéo accompagnée d’un résumé rédigé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com.
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Résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com
"Désunions européennes" : le thème de cette édition renvoie aux problèmes de proximité et de symétrie entre les régimes des différents Etats membres de l’Union européenne, dont les priorités budgétaires diffèrent au risque de décalages conjoncturels et d’un manque de cohérence. La fiscalité est au coeur de ce problème, derrière les rideaux de fumée du discours sur "la convergence" entre les pays membres. Faut-il soutenir une fiscalité nationale ou privilégier une fiscalité européenne ? L’Europe protège-t-elle les riches ? Antoine Gouin, avocat et Vincent Piolet, docteur en géopolitique, répondent à ces questions dans le cadre d’une conférence organisée lors du Festival de Géopolitique organisé par Grenoble Ecole de Management, le 16 mars 2019.
Tout d’abord, en définissant le riche comme le puissant qui arrive à dissimuler des capitaux, on élargit la notion de l’évasion fiscale aux entreprises, en plus des particuliers. Les chiffres attestent d’un réel enjeu d’évaluation des avoirs dissimulés à l’étranger et de la perte fiscale. Mais que signifie dissimuler des avoirs ? Il existe deux concepts de secret : le secret bancaire et le secret fiduciaire. En ce qui concerne le premier, il comporte, au-delà des sanctions civiles, des sanctions pénales imposées par la Suisse à partir des années 1930. À cette époque, le pouvoir suisse veut réglementer les banques qui, en contrepartie, réussissent à obtenir le secret bancaire institué au niveau fédéral. Enfin, au niveau international, suite au scandale de la banque commerciale de Bâle qui dévoile la dissimulation d’avoirs en Suisse par des riches particuliers, le pays décide de verrouiller par la loi pour protéger son marché de gestion de capitaux Ce secret bancaire créé par la Suisse est par la suite adopté dans plusieurs paradis fiscaux, du Luxembourg aux îles caribéennes. Le secret fiduciaire traite quant à lui de la notion de “trust“ qui désigne une structure établie à l’étranger dans laquelle le constituant transmet tous ses avoirs et désigne un “trustee“ chargé de gérer son patrimoine à sa place. Se séparant de son patrimoine, il appartient à sa structure gérée par le “trustee“.
Parler de l’évasion fiscale implique de traiter des listes des paradis fiscaux émises par l’OCDE et l’UE, et de leurs enjeux politiques. En effet, dès lors qu’une institution émet une liste, elle se place en position de légitimité pour définir ce qui est un paradis fiscal et ce qui ne l’est pas, impliquant des luttes et rivalités de pouvoir entre Etats. Ainsi, les listes de l’OCDE qui suivent la crise de 2008 omettent de dénoncer certains de ces trous noirs de la finance mondiale dont l’organisation est complice, comme Hong Kong, Singapour et les îles vierges britanniques. Quant à la liste des paradis fiscaux de l’UE, elle a été émise selon certains critères qui, appliqués à l’Union elle-même, a fait de pays comme Malte, les Pays-Bas et le Luxembourg des paradis fiscaux. La légitimité de ces listes semble donc assez relative, voire trouble.
En revanche, en France, il existe les Etats et territoires non coopératifs qui, lorsqu’ils sont cités dans cette catégorie, sont l’objet de réelles implications concrètes. Par exemple, lorsqu’un paiement est effectué par une société française à une société listée dans cette catégorie, celui-ci, s’il n’est pas justifié par une opération économique réelle, ne sera pas déductible du résultat de l’entreprise. Il y a donc une réelle responsabilité pesant sur l’entreprise française pour certifier que la contrepartie du paiement réalisé soit réelle, afin d’éviter une évasion de la base d’imposition.
