Le Brésil et le Monde

Par Hervé THERY, le 26 septembre 2015  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

CNRS-Creda. Professor visitante na Universidade de Sao Paulo (USP.)
Co-directeur de la revue Confins (http://confins.revues.org/). Auteur de nombreux ouvrages de référence dont "Le Brésil, pays émergé", Paris, éd. A. Colin.

H. Théry détaille ici avec subtilité la position ambiguë du Brésil, pays émergent, situé à la fois dans le peloton de tête des grandes économies mondiales mais encore pays sous-développé par bien des aspects. Cet article de référence est illustré de 4 cartes.

ALORS qu’il a longtemps été largement autocentré le Brésil s’ouvre plus en plus à un monde dans lequel il a acquis une tout autre dimension. Mais il n’a pas encore pris conscience de son nouveau rôle dans le monde et des responsabilités que celui-ci lui crée. Il donne l’impression de devenir une grande puissance à reculons, comme malgré lui. Même l’opinion la plus informée n’a pas conscience de l’importance que le pays prend de plus en plus dans le panorama mondial.

Loin de considérer leur pays comme une puissance mondiale – ce qu’il est en voie de devenir – ou au moins comme une puissance émergente – ce qu’il est déjà largement –, la majeure partie des Brésiliens ont encore souvent le « complexo do vira-lata » [1]. Cette expression a été inventée par l’écrivain et dramaturge brésilien Nelson Rodrigues, qui se référait initialement au traumatisme subi par les Brésilien, lorsque l’équipe du Brésil a été battue par l’équipe uruguayenne lors de la finale de la Coupe du monde de football de 1950, au Maracanã, alors le plus grand stade mondial, construit spécialement pour l’occasion [2]. Pour lui, le phénomène n’est pas limité au seul domaine du football, « par complexe du corniaud, je désigne la position d’infériorité par rapport au reste du monde dans laquelle les Brésiliens se mettent volontairement [...] Le Brésil est un Narcisse à rebours, qui crache sur sa propre image ».

Un autre indice de cette soumission psychologique plus ou moins consciente est l’usage fréquent, pour témoigner de son admiration, de l’expression «  é coisa de Primeiro Mundo  » (« c’est digne du Premier Monde »). Quand je l’entends utiliser je fais remarquer à mes interlocuteurs brésiliens qu’en l’employant ils se situent eux-mêmes dans le Tiers Monde, alors que les habitants des pays plus développés ne l’utilisent jamais pour parler d’eux-mêmes.


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Vidéo. H. Théry Quelle géopolitique du Brésil sous Bolsonaro ? 2020

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On ne peut donc pas mesurer la place du pays dans le monde en demandant aux Brésiliens – ou du moins à la plupart d’entre eux – ce qu’ils en pensent. Car le Brésil est un pays très autocentré, l’immense majorité des Brésiliens s’intéresse peu au reste du monde, à ce qui se passe là fora (au dehors). On peut le comprendre si l’on pense que – sauf rares exceptions – ils n’ont jamais voyagé à l´étranger, et rarement rencontré des étrangers : les habitants des deux principaux foyers de peuplement du pays vivent soit à près de 2 000 km de la frontière la plus proche (pour les grandes villes du Sudeste comme São Paulo et Rio de Janeiro), soit à plus de 4 000 km (pour celles du Nordeste, comme Recife ou Fortaleza).

La presse ne les aide guère : elle parle peu du reste du monde et ne compare que très rarement le Brésil à d’autres pays, sauf pour dire qu’il est le plus grand ou le meilleur, ou parfois le plus mauvais au monde. On peut croire à une plus grande ouverture quand on constate que les mêmes médias donnent régulièrement les résultats des championnats de football des principaux pays européens, mais on se rend vite compte que sont seulement citées les équipes comportant des joueurs ou des entraîneurs brésiliens...

Cela ne signifie pas que le Brésil ne soit pas concerné par la mondialisation, il l’est au contraire profondément, à vrai dire il l’est depuis l’arrivée des caravelles portugaises, en 1500. Aujourd’hui il l’est par son commerce extérieur, ses flux aériens [3]. Sa diplomatie est active, quelques-unes de ses entreprises ont acquis une stature mondiale et il a su jouer du soft power que lui donnent sa place de premier pays lusophone au monde, la réussite de ses universités et bien sûr ses « exportations » de joueurs de football. C’est grâce à tout cela qu’il prend aujourd’hui un poids croissant dans ses relations avec ses voisins sud-américains, notamment en Amazonie, mais il a un peu de mal à trouver sa place entre Occident, Brics et Afrique [4].

1. Les voix du Brésil

Les médias emploient des formules du type « le Japon pense que », « Washington proteste », « Le Quai d’Orsay s’étonne », la métonymie du nom d’un pays, de sa capitale ou de son ministère des Affaires étrangères étant fréquemment utilisée pour les habitants du pays tout entier. Mais de qui parle-t-on lorsqu’on évoque, en matière de géopolitique externe, l’opinion de Brésiliens ? Qui parle pour « le Brésil », « Brasília » (la capitale) ou « l’Itamaraty » (le ministère des Relations extérieures) ? Avant tout et malgré tout l’État, qui reste au Brésil une réalité indiscutable, et notamment ses diplomates, ses militaires. Ils sont toutefois de plus en plus relayés – et parfois contredits – par de nouveaux acteurs récemment apparus, au Brésil comme ailleurs, sur la scène internationale, notamment ses entrepreneurs mais aussi d’autres porte-paroles plus inattendus.

