Astrid Viaud est docteur en Sciences politiques et sociales de l’Université Catholique de Louvain (UCL, Belgique). Sa thèse porte sur « L’action coercitive de l’Union européenne en matière de sanctions dans l’ordre international : les cas de l’Iran, de la Syrie et de la Russie ».
Que révèle le retrait des Etats-Unis de l’Accord sur le nucléaire iranien à propos de la puissance économique et diplomatique européenne ? L’UE manifeste la volonté de se démarquer des États-Unis sur la question iranienne qui remporte le soutien de la Chine et de la Russie, également considérés comme ennemis commerciaux des États-Unis. Cependant, si l’UE inspire une crainte économique pour ses concurrents, ses moyens politiques en vue de faire respecter l’Accord se limitent-ils à une réponse symbolique aux États-Unis ?
LE retrait des États-Unis du Plan global d’action conjoint, le 8 mai 2018, et la réintroduction de sanctions américaines autonomes, le 7 août 2018, ne sont pas sans révéler le bras de fer diplomatique et économique sous-jacent qui oppose les États-Unis à l’Union européenne (UE). Fleuron et principal succès de la diplomatie européenne, l’Accord sur le nucléaire iranien constitue aussi bien un cas fondateur de la politique étrangère d’une UE devenue trop puissante économiquement, qu’un frein aux ambitions énergétiques américaines au Moyen-Orient. Ce qui peut d’apparence être interprété comme un revers diplomatique essuyé par l’UE, démontre en fait la faiblesse stratégique des États-Unis. Washington est désormais désapprouvé par ses partenaires diplomatiques désireux de maintenir l’Accord. L’extraterritorialité autoproclamée des sanctions économiques américaines, destinées à priver les entreprises mondiales de commercer en Iran, révèlent également la volonté américaine de freiner l’expansion commerciale de l’UE.
L’apparence de la décision américaine de se retirer du Plan global d’action conjoint est flatteuse. Les États-Unis apparaissent aux yeux des pays musulmans sunnites comme ayant conscience de la dangerosité des actions iraniennes de politique extérieure au nom du chiisme et de s’opposer à la montée en puissance économique de l’Iran que permet ce Plan. De surcroît, cet intérêt stratégique coïncide miraculeusement avec celui de l’État d’Israël, que l’Iran menace de manière répétée. Enfin les États-Unis apparaissent vis-à-vis de la communauté internationale comme l’un des gardiens vigilants du Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires. Mais un quatrième aspect est tout aussi déterminant dans la prise de décision américaine : celui de réduire par effet de ricochet la désormais trop grande puissance économique de l’Union européenne… Le coup d’échec semble parfait.
Que révèle le retrait des États-Unis à propos de la puissance économique et diplomatique européenne, au sens où Serge Sur définit la puissance : « une capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire » [1] ?
La période qui s’ouvre à partir de l’entrée en jeu de Washington dans la résolution de la question iranienne, en 2006, a vu une évolution très scandée de la politique américaine vis-à-vis du monde. Elle passe d’un interventionnisme républicain, à un désengagement démocrate progressif pour revenir à un interventionnisme encore plus marqué mais différent de la part du nouveau locataire républicain de la Maison Blanche, Donald Trump (2017 - ). Les États-Unis, si naturellement précautionneux quant à leurs interventions extérieures depuis l’émergence de la doctrine Monroe, ont néanmoins un formidable moteur qui les déclenche : la course au contrôle de l’énergie. Ce pays dont les deux piliers industriels, en sus du coton et du tabac, ont été le charbon et le pétrole, ne peut être pleinement compris qu’au travers de son appétit énergétique. L’inquiétude dont il fait preuve pour s’assurer un contrôle planétaire des sources d’énergie et pour en façonner les prix, se comprend surtout quant à sa volonté de ne pas puiser dans ses ressources nationales pour les mettre en péril trop tôt, mais bien plutôt d’avoir accès aux ressources de son monde extérieur afin de préserver ses propres réserves et donc d’alimenter sa puissance industrielle tout en la pérennisant.
