Barthélémy Courmont est maître de conférence à l’Université catholique de Lille, et responsable pédagogique du Master Histoire / Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l’IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d’Asia Focus. Il a longuement vécu en Asie, y a consacré ouvrages et guides touristiques. Il publie en mai 2020 « Innocence », un roman consacré aux Khmers rouges, chez La route de la soie éditions.
Ville martyrisée par feu nucléaire le 9 août 1945, Nagasaki conserve des quartiers qui témoignent de son passé, là où Hiroshima dut être entièrement reconstruite. Règne ainsi un parfum de nostalgie dans le centre de cette ville aussi mondialement renommée qu’elle est peu connue. Y domine aussi plus que dans d’autres régions de l’archipel un Japon pluriel, résilient et témoin de différentes influences qui ont forgé son histoire et sa culture.
Découverte avec B. Courmont, excellent connaisseur de l’Asie
La ville japonaise de Nagasaki est tristement célèbre pour son bombardement nucléaire le 9 août 1945, trois jours après celui de Hiroshima. Mais ce grand port au nord-ouest de l’ile de Kyūshū a une histoire longue et riche. C’est surtout la ville la plus « cosmopolite » dans l’histoire du Japon entre les XVIème et XIXème siècle, d’abord pendant le « siècle occidental », puis au temps du repli sur soi. Présence d’une communauté chinoise, forte influence de la chrétienté et symbole des discriminations du XVIIème siècle, liens avec l’Europe quand ceux-ci étaient proscrits, importante communauté coréenne… Avant la bombe atomique, Nagasaki a symbolisé l’ouverture au monde et son interprétation par les dirigeants de l’archipel.
La bombe atomique est tombée au nord de la ville, et en dépit de destructions considérables, Nagasaki fut de manière relative plus épargnée que Hiroshima, où la bombe explosa en plein centre-ville. C’est aussi la topographie qui joua ici un rôle important. Hiroshima est construite dans un delta, avec un relief très plat, là où Nagasaki est au bord d’un estuaire, avec des collines qui ont atténué – toutes proportions gardées – les effets de la bombe. Ainsi, si le taux de destruction matériel à Hiroshima fut proche de 100%, de nombreux bâtiments anciens furent sauvegardés à Nasagaki, et c’est la première chose qui surprend le visiteur. Ville martyrisée par feu nucléaire, Nagasaki conserve des quartiers qui témoignent de son passé, là où Hiroshima dut être entièrement reconstruite. Règne ainsi un parfum de nostalgie dans le centre de cette ville aussi mondialement renommée qu’elle est peu connue. Y domine aussi plus que dans d’autres régions de l’archipel un Japon pluriel, témoin de différentes influences qui ont forgé son histoire et sa culture.
Au XIIe siècle, ce qui était alors un petit port de pêche sur les rives de la rivière Uragami, au bout d’une presqu’île au nord-ouest de Kuyshu s’appelait Tamanura. Yoritomo Minamoto le confia à son vassal Kōtarō Nagasaki et son clan le contrôla jusqu’au XVIe siècle. En 1568, le nouveau vassal, Sumitada Omura, ouvrit le port au commerce avec les étrangers, à la demande des Hollandais. Nagasaki devint la porte d’entrée du Japon pendant près d’un siècle : d’un côté elle était tournée vers l’Europe avec les Hollandais, les Portugais et Britanniques et de l’autre elle servait de passerelle avec la Corée, la Chine, l’Inde et le Sud-est asiatique. En 1587, Hideyoshi Toyotomi décida, pour des raisons politiques et religieuses, de soumettre l’île de Kyūshū à partir de Nagasaki et d’en chasser toute présence catholique. En effet les chrétiens avaient progressivement séduit et gagné à leur cause une partie non négligeable de la population. La répression menée par le Shōgun fut sévère. Pendant une partie du XVIIe siècle, les chrétiens subirent des persécutions dans tout le Japon, et Nagasaki en fut le symbole. En 1597, vingt-six chrétiens furent ainsi martyrisés dans la ville. On enferma les Portugais dans le minuscule îlot artificiel de Dejima, à quelques dizaines de mètres du rivage, puis on y plaça à résidence les Hollandais, qui restèrent les seuls étrangers à posséder un comptoir commercial du fait du peu d’importance qu’ils consacraient à la religion. Nagasaki demeura alors le seul port du Japon ouvert sur l’étranger jusque l’ouverture de la deuxième moitié du XIXème siècle, mais avec des restrictions très fortes. Ainsi, les Hollandais ne pouvaient quitter Dejima et poser le pied sur le sol japonais, à l’exception d’un évènement annuel, au cours duquel ils étaient autorisés à apporter des cadeaux à l’empereur du Japon. Ces pratiques prirent fin après l’expédition du Commodore Perry et avec la restauration Meiji puis l’ouverture du Japon dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Dejima resta l’enclave accordée aux Hollandais pendant deux siècles. On peut désormais la visiter dans son intégralité, les bâtiments ayant été reconstruits à l’identique. Après avoir été polderisée et rattachée au rivage, l’île est désormais entourée d’un chenal qui en délimite le territoire. Plusieurs acteurs en costumes miment également les habitudes de la période Tokugawa.