Dans la machine de l’État, certains secteurs parlent plus et se font davantage entendre, par fonction mais aussi par conviction, lorsqu’il est question de géopolitique, alors que d’autres s’en désintéressent ou n’ont d’action géopolitique qu’implicite ou inconsciente. Diplomates et militaires sont évidemment les gardiens du temple, chargés de veiller sur la souveraineté nationale et l’intégrité du territoire. Ils le font avec une attention sourcilleuse, frôlant parfois l’obsession, comme dans le cas de l’Amazonie, où les deux corporations sont toujours prêtes à monter au créneau quand est évoquée la menace d’une internationalisation de l’Amazonie. Il suffit qu’un étranger mal avisé, comme Pascal Lamy, alors candidat à la présidence de l’OMC, qui déclara en février 2005 que la forêt amazonienne devrait être considérée comme un bien commun de l’humanité, pour qu’aussitôt quelques généraux (appuyés en sous-main par des diplomates bien placés) y voient la preuve d’un complot pour l’internationalisation de la région, laissant présager l’envoi imminent des marines. Les démentis répétés des auteurs de ce genre de déclaration n’y font rien, cette fièvre obsidionale est la marque d’un manque de confiance en soi, alimentée par l’impression diffuse que le Brésil ne traite pas cette région comme elle le mérite, que défricher et brûler une forêt riche en biodiversité pour planter du soja ou élever des bovins pour le marché international n’est sans doute pas la meilleure façon de défendre la souveraineté nationale.

Diplomaties

Le corps diplomatique brésilien est d’une compétence reconnue de tous, au Brésil – où les diplomates sont parfois appelés en renfort dans des ministères moins bien gérés – et dans les cercles diplomatiques internationaux. Les diplomates sont formés par l’Institut Rio Branco, dont l’accès se fait par un concours très sélectif ; c’est la seule institution brésilienne qui ressemble à une « grande école » française. Le nom de l’Institut rend hommage à José Maria da Silva Paranhos Júnior, baron de Rio Branco, qui mena le Brésil au succès dans tous ses arbitrages frontaliers à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, notamment celui qui fut rendu au détriment de la France en 1900, et qui fit gagner 260 000 km2 au Brésil. Le nom du ministère des Affaires Étrangères, Itamaraty, est celui du palais où il siégeait à Rio de Janeiro, du temps ou c’était la capitale du pays, il en occupe aujourd’hui un autre, l’un des plus beaux de Brasília, et dispose de tout un réseau d’ambassades et consulats dans le monde, dont beaucoup ont été créés sous les deux mandats de Lula, notamment en Afrique (carte 1).

Le Brésil et le Monde
Carte des diplomaties brésiliennes
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Tous ces postes n’ont pas la même importance diplomatique, ni le même prestige, si bien que pour gérer les carrières de ses diplomates, le ministère les a classés en quatre catégories, auxquelles les diplomates peuvent postuler selon des règles précises. Les postes « A » sont les plus prestigieux : situés soit aux États-Unis, soit en Europe, c’est ce que les intéressés appellent entre eux le « circuit Elizabeth Arden », du nom d’une très chic marque de cosmétiques. Les postes « B » sont le deuxième choix : Canada, Europe périphérique, Australie, grands pays asiatiques et latino-américains, Afrique du Sud. Les postes « C » et « D », enfin, sont situés dans des pays qui intéressent peu de candidats : Afrique, Moyen-Orient, reste de l’Asie et de l’Amérique latine.

Entreprises

De nouveaux acteurs brésiliens sont de plus en plus actifs et influents sur la scène internationale, ils sont sortis de leur passivité et semblent avoir jeté aux orties les complexes d’infériorité de pays sous-développé. Bon nombre d’entrepreneurs, issus de l’agrobusiness, des mines ou du secteur manufacturier, se sont en effet lancés à l’assaut des marchés étrangers. L’influence brésilienne à l’extérieur est donc aussi portée par de véritables multinationales brésiliennes, comme l’Embraer, la Vale ou la Petrobras, mais aussi par de grosses PME qui ont su valoriser les atouts du pays et conquérir des positions dominantes dans des « niches » de marchés spécifiques.

L’Embraer (Empresa Brasileira de Aeronáutica) dispute avec son rival canadien Bombardier la position de troisième producteur d’avions civils au monde, derrière Airbus et Boeing, elle est leader mondial sur le marché des jets régionaux de passagers, entre 70 à 122 sièges. Créée le 19 août 1969 comme société de capital mixte sous contrôle de l’État, elle est née d’une initiative stratégique de l’État brésilien pour doter le pays d’une industrie aéronautique, dans le contexte des politiques de substitution aux importations.