À cet égard le jeu stratégique américain vis-à-vis de l’Iran doit s’éclairer sous le jour de l’accès aux ressources énergétiques, mais aussi dans un mouvement typique sur l’échiquier planétaire d’aide à ses alliés énergétiques et en premier lieu à l’Arabie Saoudite. Il ne faut pas oublier que les États-Unis et l’Arabie Saoudite honorent encore le Pacte du Quincy, conclu en 1945 entre le Président Franklin Roosevelt et le Roi Ibn Saoud, garantissant la protection militaire américaine à la dynastie régnante du royaume wahhabite, sans ingérence dans sa politique intérieure, contre un accès à ses ressources pétrolières. Il ne faut pas non plus oublier que beaucoup de chancelleries occidentales ont vu dans l’invasion de l’Irak une mesure punitive des États-Unis contre l’Arabie Saoudite voulant maintenir les cours du pétrole à un très haut niveau, en mettant la main sur celui de l’Irak et en en contrôlant le prix à la baisse pour la consommation intérieure américaine.
Il ne faut enfin pas oublier que l’extraction du gaz de schiste aux États-Unis était, là encore pendant cette période, chargée de faire plier l’OPEP et en son sein l’Arabie Saoudite, afin de faire baisser le prix du baril de pétrole et de ne pas étouffer les économies occidentales avec un deuxième choc pétrolier à l’heure où la crise des subprimes faisait régresser l’économie mondiale dans des proportions inconnues depuis un siècle. L’Iran, par l’embargo imposé sur ses exportations de ressources énergétiques dont les fruits servaient à financer l’effort d’accession duale au nucléaire, a donc restreint sa production. La fin de l’embargo autorisé par l’Accord sur le nucléaire iranien l’a autorisé à produire à nouveau et donc à faire baisser les prix du marché mondial, ce qui satisfaisait les puissances de l’OCDE, dont les États-Unis et les membres de l’Union européenne. Mais, cette menace baissière n’a pas été endiguée par l’adhésion de l’Iran à la cartellisation des prix par le fait de rejoindre l’OPEP comme l’y invitait le Royaume saoudien, mais qu’il a décliné. La volonté depuis des décennies de l’Iran est de devenir une puissance régionale et un acteur majeur du marché énergétique mondial.
L’attitude des États-Unis vis-à-vis de l’Europe communautaire dans ce jeu planétaire est à la fois celui d’un allié réel mais aussi celui d’un concurrent certain.
La confrontation avec l’Arabie Saoudite et ses États liges du Golfe Arabo-Persique ne s’est pas faite attendre, avec la dénonciation de l’Accord par Riyad auprès de son allié du Pacte du Quincy, au motif de la menace nucléaire que ne manquerait pas d’exercer l’Iran contre les puissances arabes sunnites en cas d’accession. Par un concours de circonstances assez impressionnant l’État d’Israël, régulièrement menacé par l’Iran de destruction en cas d’accession au nucléaire et à ses vecteurs balistiques, et allié indéfectible des États-Unis, s’est mêlé à la protestation. L’attitude des États-Unis a rapidement été dans le sens de ces demandes puisque la stratégie affichée par D. Trump, bien avant son élection, était de remettre en cause la participation américaine au JCPOA, au motif qu’il n’était qu’une pause qui permettrait à l’Iran de se reconstruire tout en poursuivant sa course vers un armement nucléaire et à accroitre ses capacités opérationnelles en matière de vecteurs balistiques à longue portée.
L’attitude des États-Unis vis-à-vis de l’Europe communautaire dans ce jeu planétaire est à la fois celui d’un allié réel mais aussi celui d’un concurrent certain. En ce sens, une trop grande autonomie européenne en matière d’énergie qui viendrait à remettre en question les intérêts stratégiques américains en la matière est discrètement mais efficacement contenue. L’Iran et ses immenses réserves énergétiques n’échappe pas à ce jeu. L’Union européenne s’est hissée au rang de puissance mondiale économique et politique. Les États-Unis en conviennent mais le dépassement par la somme des produits intérieurs bruts des pays membres de l’UE du produit intérieur brut des États-Unis ne saurait à leurs yeux donner à l’Europe communautaire la suprématie mondiale que les États-Unis revendiquent. Les États-Unis veillent donc à ce que l’Union européenne ne s’éloigne pas par une action diplomatique trop autonome de la leur.
