L’Union européenne à 27 : vers une dégradation de l’espace Schengen ?

Par Jean-François VALYNSEELE, le 1er juin 2007  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Chef d’escadron, gendarmerie nationale, France, CID 14e promotion

En moins de trois ans, l’Union européenne a intégré douze nouveaux pays. Pour mieux traduire l’ampleur de cet élargissement, il suffit de citer deux chiffres : les douze nouveaux Etats membres représentent 40% du territoire de l’UE et comptent 103 millions d’habitants. Si l’élargissement est un défi dans tous les secteurs, les aspects liés à la sécurité revêtent une importance toute particulière. En effet, l’UE compte désormais 6 000 Km de frontières terrestres et 85 000 Km de frontières maritimes.

Compte tenu du niveau de délinquance des nouveaux Etats membres, de leur faible niveau de vie à l’origine de grands mouvements migratoires ou encore de leurs frontières communes avec des Etats comme l’Ukraine ou la Russie, on peut se demander si l’élargissement de l’UE est compatible avec le maintien du même niveau de sécurité au sein de l’espace Schengen.

Face à cette légitime inquiétude, il semble néanmoins possible de démontrer que l’intégration des 12 nouveaux Etats membres dans l’espace Schengen devrait s’effectuer sans dégradation du niveau de sécurité.

Ce mémoire a été rédigé au CID dans le cadre du séminaire "Géopolitique de l’Europe communautaire et de ses frontières" dirigé par Pierre Verluise.

LE 1er mai 2004, Chypre, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie ont intégré l’Union européenne (UE). Ces dix nouveaux Etats membres ont été rejoints depuis le 1er janvier 2007 par la Roumanie et la Bulgarie. En moins de trois ans, l’Union européenne a donc intégré douze nouveaux pays. Pour mieux traduire l’ampleur de cet élargissement, il suffit de citer deux chiffres : les douze nouveaux Etats membres représentent 40% du territoire de l’UE et comptent 103 millions d’habitants. Si l’élargissement est un défi dans tous les secteurs, les aspects liés à la sécurité revêtent une importance toute particulière. En effet, l’UE compte désormais 6 000 Km de frontières terrestres et 85 000 Km de frontières maritimes.

A lire aussi de Pierre Berthelet : La « gouvernance de Schengen » à la suite des crises migratoires de 2011 et 2015. D’une réforme à l’autre : quoi de neuf ?

Il en résulte deux défis pour la sécurité de l’espace européen :

. les frontières extérieures de l’Union européenne les plus sensibles en termes de pression migratoire et de criminalité sont désormais contrôlées par les nouveaux membres. Ce contrôle se devra d’être plus efficace dans la perspective de la suppression des contrôles systématiques aux frontières intérieures.

. le développement de la coopération policière et judiciaire qui suppose une grande confiance mutuelle nécessite une remise à niveau au standard communautaire des structures des nouveaux Etats membres.

La notion de sécurité des frontières au sein de l’Union européenne est apparue en 1985 avec l’accord de Schengen. A l’origine, il s’agissait de mettre en place une coopération policière renforcée entre les Etats pour supprimer le contrôle systématique des personnes aux frontières intérieures. La signature en 1990 de la convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS) et l’intégration de cet accord au sein de l’Union européenne en 1999 ont donné naissance à l’acquis Schengen qui s’est axé sur une coopération policière renforcée elle-même centrée sur la sécurité des frontières de l’Union européenne. Les 12 nouveaux Etats membres ont vocation à rejoindre au plus vite l’espace Schengen qui rassemble en 2007, 15 membres. Néanmoins, deux conditions doivent préalablement être remplies : les nouveaux Etats membres doivent présenter un certain nombre de garanties en termes de sécurité et intégrer le système d’information Schengen (SIS), base de données qui permet l’identification des personnes et des véhicules.

Compte tenu du niveau de délinquance de certains nouveaux Etats membres, de leur faible niveau de vie à l’origine de grands mouvements migratoires ou encore de leurs frontières communes avec des Etats comme l’Ukraine ou la Russie, on peut légitimement se demander si l’élargissement de l’UE est compatible avec le maintien du même niveau de sécurité au sein de l’espace Schengen. Comme l’affirmait dès avril 2004, le député Thierry Mariani[i] : « La question du contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne est devenue un sujet de préoccupation permanent au sein de l’Union, c’est avec la perspective de l’élargissement qu’est apparue la nécessité de donner corps à ce problème. »

Face à cette légitime inquiétude, il semble néanmoins possible de démontrer que l’intégration des 12 nouveaux Etats membres dans l’espace Schengen devrait s’effectuer sans dégradation du niveau de sécurité.

Conçu pour supprimer les contrôles systématiques aux frontières intérieures tout en garantissant la sécurité aux frontières extérieures, l’espace Schengen présente un certain nombre de garanties qui ne peuvent pas être remises en cause par de nouvelles adhésions (I). Ensuite, l’intégration des nouveaux Etats au sein de cet espace de sécurité est un processus qui a été anticipé en imposant notamment des contraintes fortes au bénéfice de la sécurité (II).

PREMIERE PARTIE. L’ESPACE SCHENGEN, LA DISPARITION DES CONTROLES SYSTEMATIQUES AUX FRONTIERES INTERIEURES SANS DEFICIT DE SECURITE

Dès son origine le 14 juin 1985, la coopération Schengen conjointement mise en place par la France, l’Allemagne et le Bénélux a été conçue comme une coopération renforcée pour supprimer les contrôles systématiques aux frontières intérieures et faciliter ainsi la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen.

Elle avait ensuite vocation à s’étendre progressivement à l’ensemble des Etats membres de la Communauté, au moyen de quelques aménagements. Cette extension devait aboutir le 1er janvier 1993 parallèlement à l’achèvement du marché unique et à l’instauration de l’espace de libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. Il en fut autrement.

La coopération Schengen s’est élargie progressivement jusqu’à réunir actuellement quinze Etats dont treize pays membres de l’Union européenne. Le Royaume-Uni et l’Irlande ont choisi quant à eux de demeurer en dehors d’elle, préférant garder l’entier contrôle du franchissement de leurs frontières. A l’inverse, deux Etats non-membres, l’Islande et la Norvège, se sont associés à la construction commune.

La convention d’application des accords de Schengen (CAAS) a été signée en 1990 et mise en application en 1995. Elle repose sur un principe simple : la disparition des contrôles systématiques aux frontières intérieures couplée à un renforcement de ceux effectués aux frontières extérieures afin d’assurer la sécurité des citoyens.

Cette lente mise en route a d’abord permis d’élaborer des règles strictes et efficaces qui garantissent aujourd’hui un haut niveau de sécurité (A) puis à définir un acquis communautaire Schengen (B).

A – Schengen : des règles strictes pour protéger les frontières de l’UE

Dès son origine, l’accord de Schengen a eu pour vocation d’assurer la liberté de circulation des citoyens de l’espace Schengen sans déficit de sécurité. Il a donc s’agit pour les Etats de concevoir et d’appliquer des mesures cohérentes et surtout identiques en matière d’immigration, de délivrance de visas et de coopération policière et judiciaire. Dans le cadre de l’élargissement, ces mesures dont l’efficacité n’est plus aujourd’hui à démontrer s’appliqueront aux nouveaux Etats membres qui rejoindront l’espace Schengen. Par ailleurs, le maintien d’un haut niveau de sécurité est également garantit par une coopération policière permanente et en adaptation constante aux nouvelles menaces et dans laquelle les nouveaux Etats membres seront amenés à s’impliquer.

1 - Des mesures de contrôles éprouvées

L’accord de Schengen a été signé en 1985. La convention d’application de l’accord de Schengen a quant à elle été signée en 1990 et s’est appliquée à partir de 1995. La lenteur du processus s’explique principalement par la nécessité de mettre en place des mesures compensatoires à la suppression des contrôles systématiques aux frontières intérieures.

Des règles qui s’imposent à tous

L’objectif étant d’abolir en toute sécurité les contrôles systématiques aux frontières intérieures entre les pays membres de l’espace Schengen et de reporter ces contrôles aux frontières extérieures, des règles communes ont été adoptées pour assurer la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen.