Le quartier chinois de Nagasaki, appelé Shinshimachi, est le plus important du Japon avec celui de Kobe. Pendant deux siècles, la communauté chinoise était cantonnée comme celle des Hollandais, mais elle bénéficia néanmoins de libertés et reçut même l’autorisation de construire ses propres temples. C’est la raison pour laquelle, parmi les plus vieux temples de Nagasaki, on en trouve deux chinois : le Sōfuku-ji et le Maso-dō. Nagasaki possède par ailleurs une cuisine typique : le shippoku-ryōri, qui est une japonisation de la cuisine chinoise, mâtinée de cuisine portugaise.
Nagasaki restera à jamais tristement célèbre pour avoir été la seconde et dernière ville frappée par la bombe atomique, trois jours seulement après Hiroshima. Mais ce que l’on ignore souvent, c’est qu’en ce jour du 9 août 1945 (à 11h02), le destin de Nagasaki a basculé presque par hasard. En effet, ce sont les conditions météorologiques qui ont contraint le bombardier américain B-29 à décider de lâcher « fat man » (nom attribué à cette bombe) sur Nagasaki, qui n’était qu’une cible subsidiaire aux villes de Kokura et de Fukuoka, au-dessus desquelles un ciel nuageux réduisait fortement la visibilité. En employant à nouveau la manière forte, l’armée américaine accentua alors un peu plus son ascendant sur l’empire japonais tout en révélant au monde entier l’existence d’une arme nucléaire encore plus destructrice que celle employée quelques jours auparavant (21 kilotonnes de TNT contre 12,5). Le bilan humain fut extrêmement lourd (75 000 morts instantanés et autant de blessés) et de nombreux civils connurent d’indicibles séquelles physiques et psychologiques.
Le parc de la bombe atomique, situé au nord de l’Hypocentre Park, commémore l’explosion du 9 août 1945. C’est le sculpteur japonais Kitamura Seibo qui l’a dessiné en 1955 ainsi que la statue de la Paix qui, en pointant le ciel de sa main droite, indique symboliquement la provenance de la bombe L’hypocentre de la bombe est matérialisé par une colonne de marbre noir aussi sobre qu’impressionnante. On trouve de nombreuses autres statues dans ce parc, et un mémorial récent dans lequel le hall du souvenir, avec ses douze piliers qui semblent se prolonger vers l’infini, invite à la méditation et au recueillement.
Nagasaki ne bénéficie pas de la « notoriété » de Hiroshima. D’abord, le port de Kyushu n’est que la deuxième ville frappée par le feu nucléaire, et la bombe « de trop », souvent jugée inutile par les historiens. Ensuite, elle souffre d’un éloignement géographique qui la place aux confins du Japon, là où Hiroshima est à Honshu, sur les grands axes qui traversent la principale île de l’archipel. Si Hiroshima est la ville la plus visitée du Japon après Tokyo et Kyoto, Nagasaki est ainsi oubliée des visiteurs. Pour autant, elle symbolise tout autant que Hiroshima le moment nucléaire de 1945 et incarne dans le même temps les contrastes du Japon depuis le XVIème siècle, depuis ses premiers contacts avec le monde occidental.
Copyright pour le texte et les photos Mai 2020-Courmont/Diploweb.com
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le mercredi 18 décembre 2024 |