Au départ, l’Embraer produisait principalement le Bandeirante, un robuste avion à hélices capable de se poser sur les pistes de terre de l’intérieur du pays, mais elle commença rapidement à acquérir des technologies plus sophistiquées par la fabrication de l’avion d’entraînement avancé et d’attaque au sol Xavante EMB 326, sous licence de la firme italienne Aermacchi. Le lancement de la nouvelle famille d’avions commerciaux d’Embraer 170/190, en 2004, a été la confirmation définitive de se présence sur le marché des avions d’affaires et de transport régional.

Basée à São José dos Campos, dans l’État de São Paulo, elle dispose de plusieurs unités au Brésil et à l’étranger, y compris deux joint-ventures, l’une en Chine, à Harbin, et au Portugal où elle a pris le contrôle de l’OGMA. L’Embraer est également présente en France : son siège européen est situé à Villepinte et ses installations techniques au Bourget. Celles-ci sont notamment responsables de l’entretien de la flotte de plus de 50 avions à turbopropulseurs bimoteurs EMB 121 Xingu achetés par la Marine nationale et l’Armée de l’Air française. Avec la croissance de la flotte d’avions d’affaires d’Embraer dans la région, l’unité du Bourget a commencé en 2008 l’exploitation d’un nouveau centre de service consacré exclusivement aux jets d’affaires, et a étendu ses activités à la Russie, au Royaume-Uni et à l’Europe orientale.

La Vale (anciennement connue comme CVRD, Companhia do Vale do rio Doce) est l’une des plus grandes sociétés minières du monde. D’après son site Internet, en 70 ans, elle a produit 5 milliards de tonnes de fer, soit une quantité suffisante pour construire 3 700 tours Eiffel ! Créée en 1942 par le gouvernement de Getúlio Vargas pour exploiter les mines de fer de la région d’Itabira, dans le Minas Gerais, elle est aujourd’hui une entreprise privée, cotée en bourse à Rio de Janeiro, avec des actions négociées sur les places de São Paulo, Paris, Madrid, Hong Kong et New York. C’est le plus grand producteur de minerai de fer au monde, le deuxième de nickel et elle produit également du manganèse, du cuivre, du charbon, du cobalt, des ferro-alliages et des engrais azotés et phosphatés. Présente dans treize États du Brésil et sur les cinq continents, elle possède plus de 10 000 kilomètres de voies ferrées et 9 terminaux portuaires. Au Brésil, les minerais sont exploités par des systèmes entièrement intégrés, qui associent mine, chemin de fer, usine de bouletage et terminaux maritimes. Le 24 octobre 2006, la Vale a annoncé sa fusion avec Inco, le plus grand producteur de nickel au monde. À la suite à cette fusion, le nouveau conglomérat CVRD-Inco est devenu la 31e plus grande société dans le monde, atteignant une valeur de marché de 298 milliards de Reais, devant IBM.

La Petróleo Brasileiro SA, généralement appelée Petrobras, est une société anonyme dont l’actionnaire majoritaire est l’État brésilien. Basée à Rio de Janeiro, elle opère actuellement dans 28 pays dans le secteur de l’énergie, principalement dans les domaines de l’exploration, production, raffinage, marketing et transport de pétrole et de ses dérivés. Elle a été créée le 3 octobre 1953 et ses opérations d’exploration et de production du pétrole ont été menées par la Petrobras en situation de monopole de 1954 à 1997. Elle a alors commencé à rivaliser avec d’autres entreprises nationales et étrangères lorsque le président Fernando Henrique Cardoso a permis à l’Union de passer contrat avec des sociétés privées pour les exercer. Le 21 avril 2006, le président Lula a lancé la production de la plateforme pétrolière P-50, dans le bassin de Campos qui a permis au Brésil de parvenir à l’autosuffisance en pétrole et la découverte d’énormes gisements profonds [5]. Ce qui donne au Brésil la perspective de devenir le 6e producteur mondial. L’image de la société a malheureusement ensuite été ternie par une série de scandales liés aux détournements de fonds menés (semble-t-il, les enquêtes sont en cours) par quelques-uns de ses directeurs nommés par le Parti des Travailleurs et ses alliés, qui ont bien compris que c’était là une des plus belles proies du pays : le montant total de ces « prélèvements » est estimé à 21 milliards de Reais (7 milliards d’euros).

D’autres secteurs ont rejoint ces très grosses firmes. Les exportateurs de café et de sucre sont eux aussi depuis longtemps des leaders mondiaux, c’est devenu aussi plus récemment le cas de ceux de graines, huile et tourteaux de soja et des producteurs de jus d’orange concentré (qui contrôlent 85 % du marché mondial). D’autres entrepreneurs les rejoignent, comme la JBS, la plus grande compagnie de traitement de protéines animales au monde, qui opère dans les secteurs de la viande, du cuir, du biodiesel, du collagène et des emballages. Elle est présente sur tous les continents, au total, elle compte 140 unités de production dans le monde entier et plus de 120 000 employés. La compagnie a été créée en 1953, quand José Batista Sobrinho (dont la société porte les initiales) a ouvert un abattoir à Anápolis (Goiás). En 2007 elle s’est imposée comme la première société au monde dans le secteur du bœuf avec l’acquisition de Swift & Company aux États-Unis et en Australie. Avec cette nouvelle acquisition, elle est entrée sur le marché du porc, devenant à la fin de l’année le troisième producteur et transformateur de ce type de viande aux États-Unis.