Tout d’abord, les conditions d’entrée et de visas pour les courts séjours sont harmonisées sur l’ensemble de l’espace Schengen. Il a en effet fallu arrêter des dispositions communes. Ce ne fût pas simple car chaque Etat agissait de manière différente en fonction de ses sensibilités[ii]. De même, la déclaration pour tout étranger non communautaire passant d’un pays à l’autre est obligatoire. Des règles relatives à la responsabilité des demandes d’asile afin d’éviter qu’une demande ne reste sans réponse et d’empêcher le dépôt de demandes successives dans un ou plusieurs pays ont été fixées. Les ports et les aéroports ont été aménagés pour la séparation physique des flux de voyageurs intra et extra Schengen. Dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière, le rôle des transporteurs a été défini. La plus importante des mesures adoptées est l’intégration au système d’information Schengen (SIS). Prévu par la convention d’application de l’accord de Schengen, le SIS a été conçu pour combler un déficit réel ou présumé de sécurité consécutif à la suppression des contrôles systématiques aux frontières intérieures. Cette base de données, pièce essentielle du dispositif, permet des échanges d’informations sur les personnes signalées en matière d’immigration ou de procédure judiciaire et sur les objets volés[iii]. Elle donne la conduite à tenir aux forces de l’ordre dans le cadre de l’interpellation d’une personne recherchée et permet ainsi de procéder à l’arrestation dans tout Etat membre de l’espace Schengen d’une personne fichée. Il s’agit donc d’un système très perfectionné de coopération entre les Etats membres de l’espace Schengen pour veiller à ce que la liberté de circulation ne s’accompagne pas d’une moindre sécurité.

Ces diverses mesures ont permis de combler un éventuel déficit de sécurité consécutif à la suppression des contrôles systématiques aux frontières intérieures et a contrario de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Ainsi, en pratique la présentation des pièces d’identité aux frontières intérieures est supprimée pour tous les citoyens appartenant à l’espace Schengen. Les contrôles sont en revanche maintenus dans les aéroports, ports et gares ouverts sur l’extérieur.

Tout en maintenant, une certaine liberté d’action aux Etats

Cependant, pour pallier toute déficience éventuelle d’un pays voisin même s’il appartient à l’espace Schengen, un Etat peut réinstaurer des contrôles d’identité systématiques au nom de sa souveraineté nationale. En effet, la convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS)[iv] comporte une clause de sauvegarde permettant l’organisation temporaire de contrôles systématiques des personnes sur les frontières terrestres.

Les différences de législation entre certains membres peuvent également être à l’origine de contrôles. Ainsi, la législation tolérante des Pays-Bas face au cannabis a entraîné dès 1995 la remise en cause de la libre circulation entre ce pays et la France qui a fait jouer sa clause de sauvegarde. La France a estimé que l’absence de contrôles frontaliers pouvait entraîner une entrée massive de cannabis sur son territoire, alors qu’elle n’a légalisé ni la production ni la consommation de cette drogue. Les menaces terroristes en France en 1995 ont, quant à elles, contribué à un renforcement des contrôles aux frontières et les attentats du 11 septembre 2001 ont provoqué le rétablissement de contrôles au sein de l’espace Schengen dans les mois suivants. En théorie, un citoyen peut donc circuler librement et facilement au sein de l’espace Schengen une fois entré dans cet espace. La CAAS a cependant laissé la possibilité aux différents Etats d’opérer à des contrôles aux frontières ou à l’intérieur des Etats. Cette clause de sauvegarde est primordiale car elle constitue un gage de sécurité pour chaque Etat mais aussi pour tout l’espace Schengen.

Dès l’ouverture de l’espace Schengen aux nouveaux membres, elle pourra constituer une solution d’urgence si malgré tout des déficiences étaient constatées, même si politiquement on refuse encore d’y songer.

2 - Une coopération policière en adaptation permanente

La CAAS impose aux États membres un certain nombre d’obligations en ce qui concerne la coopération policière à leurs frontières intérieures communes, aux frontières extérieures du territoire Schengen (frontières terrestres, aéroports internationaux, frontières maritimes) et à l’intérieur de l’espace Schengen en général, afin de compenser un déficit de sécurité qui pourrait résulter de la suppression des contrôles systématiques aux frontières intérieures.

Un cadre juridique qui encourage la coopération

La coopération policière est prévue par les articles 39 à 47 de la CAAS. Celle-ci favorise l’échange d’informations (articles 39, paragraphe 4, et 46), définit un droit d’observation transfrontalière c’est-à-dire de filature (article 40) et un droit de poursuite (article 41). Elle permet l’échange d’officiers de liaison (article 47) et prévoit que les parties contractantes mettent en œuvre, notamment dans les zones frontalières, des liaisons radios, téléphoniques ou autres favorisant le travail en commun.

Comme le souligne un rapport du sénateur Pierre FAUCHON[v], le cadre juridique ainsi fixé par la CAAS s’avère en fait très souple. Il s’agit de possibilités ouvertes aux Etats membres, notamment pour l’échange d’officiers de liaisons ou d’informations. La définition des modalités concrètes de cette coopération policière renforcée est cependant laissée aux Etats membres. Il sera donc nécessaire de guider les nouveaux Etats membres. La CAAS renvoie, en effet, la mise en œuvre de la quasi-totalité des articles à la conclusion d’accords particuliers, bi- ou multilatéraux. De la même manière, elle incite les Etats membres à étendre ou compléter par la voie de conventions bilatérales le champ d’application de plusieurs dispositions, notamment le droit d’observation ou le droit de poursuite.

Une coopération très poussée : le droit d’observation et le droit de poursuite

Dans ces articles 40 et 41, la CAAS crée respectivement un droit d’observation et un droit de poursuite. Leur application apparaît primordiale et nécessaire dans la coopération policière renforcée qui doit exister entre Etats membres aux frontières intérieures. Les dispositions de ces articles s’imposent donc aux Etats membres même si une certaine marge d’appréciation leur est laissée dans leur mise en oeuvre, notamment dans les modalités d’arrestation.

Le droit d’observation intervient dans le cadre d’une enquête judiciaire concernant des faits d’une certaine gravité. Il permet aux forces de police d’un pays engagées dans la surveillance et la filature d’un individu de continuer leur mission sur le territoire d’un autre pays Schengen. Cette possibilité est cependant rigoureusement encadrée[vi]. Sauf urgence, elle est en particulier soumise à l’autorisation préalable de l’Etat sur le territoire duquel elle s’effectue. Par ailleurs, la procédure ne s’applique qu’à l’encontre d’une personne présumée avoir participé à une infraction pouvant donner lieu à extradition ou d’une personne à l’égard de laquelle il y a de sérieuses raisons de penser qu’elle peut conduire à l’identification ou à la localisation de la personne recherchée. En cas d’urgence, l’autorisation préalable n’est pas requise mais cela n’exonère pas les forces de l’ordre d’aviser le plus rapidement possible les autorités de l’Etat membre sur le territoire duquel se déroule la filature.

Le droit de poursuite concrétise encore plus le niveau atteint dans la coopération. Dans le cadre d’un flagrant délit ou d’une évasion, les forces de l’ordre d’un Etat membre peuvent, sans autorisation préalable, poursuivre un individu sur le territoire d’un autre Etat Schengen, soit parce que les autorités de l’Etat sur le territoire duquel la poursuite a lieu n’ont pu se rendre sur place à temps pour reprendre la poursuite, soit parce que les autorités n’ont pu être averties préalablement en raison de l’urgence particulière. La CAAS laisse une latitude assez large aux Etats pour déterminer entre eux les contours précis de l’application du droit de poursuite et les conditions de l’arrestation. Chaque Etat membre définit donc les modalités pratiques du droit de poursuite sur son territoire pour chacune des parties contractantes avec laquelle il a une frontière commune. Il n’est donc pas surprenant de constater que les possibilités offertes aux forces de l’ordre sont différentes d’un Etat à l’autre. En pratique, les forces de l’ordre avisent au plus vite les autorités de l’Etat sur lequel elles sont intervenues.

Des évolutions et des initiatives constantes et nécessaires pour maintenir l’efficacité

La coopération policière s’est donc développée et renforcée dans un cadre très souple. Chaque Etat choisit ou non d’exploiter complètement toutes les possibilités de la CAAS. La latitude laissée aux Etats membres a pu conduire à des disparités assez importantes entre les différentes frontières communes. Cet approfondissement inégal de la coopération policière aurait pu devenir préjudiciable pour la sécurité de l’ensemble de l’espace Schengen.

En pratique, une coopération directe entre les unités de police frontalières s’est rapidement instaurée. Les forces de l’ordre se rencontrent dans le cadre d’enquêtes mais aussi à l’occasion de patrouilles mixtes mensuelles ou encore lors d’opérations de contrôles programmées et menées conjointement.

Comme le permet la CAAS, des accords bilatéraux ont également été conclus entre Etats partageant une frontière intérieure commune. Les accords les plus accomplis sont ceux qui ont instauré des structures d’échange d’informations et une coopération permanentes, sous la forme de centres de coopération policière et douanière (CCPD) aux frontières intérieures. Les CCPD regroupent dans un même lieu des fonctionnaires de la police, des gendarmes et des douaniers ainsi que leurs homologues de l’autre pays. Ils jouent un rôle d’échange de l’information et de coordination des mesures d’intervention et d’assistance. Les résultats par ces structures obtenus sont probants.