Cependant, outre ces cas nationaux, les différentes affaires dans les médias à l’image des “Luxleaks“, “Malta Files“ et autres “Paradise Papers“ révèlent qu’il faut attendre ces révélations par des lanceurs d’alerte pour qu’il y ait une action politique. Même si ces systèmes étaient déjà connus et pour la plupart légaux, c’est la pression de l’opinion publique qui a eu un véritable impact. D’un point de vue géopolitique, notons que toutes ces révélations ne sont pas anodines, au regard de la lanceuse d’alerte proche du pouvoir russe lors de la divulgation de l’affaire d’optimisation fiscale des “Malta Files“. Cette révélation a lieu au moment où le pouvoir maltais refuse le ravitaillement des navires russes dans le cadre de ses opérations en Syrie, Malte étant l’un des seuls points pour les navires russes pour ce ravitaillement là. Ces “Malta Files“ désignent alors nommément le Premier ministre Joseph Muscat pour le mettre en difficulté. Ainsi, l’analyse de ces fuites témoigne de différentes configurations qu’il faut prendre en compte pour traiter cette information.
Une fois le transfert d’argent effectué dans les paradis fiscaux, que vont faire les entreprises avec ce stock disponible ? Du côté des sociétés américaines, elles peuvent parfois réinvestir, mais elles attendent le plus souvent un congé fiscal accordé par le président américain. L’idée est de proposer aux entreprises de rapatrier leurs avoirs avec un taux d’imposition réduit, pour ensuite le réinvestir directement dans l’économie.
Après s’être intéressé au monde et à l’UE, qu’en est-il de la France ? La récente loi Sapin II a introduit dans le droit pénal la convention judiciaire d’intérêt public qui permet de négocier et d’éviter un procès long et donc la sanction. Certaines entreprises ont donc eu recours à cette mesure pragmatique comme HSBC qui, accusée de blanchiment et de fraude fiscale, a préféré payer 400 millions d’euros au procès.
Chaque pays de l’UE a donc sa propre gestion de la fiscalité, ce qui est contraire au principe de "convergence". Les deux pistes semblent mener soit à un abandon soit à une plus grande harmonisation du projet fiscal de l’Union. Il ne faudrait pourtant pas oublier que l’Union reste le garant de nos libertés et de notre sécurité et que la souveraineté fiscale est un enjeu majeur de chaque Etat. Il revient donc à chaque pays membre de déterminer sa propre politique fiscale. Dès lors, l’harmonisation fiscale peut se traduire par un traitement égal dans des situations équivalentes. À titre d’exemple, les bénéfices qui seraient émis par une filiale allemande d’une société-mère française doivent être traités de la même façon que s’il s’agissait d’une société française. L’harmonisation fiscale européenne doit ainsi pouvoir créer un niveau d’égalité entre Etats dans le traitement fiscal. En revanche, il n’en est pas de même pour le taux d’imposition dans la mesure où chaque Etat ne propose pas les mêmes services. Par ailleurs, remédier à ces problèmes implique de mettre en place une plus grande transparence. Sans même passer par des lois, des réglementations ou une administration européenne, elle peut être illustrée par un contrôle du citoyen à travers le “reporting“ pays par pays. Il s’agit d’une opération de communication de données et de dévoilement de données stratégiques. Rendues publiques, elles contribuent à davantage de transparence et appuient alors le rôle fondamental des citoyens et de l’opinion publique pour arriver à une meilleure régulation des mouvements financiers. La pression de l’opinion publique peut en effet s’avérer décisive, notamment en ce qui concerne la réponse pénale à la fraude fiscale. Ne faudrait-il pas en effet une réponse pénale forte pour lutter contre le délit fiscal ? L’opinion publique voudrait des sanctions plus fortes mais elle fait face à une réglementation qui encourage un certain pragmatisme, comme c’est le cas en France. C’est là le problème de ce qu’on appelle la criminalité en col blanc, plus technique et complexe juridiquement que les atteintes aux personnes et aux biens plus concrètes et faciles à cerner et à saisir de façon certaine. Certains estiment néanmoins qu’elle doit être punie aussi sévèrement que la criminalité de droit commun, avec des peines de prison et des réactions pénales. Mais pour que ces actions soient réellement efficaces, elles doivent être portées politiquement. Il s’agit donc avant tout de volonté politique, ce qui fait de cette question un enjeu politique actuel majeur. Reste à savoir comment des puissances étrangères peuvent instrumenter ces démarches citoyennes pour affaiblir un concurrent.
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