J-F. Drevet présente d’abord une réflexion argumentée sur les relations entre centralité et périphéricité de Chypre, et sa valeur stratégique variable. Puis il explique les traités inégaux qui s’y appliquent : traité de garantie, traité d’alliance et les fameuses zones de souveraineté britanniques (ZdS)... que les Etats-Unis apprécient beaucoup, notamment pour leurs stations d’écoute du Moyen-Orient. Découvrez le dessous des cartes d’une île méditerranéenne membre de l’UE mais méconnue.
Voir la première partie de cette étude J-F Drevet, Géopolitique de Chypre.
Voir la deuxième partie.
Voir la troisième partie.
Voir la quatrième partie
NB : Les quelques citations en anglais sont traduites en français en note de bas de page.
SUIVANT la place occupée par la Méditerranée dans les relations internationales, des sites de grande importance ont connu des moments de gloire avant de sombrer dans l’oubli, éventuellement d’être à nouveau convoités quand les conditions changent. Parmi ces « points chauds », il était logique que les îles comptent davantage, bien que leur valeur stratégique ait aussi varié, ce qui fut notamment le cas de Chypre.
En quasi-totalité dans le même ensemble économique, ce qui ne s’était pas produit depuis la fin de l’Empire romain), l’espace insulaire méditerranéen pris globalement compte environ 10 millions d’habitants, bénéficiant d’un PIB/h moyen de 22000 euros (à 78% de la moyenne UE).
Au troisième rang des îles par la superficie et la population, Chypre est l’une des « grandes ». À la différence de la Sicile et de la Sardaigne, elle est en position favorable dans le classement des régions européennes de niveau régional (NUTS 2), un peu au-dessus de la Corse, bien que ne bénéficiant pas des mêmes transferts financiers. Son PIB/h [1] (28000€ aux parités de pouvoir d’achat), la place parmi les plus développées, à quasi-égalité avec les Baléares (Espagne), à 90% de la moyenne européenne.
Chypre possède une double identité, à la fois centrale (dans le bassin oriental de la Méditerranée) et périphérique (par rapport aux autres États membres). Elle est aussi divisée entre le territoire contrôlé par le gouvernement légal, la zone occupée par la Turquie, la « buffer-zone » des Nations unies et les bases souveraines britanniques.
Dans une mer intérieure, l’insularité ne peut se comparer à la situation de nombreux archipels du Pacifique ou de l’océan Indien, où l’isolement est un handicap fondamental. En Méditerranée, aucune des îles ne se trouve à plus d’une centaine de kilomètres du continent. Chypre n’échappe pas à cette proximité : si l’île est un prolongement géologique de la Syrie par l’orientation de ses chaînes de montagnes, elle n’est séparée de la côte anatolienne que par 80 km. À Kyrenia, par beau temps, on peut distinguer la chaîne taurusienne.
L’île est centrale en Méditerranée orientale, ce qui est habituellement considéré comme un facteur favorable, qui cependant mérite examen : dans une situation similaire dans le bassin occidental, la Corse et la Sardaigne ne semblent pas en avoir retiré d’avantage particulier. En fait, une position a priori intéressante ne garantit pas qu’elle sera exploitée, a fortiori qu’elle le sera au bénéfice de ses habitants. Elle peut même se retourner contre eux, ce qui est un peu l’histoire de Chypre au XXe siècle.
Sans contact direct avec l’UE, l’île y est l’Etat membre le plus « ultra-périphérique [2] » . Son plus proche voisin, la Grèce est à plus de 1000 km. Dans un bassin oriental où il n’y a que deux États membres (Chypre et la Grèce), au contact de pays en mauvais termes les uns avec les autres et ouvertement hostiles comme la Turquie, sa position est aventurée. La fragilité de son statut actuel est insuffisamment compensée par son appartenance à l’UE, pour autant que celle-ci soit prête à la défendre.
Bien que son indépendance remonte à 1960, elle ne possède qu’une souveraineté limitée : les « traités inégaux » signés en 1960 l’ont placée sous la coupe de trois puissances garantes (la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni) dotées d’un droit d’intervention unilatéral. En outre, l’ancien colonisateur britannique a conservé deux bases militaires qui jouent un rôle géopolitique essentiel pour Londres (qui les détient) et Washington (qui les utilise).
À la différence des autres îles, le XXe siècle de Chypre est tragique. En 1963, après l’octroi d’une indépendance limitée par des « traités inégaux », la Constitution implose. Les Chypriotes turcs forment des enclaves protégées par les Nations unies, puis le nettoyage ethnique consécutif à l’invasion turque de 1974 met en place dans le nord une entité sécessionniste « la République turque de Chypre du nord (RTCN) », non reconnue en droit international. Cependant, le gouvernement légal (grec) est reconnu comme celui de l’île toute entière par tous les membres des Nations unies, à l’exception de la Turquie.
L’importance de Chypre se mesure par rapport à ce contexte : sa proximité et sa centralité lui apportent une fonction de « sentinelle » d’une valeur stratégique variable suivant les époques. En fonction de la répartition des pouvoirs dans le bassin, Chypre devient plus ou moins essentielle, suivant le rôle que les pays environnants jouent dans la géopolitique méditerranéenne et mondiale.
Pendant l’Antiquité, le bassin oriental est nettement plus peuplé et développé que le bassin occidental, ce qui apporte à Chypre, déjà grecque dans un monde hellénistique, un rayonnement et une prospérité notables, mais pas exceptionnels. L’île est connue pour la richesse de ses mines de cuivre, d’où son nom [3]. Leur exploitation, qui remonte à 1800 avant JC, a été conduite pendant toute l’Antiquité jusqu’au VIIe siècle après JC, l’île exportant son métal dans tout le bassin méditerranéen sous forme de lingots de 20 à 30 kg [4]. Mais sa thalassocratie ne rayonne pas autant que celle des Phéniciens : elle n’a pas de grandes villes à la renommée comparable à Alexandrie, Pergame ou Antioche. Elle ne fonde pas de colonies comme d’autres cités grecques.