À cet égard, la réinsertion de sanctions américaines peut être considérée comme un moyen de pression économique destiné à priver les entreprises européennes de débouchés commerciaux en Iran. Entré en vigueur le 16 janvier 2016, l’Accord lève les sanctions internationales sur le nucléaire ayant frappé l’Iran depuis 2006. En contrepartie, le texte prévoit une limitation du programme nucléaire iranien pour au moins dix ans, assorti d’un renforcement des contrôles sur le territoire iranien. Deux ans et près de sept mois après l’entrée en vigueur de l’Accord, les États-Unis recourent à une procédure unilatérale interdite par le point 26 de l’Accord. Les clauses ne tolèrent d’éventuelle réinsertion de sanction qu’à l’échelle du Conseil de Sécurité en cas de violation prouvée par le mécanisme de résolution des différends, prévu au point 36 du texte. Le 7 août 2018, Washington frappe d’interdiction les transactions financières, les importations de matières premières, les achats dans le secteur automobile et de l’aviation commerciale. Appelées à être renforcées en novembre 2018 pour cibler le secteur bancaire ainsi que celui des hydrocarbures, ces nouvelles sanctions s’octroient une extraterritorialité autoproclamée. Elles visent à enrayer l’implantation industrielle européenne en Iran sous peine de poursuites judiciaires et d’exclusion du marché américain. Au-delà des enjeux énergétiques sous-jacents de l’action politique du Président Trump, la volonté de porter atteinte à la puissance économique européenne et au statut d’acteur diplomatique de l’UE sous-tend la politique étrangère des États-Unis.
Le retrait de l’Accord sur le nucléaire iranien par les États-Unis relève d’intérêts sécuritaires, idéologiques et commerciaux. En mars 2016, le Président Trump annonçait, dans le cadre de ses promesses électorales, vouloir « d’abord, […] résister à la percée agressive de l’Iran afin de déstabiliser et de dominer la région […] [et] démanteler le réseau mondial de la terreur de l’Iran. L’Iran a ensemencé des groupes terroristes partout dans le monde » [2]. La position politique du Président Trump vis-à-vis de l’Iran se voit accordée le soutien de l’Arabie Saoudite, sunnite, et d’Israël, deux acteurs régionaux luttant contre l’hégémonie de l’Iran, chiite, au Moyen-Orient. Le 13 octobre 2017, « l’Arabie Saoudite soutient et salue la ferme stratégie proclamée par le président Trump à l’égard de l’Iran et de sa politique agressive » [3].
Le 16 juillet 2018, au lendemain du sommet de l’OTAN à Bruxelles et à la veille de sa rencontre avec le Président russe, Vladimir Poutine, le Président Trump révèle : "Je pense que nous avons beaucoup d’ennemis. Je pense que l’Union européenne est un ennemi, avec ce qu’ils nous font sur le commerce. Bien sûr on ne penserait pas à l’Union européenne, mais c’est un ennemi."
Cet argument sécuritaire se double d’un intérêt commercial. Le 18 mai 2017, le Président Trump et le Roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud signent une déclaration de vision stratégique commune. Le texte promet une collaboration étroite pour contrer l’extrémisme violent, perturber le financement du terrorisme et faire progresser la coopération en matière de défense. Les contrats d’armement s’élèvent à 110 milliards de dollars sur un total de 380 milliards de dollars d’accords. La décision politique du Président Trump de provoquer l’implosion de l’Accord de Vienne participe également d’une volonté de porter atteinte à la puissance économique concurrentiel des autres signataires du texte et de leurs débouchés commerciaux en Iran.