Les centres de coopération policière et douanière (CCPD)[vii] ont permis de résoudre les problèmes posés dans les régions frontalières par le "déficit de sécurité" découlant de la disparition des contrôles systématiques aux frontières et de la compétence territoriale exclusivement nationale des services répressifs. La coopération facilite les échanges d’informations, les opérations et les contrôles communs et l’organisation d’actions coordonnées. Ainsi à titre d’exemple, des opérations de lutte contre le trafic de drogue baptisées « Hazeldonk » sont régulièrement menées entre la France, la Belgique et les Pays-Bas. Ces formes de coopération sont jugées utiles tant par les services concernés des États membres que par la population des régions dans lesquelles elles ont été créées.

La Commission européenne estime que si l’on appliquait plus largement ce modèle dans toute l’Union la lutte contre la criminalité gagnerait en efficacité. En outre, la confiance mutuelle et la coopération entre les services répressifs des différents États membres se développeraient. Il pourrait être utile de choisir quelques exemples de cette coopération et d’en faire des modèles de référence pour les instaurer aux frontières des 12 nouveaux États membres. La coopération policière opérationnelle transfrontalière prend donc indéniablement une nouvelle importance avec l’élargissement et doit donc constituer un axe d’effort.

Une meilleure sécurité grâce à une coopération en adaptation permanente

Les services de police et de douanes de l’UE se trouvent en première ligne dans la protection des frontières et dans lutte contre la criminalité. L’adaptation permanente des structures permet de répondre efficacement aux différentes menaces actuelles et futures.

La création d’EUROPOL en 1999, véritable office européen de police a constitué une avancée considérable dans la coopération renforcée entre les forces de l’ordre. Basé à La Haye aux Pays-Bas, l’agence EUROPOL est essentiellement un centre de coordination policière destiné à rassembler, à analyser et à diffuser l’information. Elle a également été conçue pour aider les autorités lorsqu’elles doivent effectuer des enquêtes dans plusieurs Etats de l’Union européenne. Au cœur de l’agence se trouve une vaste base de données informatique qui permet de rechercher et de suivre la trace d’individus connus et suspectés ainsi que celle des objets volés. Elle fournit aux services de police des Etats membres un accès instantané à des millions de dossiers partagés. Les domaines de compétences d’EUROPOL concernent un très grand nombre de questions d’intérêt commun aux membres et aux nouveaux candidats à l’espace Schengen. Il s’agit principalement de la lutte contre le trafic de drogue et de véhicules volés, contre la traite des êtres humains, les réseaux d’immigration illégale, l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, la contrefaçon, le trafic d’armes ou de matières radioactives et nucléaires, le terrorisme, le blanchiment d’argent ou encore la falsification de l’Euro.

Pour être efficace, une police doit être relayée au niveau judiciaire. La sécurité intérieure de l’Union européenne ne peut donc pas se concevoir sans une coopération judiciaire étroite.

En 1999, les gouvernements de l’UE ont convenu de mettre sur pied EUROJUST. Armée par une équipe d’experts juridiques et judiciaires, cette structure contribue depuis 2004 à coordonner les enquêtes et les poursuites concernant des crimes transfrontaliers graves. L’agence est composée de juristes et de magistrats expérimentés connaissant parfaitement l’appareil judiciaire de leur pays, pouvant y accéder rapidement et étant habilités à engager un dialogue direct avec les autorités nationales.

En 2004, l’UE a également instauré un mandat d’arrêt européen qui permet la remise directe entre autorités judiciaires de personnes recherchées dans un Etat de l’UE et interpellées dans un autre Etat.[viii]

En intégrant l’Union européenne, les nouveaux Etats membres sont tenus d’apporter pleinement leur contribution à ces structures qui couvrent tous les domaines de la sécurité.

B – Schengen : acquis communautaire comme gage de sécurité à l’élargissement

En adhérant à l’Union européenne, les 12 nouveaux membres ont été tenus d’accepter l’acquis Schengen. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de mettre en œuvre progressivement mais efficacement toutes les mesures de cet acquis.

1 - Des accords à l’acquis

Les réussites et le caractère performant de la coopération Schengen ont amené les Etats membres à intégrer l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union.

Schengen, de 5 à 15 pays, la preuve d’un besoin

L’accord de Schengen a été conclu hors du cadre communautaire par le biais d’un accord gouvernemental classique. C’est le 14 juin 1985 que la France, la République fédérale d’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ont signé à Schengen cet accord sans les autres membres. Il était prévu de réaliser progressivement mais le plus rapidement possible la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen sans contrôle systématique aux frontières intérieures de cet espace. La convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS) signée en 1990 est entrée en vigueur en 1995. Dix ans se sont donc écoulés entre la signature de l’accord et son application.

Entre temps, les cinq pays à l’origine de l’accord ont été rejoints par l’Italie en 1990, l’Espagne et le Portugal en 1991, la Grèce en 1992, l’Autriche en 1995, puis la Finlande, le Danemark et la Suède en 1996. Le Royaume-Uni et l’Irlande bénéficient d’un statut particulier dans la mesure où ils ont obtenu de pouvoir ne participer qu’à une partie des dispositions Schengen. L’Islande et la Norvège, qui ne sont pourtant pas membres de l’Union européenne, sont cependant parties prenantes de la CAAS en raison des accords de libre circulation les liant aux autres pays nordiques. Ils bénéficient de tous les droits liés à l’accord sauf celui de participer à la prise de décision.

Schengen a donc été conçu au départ hors cadre communautaire entre des Etats qui souhaitaient instaurer une véritable coopération renforcée. Son succès fût tel que l’acquis Schengen est devenu un véritable acquis communautaire.

Schengen, acquis communautaire, la preuve de l’efficacité

En 1999, l’acquis Schengen (annexe 1) est intégré dans le cadre de l’UE via un protocole annexé au traité d’Amsterdam et devient ainsi partie intégrante du droit communautaire. L’intégration de l’acquis de Schengen dans l’Union européenne n’a pas remis en cause le caractère intergouvernemental de cette coopération. La décision du Conseil européen du 20 mai 1999 déterminant la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l’acquis de Schengen a réparti ces articles entre le premier et le troisième pilier. Toute modification de ces règles requiert donc l’unanimité du Conseil et la consultation du Parlement européens. Il s’agit là d’une garantie fondamentale dans le cadre de l’élargissement de l’espace Schengen car tout Etat membre de l’UE et de l’espace Schengen a les moyens d’interdire l’intégration d’un nouveau membre.

L’acquis Schengen s’organise selon deux axes de coopération qui font partie des politiques de développement de l’espace de liberté, sécurité et justice :

. une harmonisation des contrôles aux frontières extérieure ;

. une coopération policière et judiciaire renforcée.

La ventilation de l’acquis entre le premier et le troisième pilier résulte de l’option de compromis choisie par les négociateurs du traité. En effet, l’option consistant à communautariser l’ensemble du dispositif Schengen ainsi que l’option d’une intégration complète dans le pilier intergouvernemental ont été rejetées par plusieurs Etats membres. Il ne restait donc plus que l’option consistant à ventiler les dispositions de l’acquis. La coopération définie par l’acquis de Schengen a rejoint ainsi le cadre juridique et institutionnel de l’Union européenne. Pour chaque mesure de l’acquis est définie une base juridique correspondante dans les traités européens.

Ces règles juridiques sont les règles que chaque nouveau pays candidat à l’intégration dans l’espace Schengen va devoir reprendre dans sa législation nationale, ce qui constitue en soi une garantie de sécurité.

2 – L’acceptation de l’acquis comme préalable à l’adhésion

Tous les pays candidats à une adhésion à l’Union européenne sont tenus d’adopter et de mettre en œuvre toutes les décisions prises au sein de l’Union en matière de sécurité intérieure et de justice. Ils doivent donc au préalable accepter et être en mesure d’appliquer l’acquis Schengen avant de pouvoir intégrer l’espace Schengen. L’Europe de la sécurité ne peut en effet prendre le risque d’un élargissement qui ne garantisse pas à chaque Etat membre une complète pérennité de l’ensemble du système et de ses différents rouages. Aussi, le peu de garanties offert par les dispositifs de sécurité de certains pays candidats à Schengen, a amené l’UE à d’abord faire accepter l’acquis Schengen et à n’imposer aux nouveaux membres de manière immédiate que les règles les moins contraignantes en termes de sécurité plutôt que d’envisager d’emblée une intégration à l’espace Schengen complète mais risquée.

Une application de l’acquis Schengen en deux temps et une mise en œuvre progressive

L’article 8 du protocole Schengen dispose que l’acquis doit être intégralement accepté par les nouveaux entrants. A ce titre, l’adhésion des pays candidats n’a pas entraîné la levée des contrôles systématiques aux frontières intérieures de l’Union avec ces pays car cette mesure est subordonnée à une décision distincte prise par le Conseil, à l’unanimité, à l’issue d’une évaluation spécifique effectuée par les Etats membres.