La civilisation hellénistique englobant l’ensemble du bassin oriental, Chypre n’a pas de rôle stratégique particulier. C’est quand les empires s’affrontent que se révèle son importance : les Byzantins contre les Arabes, les Croisés contre les Mamelouks, Venise contre l’Empire ottoman. Ils ont tous besoin de Chypre, qui est dans la zone de contact, ce qui accroît sa valeur et réduit sa sécurité. Elle est ravagée par les raids arabes, mieux défendue par les Latins, fortifiée par Venise.
La fin des dernières possessions franques en Syrie (1291) assure sa fortune. Dans les dix ans qui suivent la chute d’Acre, les marchands de Venise, Gênes, Pise et Barcelone, adaptant leurs méthodes commerciales aux conditions nouvelles, y transfèrent leurs affaires. Les ports chypriotes, Famagouste, Larnaka, Limassol, Paphos, Kyrenia, héritent du trafic de Tripoli, de Tyr, de Saint-Jean d’Acre et de Jaffa. Le royaume des Lusignan devient une escale obligatoire du monde chrétien pour tout le trafic avec la Syrie et l’Égypte mameloukes, le principal entrepôt pour l’importation des produits de l’Asie musulmane, de l’Inde et de l’Extrême-Orient, de soieries et cotonnades, draps d’or, tapis, faïences, cuivres, parfums, épices et pierreries. « Toutes les caravanes chargées d’épices et de coton arrivaient en Syrie ou à Alexandrie où on les chargeait pour les transporter par mer à Famagouste. Toutes les nations d’Occident se donnaient rendez-vous dans cette ville et y faisaient des affaires. [5] » S’il y a d’autres sites très actifs, notamment Rhodes, alors aux mains des Chevaliers de Saint-Jean, le poids économique de Chypre est le plus important.
La prise de Constantinople (1453), puis celle de Rhodes (1522), de Chypre (1571), avant celle de la Crète (1669), marquent le reflux chrétien dans le bassin oriental. Non seulement la conquête ottomane anéantit la valeur économique de l’île, mais elle réduit aussi son rôle stratégique, puisque le sultan contrôle pour trois siècles la totalité du bassin oriental de la Méditerranée.
Par ailleurs, Chypre ne dispose pas d’un potentiel maritime très élevé. Sa capitale est à l’intérieur et ses ports sont exigus (Kyrenia) ou faiblement abrités (Famagouste, Larnaka, Limassol, Paphos). Dans le contexte d’opérations exclusivement maritimes, l’île manque d’un abri maritime sûr [6]. On n’y trouve pas de site inexpugnable comme Toulon, Bizerte, Syracuse ou Tarente. Ce n’est pas une île forteresse comme Malte, qui dispose, au centre de la Méditerranée, des sites de ports bien abrités de La Valette.
Son relief modéré la rend facile à envahir, comme l’ont montré les Ottomans en 1571. À la différence de Malte qui les a repoussés lors du Grand Siège de 1565, les Vénitiens n’ont pas pu les empêcher de débarquer et de conquérir des villes puissamment fortifiées comme on peut encore le voir aujourd’hui à Kyrenia, Nicosie et surtout Famagouste. Cette vulnérabilité sera encore confirmée en 1974.
Au XIXe siècle, l’émergence de la « question d’Orient », le déclin ottoman et les rivalités des puissances redonnent à l’île un rôle stratégique. En position dominante dans la mer Noire à partir de la fin du XVIIIe siècle, la Russie veut contrôler ses Détroits et s’installer en Méditerranée. Pour les Britanniques, la survie de l’empire turc est le seul moyen de bloquer cette expansion, ce qui implique de le soutenir militairement, ce qu’ils font avec les Français pendant la guerre de Crimée (1853-1856).
Avec l’ouverture du canal de Suez (1869), dont les môles de Port-Saïd sont construits avec des pierres prélevées sur les fortifications de Famagouste, Chypre devient proche de la nouvelle route des Indes, essentielle à l’Empire britannique. Après avoir acheté les actions du canal en 1874, Londres s’interpose dans la guerre russo-turque en venant au secours de la Sublime Porte, qui vient de subir une défaite majeure dans les Balkans. Le sultan a besoin du Royaume-Uni pour contenir une armée russe arrivée à quelques étapes de Constantinople.
Chypre est le prix du traité d’alliance anglo-ottoman signé le 4 juin 1878. Cette session est confirmée par les puissances au Congrès de Berlin (juillet 1878). Administrée par les Britanniques tout en restant sous la souveraineté nominale du Sultan, l’île est avant tout un investissement stratégique, comme l’avait écrit Benjamin Disraeli [7] en mai 1878 à la reine Victoria : “If Cyprus be conceded to your Majesty by the Porte, and England, at the same time, enters into a defensive alliance with Turkey, guaranteeing Asiatic Turkey from Russian invasion, the power of England in the Mediterranean will be absolutely increased in the region, and your Majesty’s Indian Empire immensely strengthened. Cyprus is the key of Western Asia [8].”
À son retour de Berlin, pour justifier son acquisition, Disraeli la présente ainsi dans son intervention du 18 juillet 1878 à la Chambre des Lords : "In taking Cyprus the movement is not Mediterranean ; it is Indian. We have taken a step there which we think necessary for the maintenance of our Empire and for its preservation in peace. If that be our first consideration, our next is the development of the country." [9]
En fait, une fois dissipés les souvenirs de Richard Cœur de Lion et des Croisades [10], Chypre se révèle d’un intérêt stratégique limité. Quelques années plus tard, prenant possession de l’Egypte, par suite d’une abstention inattendue de la France, la flotte britannique s’installe dans la rade d’Alexandrie. D’une valeur nautique bien supérieure et plus proche du canal de Suez, elle assure mieux que Chypre l’objectif de Disraeli. En conséquence, le projet de création d’une base navale à Famagouste est abandonné.