Le 16 juillet 2018, au lendemain du sommet de l’OTAN à Bruxelles et à la veille de sa rencontre avec le Président russe, Vladimir Poutine, le Président Trump révèle : « Je pense que nous avons beaucoup d’ennemis. Je pense que l’Union européenne est un ennemi, avec ce qu’ils nous font sur le commerce. Bien sûr on ne penserait pas à l’Union européenne, mais c’est un ennemi. La Russie est un ennemi par certains aspects. La Chine est un ennemi économique, évidemment c’est un ennemi. Mais ça ne veut pas dire qu’ils sont mauvais, ça ne veut rien dire. Ça veut dire qu’ils sont compétitifs » [4]. Ce qui peut être interprété comme un échec diplomatique aux retombées commerciales pour l’Union européenne, n’est en fait qu’une résultante de la puissance économique que l’UE représente aux yeux des États-Unis.
L’Union européenne est sans conteste une puissance commerciale avant d’être une puissance politique. Elle est forte d’un bloc économique de quatre cent cinquante millions d’habitants dans le cadre d’une Union de vingt-cinq États membres dotés d’un PIB de 14,676.350 milliards de dollars en 2006 contre un PIB de 13,244.550 milliards de dollars pour les États-Unis, pour la même année [5]. En revanche, on constate qu’en 2015, le PIB de l’Union européenne et des États-Unis s’équilibre. Le nombre des États de l’UE passe de vingt-cinq à vingt-huit pour un PIB de 16,449.172 milliards de dollars contre un PIB américain qui s’élève à 16,589.894 milliards de dollars, pour la même année [6].
La stratégie du Président Trump consiste à enrayer la puissance économique de l’UE. D’ailleurs, il encourage le Brexit… qui diminuerait de 15,16% le PIB de l’UE. Le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Bruxelles du 11 au 12 juillet 2018 a été l’occasion pour le Prédisent Trump de s’attaquer au projet germano-russe du gazoduc Nord Stream 2. Permettant à la Russie de devenir le premier exportateur de gaz de l’Europe, Nord Stream 2 est susceptible de concurrencer les ambitions américaines énergétiques en Europe qui consiste à écouler la production américaine de gaz de schiste. Le Président américain a dénoncé dans un tweet : « A quoi sert l’OTAN si l’Allemagne paie à la Russie des milliards de dollars pour le gaz et l’énergie ? Pourquoi n’y a-t-il que 5 pays sur 29 qui ont respecté leur engagement ? Les États-Unis paient pour la protection de l’Europe, puis perdent des milliards pour le commerce. [L’UE] doit payer 2 % du PIB IMMÉDIATEMENT, pas en 2025 » [7]. Dans leur volonté manifeste de s’octroyer une primauté sur les cours du marché mondial des hydrocarbures, principalement d’un point de vue commercial, les États-Unis signent leur marginalisation diplomatique.
La volonté d’isoler économiquement l’Iran révèle les appétits énergétiques des États-Unis qui entendent ainsi diminuer les exportations en hydrocarbures iraniennes, dont Téhéran tire ses principaux revenus financiers. La réduction des exportations iraniennes permet ainsi à l’Arabie Saoudite, allié américain et adversaire idéologique de l’Iran, de combler la baisse de l’offre pétrolière iranienne. « "L’Arabie Saoudite est prête à utiliser, au besoin, sa capacité de production pour faire face à l’avenir à toute fluctuation du marché", a précisé [le 3 juillet 2018] le Conseil des ministres via un communiqué, à l’issue de sa réunion ordinaire. Une capacité de production estimée à 2 millions de barils par jour. Un chiffre déjà annoncé par Donald Trump samedi matin » [8].