L’application de l’acquis de Schengen par les nouveaux Etats membres a fait l’objet d’un processus d’adoption spécifique et d’un découpage en deux listes différentes en septembre 2001. La première liste comprend les dispositions qui ont été appliquées dès l’adhésion en tant que partie intégrante de l’acquis de l’Union. Elles concernent principalement les contrôles aux frontières extérieures et la coopération policière et judiciaire. La seconde porte sur les dispositions qui doivent être mises en œuvre au plus tard au moment de la suppression des contrôles aux frontières intérieures et concernent en particulier les visas et le SIS II.

Dès 1998, l’UE a fait part aux nouveaux Etats membres de ses exigences de sécurité attendues aux frontières extérieures. Les prescriptions de Schengen ont obligé beaucoup de nouveaux Etats membres à réexaminer leur politique de gestion des frontières. Sous l’impulsion de l’Union soviétique , ils avaient privilégié et puissamment équipé leurs frontières occidentales. Aujourd’hui, ces mêmes pays doivent mettre en place des contrôles stricts à leur frontière orientale et éliminer progressivement les contrôles à l’Ouest jusqu’à leur disparition complète une fois que toutes les prescriptions de Schengen seront parfaitement remplies.

Afin de préparer au mieux leur entrée au sein de l’espace Schengen, les nouveaux Etats membres ont été tenus dès leur adhésion d’appliquer un certain nombre de mesures de l’acquis Schengen.

Depuis leur adhésion les nouveaux Etats membres appliquent une partie des règles relatives aux visas. Le 1er mai 2004, les règles de procédure de délivrance des visas ont été unifiées par le Conseil. La politique commune des visas nécessite en effet quelques aménagements en raison des susceptibilités à ménager avec les nouveaux voisins orientaux de l’UE 27 et en particulier l’ancien « grand frère » russe. Il a fallu également prendre en compte la position délicate de l’enclave de Kaliningrad, géographiquement située à l’intérieur du futur grand espace Schengen et dont les déplacements vers la Russie transitent par la Pologne ou la Lituanie. Depuis le 1er juillet 2003, les Russes se déplaçant entre l’enclave de Kaliningrad et les autres territoires russes doivent obtenir des autorités lituaniennes un document de transit facilité. Ce document n’est en réalité qu’un visa à entrées et sorties multiples. Jusqu’à la fin de 2004, les voyageurs pouvaient obtenir ce visa en présentant seulement leur passeport intérieur russe. Depuis 2005, il leur faut présenter un passeport internationalement reconnu.

Les nouveaux Etats membres sont également tenus de respecter l’acquis relatif aux migrations en appliquant le plan d’action global en matière de lutte contre l’immigration clandestine. Ce dernier représente un élément majeur dans la construction de l’espace Schengen puisque c’est la protection des frontières extérieures contre ce type d’atteinte qui conditionne la levée des contrôles systématiques intérieurs.

Enfin, les nouveaux Etats membres appliquent d’ors et déjà la politique d’asile de l’UE. Ils respectent donc la Convention de Dublin du 15 juin 1990 (mise en application le 1er septembre 1997) qui consacre le principe de la responsabilité unique d’un Etat dans le traitement de la demande d’asile et prévoit le transfert du demandeur d’asile vers ce pays. De manière générale, cette responsabilité incombe à l’Etat qui a laissé pénétrer le demandeur d’asile dans l’espace commun.

Les Etats Schengen actuels restent responsables du contrôle des frontières extérieures de l’espace Schengen, les nouveaux Etats membres n’étant pour l’instant qu’un filtre à l’entrée dans l’UE puisqu’ils ne disposent pas encore de toutes les ressources liées aux exigences de sécurité Schengen. Qualifié parfois de forteresse, l’espace Schengen apparaît solide et efficace et présente de nombreuses garanties pour maintenir un haut niveau de sécurité. L’implication progressive des nouveaux Etats membres dans la coopération policière semble également être un gage de sécurité. Il faut maintenant veiller à ce que les mesures exigées soient mises en œuvre et prendre en compte les nouveaux voisins du futur espace Schengen.

DEUXIEME PARTIE. L’ESPACE SCHENGEN, UN ESPACE AUX CONTRAINTES FORTES MAIS QUI SAIT S’ELARGIR

C’est avec l’élargissement et donc la perspective de l’intégration des nouveaux Etats membres au sein de l’espace Schengen, que la question du contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne est à nouveau devenue un sujet de préoccupation. Lors de la mise en place de l’espace Schengen, chaque Etat membre est resté responsable du contrôle de ses frontières extérieures. L’élargissement met, aujourd’hui, à mal cette conception de la gestion des frontières. L’impératif de sécurité des frontières de l’Union européenne est, en effet, voué à l’échec si les nouveaux membres sont laissés livrés à eux-mêmes lors de la prise en compte des frontières. L’élargissement ne peut, cependant, se traduire par un affaiblissement du contrôle des frontières de l’Union européenne.

Aussi, afin d’élargir l’espace Schengen efficacement et sans conséquence sur la sécurité, l’Union européenne a pris un certain nombre de garanties et de mesures. Ainsi, les nouveaux Etats membres doivent se mettre aux normes communautaires et se soumettre à une évaluation qui devra s’avérer positive pour se voir intégrer l’espace Schengen (A). Ces exigences ne sont cependant pas sans contraintes, elles sont d’une part à l’origine d’un retard de calendrier et nécessitent d’autre part une prise en compte des nouveaux voisins de l’Union européenne (B).

A - Un accès à Schengen qui se prépare mais qui n’est pas offert

La coopération Schengen repose sur une confiance mutuelle et renforcée entre les membres. Chaque Etat accepte de confier pour partie la sécurité de ses citoyens et de son territoire national à ses partenaires. Une stricte discipline est donc attendue des postulants Schengen pour se mettre en mesure d’appliquer les règles communes et les procédures contraignantes qui garantissent l’efficacité du système.

1 - Une mise aux normes imposée

La coopération Schengen est empreinte d’un pragmatisme lié à sa vocation opérationnelle et à la définition d’objectifs précis. Ainsi, l’application de la convention d’application des accords de Schengen (CAAS) se fait par une série d’étapes, parfaitement identifiées, annoncées et intervenant selon un calendrier susceptible d’évoluer au rythme des avancées ou des retards constatés. L’intégration d’un Etat dans l’espace Schengen s’inscrit dans un processus progressif de l’apprentissage de règles de vie en commun.

La mise en place de structures et l’aide financière de l’UE

Pour les nouveaux membres de l’UE, l’intégration dans Schengen est un immense défi auquel ils se préparent depuis presque une dizaine d’années. Dans de nombreux cas, ils ont dû commencer presque à zéro pour créer un système administratif et judiciaire moderne. Certains pays de l’Est possédaient encore au milieu des années 90 des appareils judiciaires datant de l’ère communiste où les magistrats et les tribunaux étaient au service voire aux ordres du pouvoir politique alors que les normes européennes garantissent l’indépendance de la justice. Ainsi, plusieurs Etats ont dû reconstruire leurs structures policières, judiciaires et douanières.

Compte tenu de l’étendue des frontières extérieures que doivent prendre en compte les nouveaux pays membres et des déficiences de leurs structures, l’effort financier à produire s’est vite avéré considérable. Afin de favoriser la mise en place chez les nouveaux Etats membres de structures efficaces et l’adoption de méthodes et comportements conformes aux normes Schengen, l’UE a mis en place des programmes de financement spécifiques. Ainsi s’est instaurée, avant même l’élargissement, une solidarité effective entre Etats membres et pays candidats. Pour garantir sa sécurité, l’UE n’avait, semble t-il, cependant pas d’autre choix.

Le programme PHARE[ix] est le principal instrument de la coopération financière et technique pour aider les pays à acquérir les capacités nécessaires à la mise en œuvre de l’acquis communautaire. Géré par la Commission européenne, il s’est inscrit dans la durée pour préparer l’élargissement. Entre 1995 et 1997, 53 millions d’euros ont été consacrés à la seule modernisation des postes de contrôle frontaliers des nouveaux Etats membres de l’Europe de l’Est. Les fonds PHARE ont été utilisés par exemple en 1997 en Pologne pour équiper sa police en matériel de traitement des empreintes digitales. Cet effort en faveur des futures frontières extérieures s’est confirmé par la suite puisque pour la période 2000-2006, le programme PHARE possédait un budget de 10 milliards d’euros.