En 1908, Edward Grey [11] résume l’opinion générale : "I believe Cyprus is of no use to us and the Convention respecting it is an anachronism and encumbrance. I would therefore give the island away in return for any better arrangement we could obtain. Indeed bargain or no bargain, we should be better without Cyprus. [12]"
En décembre 1912, Winston Churchill, alors sous-secrétaire d’Etat aux Affaires coloniales, propose à la Grèce d’échanger Chypre contre l’une des Îles Ioniennes : Céphalonie intéresse la Navy pour enfermer la flotte austro-hongroise dans l’Adriatique, dans la perspective d’un prochain conflit avec les puissances centrales. Mais il n’est pas suivi. En 1914, n’ayant qu’une garnison de 150 hommes, l’île est quasiment démilitarisée, ce qui donne une idée de sa faible valeur stratégique. En novembre, la belligérance de l’Empire ottoman pourrait lui redonner de l’importance. Mais les Britanniques s’intéressent davantage aux îles de la mer Égée, notamment à Lemnos qui dispose du bon port de Moudros, à proximité des Dardanelles. C’est la marine française qui assure à partir de Chypre la surveillance des côtes syriennes et ciliciennes.
En janvier 1915, pour la faire sortir de sa neutralité, Edward Grey l’offre à la Grèce : « surely Cyprus of which the Admiralty have never been able to make a proper use would be a cheap price to pay if we would get Greece…” [13]. En février 1915, l’amiral Arthur Limpus, commandant de la flotte anglaise à Malte, indique à Churchill qu’il doit acquérir Lemnos, parce que cette île “is more valuable to us as a Sea Power than is Cyprus” [14]. Churchill accepte et dit à l’amiral John Fisher que “if Russia has Constantinople & Straits [15], we ought to have Lemnos.” [16]. Mais en octobre le roi Constantin refuse : il est le beau-frère de Guillaume II et les Grecs ne veulent pas faire la guerre.
Ensuite, Chypre n’est pas affectée par les remaniements territoriaux qui suivent la fin du conflit. Les traités de paix de Sèvres et de Lausanne reconnaissent la souveraineté britannique proclamée en 1914. « On peut dire que les Anglais ne gardent l’île, dont ils s’occupent assez peu, que pour empêcher un concurrent dangereux de s’y établir et de menacer, de là, leur occupation de l’Égypte. [17] » Parce qu’ils ont la maîtrise du bassin oriental de la Méditerranée, ils ne se soucient pas d’accroître leur investissement stratégique.
Après 1945, bien qu’elle n’ait pas davantage qu’en 1914-1918 joué un rôle important dans la guerre mondiale, deux facteurs entraînent une réévaluation complète de la valeur stratégique de l’île. D’une part, si Chypre n’a pas été très utile au temps du « sea power », elle devient indispensable quand vient le temps de l’« air power », qui lui confère le rôle de « porte-avions insubmersible » qui la valorise encore aujourd’hui. D’autre part, la décolonisation condamne les Britanniques à renoncer à leur présence dans les pays voisins. En Palestine, le mandat britannique prend fin en 1948. Depuis 1946, les négociations se poursuivent en vue de la révision du traité anglo-égyptien de 1936. En 1951, 64000 hommes sont encore casernés dans la zone du Canal, harcelés par des irréguliers égyptiens. Londres résiste, mais doit accepter leur évacuation en 1954.
En fait, il ne s’agit plus de protéger la route des Indes, devenues indépendantes en 1947 : « the British presence in the Middle East seemed to be no less compelling than when the protection of the route to India had been the ultimate justification. [18] » Le Moyen-Orient est « an area of cardinal importance to the UK [19] » et son pétrole est devenue aussi indispensable à leur économie qu’il l’avait été à ses forces militaires pendant la guerre. Le domaine contrôlé par le Royaume-Uni y est encore très vaste : Aden, la Cyrénaïque, le Soudan et des facilités dans plusieurs pays officiellement indépendants (la Jordanie, l’Irak). Mais la « guerre du canal » leur montre combien il est difficile de maintenir une présence militaire dans les pays arabes. Les Britanniques cherchent une solution de repli, pensent au Kenya, mais veulent rester présents en Méditerranée orientale.
Chypre apparaît alors comme un site idéal : sa population n’est pas arabe et elle passe pour paisible. En tant que colonie de la couronne, elle est sous administration directe, donc dépourvue d’un régime d’autonomie qui pourrait gêner le colonisateur. Mais les jeux ne sont pas faits : pendant quelques mois, Londres hésite entre plusieurs options.
Parmi les problèmes à résoudre par le gouvernement travailliste de Clément Attlee (1945-1950) figure l’émancipation d’un nombre important de possessions dépendantes du Colonial Office. Devenu Secrétaire colonial après avoir fortement critiqué la politique du gouvernement conservateur dans ce domaine, Arthur Creech-Jones (1891-1964) est confronté à l’écart entre les idées qu’il a développées depuis 1940 dans le Fabian Colonial Bureau et les réalités de l’après-guerre.