Bonus. Podcast, Planisphère. L’ Amazonie, un monde en partage ? Avec H. Théry sur RND

Super bonus : le podcast et sa synthèse rédigée


2. Soft Power

Le Brésil est un bon exemple de ce qu’on appelle le soft power, l’influence exercée par des moyens autres que le hard power économique et militaire. Il s’affirme par sa culture, qui va de la musique (notamment la bossa nova), au sport (futebol en tête) en passant par le succès mondial de ses telenovelas (quoiqu’on pense de la qualité intrinsèque de ces interminables mélodrames télévisés). Ces produits et images culturelles sont véhiculés par les services officiels de promotion de l’image du Brésil, mais aussi et même plus par des entreprises comme la Globo, le principal groupe médiatique du pays, ainsi que par les Brésiliens eux-mêmes (voyageurs, expatriés, boursiers, touristes, etc.), qui voyagent plus que naguère.

Une autre manifestation de ce soft power – où l’action de l’État a été déterminante, en l’espèce les ministères des Affaires étrangères, de l’Éducation et de la Culture – a été la place prise par le Brésil dans la lusophonie, l’ensemble des pays de langue portugaise, qui a plus de locuteurs dans le monde que le français, même si c’est dans un nombre moindre de pays. Le cadre dans lequel s’est inscrit l’action du Brésil est la CPLP (Comunidade dos Países de Língua Portuguesa), qui comprend l’Angola, le Brésil, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, le Mozambique, le Portugal et São Tomé-et-Príncipe. Elle a été créée en juillet 1996, lors de la 1re Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays de langue portugaise, à Lisbonne, et rejointe ultérieurement par le Timor oriental après son indépendance, en 2002.

Un autre aspects de ce soft power brésilien est le rayonnement de ses universités, pour lequel on dispose d’un instrument de mesure, car malgré les polémiques qui ont entouré l’utilisation du classement dit « de Shanghai » [6], celui-ci a fini par s’imposer, au moins pour la recherche. Après avoir examiné les résultats des classifications qui se veulent ses concurrentes [7], on ne peut qu’être frappé par leur convergence, par le fait que les images que l’on peut construire en reportant – sans a priori – leurs résultats sur des cartes sont relativement semblables, à quelques détails près, à celle de ce classement souvent contesté. L’analyse montre qu’une nouvelle génération de régions et de pays « émergents » – dont le Brésil – se fraie un chemin jusqu’au groupe de tête, ce qui annonce peut-être de futurs rééquilibrages. On ne peut que le souhaiter car, dans ce domaine comme dans bien d’autres, les efforts tendant vers la variété, le pluralisme et le polycentrisme sont bienvenus.

Enfin, et malgré la déception de la Coupe du Monde 2014 (beaucoup de Brésiliens imaginaient pouvoir gagner facilement, à domicile, un 6e titre mondial), dans un domaine au moins la supériorité du Brésil n’est pas contestée, le futebol , comme en témoignent ses exportations de joueurs dans le monde entier. Près d’un millier d’entre eux ont rejoint des clubs de 80 pays du monde entier. Celui qui en a accueilli le plus est le Portugal, pour des raisons linguistiques évidentes, mais on en a vu aussi partir au Japon, en Corée ou vers des pays plus exotiques pour des Brésiliens (d’autant que la plupart des joueurs sont d’origine populaire et bien peu préparés à la vie à l’étranger) : en Indonésie, au Vietnam, en Chine, en Azerbaïdjan, en Finlande, etc. On notera que leur nombre a diminué dans les pays voisins, en Corée du Sud et au Japon, mais qu’il a au contraire augmenté particulièrement vite en Afrique du Sud, dans les pays du Golfe et surtout en Europe orientale, pays dont le rôle international s’est affirmé dans ces années : même dans ce domaine ludique (mais qui est aussi et de plus en plus un business) il est clair que la position du Brésil dans la mondialisation se renforce.

Carte des exportations de joueurs de futebol brésiliens
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3. Le Brésil et ses voisins

Dans les conversations courantes, les Brésiliens ont tendance à parler des autres pays du continent latino-américain de la même manière que les Britanniques parlent de l’Europe : avec pour le moins une certaine distance. Et ils semblent surpris – un instant – quand on leur rappelle qu’ils sont censés faire partie de l’Amérique latine... Les journaux et bon nombre de discours officiels font de même, et les efforts récents d’intégration n’en sont que plus remarquables, on constate par exemple une floraison de cours d’espagnol dans les écoles (privées) de langue, qui ont relégué le français au rang de troisième langue étrangère.

Du côté des relations avec le grand frère du nord, le projet de l’ALCA (un vaste espace de libre-échange de l’Alaska à la Terre de Feu) a été enterré. Les États-Unis n’ont guère insisté, ils ont d’autres soucis et jouent plutôt les politiques bilatérales avec chacun des pays, les négociations portant principalement sur le commerce et la levée des protections douanières, dans les deux sens. Une nouveauté des dix premières années de ce siècle était que le Brésil, terre traditionnelle d’immigration, commençait à connaître une émigration vers les États-Unis, d’où les immigrants – souvent clandestins – envoyaient de l’argent à la famille restée au pays, tout comme leurs voisins hispanophones. Plus de 3 millions de Brésiliens vivaient en 2012 hors du pays, dont 1 million aux États-Unis, quatre à cinq fois plus que les chiffres du recensement officiel. Néanmoins, au cours des dernières années, le flux semble s’être inversé, beaucoup de migrants ont été effrayés par les mesures prises contre les clandestins et la crise des subprimes de 2008 a fait perdre à bon nombre d’entre eux logement, économies, et confiance dans l’avenir d’un pays que ne fait plus autant rêver depuis que le Brésil a lui-même grandement amélioré sa situation.