Le retrait de l’Accord et la réinsertion de sanctions autonomes par les États-Unis peuvent également être considérés comme une stratégie commerciale destinée à ralentir la progression des concurrents commerciaux américains en Iran. La levée des sanctions économiques, le 16 janvier 2016, avait alors permis à des entreprises multinationales européennes tels qu’Airbus, Enel, Saipen, Peugeot, Volkswagen et Renault-Nissan de signer des accords commerciaux et d’investissement avec l’Iran d’une valeur de plusieurs milliards d’euros. Les échanges bilatéraux, au cours des seize premiers mois depuis l’entrée en vigueur de l’Accord, avaient augmenté de 79 % par rapport à 2015, tandis que les exportations iraniennes vers l’UE ont augmenté de 450 % [9]. Les liens commerciaux entretenus par ces sociétés européennes avec les États-Unis sont autant de facteurs déterminants dans leur souhait de se retirer d’Iran afin d’éviter toutes représailles américaines. Ainsi le groupe automobile allemand Volkswagen se verra-t-il obligé d’opter pour les États-Unis, soit son deuxième marché automobile mondial, malgré la reprise de ses ventes en Iran depuis 2017, après dix-sept ans d’absence [10].
Approuvée par les ministres des Affaires étrangères de l’UE, le 16 juillet 2018, cet acte interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines. Le cas contraire entraînerait de potentielles pénalités fixées par chaque État membre.
Face à l’extraterritorialité autoproclamée des sanctions américaines, l’Union européenne s’attache à défendre les débouchés commerciaux de ses entreprises en Iran. Sa réponse politique consiste en l’adoption d’un mécanisme juridique de protection vis-à-vis des sanctions américaines. Toutefois, l’efficacité de ce mécanisme ne peut être encore évaluée mais il représente une réponse politique symbolisant le refus de l’UE de soutenir ou de valider le retrait des États-Unis, la lutte commerciale livrée à l’UE ainsi que l’isolement de Téhéran prôné par Washington et Riyad. Le 6 juin 2018, la Commission européenne adopte un acte délégué qui consiste à mettre à jour l’annexe du « règlement de blocage » adopté en 1996 pour contourner les sanctions américaines contre Cuba.
Approuvée par les ministres des Affaires étrangères de l’UE, le 16 juillet 2018, cet acte interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines. Le cas contraire entraînerait de potentielles pénalités fixées par chaque État membre. L’une des dispositions de ce mécanisme consiste à accorder une indemnité aux entreprises européennes ayant subit un préjudice par la personne morale ou physique qui en est responsable, en l’occurrence les États-Unis. Le 16 juillet 2018, la haute représentante de l’UE, Federica Mogherini déclare : « Je ne suis pas en mesure de dire si nos efforts vont suffire, mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour éviter que l’accord sur le nucléaire avec l’Iran ne meure car les conséquences seraient catastrophiques pour tous » [11].
L’expansion de la puissance économique de l’UE se voit désormais contrecarrée par les ambitions énergétiques du Président Trump au Moyen-Orient qui considère une conjoncture géopolitique complexe sous l’angle commercial. Si l’UE entend réunir aussi les acteurs du Moyen-Orient à la même table de négociation, dans le cadre du conflit syrien, les États-Unis n’entendent se fonder, à l’échelle régionale, que sur l’Arabie Saoudite qui lui assure un contrôle sur le prix du pétrole. Le cas du retrait du Président Trump d’un Accord pour lequel la diplomatie européenne a lutté et s’est forgée, est révélateur du décalage entre la puissance économique avérée et crainte de l’UE et sa force politique résultant de la somme des politiques étrangères de ses États membres concertés. L’UE est désormais considérée comme un « ennemi commercial » par les États-Unis qui, par ce geste, reconnaissent de facto sa puissance commerciale vis-à-vis de laquelle des mesures d’envergure sont adoptées pour l’empêcher de poursuivre son implantation en Iran. Cependant, le cas de l’Iran révèle également les limites des capacités politiques de l’UE qui adopte un mécanisme juridique de protection de ses entreprises européennes dont la mise en œuvre et l’efficacité réelle ne sont pas encore avérées face à des mesures américaines conséquentes.