Officiellement, il est « décolonisateur » et va le montrer en préparant l’indépendance de Ceylan [20], qui dépend de son administration. Mais la défense de ce qui reste de l’Empire exige aussi des exceptions. En 1945, une étude [21] qui analyse l’avenir des colonies stratégiques (Hong Kong, Gibraltar, Malte, Chypre) se prononce en faveur du maintien indéfini de la souveraineté britannique dans un certain nombre de points d’appui, indépendamment des aspirations de leurs habitants. S’agissant de Chypre, l’étude indique : « as Cyprus is not self-supporting and will have to lean for protection and security on a larger state, the best chance for economic recovery and a higher standard of living may, in spite of suspicion, rather lie in association with Britain which is now actively pursuing schemes of economic, political and educational development, and has already given in earnest in other territories of a new progressive orientation in her colonial policy. [22]”
En septembre 1945, la conférence des Chefs d’état-major se prononce en faveur du maintien de la souveraineté britannique à Chypre pour des raisons stratégiques : l’île dispose de bonnes potentialités aériennes (une vingtaine de sites d’aérodromes, dont Nicosie) et d’un positionnement favorable en Méditerranée et à proximité du Moyen-Orient. Dans son rapport, la conférence regrette seulement les faibles capacités du port de Famagouste. En conclusion, « The military planners therefore concluded that British sovereignty should be maintained in Cyprus, even at the risk of agitation in the island and of unfavourable reactions in Greece. [23] »
Ce n’est pas l’avis du Foreign Office, notamment du ministre Ernest Bevin (1881-1951) : « I am not persuaded that the arguments in favour of a retention of Cyprus are sound… Nor do I think the paper produced by the Chiefs of Staff a convincing one [24]. » A ce moment, son ministère souhaite un accord avec la Grèce. Afin de récompenser un allié qui s’est battu courageusement aux côtés du Royaume-Uni pendant la guerre et afin de satisfaire les partisans de l’Enosis [25], on offrirait l’île à Athènes en échange du maintien d’une présence militaire britannique, éventuellement avec le droit de s’installer aussi en mer Égée. À Londres, le courant philhellène est favorable à cette option. Mais les militaires objectent à la solution grecque : le gouvernement d’Athènes, affaibli par la guerre civile, n’est pas un partenaire fiable et il peut sympathiser avec les Soviétiques. Ce ne serait pas de bonne politique que de se fier à lui pour conserver une présence militaire à Chypre.
Pour le Colonial Office, céder l’île à la Grèce crée un précédent qui encouragerait d’autres revendications : de l’Espagne à Gibraltar, de la Chine à Hong Kong ou de l’Argentine aux Malouines. Or la préservation de cette « colonne vertébrale de l’Empire » doit être assurée. Il ne prend pas au sérieux l’aspiration à l’Enosis ; il estime que par rapport à l’Egypte, l’île restera facile à contrôler, même si le maintien de la domination britannique entraîne une forte opposition.
En 1946, le débat est clos : les coloniaux et les militaires l’ont emporté. Le gouvernement britannique décide de maintenir le statut colonial à Chypre. En 1947, les stations d’écoute de Palestine sont installées dans l’île, un simple déménagement technique, mais lourd de conséquences à long terme. En décembre 1954, le haut commandement britannique pour le Moyen-Orient est transféré de Suez à Nicosie.
Ainsi, dans le contexte de la décolonisation de l’Empire britannique, Chypre apparaît comme une exception. A la différence des États-Unis et de la France, le Royaume-Uni a très souvent offert l’indépendance à ses nombreuses possessions insulaires, aux Antilles, dans l’océan Indien et dans le Pacifique. L’île est victime d’une crispation coloniale qui n’a pas beaucoup d’autres exemples. Au lieu de signer un accord pour garantir le contrôle de leurs bases comme à Ceylan ou à Malte, les Britanniques s’accrochent au maintien de leur souveraineté. La volonté des populations passe derrière les préoccupations stratégiques, une priorité qui va se révéler durable. Et le refus du droit à l’autodétermination, qui a dominé l’attitude de Londres jusqu’à l’indépendance a implicitement perduré, comme nous le verrons un peu plus loin.
En juillet 1954, les conservateurs revenus au pouvoir déclarent explicitement qu’il n’y aura pas de décolonisation à Chypre. C’est le « never [26] » d’Henry Hopkinson [27] : "It has always been understood that there are certain territories in the Commonwealth which, owing to their particular circumstances, can NEVER expect to be fully independent." En 1956, le Premier ministre Anthony Eden [28] confirme : « no Cyprus, no certain facilities to protect our supply of oil. No oil, unemployment and hunger in Britain. It is as simple as that. »
Pas si simple ! Pour résister à la Cyprus revolt [29] de 1955-1959, l’armée britannique devra mobiliser 28000 soldats contre quelques centaines de partisans mal armés de l’EOKA, mais qui disposent du soutien de la quasi-totalité de la population grecque, avant de se résigner à lui accorder une indépendance assortie de fortes limitations.
[30]
Depuis 1960, Chypre est donc une république indépendante, mais dans un cadre octroyé par le colonisateur britannique, avec le concours de la Grèce et de la Turquie, qui comporte d’importantes limitations de souveraineté. Quand ils ont été signés, ces traités n’étaient pas une spécificité : avant d’accorder l’indépendance, les colonisateurs s’étaient souvent réservé des bases militaires ou des droits d’intervention.
Cependant, depuis les années 1960, presque toutes ces restrictions ont été abolies. La France a abandonné Bizerte (1963), puis a renoncé aux polygones d’expérimentation atomique du Sahara (1967) et à Mers el Kébir (1968), des facilités qui lui avaient été concédées par les accords d’Evian (1962). En 1974, le Royaume-Uni a décidé d’évacuer l’un des joyaux de son empire défunt, le port de Malte, abandonné en 1979. Plus récemment, les Russes ont évacué leurs bases militaires dans les Pays baltes et les États-Unis ont rendu au Panama sa souveraineté sur la zone du canal.
Ce n’est pas le cas à Chypre, où cet anachronisme est toujours en vigueur, sous la forme de trois traités, de Garantie, d’Alliance et d’Etablissement.