Avec les voisins immédiats la méfiance existe aussi, en sens inverse. Un ministre péruvien en visite confiait à un journaliste qu’il admirait le Brésil mais se sentait avec lui comme une souris qui dort dans le même lit qu’un éléphant : même si les relations sont bonnes si la grosse bête bouge un tant soit peu les conséquences peuvent être fatales... De fait, depuis que le Brésil existe, ses pionniers ont porté leur volonté de conquête au-delà de ses frontières reconnues, et jusqu’au début du XXe siècle, ses diplomates ont toujours fait reconnaître juridiquement le fait acquis. Le mouvement se poursuit aujourd’hui, sans volonté d’expansion territoriale toutefois, mais avec d’autres moyens et sur une autre échelle, le poids économique que le pays a atteint depuis trente ans offrant de nouveaux moyens de pression. Désormais le Brésil vise plus haut, et tend à se positionner en chef de file du continent.

Hermanos ou satellites ?

L’influence brésilienne sur ses voisins et hermanos [8] s’accentue constamment. En Bolivie, le point d’appui brésilien est la riche région de Santa Cruz, dont le développement récent a été rapide, avec la découverte du pétrole, du gaz, l’essor de la production de sucre, de soja, de riz et de coton. Sans appuyer ouvertement les aspirations séparatistes de la province, les Brésiliens lui ont offert des débouchés et des moyens de transport qui évitent le franchissement des Andes (route, chemin de fer, zone franche à Santos), détachant de plus en plus cette zone stratégique de son cadre national. L’accession au pouvoir d’Evo Morales (en 2005), dont les appuis politiques sont essentiellement situés dans la partie andine du pays, a exacerbé les oppositions régionales et lié encore davantage les basses plaines du Brésil. Au Paraguay, la construction du « pont de l’Amitié », de la route Asunción-Paranaguá et l’offre de facilités fiscales et douanières ont le même sens, et tendent à reporter l’ensemble du commerce paraguayen du fleuve – et donc de l’Argentine – vers la route et le Brésil.

L’influence brésilienne s’accroît donc nettement, tant sur le plan diplomatique que sur celui des relations économiques. Il y a à cela plusieurs raisons. D’une part, le Brésil a besoin de matières premières et de marchés : intéressé par le pétrole vénézuélien, équatorien et péruvien, le charbon colombien, le cuivre chilien, il les paie avec ses ventes de véhicules, d’électroménager, de produits agro-industriels que l’on trouve désormais sur tout le continent. D’autre part, cette expansion, dont l’économie donne les moyens, correspond aux doctrines géopolitiques professées par les militaires brésiliens, notamment le général Golbery do Couto et Silva, longtemps l’éminence grise du régime militaire. Ses écrits des années 1950 soulignaient déjà l’importance stratégique de la région de Santa Cruz et du bassin de la Plata, et dans sa pensée le « destin manifeste » du Brésil était de contrôler tout le continent en échange d’un appui inconditionnel à la politique extérieure des États-Unis et de l’ouverture de l’économie à leurs capitaux. De ce point de vue, le programme tracé se réalise, mais pour le compte du Brésil, dont la dépendance géopolitique vis-à-vis des États-Unis a beaucoup décliné avec la fin de la Guerre froide.

L’intégration du continent a par ailleurs progressé. L’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay ont signé le 26 mars 1991, le Traité d’Asunción, afin de créer le Marché commun du Sud (Mercosur en espagnol, Mercosul en portugais). Celui-ci a permis un net accroissement des flux commerciaux entre ses partenaires, leurs échanges sont passés de 4,1 milliards de dollars en 1990 à 105 en 2011. Il avait suscité de grands espoirs : on avait pensé que la conjoncture politique qui a mis aux commandes, dans trois des quatre pays, des présidents aux orientations politiques proches, faciliterait de nouvelles avancées, mais il n’en a rien été. Avec l’Argentine, le partenaire principal, les fluctuations de change ont pénalisé tour à tour les agricultures et les industries des deux pays et créé des tensions fortes entre eux. Leurs relations politiques ressemblent à celle qui les unit – ou les oppose – dans un domaine sensible pour tous deux, le football : amitié et rivalité à la fois, compétition loyale mais où le nationalisme affleure vite.