En s’inspirant de Raymond Aron, Serge Sur définit la puissance comme étant « une capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ». Le cas du retrait du Président Trump peut être considéré comme la capacité de l’UE de refuser de faire et de s’aligner sur les décisions américaines dans le cadre de la question iranienne, comme elle l’avait déjà fait en 2003 à la suite du discours sur « l’Axe du mal » (G. W. Bush). L’UE manifeste la volonté de se démarquer des États-Unis sur la question iranienne qui remporte le soutien de la Chine et de la Russie, également considérés comme ennemis commerciaux des États-Unis. Signé à l’issue de douze années d’efforts diplomatiques principalement fournis par l’UE, l’Accord sur le nucléaire iranien est l’un des succès diplomatiques fondateur du statut d’acteur que l’UE entend défendre et protéger.
Cependant, si l’UE inspire une crainte économique pour ses concurrents, ses moyens politiques en vue de faire respecter l’Accord se limitent à une réponse symbolique aux États-Unis, un mécanisme de blocage de l’extraterritorialité des mesures américaines. Toutefois, l’UE peut compter sur le soutien diplomatique de Pékin et de Moscou qui entendent enrayer l’instabilité au Moyen-Orient pour s’assurer leurs propres débouchés commerciaux, maritimes et énergétiques. L’Accord semble maintenu par la volonté des autres signataires du texte, un effet pervers auquel l’Administration américaine ne s’attendait pas. En apparence, les États-Unis semblent gagner, en freinant la puissance économique européenne au sein de l’OTAN ainsi que ses débouchés en Iran. Or, le Président Trump se confronte désormais à l’effet pervers généré par sa décision de se retirer : les autres signataires offrent un front uni pour maintenir l’Accord de 2015 et commercent entre eux, marginalisant à long terme les États Unis…
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. Sur ce même sujet, une analyse à la fois différente et complémentaire avec l’article de Pierre Verluise, L’Iran et le nucléaire : quels enseignements sur la puissance ?
. Vidéo J-F Daguzan (FRS) L’UE face au retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien
QUESTIONS :
. Quelle est la nouvelle stratégie européenne en terme de défense et de politique extérieure commune ?
. Quelles sont les conséquences de la remise en cause de l’accord sur le nucléaire iranien pour l’Union européenne ?
Cette vidéo peut facilement être diffusée en classe ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.
[1] Serge Sur, Relations internationales, Paris, 2000, éd. Montchrestien, p. 229. Cité par Patrice Gourdin, Géopolitiques, manuel pratique, éd. Choiseul 2010, p. 19.
[2] Begley, S., « Read Donald Trump’s Speech to AIPAC », in Time, March 21, 2016.
[3] Le Monde, « Nucléaire iranien : l’Europe préoccupée ; Israël salue la décision de Trump », le 13 octobre 2017.
[4] Le Monde, « Trump estime que la Russie, l’Union européenne et la Chine sont des « ennemis » économiques », le 15 juillet 2018.
[5] International Monetary Fund, « Report for Selected Country Groups and Subjects : European Union : Gross domestic product, current prices, U.S. dollars, Billions » et International Monetary Fund, « World Economic Outlook Database, April 2007 », 2007.
[6] International Monetary Fund, « Report for Selected Countries and Subjects : United States : Gross domestic product, current prices, U.S. dollars, Billions, 2015 ».
[7] France 24, « Nord Stream 2, le gazoduc qui rend l’Allemagne "prisonnière de la Russie" », 13 juillet 2018.
[8] L’écho, « L’Arabie saoudite prête à augmenter sa production pétrolière », le 03 juillet 2018.
[9] European Commission, « Commissioner Arias Cañete in Iran for the first-ever Iran-EU Business Forum on Sustainable Energy », 28 avril 2017.
[10] Le Monde, « Des contrats de plusieurs milliards s’envolent avec les sanctions américaines contre l’Iran », le 9 mai 2018.
[11] European External Action Service, « Remarks by High Representative/Vice-President Federica Mogherini at the press conference following the Foreign Affairs Council », le 16 juillet 2018.
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