Il est censé reconnaître l’indépendance de l’île. Dans son article 2, « La Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie, prenant acte des engagements de la République de Chypre établis dans l’Article 1 du présent Traité, reconnaissent et garantissent l’indépendance, l’intégrité territoriale et la sécurité de la République de Chypre, ainsi que l’ordre de choses établi par les Articles fondamentaux de sa Constitution. La Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie assument également l’obligation d’interdire, pour ce qui relève d’eux, toute activité ayant pour but de favoriser directement ou indirectement aussi bien l’union de Chypre avec tout autre État que le partage de l’île. »
Selon l’article 4, « en cas de violation des dispositions du présent Traité, la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie s’engagent à se concerter en vue des démarches ou mesures nécessaires pour en assurer l’observation. Dans la mesure où une action commune ou concertée ne s’avérerait pas possible, chacune des trois Puissances garantes se réserve le droit d’agir dans le but exclusif du rétablissement de l’ordre créé par le présent Traité. »
Sur le principe, il est difficile de défendre le maintien d’un texte aussi colonial, que Perry Anderson a comparé à l’amendement Platt [31] imposé par les États-Unis à Cuba en 1901. D’autres y ont trouvé des analogies avec la défunte « doctrine Brejnev [32] ».
En fait, il n’existe pas beaucoup d’exemples d’une indépendance aussi fortement garantie sur le papier et aussi peu respectée sur le terrain. En 1974, chacune des puissances garantes a violé le traité. Avec la bénédiction de Washington, les colonels grecs ont fomenté un coup d’État pour rattacher l’île à la Grèce. Ensuite, la Turquie qui a envahi le nord de l’île par une prétendue « Opération de paix » [33], l’a violé en créant les faits accomplis de l’occupation militaire et du nettoyage ethnique. Occupant sans titre, la Turquie entend demeurer indéfiniment à Chypre.
En s’abstenant d’empêcher Athènes, puis Ankara d’agir, le traité de garantie n’a pas été non plus respecté par les Britanniques : "Britain had a legal right, a moral obligation and the military capacity to intervene in Cyprus during July, August 1974. She did not intervene for reasons which the Government refuses to give" [34]. Ayant la maîtrise de l’air et de la mer, l’armée britannique avait les moyens de renverser la junte qui avait pris le pouvoir à Nicosie et d’empêcher un débarquement turc. Elle ne l’a pas fait parce que l’opération avait reçu le feu vert des États-Unis. Pour Perry Anderson le « Labour, which has started the disasters of Cyprus by denying it any decolonisation after 1945, had now completed them, abandoning it to trucidation [35]”, une remarque qui ne s’applique pas seulement aux travaillistes puisque les conservateurs ont suivi la même politique.
Aucune des trois puissances ne s’est souciée de « rétablir l’ordre établi par le traité », qui aurait dû être leur seul objectif. Elles étaient en droit de contraindre les Chypriotes à restaurer la Constitution de 1960, en dépit de ses défauts et à assurer le retour des réfugiés là où ils résidaient avant 1963. Le droit d’intervention de l’article 4 du traité cité ci-dessus, qui autorise implicitement le recours à la force, est donc la cause majeure d’insécurité à Chypre. Selon le témoignage de 19 juristes indépendants [36], ce traité viole les articles 2§4 (qui proscrit le recours à la force [37]) et 103 (qui indique qu’elle prévaut sur tout autre accord international) de la Charte des Nations unies.
Dans la négociation du plan Annan, qui devait ouvrir la voie à la réunification de l’île en 2002-2004, cela n’a pas empêché les experts des Nations unies de suivre les Turcs et les Britanniques qui se sont accordés pour maintenir le traité avec quelques aménagements. C’est ce que voulait et veut encore la Turquie pour justifier ses interventions dans les affaires de l’île. C’est aussi ce qu’a souhaité le FCO [38], qui estimait ce traité compatible avec l’appartenance de Chypre à l’UE et comme le moyen essentiel de maintien de ses bases. C’est pourquoi Londres a œuvré dans ce sens avec David Hannay, son diplomate le plus fortement impliqué dans la négociation du plan Annan [39].
Indépendamment des violations qu’il a subies, ce traité n’a pas de raison de subsister dans une Union fondée sur l’état de droit, où la solidarité entre les États membres est une obligation légale. Chypre devrait donc logiquement bénéficier de l’ensemble des prérogatives d’un pays indépendant. Au contraire, l’île est soumise à un condominium de trois puissances prétendument garantes (dont deux sont extérieures à l’UE) qui n’ont rien garanti dans le passé, ce qui n’a pas de justification dans l’ordre européen, où les États membres sont juridiquement souverains. S’il peut exister des limitations de souveraineté, elles sont librement consenties, dans le cadre des traités européens adoptés à l’unanimité. Il s’agit alors d’un exercice commun qui n’a rien à voir avec un droit d’intervention unilatéral.
Pour les Chypriotes, Grecs et Turcs, les privilèges des « puissances garantes » ne limitent pas seulement leurs prérogatives en politique étrangère, mais exercent aussi leur influence dans les détails de leur politique intérieure, à travers les pourparlers en vue de la réunification de l’île. Dans le format adopté par les Nations unies, les trois puissances sont présentes, alors que les Chypriotes sont représentés par des « communautés ». En effet, la délégation chypriote grecque n’y est pas reconnue comme le gouvernement légal de l’île, mais en tant que représentante de la communauté hellénique. Il en va de même pour les Chypriotes turcs, qui ne s’en formalisent pas, puisque leur administration n’est pas internationalement reconnue. Il en résulte une situation de quasi-protectorat tout à fait surprenante pour un pays indépendant, membre de l’UE. Elle permet à la Turquie et au Royaume-Uni d’œuvrer de facto au maintien du statu quo issu de l’invasion de 1974, contre le gouvernement d’Athènes et la majorité des habitants de l’île.
Quant à l’UE, pourtant directement concernée par la réunification, comme elle n’était pas partie prenante au traité de garantie, elle est cantonnée dans un statut d’observateur. Aussi longtemps qu’il a été membre de l’UE, le gouvernement britannique a dû faire le grand écart entre un respect formel du droit international (donc la non reconnaissance de Chypre-nord) et sa connivence implicite avec la Turquie. Depuis le Brexit, il n’est plus contraint au même équilibrisme et peut afficher sa sympathie pour la Turquie.
