Le conférencier : Christian Lequesne, Professeur de science politique à Sciences Po. Il a été directeur du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po et du Centre français de recherche en sciences sociales (CEFRES) à Prague. C. Lequesne vient de publier un ouvrage novateur « Le diplomate et les Français de l’étranger », Presses de Sciences Po.
Pierre Verluise, docteur en Géopolitique et fondateur du Diploweb.com, a contribué à organiser la conférence et a participé au montage.
James Lebreton, documentaliste à l’Ecole Normale Catholique Blomet à réalisé les images, la prise de son et le montage.
Callixte Dujardin, étudiante au magistère MRIAE de l’Université Paris 1 et membre du pôle conférence de l’association étudiante ADEA (Association des Étudiants et Alumnis du MRIAE) a participé à l’organisation de cette conférence et rédigé la synthèse, validée par C. Lequesne.
En France, l’État continue de considérer ses ressortissants à l’étranger comme ses protégés. Les 2,5 millions de Français de l’étranger bénéficient d’une représentation politique avantageuse et d’un Etat providence généreux. En revanche, la France peine - notamment pour des raisons culturelles - à faire des Français de l’étranger une ressource au service d’une véritable diplomatie d’influence.
Cette conférence expose les résultats d’une recherche innovante et d’une réflexion stimulante. La vidéo est accompagnée d’une synthèse rédigée, relue et validée par C. Lequesne.
Voir la vidéo sur Youtube / Diploweb
Synthèse de la conférence [1] de C. Lequesne : Les Français de l’étranger sont-ils une priorité de la diplomatie française ? Rédigée par Callixte Dujardin, relue et validée par C. Lequesne
Christian Lequesne, Professeur à Sciences Po et spécialiste de la diplomatie française, a mené pendant plusieurs années une enquête inédite sur la relation entre l’État et les Français.es de l’étranger. Il nous restitue les caractéristiques d’une pratique diplomatique de la France qui reste largement régalienne : l’État en France continue de considérer ses ressortissant.es à l’étranger comme ses protégés, mais peine davantage à faire d’eux une ressource productive au service d’une véritable diplomatie d’influence. Christian Lequesne cherche à en expliquer les freins et à faire des comparaisons, voire des propositions d’action.
Dans son étude, Christian Lequesne s’est penché sur la relation qu’entretient la diplomatie française avec les deux millions et demi de compatriotes français.es vivant en dehors des frontières de l’Hexagone et des départements et territoires d’outre-mer.
Dans ses travaux de terrain, Christian Lequesne a réalisé qu’il y avait un vrai sujet à creuser autour de la question consulaire alors que ces sujets sont jusqu’à aujourd’hui très peu traités. L’objet de son étude se constitue ainsi dans la relation de la France avec les Français.es de l’étranger, de même que le temps et les ressources consacrés par les consulats dans la relation avec les compatriotes expatrié.es.
Christian Lequesne élabore la notion de diplomatie de diaspora, soit la manière dont les États d’origine utilisent leur diaspora pour développer leur influence. Cela le conduit à se questionner : en France, est-il possible de voir l’émergence d’une diplomatie de diaspora en plus de la diplomatie consulaire traditionnelle ?
D’emblée, Christian Lequesne apporte un élément de réponse, soulignant qu’il y a une faiblesse fondamentale dans la diplomatie française, à savoir que la France ne sait pas suffisamment utiliser le levier que constitue la diaspora. Il explique cette faiblesse par le fait qu’historiquement, la France se pense comme pays d’immigration et non comme pays d’émigration.
Christian Lequesne cherche à déconstruire dans sa recherche l’image du Français à l’étranger comme assimilé exclusivement à l’exilé fiscal.
En étudiant la sociologie de la diaspora française, on constate d’abord une répartition géographique inégale, la majorité des Français.es de l’étranger résidant dans les pays du nord (en Europe du Nord et en Amérique du Nord). On trouve ainsi 350 000 Français.es à Londres, qui sont d’ailleurs très peu rentré.es en France après le Brexit, mais d’autres villes telles que Montréal ou Genève comptent aussi une forte population française émigrée. Christian Lequesne identifie cinq grands groupes sociaux de Français.es à l’étranger.