Quelques progrès ont été faits dans le sens d’un élargissement du Mercosul. La Bolivie (en 1996), le Chili (en 1996), le Pérou (en 2003), la Colombie et l’Équateur (en 2004) sont ainsi devenus États associés. Sans avoir ce statut le Guyana et le Suriname sont commencé, en 2012, à participer aux réunions du Mercosul. En 2012, également, le Mercosul a connu sa première expansion depuis sa création, avec l’entrée du Venezuela, lors du Sommet extraordinaire des chefs d’État de Brasília. Avec l’adhésion, selon le ministère brésilien des Affaires étrangères, le bloc a pris une nouvelle position stratégique, car il s’étend maintenant des Caraïbes à l’extrême sud du continent, ce qui lui donne une nouvelle centralité économique, territoriale et politique. Il a maintenant une population de 270 millions d’habitants (70 % de la population de l’Amérique du Sud), un PIB de 3 300 milliards de dollars (83,2 % du PIB sud-américain) et un territoire de 12 700 000 km² (72 % de la superficie de l’Amérique du Sud).

L’Amazonie, au cœur de l’Amérique du Sud

Calmer les inquiétudes des voisins étaient parmi les principales raisons de l’offensive diplomatique brésilienne en Amazonie, qui a abouti à la signature du « Pacte amazonien ». Assistant à la poussée brésilienne (ouverture de routes, colonisation agricole, mise en valeur minière), les pays hispanophones voisins avaient donné des signes de préoccupation, dont le plus net avait été le refus de prolonger au-delà de leur frontière les nouvelles routes brésiliennes. À partir de 1973, l’Itamaraty entreprit de les rassurer en les associant au projet d’une action commune. Il présenta au Pérou, au Venezuela, à la Bolivie, à l’Équateur et à la Colombie le projet d’un organisme multinational commun chargé d’une intégration frontalière fondée sur le développement économique et social des régions frontalières, jusque-là pratiquement désertes. Le changement de régime au Pérou, conduisant au pouvoir des militaires idéologiquement proches de leurs homologues brésiliens, facilita le rapprochement, et après diverses réticences, la première réunion du Pacte eut lieu en décembre 1977. On n’est pas allé beaucoup plus loin, notamment parce que le Pérou et la Bolivie ont longtemps rejeté l’idée d’« intégration physique » des régions frontalières contenue dans le texte, mais le but visé était atteint : bien que rien n’ait été réalisé pendant des décennies, l’initiative du Brésil avait été acceptée et un texte liait, autour de lui, pratiquement tous les pays du continent, isolant ainsi l’Argentine, le rival traditionnel. En 2003, comme le prévoyaient les textes fondateurs, le secrétariat du traité, jusque-là périodiquement transféré d’une capitale à l’autre, a été fixé définitivement fixé au Brésil, à Brasília (avec la condition expresse que son secrétaire exécutif ne soit pas un Brésilien), et une nouvelle structure a été créée, l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA).

Carte Le Brésil et ses voisins
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4. Le Brésil entre Occident, Brics et Afrique

Au-delà de ces voisinages commence la politique vraiment étrangère du Brésil, vis-à-vis des pays anciennement industrialisés, notamment de l’Europe, des autres pays émergents et du reste du monde, notamment l’Afrique, un continent avec lequel il des liens anciens et où il affiche de nouvelles ambitions. Dans quel groupe de pays se situe-t-il ? Il fait sûrement partie des pays occidentaux, du monde culturel issu de l’Europe. Mais c’est aussi « le B de BRIC » et a de nouvelles ambitions en Afrique. Au fond, qui sont les vrais partenaires et les vrais alliés du Brésil ?

Un « Extrême-Occident »

Le Brésil fait partie du monde occidental, à tout point de vue, par ses héritages culturels, sa langue, sa ou ses religions dominantes (catholique et protestantes), par le Droit qu’il applique, issu de l’héritage romain et du code Napoléon. Bien des entrepreneurs qui ont choisi de travailler avec la Chine, l’Inde et le Brésil confient que c’est avec ce dernier que l’on peut réellement travailler, malgré les difficultés de toute sorte qu’on peut y rencontrer (dont la bureaucratie tatillonne héritée des Portugais), parce que l’on se comprend entre gens issus du même monde culturel, et ne serait-ce que parce que la parole donnée, le contrat signé, y ont une valeur qu’ils n’ont pas dans les deux autres pays.

Après trois siècles (1500-1822) de colonisation portugaise, plusieurs vagues successives d’immigration européenne ont contribué, au XIXe siècle, à peupler le pays, encore en provenance du Portugal, mais aussi d’Allemagne, d’Italie, de Pologne et d’Ukraine. L’influence idéologique du libéralisme britannique et du positivisme français ont largement contribué à former les élites brésiliennes, et l’héritage de la Révolution française a eu un rôle déterminant dans la chute de l’Empire et la proclamation de la République, en 1889.

Au-delà des relations bilatérales avec ses États-membres, celles que le Brésil a nouées avec l’Union européenne sont plus ambigües. Le Brésil a été le premier pays latino-américain à établir des relations diplomatiques mais il laisse – très diplomatiquement – filtrer des critiques feutrées envers l’Union, en raison des divergences de vues entre les deux parties. Les préoccupations brésiliennes concernent les politiques vis-à-vis des immigrés mises en œuvre par les gouvernements européens, soulignant que « racisme et démocratie sont incompatibles ». Les diplomates brésiliens ont en outre mentionné à plusieurs reprises le protectionnisme et les subventions agricoles des pays du Nord, en montrant l’effet dévastateur de ces attitudes conservatrices sur l’économie des pays en développement. Par ailleurs, les négociations entre l’Union européenne et le Mercosul concernant un accord d’association et la libéralisation des échanges sont toujours en suspens.