Cette limitation de souveraineté n’est pas sans remède, comme le montre l’exemple de l’Autriche. En 1955, la restauration de son indépendance par les quatre puissances occupantes (les États-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni et la France), par la signature du Traité d’Etat, a été assortie de l’interdiction d’une éventuelle union avec l’Allemagne [40]. En 1957, l’URSS a utilisé cette clause pour interdire à l’Autriche d’adhérer à la CEE, puisque l’Allemagne en faisait partie. En 1991, quand la signature du traité de paix avec l’Allemagne réunifiée a entraîné une réinterprétation des limitations de souveraineté imposées aux vaincus de la Deuxième Guerre mondiale, l’Autriche s’est contentée de faire constater l’obsolescence d’une partie des clauses du traité d’Etat et a adhéré à l’UE en 1995.
Il n’est donc pas surprenant que l’abrogation d’un traité qui a si mal rempli son rôle, soit réclamée avec insistance par les Chypriotes grecs. D’après un sondage de 2009 [41], 69% d’entre eux le souhaitent et 48% rejettent même le maintien d’un traité amendé. Seule une minorité de Chypriotes turcs (12%) considère le maintien du traité comme « absolument essentiel » et 26% le jugent inacceptable. Au nord, il semble que les esprits aient évolué dans un sens défavorable au traité, ce qui devrait être étayé par une analyse par catégories de population, notamment en distinguant les insulaires des immigrants anatoliens.
En effet, il s’agit d’un point sensible dans les négociations en vue de la réunification de l’île. S’il ne peut pas disparaître (soit par abrogation, soit par obsolescence comme dans le cas de l’Autriche), le traité de garantie doit être aménagé pour que la sécurité offerte aux uns ne se traduise pas par de l’insécurité pour les autres, en rappelant la suprématie juridique des traités européens et surtout de l’article 2§4 de la Charte des Nations unies cité plus haut.
Son objectif étant d’empêcher des affrontements entre la Grèce et la Turquie au sujet de Chypre, il n’a pas été signé par le Royaume-Uni. Il devait établir un quartier général tripartite (avec les Britanniques) qui n’a jamais vu le jour. Son protocole additionnel n°1 fixe le montant des contingents grec (950 hommes) et turc (650 hommes) autorisés à stationner en permanence à Chypre, qui s’y sont installés tout de suite après l’indépendance. Dans les affrontements de 1963-1964, ayant pris le parti de leurs communautés respectives, ces contingents n’ont joué aucun rôle d’interposition, qui a été exercé par les forces des Nations unies (UNFICYP). Des deux côtés, les effectifs engagés sont bien supérieurs à ceux fixés par le traité.
Le plan Annan avait fait plusieurs pas en avant dans le sens de la démilitarisation réclamée par le GdC. Elle est mentionnée dans l’article 8b du « Foundation agreement » et dans l’article 6 de la Constitution de ce qui aurait été la « République unie de Chypre ». Un protocole additionnel au traité d’Alliance prévoyait la dissolution rapide des forces chypriotes (grecques et turques) et la réduction progressive des forces grecques et turques (article 3).
Ces dispositions ont été critiquées par les Chypriotes grecs, qui auraient été privés de leur garde nationale alors que les forces grecques et turques restaient très importantes et que le mandat de l’UNIFICYP [42] ne lui aurait pas donné les moyens de s’opposer à une nouvelle invasion turque. Comme la confiance est à un niveau très bas, priver les Chypriotes grecs de moyens de se défendre alors que les 6000 soldats turcs pouvaient facilement prendre le contrôle de la totalité des l’île et faire venir des renforts du continent, a été perçue par eux comme une nouvelle aggravation de leur insécurité.
Par la suite, des négociations intercommunautaires ont visé à réduire les forces militaires de la Grèce et de la Turquie, à limiter leur présence dans le temps et à les placer sous le commandement des Nations unies. En cas de conflit, le recours à l’arbitrage de la Cour internationale de justice serait obligatoire et ses décisions « final and binding ».
Sur le fond, le traité d’alliance apparaît comme aussi anachronique que le traité de garantie. Quel intérêt y a-t-il à imposer le maintien de ces contingents à un pays indépendant qui bénéficie déjà de la force d’interposition des Nations unies ? En 2009, des deux côtés de la ligne de démarcation, l’opinion estime qu’elle n’a besoin ni des Turcs ni des Grecs pour assurer sa sécurité : 87% des Chypriotes grecs et une forte minorité de Chypriotes turcs jugent le stationnement de plusieurs milliers de soldats turcs et grecs inacceptable [43]. Pour Claire Palley, moins la Grèce et la Turquie seront associées à une solution, mieux cela vaudra pour Chypre [44].
Bien que les problèmes stratégiques aient dominé la politique britannique à Chypre dans les années 1950, le statut des bases avait été à peine esquissé. À la différence des précédents, qui furent imposés à Chypre, le traité d’Etablissement qui le définit est le résultat d’une négociation difficile (1959-1960) entre Makarios, soucieux de défendre l’indépendance du nouvel État (et d’éviter une « gibraltarisation » des enclaves [45]) et les Britanniques, décidés à assurer le maximum de liberté à leurs activités militaires.
En 1959, les propositions initiales des deux parties sont très éloignées. Du côté chypriote, Makarios veut une emprise stratégique aussi réduite que possible (93 km² sans population résidente), avec le maximum de contreparties financières. Ayant dispersé dans l’île de nombreuses installations, Londres demande 390 à 440 km² incluant, dans une première estimation, 16 000 habitants.
Pour des raisons de sécurité, les Britanniques admettent qu’ils doivent réduire au minimum la population comprise dans les périmètres militaires. Ils la ramènent à 4 500 h. (les habitants d’Akrotiri qui se trouvent à proximité immédiate des pistes). Mais après six mois de pourparlers, ils veulent toujours 310 km². En janvier 1960, faute d’accord, le Colonial Office décide d’accentuer la pression en ajournant l’indépendance, prévue pour février. Elle est proclamée le 16 août 1960 après qu’en juillet, Makarios ait concédé une superficie totale de 254 km².