. Les expatrié.es
Ce groupe de réfère aux personnes ayant passé plusieurs années à l’étranger, ce qui représente un des plus grands flux. Elles vivent dans des conditions de vie privilégiées car elles disposent généralement d’un bon salaire et d’aides pour payer les écoles internationales de leurs enfants. Cette partie de l’émigration française est en nette diminution, en partie parce qu’elle représente un coût élevé pour les entreprises.
. Les travailleur.ses qualifié.es
Il s’agit de la catégorie la plus nombreuse de personnes qui décident de partir à l’étranger pour s’y installer de façon permanente, travaillant souvent pour des entrepreneurs locaux. Elles possèdent souvent un niveau d’étude à bac +5 et vont principalement dans des pays comme le Canada, qui mettent en place des politiques d’émigration choisie, comme à Québec où est recherché un personnel qualifié et francophone.
. Les étudiant.es
Ce groupe rassemble aussi les étudiant.es qui ne poursuivent pas leurs études en France après le bac mais partent directement s’inscrire dans une université étrangère. C’est par exemple le cas de l’Université McGill à Montréal. Cette catégorie concerne les classes moyennes-supérieures et supérieures. Beaucoup d’étudiant.es partent à l’étranger pour faire leurs études de médecine, notamment en Belgique et Roumanie dans des universités disposant de programmes de médecine en langue française.
. Les jeunes Français.es peu qualifié.es
Ces individus sont à la recherche de « petits boulots », ce qui est souvent associé à la volonté de parfaire la langue anglaise. A ce titre, Londres est une destination prisée, de même que Dublin.
. Les binationaux
La majorité des binationaux français résidant à l’étranger vit en Afrique du Nord et sub-saharienne mais on note aussi une grande communauté franco-israélienne par exemple, ou encore au Liban.
On peut donc conclure que les Français.es à l’étranger ont une sociologie variée car on compte aussi des gens qui sont dans la précarité et ne se limitent pas au cas, finalement assez rare, des exilés fiscaux.
La représentation parlementaire des Français.es à l’étranger est un héritage direct de l’époque coloniale et se constitue aujourd’hui de douze sénateurs et onze députés. Elle est spécifique à la France car peu de pays dans l’UE disposent d’une représentation parlementaire spécifique pour leurs ressortissant.es à l’étranger. Pour l’État, cette représentation permet de maintenir un lien politique avec sa diaspora. En France, il y a donc une compréhension extensive de la citoyenneté car les Français.es à l’étranger peuvent voter à toutes les élections nationales dans les consulats ou par Internet (sauf pour les élections présidentielles). Cependant, la participation électorale est assez faible (moins de 20% en moyenne) car les émigrés de longue date se désintéressent de la vie politique française. On estime que le corps électoral des Français.es de l’étranger représente 7 ou 8 % du corps électoral total, donc il joue à la marge mais ne fait pas l’élection.
Les Français.es de l’étranger constituent un intérêt pour certains partis politiques. L’extrême droite fait des scores de plus en plus importants en France mais les Français.es de l’étranger votent peu pour l’extrême droite. En revanche, le parti Renaissance fait des scores beaucoup plus importants auprès des Français.es à l’étranger, ce qui s’est vérifié aux élections européennes de juin 2024 : le parti a fait autour de 14 % en France et 25 % chez les Français.es de l’étranger. Il s’agit d’une population qualifiée, urbaine et au capital économique élevé, de tradition plutôt libérale, qui réside principalement dans l’hémisphère nord. Durant la campagne électorale, le parti Renaissance s’est attaché à être présent et à organiser des meetings. D’autres partis font des scores de plus en plus élevés, ce qui est le cas pour les partis de gauche comme LFI et EELV, principalement au au Maghreb et en Afrique subsaharienne, ce qui est lié à leur position sur l’immigration.
Il existe une représentation de la diaspora française qui sont des élu.es consulaires et qui élisent eux-mêmes les sénateurs, ce qui donne parfois lieu à des phénomènes clientélistes ou à des ambiguïtés politiques. On pense par exemple à Thierry Mariani, député des Français.es de l’étranger pour la Chine et la Russie qui est intervenu au Parlement en tant que voix proche du Kremlin. Les députés et sénateurs ont donc des contacts privilégiés avec une clientèle politique et des notables consulaires qu’ils entretiennent. Cela explique qu’aucun sénateur ne soutient la réduction des aides ou de l’assistance sociale et cette position dépasse les clivages gauche/droite car il y a consensus sur l’attribution d’aides financières à la diaspora.