Le rapport global de suivi de la Commission européenne sur le degré de préparation à l’adhésion constatait dès 2003 de graves lacunes dans le contrôle des frontières extérieures. La mise en œuvre d’autres programmes de financement s’est avérée rapidement nécessaire pour assister de manière plus ciblée les nouveaux Etats membres dans la réforme de leurs structures. Un programme d’aide d’un montant total de 963 millions d’euros a été débloqué pour la période 2004-2006 afin de couvrir les investissements relatifs à la construction et à la rénovation des infrastructures nécessaires au contrôle des frontières, aux équipements opérationnels et à la formation des polices aux frontières.

Le programme ARGO qui s’est étendu de 2002 à 2006 a, quant à lui, instauré un programme d’action concernant la coopération administrative dans le domaine des frontières extérieures, des visas, de l’asile et de l’immigration. Engageant plus de 25 millions d’euros supplémentaires, il participe à la mise en œuvre des mesures relatives aux contrôles aux frontières extérieures, à la délivrance des visas, au régime d’asile commun européen ou encore aux dispositions en matière d’immigration. Il finance également des actions de formation, des échanges d’agents, une modernisation des traitements informatisés de fichiers ou la création de centres opérationnels communs à plusieurs Etats membres.

Les moyens financiers déployés ont permis de combler de nombreuses déficiences par l’adoption de mesures concrètes. L’Union européenne se donne donc les moyens pour maintenir d’un degré de sécurité constant au sein de ses frontières. Il semble cependant qu’elle ait sous évaluée au départ l’ampleur de la tâche.[x]

La création d’une agence européenne de gestion des frontières extérieures

Toujours dans un souci de préparation des nouveaux Etats membres à leur entrée dans l’espace Schengen, l’UE a mis en place l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle des frontières extérieures. Installée à Varsovie, cette dernière sous l’appellation FRONTEX est opérationnelle depuis le mois d’octobre 2005. Le choix de Varsovie n’est pas neutre, il constitue avant tout un geste politique fort pour montrer l’intégration pleine et entière des nouveaux membres dans l’Union européenne. Il démontre si besoin était que les frontières orientales de l’UE sont jugées prioritaires.

FRONTEX devrait être amenée à jouer un rôle essentiel dans le futur espace Schengen. L’agence a d’abord vocation à aider les Etats membres à mettre en œuvre les règles communautaires relatives aux frontières extérieures. Sur le plan opérationnel, elle assure la coordination des opérations conjointes dont l’exécution concrète relève de la responsabilité des États membres. Elle est également en mesure d’aider un Etat qui devrait faire face à une situation particulière en dépêchant des experts ou en proposant des équipements techniques de contrôle et de surveillance. FRONTEX apparaît ainsi comme une garantie supplémentaire du maintien de l’efficacité du prochain espace Schengen.

En septembre 2006, FRONTEX a déjà montré toute sa pertinence en intervenant au profit de l’Espagne par des patrouilles au large des côtes sénégalaises pour lutter contre l’immigration illégale. A peine dix jours après la mise en place des patrouilles européennes, c’est 400 candidats à l’immigration qui ont été interceptés et remis aux autorités de Dakar. Face à un tel succès, Bruxelles a débloqué en octobre 2006 plus de 6 millions d’euros au profit de l’Italie, l’Espagne et Malte, les trois pays les plus concernés par le débarquement de clandestins. L’UE a demandé à l’agence d’instaurer le plus rapidement possible un réseau permanent de patrouilles côtières à la frontière maritime méridionale. Dans le cadre de l’élargissement, FRONTEX envisage dès à présent des opérations conjointes aux abords des futures frontières de l’espace Schengen.

Tout semble avoir été préparé pour garantir la sécurité du prochain espace Schengen. La mise aux normes est certes imposée mais s’accompagne d’aides financières et de l’assistance de l’agence FRONTEX. Il ne reste donc aux nouveaux Etats membres qu’à satisfaire à l’examen de passage.

2 - Des évaluations positives exigées avant une intégration dans l’espace Schengen

La coïncidence quasi-parfaite entre l’espace Schengen et le territoire de l’Union jointe à l’intégration de l’acquis Schengen entraîne une conséquence logique : tout nouvel Etat adhérant à l’Union doit accepter et la mettre en application les dispositions Schengen. Il convient de noter la fermeté avec laquelle celle-ci est posée par le Traité d’Amsterdam et plus précisément par le protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne dans son article 8. Il n’est pas question pour les Etats candidats de négocier une clause d’exemption comparable à celle dont bénéficient le Royaume-Uni et l’Irlande. Schengen constitue pour eux une coopération renforcée à laquelle ils ne peuvent se soustraire. Il s’agit de reprendre la méthode qui a fait le succès de la coopération Schengen. Celle-ci consiste à subordonner la décision de lever les contrôles aux frontières intérieures à la règle de l’unanimité après vérification que les conditions assurant la sécurité de la zone de libre circulation sont réunies.

Des évaluations exigeantes et une procédure stricte

L’évaluation de la situation des Etats candidats a fait l’objet de nombreuses discussions pour savoir qui des Etats ou des instances communautaires procéderait à cette évaluation. Selon la décision du Comité exécutif de 1998, cette évaluation spécifique est confiée au groupe Evaluation de Schengen ou SCHEVAL à qui appartient le soin de préciser les exigences et critères devant être remplis avant la levée des contrôles aux frontières intérieures.

La reprise de l’acquis par les Etats candidats ne devra pas être formelle, mais effective. Il ne s’agit pas d’adopter des législations parfaites mais inapplicables. Un soin particulier doit donc être porté à leur application sur le terrain. L’exigence essentielle est de créer des frontières sûres. Les procédures d’évaluation ont pour but de s’assurer que les nouveaux Etats membres remplissent les conditions nécessaires à l’application de l’acquis Schengen. Les évaluations sont menées séparément pour chaque nouvel Etat membre.

L’évaluation des nouveaux Etats membres arrive au premier semestre 2007 dans sa phase finale pour les dix membres qui ont rejoint l’UE le 1er mai 2004. Le groupe Evaluation Schengen a d’abord procédé à des vérifications par écrit au moyen de questionnaires. Il a ensuite effectué une première série de visites sur place pour apprécier la situation. Les travaux effectués représentent l’aboutissement d’une évaluation complète effectuée sur 18 mois et concernent les domaines de la coopération policière, de la gestion des frontières, de la protection des données et des visas[xi]. Une seconde série de visites est programmée avant le mois d’octobre 2007 pour s’assurer de la mise en conformité des points défaillants constatés. Le Conseil prendra au mois de novembre 2007 la décision souveraine et à l’unanimité, d’ouvrir l’espace Schengen au vu des résultats des dernières évaluations.

B - Des exigences de sécurité contraignantes

Le respect des normes de sécurité n’est pas sans contrainte. Si les nouveaux Etats membres ont bien été préparés à intégrer l’espace Schengen, quelques règles fondamentales de l’acquis Schengen ne sont toujours pas en mesure d’être applicables, ce qui de facto entraîne un inconfortable retard de calendrier. Par ailleurs, il importe de prendre en compte le nouvel environnement du futur espace Schengen.

1 - Un retard de calendrier

L’élargissement de l’espace Schengen à de nouveaux membres ne se fera pas en octobre 2007 comme initialement prévu. L’efficacité de l’espace Schengen repose à la fois sur la capacité des Etats à assurer le contrôle des frontières mais aussi sur l’intégration de l’ensemble des Etats au système d’information Schengen (SIS). Or, les évaluations actuelles de certains Etats ne sont pas satisfaisantes et le SIS II connaît des retards de mise en route.

Le retard de quelques pays et la difficulté d’apporter une réponse politique

La décision de mise en application de l’acquis Schengen se fera au cas par cas pour chaque nouvel Etat membre. Il est, certes, prévu d’intégrer l’ensemble des nouveaux Etats membres à la même date mais pour l’heure, le résultat des évaluations apparaît sensiblement différent d’un Etat à l’autre. Sur le fond, les conclusions des différents rapports mettent en évidence les efforts importants consentis par les nouveaux Etats membres pour se mettre en conformité avec les dispositions de l’acquis Schengen mais des progrès restent à faire.

L’état de préparation de la Hongrie est considéré comme très satisfaisant et l’évaluation apparaît positive. La Slovénie et la République tchèque se distinguent quant à elles par leur bon état de préparation. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, animées d’un fort sentiment anti-russe, sont en bonne voie. La Pologne qui assurera le contrôle de 1 200 km de frontières extérieures compense un retard certain en matière d’infrastructures par un déploiement important de moyens humains. Cependant, compte tenu du faible niveau des salaires en Pologne (500 euros en moyenne), le risque de corruption n’est pas écarté et a conduit à la création d’un corps d’inspection. Confrontée à un nombre croissant de migrants clandestins, Malte possède encore une marge de progression très importante dans sa préparation et se doit de mieux contrôler ses approches maritimes.