En 119 pages, car il est de loin le plus long des trois traités, le « Traité d’établissement de la République de Chypre » définit de manière très précise les conditions de fonctionnement des deux bases que le Royaume-Uni va conserver, ci-après dénommées zones de souveraineté (ZdS) [46]. Bien que le traité ne concerne que Chypre et le Royaume-Uni, il est aussi signé par la Grèce et la Turquie.
Les annexes délimitent la superficie attribuée aux bases et leurs conditions d’utilisation, qui débordent largement ce territoire, puisqu’une liste d’une douzaine de sites est adjointe au traité, où l’armée britannique dispose de facilités, dont le mont Troodos, les ports de Limassol et de Famagouste, ainsi que l’aéroport de Nicosie [47]. En outre, le Royaume-Uni pourra utiliser librement les services aéroportuaires et portuaires, le contrôle aérien et les réseaux de télécommunications. Le GdC sera consulté, mais ne pourra pas refuser de coopérer. L’armée britannique a également conservé le droit d’utiliser certaines parties du territoire chypriote pour des manœuvres, y compris la faculté très contestable de faire des exercices de bombardement aériens et navals [48] dans la péninsule d’Akamas [49], à laquelle elle n’a renoncé qu’en 1999.
Dans un échange de notes annexées au traité, le gouvernement britannique s’engage à ne pas autoriser dans les bases d’autres activités que de défense et à ne pas les transformer en colonies comme Gibraltar. À l’exception des installations militaires, l’accès au territoire britannique sera libre et les habitants chypriotes des bases resteront citoyens de la RdC, avec tous les droits correspondants à cette qualité. Enfin, le gouvernement britannique promet de ne pas céder les bases ou de déléguer leur contrôle à un pays tiers et accepte qu’en cas d’évacuation, elles reviendront à l’Etat chypriote. Pendant la Guerre froide (1947-1991), cette dernière disposition a hanté les diplomates anglo-saxons : ils ont craint que Makarios, présenté comme un « prêtre rouge » ou « le Fidel Castro de la Méditerranée », n’offre les bases à l’URSS s’il parvenait à en prendre le contrôle.
Administrées par le major général qui commande les forces britanniques, les ZdS sont un cas unique de construction politique hybride : elles ne sont ni le dernier vestige de la « crown colony », ni des bases louées au sens classique du terme. Contrairement aux territoires britanniques d’outre-mer, qui ont une administration civile, elles sont rattachées au ministère de la Défense. C’est pourquoi elles n’ont pas été incluses dans le « British Overseas Territory Act » de 2002. Il n’y a pas de citoyenneté des bases, ni d’instance représentative : les habitants chypriotes votent aux élections de Chypre et les Britanniques sont électeurs au Royaume-Uni, comme les autres militaires en service outre-mer.
Le territoire britannique est divisé en deux entités éloignées d’une centaine de kilomètres. La base de Dhekelia (« Eastern Sovereign Base Area ») occupe 131 km² entre la mer et la ligne de démarcation. En 1974, l’armée d’Ankara est venue border sa limite nord, dont les contours complexes enserrent des villages chypriotes, notamment Pyla, dernière localité où cohabitent les deux communautés. La base d’Akrotiri (« Western Sovereign Base Area ») couvre 123 km², avec les infrastructures les plus importantes, notamment l’aérodrome. 3 000 militaires y vivent avec leurs familles, soit environ 7 500 résidents temporaires. 7 000 Chypriotes habitent dans les villages enclavés. Les ZdS comprennent 60 % de terrains privés (principalement possédés par des Chypriotes) et 40 % de « crown land », en faible part occupées par des infrastructures militaires, où le gouvernement britannique ne peut réaliser des expropriations qu’à des fins de défense.
Les bases ont un système d’écoute très performant, qui a pris une importance croissante avec l’évolution des technologies et l’implication des États-Unis. On trouve une station près de Dhekelia [50], des antennes à Akrotiri et des radars sur le Troodos (point culminant de Chypre, à 1951 m), qui couvriraient tout le Moyen-Orient.
Les bases étant détenues en pleine souveraineté, les Britanniques peuvent y gérer librement leurs écoutes, bien qu’elles se trouvent partiellement en dehors de leur périmètre, notamment au sommet du Troodos. Depuis les années 1950, ils ont fait le choix de les insérer dans le « partenariat spécial » développé avec les États-Unis et les dominions blancs du Commonwealth, à travers l’Anglosphère [51]. Suivant un document révélé par Edward Snowden [52], les États-Unis couvriraient la moitié des frais des stations d’écoute anglaises à Chypre. Dans les années 1990, des informations provenant de ces écoutes ont été communiquées à Israël concernant ses voisins arabes et à la Turquie pour l’aider à traquer les autonomistes du PKK.
Bien que les Britanniques y bénéficient d’un droit d’usage exclusif, ils en font profiter surtout les États-Unis, à qui les ZdS apportent une contribution importante à leurs opérations au Moyen-Orient. Dans une relation marquée par une forte inégalité, elles sont un élément essentiel de la capacité de Londres « to punch over its weight [53] ».
En fait, des considérations propres au Royaume-Uni ne suffisent pas à justifier leur maintien. Bien qu’il conserve dans la région, compte tenu de son passé colonial et de son rôle dans l’industrie pétrolière, bien davantage d’intérêts que les autres pays européens, il n’a pas un besoin vital de bases militaires pour les préserver.
C’est pourquoi, après l’invasion turque de 1974, en estimant qu’elles n’avaient plus pour eux d’intérêt stratégique et qu’elles coûtaient trop cher, le gouvernement britannique a souhaité y renoncer : « from a purely national point of view, the SBAs are usually more of a liability than an asset [54]. » D’après Mallinson [55], aussi bien le Foreign Office que le ministère de la Défense étaient favorables à l’évacuation.