L’extra-territorialisation de l’État-Providence est une caractéristique purement française car les dispositifs consulaires des autres États ne sont pas généreux à ce point, ce qu’on explique par le concept d’universalisme à la française qui rend possible pour la diaspora d’avoir des droits sans avoir à payer d’impôts en contrepartie. Le ministère des Affaires étrangères et de l’Europe leur attribue quinze millions d’euros de politique et d’aide sociales, ce qui concerne davantage l’Europe du sud, l’Afrique et le Moyen-Orient. Le système autour du consulat attribue ces aides sociales qui peuvent parfois être d’une importance significative dans la vie quotidienne. Par ailleurs, il existe des sociétés de bienfaisance mais l’essentiel des aides sont des aides d’État.
Pour les élèves des lycées français, des bourses sont dispensées et représentent pour l’État un budget de cent-quinze millions d’euros par an. Historiquement, ces lycées avaient été créés pour accueillir les élites des pays (Lycée de Galatasaray, Lycée français de Pondichéry) mais avec l’émigration française, ces lycées ont accueilli de manière croissante des Français.es émigré.es, qui sont parfois même devenus majoritaires, notamment en Europe du nord et en Amérique du nord. A l’origine, on n’appliquait pas le principe de gratuité dans ces établissements mais quand les étudiant.es français.es sont devenus majoritaires, la diaspora française a revendiqué l’égalité par rapport aux étudiant.es en France. Le système de bourses a été introduit pour y répondre avec des quotas en fonction des revenus. Il y a donc une vraie projection de l’État providence qui s’explique par la culture de l’État distributif en France donc on ne peut pas parler de néo-libéralisation de la politique consulaire.
L’État développe beaucoup de moyens pour protéger la diaspora française mais a beaucoup plus de difficultés à l’utiliser pour faire de l’influence. Cela s’explique par le fait que les diplomates français.es ont tendance à vouloir incarner l’intérêt de la France au nom du seul Etat. Avoir une diplomatie d’influence suppose qu’elle est affichée sans arrêt comme priorité, ce qui signifierait sortir de la conception de l’État régalien pour aller vers des partenariats avec les acteurs privés et que certains membres influents de la diaspora soient des sortes ‘d’ambassadeurs privés’. Or la culture administrative française rend ce type de pratique complexe car on parle peu des partenariats avec la société civile alors qu’une diplomatie de l’influence par la diaspora nécessite d’aller vers le non-étatique.
Copyright pour la synthèse novembre 2024-Dujardin/Diploweb.com
Bonus vidéo. G.-F. Dumont, I. Therwath, P. Vermeren. Pourquoi les diasporas sont-elles stratégiques ?
Voir la vidéo et sa synthèse rédigée
Plus
. Christian Lequesne, « Le diplomate et les Français de l’étranger. Comprendre les pratiques de l’État envers sa diaspora », Paris, Presses de Sciences Po, 2024
Enquête inédite de science politique menée sur trois continents, l’objectif de ce livre est de comprendre les pratiques des représentants de la France officielle à l’égard des Français de l’étranger.
Binationaux, expatriés, actifs internationalisés, retraités, étudiants et, de plus en plus, e-travailleurs, les quelque 2,5 millions de citoyens français vivant à l’étranger sont loin de constituer une communauté homogène. Par le biais de son réseau diplomatique et consulaire, l’État cherche à construire une relation avec cette diaspora en mettant à sa disposition des services et des institutions (lycée français, système de protection sociale, chambre de commerce, mais aussi élus consulaires et parlementaires) qui lui permettent de ne pas renoncer au lien avec le territoire d’origine.
Enquête inédite de science politique menée sur trois continents, l’ouvrage met au jour une pratique diplomatique de la France qui reste largement régalienne : l’État continue de considérer ses ressortissants à l’étranger comme ses protégés, mais peine davantage à faire d’eux une ressource productive au service d’une véritable stratégie d’influence.
[1] Cette conférence a été organisée le 2 octobre 2024 à la CPGE de l’ENC Blomet, Paris. Les partenaires étaient le Diploweb.com, ENC Blomet, ADEA MRIAE de Paris I et le Centre géopolitique.
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le mercredi 18 décembre 2024 |