Récemment intégrées au sein de l’Union européenne, la Bulgarie et la Roumanie ne sont pas dans l’immédiat concernées par les évaluations. Ces pays sont encore dans la phase de préparation et de mise aux normes communautaires. Cependant, il apparaît d’ors et déjà que le travail à accomplir est gigantesque. Les structures administratives de ces deux Etats présentent de graves insuffisances. Les moyens matériels en charge de la surveillance des frontières sont obsolètes et les personnels trop peu nombreux et mal formés. Si ces deux Etats ne sont pas soumis au même calendrier que les Etats membres qui ont rejoint l’UE en 2004, la situation n’en demeure pas moins particulièrement inquiétante sur le plan de la sécurité. La Bulgarie et la Roumanie sont directement concernées par les frontières extérieures. Si des garanties existent pour maintenir un haut niveau de sécurité au sein de l’espace Schengen, il existe des inquiétudes tant le travail à accomplir est important et tant l’intégration de ces pays dans l’espace Schengen apparaît inéluctable. Il sera certainement nécessaire mais difficile sur le plan politique d’adopter des positions intransigeantes tant que l’acquis Schengen ne sera pas en mesure d’être complètement et efficacement appliqué.

Les dernières vérifications concernant Chypre et la Slovaquie sont encore plus inquiétantes. Tout d’abord, parce que ces pays ont rejoint l’UE depuis le 1er mai 2004 et que l’on est donc en droit d’attendre un certain niveau de préparation. Ensuite, parce que la Slovaquie espère se voir ouvrir l’espace Schengen dès le 31 décembre 2007, Chypre ayant vocation à le rejoindre ultérieurement en raison de retards reconnus dans sa préparation. Les rapports d’évaluation de l’UE font clairement apparaître que la Slovaquie présente de réelles déficiences dans son état de préparation. La Slovaquie rencontre de graves difficultés à assurer un véritable contrôle des frontières. Des lacunes sont apparues à la fois en termes de stratégie, de gestion des moyens humains et techniques, de méthode et de formation. La situation laisse apparaître notamment que les gardes frontières sont en nombre insuffisant, pas assez formés, inexpérimentés, mal équipés et pour certains d’entre eux corrompus. Les infrastructures ne sont pas en conformité avec les normes Schengen et le dispositif adopté pour faire face à la pression migratoire en provenance de l’Ukraine complètement inadapté. La coopération bilatérale, notamment l’application des dispositions des articles 39, 40 et 41 relatifs au droit de poursuite et d’observation avec la Pologne et la Hongrie est inexistante. La structure SIRENE qui a vocation à faire l’interface avec le SIS n’est ni prête, ni armée, ni préparée. La Slovaquie n’est manifestement pas prête, ce qui est particulièrement alarmant en termes de sécurité et met l’Union européenne dans une position délicate. Si la Slovaquie ne prend pas conscience de la situation et ne procède pas à une réaction énergique en vue de se mettre à niveau, son intégration pourrait être différée, ce que la Slovaquie ne semble pas accepter. Ainsi, le Premier ministre slovaque, Robert FICO réagissait devant le Conseil européen des ministres de l’Intérieur le 5 décembre 2006 dans les termes suivants : « je perçois ces conclusions comme des moyens de retarder à tout prix notre intégration à l’espace Schengen ». [xii]

La France et l’Autriche se montrent particulièrement attentives et pourraient s’opposer à l’intégration de ce pays dans l’espace Schengen si elles devaient se prononcer dans l’état actuel des choses. La ministre de l’Intérieur autrichien Liese PROKOP a émis des doutes à peine déguisés quant à la capacité des slovaques de protéger leurs frontières de manière satisfaisante, en qualifiant la Slovaquie de « cas problématique »[xiii]. A l’image d’autres anciens membres, la France ne souhaite pas ralentir politiquement les travaux du groupe évaluation de Schengen mais ne mettra pas en péril la sécurité de l’espace Schengen pour des impératifs de calendrier.

L’hétérogénéité de l’état de préparation des Etats pourrait avoir pour effet de contribuer à désolidariser l’ensemble des nouveaux Etats membres. Cette mesure pourrait atténuer la pression sur les Etats les moins bien préparés en leur laissant des délais supplémentaires pour se mettre en conformité, c’est la position adoptée pour l’Etat chypriote. Elle pourrait aussi être source d’incidents politiques si ces mêmes Etats étaient amenés à se sentir rejetés, ce qui est le cas de la Slovaquie et peut être dans quelques mois celui de la Bulgarie ou de la Roumanie. Si l’intégration de la Slovaquie venait à être différée, la République tchèque, la Pologne, l’Autriche et la Hongrie seraient invitées à considérer leur frontière commune avec ce pays comme une frontière extérieure de l’espace Schengen, ce qui s’avère dès à présent difficilement concevable tant sur le plan des infrastructures à mettre en place que sur le plan diplomatique. Une intégration au cas par cas est donc à la fois un gage de sécurité et une porte ouverte à l’instauration d’un climat politique tendu. Dans l’urgence, l’UE a demandé à l’agence FRONTEX de recenser les meilleures pratiques pour la fin du mois d’avril 2007 pour les faire appliquer aux Etats les moins bien préparés avant le mois de novembre 2007. Dans l’intérêt de tous, la Slovénie qui apparaît comme le bon élève de la classe s’emploie par ailleurs activement à aider la Slovaquie à être prête dans les délais fixés en envoyant ses experts avant ceux du groupe SCHEVAL.

Officiellement, l’Union européenne fait donc primer l’exigence sécurité sur le calendrier qui prévoit la prise de décision finale d’entrée dans l’espace Schengen en novembre 2007. Cependant, elle préférerait que les Etats soient tous prêts à intégrer l’espace Schengen en fin d’année 2007 pour éviter de nouvelles tensions supplémentaires après celles survenues lors de l’annonce du retard mise en œuvre du SIS II.

Le retard de la mise en œuvre du SIS II et le sentiment de rejet des nouveaux Etats membres

Au-delà d’une évaluation positive de leur capacité à assurer la sécurité aux frontières extérieures, les nouveaux Etats membres doivent pouvoir utiliser le système d’information Schengen (SIS) pour prétendre rejoindre l’espace Schengen. Clé de voûte du dispositif, le SIS est composé d’une structure centrale installée à Strasbourg et d’une extension nationale dans chaque Etat. Le SIS actuel contient plus de 17 millions de signalements dont 800 000 personnes recherchées et permet aux forces de l’ordre de déterminer les conduites à tenir lors de contrôles d’individus ou de découvertes d’objets volés. Il permet également de détecter les personnes entrées illégalement sur l’espace Schengen ou les criminels ou terroristes de toute nature. Bien avant la problématique de l’intégration de nouveaux Etats membres, l’Union européenne a décidé de mettre en place un SIS II. Plus performant technologiquement que son prédécesseur, le SIS II prévoit le stockage de données biométriques. Devenu incontournable dans la perspective de l’élargissement, le SIS II devait être opérationnel en mars 2007 pour permettre un élargissement de Schengen à compter du mois d’octobre 2007. Finalement, le projet ayant connu de nombreuses infortunes, le SIS II ne devrait être opérationnel que fin 2008 ou début 2009.

Le retard de mise en œuvre du SIS II a d’abord amené l‘UE a reporté l’élargissement de l’espace Schengen au début de l’année 2009. Cela lui permettait de compléter la préparation des Etats les plus en retard. C’était sans compter sur la vive réaction et la colère des nouveaux Etats membres qui ont eu le sentiment d’être traités comme des citoyens de « seconde zone ». Offusqués, ils n’ont pas accepté d’être contrôlés lors de leur entrée dans l’espace Schengen et de se voir interdire l’autorisation de délivrer des visas jusqu’en 2009. Ils ont surtout suspecté des motifs politiques derrière ce retard. Face à ces vives réactions qu’elle n’avait pas anticipées, l’UE a alors accusé la France qui abrite le système d’être à l’origine du retard. Les autorités françaises ont mis en cause, de leur côté, les procédures de la Commission européenne, chargée de contrôler ce nouveau système.

Dans un souci d‘apaisement, le Portugal a proposé en novembre 2006 en attendant la mise en place du SIS II d’élargir les capacités techniques du SIS I pour limiter le retard. Si le retard semblait arranger l’UE qui voyait ainsi des délais supplémentaires pour parfaire la préparation de certains Etats, la réaction des nouveaux Etats membres l’a amenée à adopter le projet portugais. Baptisé « SIS1+ » ou « SISone4all », le SIS I élargi pourrait intégrer les nouveaux Etats membres en juin 2007 pour ensuite entamer une phase de test et d’évaluation. Si toutes les conditions sont réunies, la solution retenue permettra d’ouvrir l’espace Schengen en levant les contrôles systématiques aux frontières terrestres dès le 31 décembre 2007 et ceux dans les aéroports fin mars 2008 pour neuf des dix Etats membres entrés dans l’UE en 2004 (la Chypre, la Bulgarie et la Roumanie étant sur un calendrier différent) ainsi que la Suisse.