Le « B » de BRICS et l’Afrique

Le terme « BRICS » a été inventé par l’économiste en chef de Goldman Sachs, Jim O’Neill, dans une étude de 2001 intitulée – sous forme de jeu de mots – « Building Better Global Economic BRICS ». En 2006, le concept a donné naissance à un groupe politique et été incorporé à la politique étrangère intégrée du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine [9]. En 2011, à l’occasion de son troisième Sommet, l’Afrique du Sud est entrée dans le groupe, qui a adopté alors l’acronyme BRICS.

Le poids économique des BRICS est considérable : entre 2003 et 2007, la croissance des quatre pays a représenté 65 % de la croissance du PIB mondial. En parité de pouvoir d’achat, le PIB des BRICS dépasse aujourd’hui celui des États-Unis ou de l’Union européenne. Pour donner une idée du rythme de la croissance dans ces pays, en 2003, les BRIC représentaient 9% du PIB mondial, et en 2011 ce chiffre est passé à 19 %. En 2010, le PIB combiné des cinq pays (y compris l’Afrique du Sud) s’élevait à 11 000 milliards de dollars, ou 18 % de l’économie mondiale. Les partenaires du groupe sont aujourd’hui le point de mire du Brésil. Le souci principal est la Chine, car l’économie brésilienne souffre de la concurrence chinoise dans de nombreux secteurs, comme le textile, qui a déjà perdu plus de 250 000 emplois dans les dernières années. Les espoirs des premières années du gouvernement Lula, qui était revenu de son premier voyage en Chine ravi des perspectives de collaboration, ont été déçus, comme l’ont été avant lui ceux de tant de chefs d´État en visite dans l’Empire du Milieu. Les matières premières représentent plus des trois quarts des exportations brésiliennes vers la Chine, alors que du côté chinois plus de 95 % sont des produits manufacturés. C’est donc un bras de fer qui est engagé entre les deux pays, la Chine ne voulant par exemple acheter que du soja en grain, et pas de la viande, ni même des tourteaux de soja.

D’autres déceptions sont venues de la politique africaine, à laquelle Lula tenait tout particulièrement, au point d’avoir fait dix voyages en Afrique, dans 25 des pays du continent, durant ces huit ans. C’était cohérent avec sa politique d’ouverture au Sud, et avec la volonté de reprendre l’héritage du Portugal en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau. Les résultats de tous ces voyages ont pourtant été décevants et des voix discordantes ont fait remarquer qu’à trop vouloir se placer en Afrique – dont le PIB ne représente que 1 % de celui de la planète – le Brésil perdait des parts de marchés dans des pays qui comptent davantage pour lui, en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.

Il est vrai que son but n’était pas uniquement économique, le Brésil venant aussi chercher en Afrique une partie de lui-même, de son passé, de sa mémoire. Un véritable plan de rapprochement et de développement de la coopération avec des pays africains a été mis en œuvre sous les deux mandats présidentiels de Lula, avec la construction de 19 ambassades, ce qui fait que la moitié des ambassades brésiliennes sont aujourd’hui situées en Afrique. La politique étrangère a servi de point d’appui à une politique d’intégration des « afro-brésiliens » » dans la société et dans les représentations collectives nationales, l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésilienne a été rendu obligatoire dans les écoles fédérales.

Dilma Rousseff n’a pas manifesté le même enthousiasme pour l’Afrique, même si elle s’est rendu en Guinée équatoriale à l’occasion du 3e Sommet de l’ASA, tenu a Malabo en février 2013, où étaient présents les représentants de 54 États africains. Les liens commerciaux et les fonds de coopération demeurent mais Brasilia souhaite concentrer les fonds pour plus d’efficacité. Dans le même temps le Brésil perd en prestige sur le continent. La stratégie de Lula était d’implanter des entreprises phares du Brésil en Afrique dans le cadre d’une coopération économique aux bénéfices mutuels, mais malheureusement quelques entreprises brésiliennes ont eu des déboires suite à une mauvaise gestion de l’implantation de certaines d’entre elles. C’est le cas de la Vale, fleuron de l’économie brésilienne, qui a eu de sérieux problèmes au Mozambique : délogés pour l’installation d’une mine de charbon, des habitants se sont plaint la basse fertilité des sols sur lesquels ils ont été relogés. En Guinée, la Vale est accusée d’avoir participé à la répression d’une manifestation faisant six morts.

Conclusion

« Le Brésil n’est pas un pays pour débutants [10]. » : cette phrase souvent citée du musicien et « père » de la bossa-nova, Tom Jobim, affirme de façon ironique que le Brésil est plein de complexités, pas toujours apparentes à première vue, qui peuvent révéler des pièges pour les néophytes (ou des étrangers sans méfiance) et ne tolère pas les analyses simplistes. C’est notamment vrai pour les observateurs brésiliens, qui doivent prendre conscience que leur pays va devoir se donner les moyens d’assumer sa nouvelle place géopolitique dans le monde, mais cela l’est aussi pour le reste du monde, qui doit apprendre à mieux l’y situer, au-delà des clichés anciens et nouveaux.