Si la solution permet de satisfaire aux normes sécuritaires de l’acquis Schengen, elle présente plusieurs inconvénients. Tout d’abord, élargir le SIS I devrait s’avérer une opération très coûteuse non planifiée. Ensuite, l’élargissement du SIS I risque de retarder encore plus voire de condamner le SIS II qui s’annonçait beaucoup plus performant et plus ambitieux en stockant notamment des données biométriques. L’élargissement du SIS I fera, par ailleurs, perdre à la Commission européenne son pouvoir de contrôle sur le nouveau système. Enfin, face à l’impréparation avérée d’un ou plusieurs Etats, l’UE devra prendre ses responsabilités dès le mois de novembre 2007 et ne pourra plus prétexter un problème technique pour reporter sa décision.

L’UE se doit de retarder l’intégration dans l’espace Schengen d’un Etat qui n’est pas en mesure de respecter l’acquis Schengen. Encore faudra t-il, si le cas se présente lors des prises de décisions prévues en novembre 2007, qu’au moins un ancien Etat membre possède le courage politique d’en faire le choix puisque la décision d’intégration est adoptée à l’unanimité. Une telle hypothèse n’est pas à exclure et risquerait de mettre l’UE dans une situation délicate vis à vis de l’Etat rejeté et de ceux qui le soutiennent. Face à un Etat insuffisamment préparé, l’UE devra faire un choix : retarder son intégration dans l’espace Schengen et affronter toutes les réactions politiques qui en découlent ou accepter l’intégration au détriment de la sécurité. Là se situe, le risque le plus sérieux de créer un espace Schengen amoindri. Si l’UE doit respecter les normes sécuritaires, elle doit aussi prendre en compte ses nouveaux voisins.

2 - La prise en compte d’un nouvel environnement

La coopération Schengen n’est pas à elle seule en mesure de répondre au défi créé par l’élargissement. Il s’agira en effet d’assurer la sécurité d’un espace plus exposé à certaines menaces et donc de conforter la stabilité de l’environnement de l’Union européenne.

L’immigration irrégulière, une nouvelle menace ?

L’Europe communautaire constitue aujourd’hui la destination privilégiée des candidats à l’immigration. L’élargissement de l’UE a d’abord conduit à la mise en place d’une double frontière qui prendra fin avec l’intégration des nouveaux Etats membres au sein de l’espace Schengen. Ces Etats pourront alors être soumis à une pression migratoire. A titre d’exemple, en 2005, la Pologne a interpellé 4 000 étrangers en situation irrégulière sur son territoire en provenance de sa frontière orientale[xiv]. Cette immigration illégale concerne en grande majorité des Ukrainiens et des Russes. L’instauration des visas pour les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses, qui résulte de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, semble avoir eu pour effet une baisse notable de l’immigration légale de ces ressortissants. La plupart d’entre eux vient quelques jours pour travailler mais pourrait être tentés de rester et de circuler sur le territoire de l’Europe communautaire une fois que la Pologne aura adhéré à l’espace Schengen. La clé de maîtrise des flux semble résider dans l’instauration d’une politique migratoire communautaire. L’inégale répartition des richesses et des niveaux de vie ne peut, de toute évidence, que favoriser la pression migratoire même si une vague massive d’immigrants venant de l’Est semble peu probable puisque cela s’est déjà produit dans les années 1990 avec le démantèlement du régime soviétique.

Malte est en revanche particulièrement touchée par le phénomène de l’immigration clandestine. En 2005, près de 2 000 immigrés clandestins ont été interpellés à Malte[xv]. Ces migrants originaires de la corne de l’Afrique effectuent la traversée dans des conditions sanitaires déplorables afin de rejoindre l’Italie. Une fois interpellés, ces immigrés sont enfermés massivement dans des centres de détention aux capacités réduites pour une durée moyenne de 18 mois alors qu’en France cette durée ne peut excéder 32 jours. Le problème dépasse donc le simple fait de l’immigration clandestine et montre tout le travail qu’il reste à faire à cet Etat pour espérer rejoindre l’espace Schengen. Les autorités maltaises déplorent la faible participation des anciens Etats membres à la mise en place de patrouilles maritimes. Elles regrettent également le manque de coopération de la Libye dont proviennent la plupart des navires alors qu’il n’existe pas d’accord de réadmission entre l’Union européenne et la Libye. On peut être inquiet car une fois l’adhésion de Malte à l’espace Schengen obtenue, les immigrés clandestins qui auront réussi à entrer sur le territoire maltais pourront prendre librement le bateau pour se rendre en Italie.

La Libye qui compte 1 700 kilomètres de côtes est, en effet, perçue par l’Union européenne comme une véritable plaque tournante de l’immigration clandestine, où affluent non plus seulement des migrants subsahariens, mais pour l’essentiel des Egyptiens, des Marocains et des Erythréens. Entre janvier et septembre 2006, 16 000 immigrés ont été arrêtés par les forces de police italiennes.[xvi]

L’Union européenne doit donc rester vigilante et se doter d’une approche globale pour lutter contre l’immigration clandestine. Ainsi des partenariats avec les Etats africains sont recherchés pour obtenir la réadmission des migrants interpellés en situation irrégulière. Le plan d’action prévoit la mise en place de systèmes efficaces de réadmission et le renforcement de la capacité de contrôle des frontières et une coopération policière et judiciaire. Ce partenariat s’appuie sur les engagements pris en commun lors des conférences ministérielles tenues à Rabat et à Tripoli en 2006. Une telle approche aura sans conteste pour conséquence directe une protection de l’espace Schengen. Cependant, force est de constater que les politiques actuelles de contrôle migratoire menées par les Etats membres n’ont pas encore de cohérence à l’échelle de l’Europe communautaire.

L’harmonisation de la politique migratoire constituera sans conteste un des prochains défis à relever pour garantir la sécurité de l’espace européen face aux prochaines possibilités d’entrées illégales sur le territoire Schengen.

La prise en compte des nouveaux voisins

L’élargissement a repoussé les frontières de l’Union européenne et il y a lieu de prendre en compte les nouveaux voisins pour garantir la sécurité intérieure de l’espace Schengen.

Les risques liés à l’ex-URSS sont bien connus : trafics en tous genres, blanchiment d’argent, corruption, criminalité organisée et même terrorisme étant donné les ramifications de la filière islamiste, de l’Espagne aux montagnes du Caucase. Les Balkans présentent une situation très particulière. Constituant une enclave au sein du futur espace Schengen, les Balkans et notamment la criminalité d’origine albanaise constituent une sérieuse menace. Aussi des partenariats privilégiés ont été mis en place avec les Etats des Balkans. Candidats potentiels à une adhésion à l’Union européenne, il y a lieu d’aider ces Etats, de façon à ce que s’ils intègrent l’UE, ils le fassent dans de meilleures conditions de préparation que les 12 derniers Etats membres. Dans l’immédiat, les Etats baltes, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie sont au contact direct de ces pays et constituent le véritable « cordon sanitaire » du reste de l’Union européenne. Cette fonction est d’autant plus pesante que les exigences de sécurité se sont considérablement développées ces dernières années.

La politique européenne de voisinage doit contribuer à renforcer le futur espace Schengen

L’élargissement à l’Est de l’Union européenne a entraîné dès le début des années 2000 une réflexion sur les nouveaux voisins. A l’origine, la réflexion n’intéressait que les futurs nouveaux voisins orientaux (Ukraine, Biélorussie, Moldavie). Elle s’est transformée ensuite en une politique européenne de voisinage qui s’adresse au profit des Etats disposant d’une frontière terrestre ou maritime avec l’Europe élargie à l’exception des Etats impliqués dans le processus d’élargissement. Sont donc concernés par la politique européenne de voisinage les voisins de l’Est mais aussi les pays du Caucase et du Sud de la Méditerranée (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Autorité palestinienne, Syrie et Tunisie). En 2002-2003, la politique européenne de voisinage a fait l’objet de nombreux textes émis par les décideurs européens, ce qui témoigne de l’intérêt grandissant à l’égard d’une l’d’une zone géographique qui est amenée à jouer un rôle de premier plan dans le débat sur les frontières ultimes de l’UE, mais aussi sur son identité politique et sur sa place dans l’espace géopolitique eurasiatique.

La politique européenne de voisinage vise à sécuriser les frontières extérieures de l’UE et donc du futur espace Schengen. Ces pays participent à diverses activités dans les domaines de coopération politique, économique, culturelle mais surtout sécuritaire. Le respect de la démocratie et des droits de l’Homme est une condition au maintien des accords de coopération. L’expression la plus significative pour comprendre le lancement de la politique européenne de voisinage est sans doute celle du président de la Commission européenne, Romano Prodi, pour qui l’objectif est de créer « un cercle d’amis ».

La politique européenne de voisinage liée à l’intérêt propre de l’UE de consolider sa sécurité en faisant de ses voisins des alliés et en leur prouvant que les intérêts de l’UE relèvent aussi de leurs propres intérêts devra constituer un gage supplémentaire de sécurité de l’espace Schengen.

CONCLUSION

L’acquis Schengen présente un certain nombre de garanties. Ainsi, les nouveaux Etats membres doivent se mettre en mesure d’appliquer les normes communautaires pour intégrer l’espace Schengen. Au cours du premier semestre 2007, le groupe évaluation Schengen procèdera aux dernières vérifications dans les 9 Etats membres qui ont vocation à rejoindre l’espace Schengen en fin d’année 2007. A l’issue de l’évaluation, l’UE prendra sa décision à l’unanimité en étudiant la situation de chaque pays au cas par cas. La procédure est conçue pour pouvoir retarder l’intégration d’un pays mal préparé. Ainsi, le niveau de sécurité de l’espace Schengen est garanti.

Dans la pratique, ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord parce que le calendrier est incompressible. L’UE ne peut plus miser sur le retard du SIS II puisqu’un SIS I amélioré devrait être opérationnel en juin 2007. Les nouveaux Etats membres sont par ailleurs impatients de rejoindre l’espace Schengen et se sont montrés très agacés en octobre 2006 lorsqu’il avait d’abord été envisagé de reporter leur intégration à l’année 2009 au motif que la mise en œuvre du SIS II prenait du retard. L’espace Schengen sera élargi le 31 décembre 2007, l’UE va donc devoir prendre sa décision en novembre 2007 au plus tard. Certains Etats ne sont pas encore en mesure d’appliquer l’acquis Schengen. Intégrer ces Etats pourrait amener une dégradation du niveau de sécurité de l’espace Schengen. Si la préparation d’un Etat n’est pas terminée, peut-on imaginer que l’UE repoussera l’entrée de cet Etat ? Des raisons politiques ne risquent-elles pas d’être prioritaires sur la sécurité ? Là se situe le principal risque de voir une dégradation de la sécurité au sein de l’espace Schengen. Certains Etats, notamment la France ou l’Autriche, affirment dès à présent qu’ils ne braderont pas les exigences de sécurité. D’autre part, tout est fait pour mettre aux normes avant le mois d’octobre 2007 les pays en retard dans leur préparation.

L’élargissement de l’UE de 15 à 27 membres en un peu plus de deux ans n’est pas sans poser de problème. Ainsi, l’UE a décidé de faire une pause dans son processus d’élargissement car elle découvre au fur et à mesure un certain nombre de difficultés. Dans le cadre de l’élargissement de l’espace Schengen et pour éviter à nouveau d’éventuelles déconvenues, il y a lieu de prendre en compte dès à présent la situation des deux nouveaux membres que sont la Roumanie et la Bulgarie mais aussi les Etats des Balkans candidats potentiels à une adhésion au sein de l’UE et qui se présentent d’ors et déjà comme une brèche potentielle dans l’espace sécuritaire de l’Union européenne.

Manuscrit clos en avril 2007

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[i] Rapport d’information de l’Assemblée Nationale, n°1545 déposé le 14 avril 2004 – page 5.

[ii] A titre d’exemple, avant la mise en application de l’accord de Schengen, un brésilien venant en Europe pouvait entrer librement au Portugal alors qu’il devait disposer d’un visa pour entrer en France.

[iii] Le SIS contient actuellement 17 millions de signalements dont 800 000 personnes recherchées.

[iv] Article 2 – paragraphe 2 de la convention d’application de l’accord de Schengen.

[v] Rapport d’information du Sénat n°173 concernant l’amélioration de la coopération policière entre les Etats membres aux frontières intérieures en date du 25 janvier 2006.

[vi] Au cours d’une observation, les agents ne peuvent ni interpeller ni arrêter la personne observée. Ils ne peuvent entrer dans les domiciles ou tout lieu non accessible au public. Toutefois, ils peuvent emporter leur arme de service et l’utiliser en cas de légitime défense.

[vii] CCPD réalisés : Kehl/Offenburg (Allemagne/France), Tournai (Belgique/France), Vintimille et Modane (France/Italie), Canfranc-Somport- Urdos, Le Perthus-La Junquera, Melles Pont du Roy-Les et Biriatou-Irún (France/Espagne), Tuy/Valença do Minho, Caya/Elvas, Vilar Formoso/Fuentes de Oñoro, Vila Real de Santo Antonio/Ayamonte (Espagne /Portugal).

[viii] Chaque année près de 100 mandats sont exécutés. En 2006, les autorités italiennes ont remis à l’Espagne Rabei Osman, interpellé à Rome et suspecté d’être le commanditaire des attentats de Madrid du 11 mars 2004.

[ix] Les pays candidats à avoir bénéficié du programme PHARE sont : la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Croatie.

[x] Le dispositif initial de contrôles aux frontières de la Pologne était axé sur les frontières occidentales pour empêcher les ressortissants de s’enfuir vers l’Ouest, au total la création du dispositif de protection polonais aux frontières avec l’Ukraine et la Biélorussie, a demandé à lui seul une aide de l’UE de 150 millions d’euros.

[xi] Plus de 60 missions d’inspection ont été menées en 2006.

[xii] article publié sur www.euractiv.com intitulé « L’élargissement de Schengen prévu pour fin 2007 », le 6 décembre 2006.

[xiii] Article publié sur www.euractiv.com intitulé « L’élargissement de Schengen prévu pour fin 2007 », le 6 décembre 2006.

[xiv] Source www.senat.fr/Europe - Préparation de la Pologne dans l’espace Schengen – publié le 11 octobre 2006.

[xv] Source www.senat.fr/Europe - Préparation de Malte dans l’espace Schengen – publié le 11 octobre 2006.

[xvi] Bilan du monde 2007 – Le Monde Hors série janvier 2007 – page 23.


Annexe. Définition de l’Acquis de Schengen

1. Accord, signé à Schengen le 14 juin 1985, entre les gouvernements des Etats de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes.

2. Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, conclue le 19 juin 1990 entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché du Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas, ainsi que l’acte final et les déclarations communes annexés.

3. Protocoles et accords d’adhésion à l’accord de 1985 et à la convention d’application de 1990 avec l’Italie (signés à Paris le 27 novembre 1990), l’Espagne et le Portugal (signés tous deux à Bonn le 25 juin 1991), la Grèce (signés à Madrid le 6 novembre 1992), l’Autriche (signés à Bruxelles le 28 avril 1995) ainsi que le Danemark, la Finlande et la Suède (signés tous trois à Luxembourg le 19 décembre 1996), ainsi que l’acte final et les déclarations annexés.

4. Décisions et déclarations adoptés par le Comité exécutif institué par la convention d’application de 1990, ainsi que les actes adoptés en vue de la mise en œuvre de la convention par les instances auxquelles le Comité exécutif a conféré des pouvoirs de décision.


Bibliographie

Textes de références

Accord entre les Gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 – 580 pages.

Rapport d’information de l’Assemblée Nationale n°1545 de M Thierry MARIANI sur la création d’une agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne, déposé le 14 avril 2004 – 18 pages.

Rapport d’information de l’Assemblée Nationale n°1690 de M Jean-Marie BOCKEL sur la coopération transfrontalière dans le cadre de la convention de Schengen, déposé le 10 juin 1999 – 121 pages.

Rapport d’information de l’Assemblée Nationale n°1476 de M François LONCLE sur le bilan et les perspectives des accords de Schengen, déposé le 17 mars 1999 – 60 pages.

Rapport d’information de l’Assemblée Nationale n°1257 de M François LONCLE sur l’intégration de Schengen dans l’Union, déposé le 10 décembre 1998 – 48 pages.

Rapport d’information du Sénat n°47 de M Hubert HAENEL concernant sur les clauses passerelles et les coopérations renforcées en matière de justice et d’affaires intérieures, déposé le 30 octobre 2006 – 50 pages.

Rapport d’information du Sénat n°173 de M Pierre FAUCHON concernant l’amélioration de la coopération policière entre les Etats membres aux frontières intérieures et modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen, déposé le 25 janvier 2006 – 27 pages.

Rapport d’information du Sénat n°174 de M Richard YUNG sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de 2ème génération, déposé le 25 janvier 2006 – 31 pages.

Rapport d’information du Sénat n° 295 de MM. Hubert HAENEL, Denis BADRÉ, Marcel DENEUX, Serge LAGAUCHE et Simon SUTOUR, sur l’élargissement de l’Union européenne, déposé le 23 avril 2002 – 90 pages.

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