Carte. Le Brésil dans le monde
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Le Brésil peut en effet jouer sur deux tableaux, voire trois, en mettant l’accent tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. D’un côté, il tente de maximiser ses avantages, notamment de grand producteur de produits agricoles et de biocarburants, de minimiser ses fragilités, principalement sa dépendance technologique et financière. De l’autre, certains secteurs de l’État et plus encore des ONG sollicitent l’aide – voire la charité – internationale pour des populations pauvres, Indiens ou habitants des favelas. Enfin, d’autres secteurs du même État, notamment ses diplomates, tentent d’animer des dynamiques de recomposition des équilibres mondiaux et d’améliorer la positions du Brésil par rapport aux autres pays, en tenant des discours différents aux pays plus développés d’un côté, aux pays pauvres de l’autre, en jouant de sa situation intermédiaire.

Cette ambivalence est bien apparue dans les grandes réunions internationales où le Brésil se voit et agit comme un des chefs de file des revendications des pays du sud. Ce fut notamment le cas à la réunion de l’OMC à Cancún, en 2003, où il a largement contribué à bloquer la réunion en organisant la résistance des pays du Sud et à empêcher un accord qui semblait acquis. Il n’y a malheureusement guère eu de suites, ni lors du naufrage de la négociation de Doha, ni dans les autres forums internationaux, ni dans des initiatives sur la lutte contre la faim, un temps appuyée par Lula et Jacques Chirac. Les pays partenaires ont fait remarquer – avec l’exquise politesse des diplomates – que le Brésil devrait peut-être méditer sur l’échec de son programme Fome Zero (« Zéro faim », inclus sans gloire et sans bruit dans les programmes d’assistance existants) avant de donner des leçons au reste du monde...

Dans le même temps, le Brésil revendique, comme puissance émergente, un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Il n’a pas obtenu grands succès de ce côté, ses démarches sont contrariées par les ambitions et les contre-manœuvres de son voisin argentin, ou encore du Mexique. Il est peu probable qu’elles aboutissent, le Brésil ne peut guère prétendre réussir là où l’Allemagne ou le Japon ont échoué. Les efforts faits pour placer des Brésiliens à la tête de grands organismes internationaux ont également fait long feu, en partie faute de recueillir l’accord de ses voisins, qui sont aussi ses concurrents. Les deux exceptions notables ont été l’élection de l’initiateur du programme Fome Zero déjà cité, José Graziano, à la tête de la FAO en juin 2011 et de Roberto Azevedo à l’OMC en mai 2013 (où il représentait le Brésil depuis 2008).

Ces revers dans la diplomatie multilatérale, malgré l’effort consenti en envoyant des troupes pour maintenir l’ordre en Haïti (et ainsi payer son ticket d’accès au rang des pays qui comptent dans les relations internationales), illustrent bien la position ambiguë du Brésil, pays émergent, situé à la fois dans le peloton de tête des grandes économies mondiales et encore pays sous-développé par bien des aspects. Le Brésil a acquis un poids spécifique considérable, par sa population (202,8 millions d’habitants), par la puissance de son agro-industrie et de son appareil industriel sans équivalent dans l’hémisphère sud, par son rayonnement culturel et sportif. Mais il n’a pas encore trouvé sa place : ni dans la cour des grands, où il pèse peu, ni comme leader des petits, ou les plus pauvres le trouvent trop gros, et où les autres pays émergents jouent leur propre jeu, chacun pour soi.

Copyright Septembre 2015-Théry/Diploweb.com


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[1Le « complexe du corniaud », le vira-lata est un chien de race indéfinie qui se nourrit souvent en renversant les poubelles, virando latas.

[2Cette humiliation est rappelée par une salle du Musée du football de São Paulo, voir "Un musée du futebol et de son contexte", http://braises.hypotheses.org/701

[3Hervé Théry, « Le Brésil dans la mondialisation : commerce extérieur, flux aériens et exportation de joueurs de football », Diploweb.com, 2011, http://www.diploweb.com/Bresil-dans-la-mondialisation.html

[4Les analyses qui suivent sont tirées de divers passage de mon ouvrage Le Brésil, pays émergé, collection Perspectives géopolitiques, Armand Colin, 2014, 304 p.

[5À plus de 200 kilomètres des côtes, sous 2 000 mètres et 5 000 mètres de sédiments et une épaisse couche de sel, d’où son nom de pre-sal.

[6Dont le nom officiel est ARWU (Academic Ranking of World Universities) Depuis 2003, l’Institute of Higher Education de la Shanghai Jiao Tong University classe annuellement les principales universités mondiales en fonction de leurs résultats de recherche, avec pour seule ambition de produire un classement « fondé sur des données internationalement comparables et que chacun pourrait vérifier ».

[7Hervé Théry, « Palmarès des Universités mondiales, “Shanghai” et les autres », M@ppemonde N° 96 (4-2009),

[8"Frères" en espagnols, c’est le mot que les Brésiliens utilisent pour désigner leurs voisins hispanophones, parfois non sans une certaine ironie.

[10. « O Brasil não é para principiantes. »

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| Dernière mise à jour le mercredi 18 décembre 2024 |