C’était sans compter avec les États-Unis. Dans une évaluation qui remonte au 9 février 1960, le Conseil national de Sécurité américain avait déjà marqué son intérêt : « the British airfields on Cyprus are useful to the United States as a possible staging post for Middle East operations and a possible backup installation for the US facilities located at Adana, Turkey. [56]”
En 1974, le Pentagone fait connaître ses préférences et les Britanniques obtempèrent : “Although our preferred policy is for a complete British military withdrawal from Cyprus, we recognise that we cannot do so at present, given the global importance of working closely with the Americans [57]”. D’après une note de janvier 2008 de l’ambassadeur américain à Nicosie au Département d’État citée par Wikileaks, l’intérêt de Washington n’a pas diminué depuis : “the damage or complete loss of SBA-housed facilities would pose a threat to our national security interests in the eastern Mediterranean [58]”.
Dans un environnement de plus en plus hostile, marqué par l’émergence de nouveaux facteurs d’instabilité, les deux guerres du Golfe et leur engagement en Irak, les États-Unis restent très intéressés par les ZdS. Ils peuvent y faire ce qu’ils veulent, ce qui n’est pas possible sur la base voisine d’Incirlik près d’Adana, où les autorités turques décident en fonction de leurs intérêts propres, comme le Pentagone a pu le constater à ses dépens lors de l’invasion de l’Irak en 2003. Ainsi, malgré la non-participation du GdC à la guerre d’Irak, l’espace aérien chypriote a été utilisé par les Britanniques et les Américains, ce qui est confirmé par l’ambassadeur de Chypre à Washington : « In the lead up to the war in Iraq, Cyprus approved overflight rights and the use of its ports and airports for the US and other coalition military aircraft » [59].
Lors de la préparation de l’accession de Chypre à l’UE, le gouvernement britannique a fait connaître son intention de maintenir les bases hors du territoire communautaire, ce qui a été précisé dans le protocole additionnel n°3 au traité d’adhésion. En principe, le droit communautaire ne s’y applique pas. En réalité, comme Monaco et Andorre, elles sont incluses dans le périmètre douanier de l’Union. Les habitants chypriotes relèvent du droit communautaire et les exploitations agricoles incluses dans les bases bénéficient de la PAC. Depuis 2008, les ZdS sont le seul territoire britannique à utiliser l’euro [60].
Lors de la négociation du plan Annan, le Royaume-Uni a tenté de consolider leur statut en proposant de rétrocéder 117 km², en grande partie à Dhekelia, mais le rejet du plan a rendu cette offre caduque. Les discussions visant à réviser les aspects anachroniques du traité d’établissement ont cependant continué et abouti à l’arrangement anglo-chypriote de janvier 2014 [61]. S’il ne prévoit pas de rétrocession, il clarifie un partage des responsabilités conforme à l’esprit du traité. Si les ZdS restent à vocation exclusivement militaire, toutes les autres activités peuvent y être exercées par les résidents chypriotes dans les mêmes conditions que dans les autres parties de l’île contrôlées par le gouvernement légal. La population civile résidant ou ayant des propriétés dans les ZdS est désormais soumise à l’ensemble des règlementations du GdC, notamment pour l’aménagement du territoire, l’urbanisme, les activités industrielles et commerciales. Les tribunaux chypriotes sont compétents pour les faire respecter sur le territoire des bases. La libre circulation est confirmée, sauf dans les terrains dédiés explicitement à des fonctions de défense. Il n’y aura pas de « gibraltarisation » des ZdS, ce qui a déçu ceux qui espéraient y trouver des exemptions fiscales. De facto, c’est le retour au GdC de 200 km² (plus de 78% du territoire des bases) et un compromis qui bénéficie aux deux parties.
L’appartenance des eaux territoriales aurait pu être un sujet de controverse entre le Royaume-Uni et Chypre et un enjeu important dans la perspective de la découverte d’hydrocarbures. En fait, l’échange de notes inclus dans le traité d’établissement prohibant les activités non militaires, cela exclut l’attribution aux bases d’une zone économique exclusive (ZEE) [62], un point confirmé par l’arrangement de 2014.
En 2019, la négociation du Brexit a défini les grandes lignes de la gestion future des frontières terrestres du Royaume-Uni avec trois États membres : la République d’Irlande (Irlande du nord), l’Espagne (pour Gibraltar [63]) et Chypre, où les ZdS font l’objet d’un protocole additionnel à l’accord de retrait. Comme en 2004, l’objectif commun des deux parties est de maintenir les dispositions du traité d’établissement. Cela a été d’autant plus facile que les ZdS n’ont jamais fait partie de l’UE. Comme la base de Dhekelia touche à la ligne de démarcation (aux points de passage de Strovilia et de Pergamos), le Royaume-Uni reste partie prenante dans la gestion du règlement qui définit les conditions de transit des marchandises à travers la ligne (« Green line regulation 866/2004 ») et du contrôle des mouvements de personnes (lutte contre l’immigration illégale, devenu un problème important pour le GdC).
Pour Londres, il n’est pas question d’évacuer les bases, qui sont donc toujours un élément essentiel de la politique de défense britannique. « We will maintain our network of permanent joint operating bases... including in the Sovereign Base Areas in Cyprus... These bases give us and in some cases our allies wide geographical reach and logistic support hubs for deployed forces. They will continue to be central to our ability to deploy military force around the world and respond to changing strategic circumstances. [64]”
Imposées à Chypre, les ZdS ne sont pas populaires. D’après le CEPS [65], 74 % des Chypriotes grecs et 57 % des Chypriotes turcs y sont opposés. Une partie importante de l’opinion publique considère qu’il s’agit d’une survivance de l’époque coloniale et d’une « substraction from Cyprus’ sovereignty » (Claire Palley).
D’une part, elles n’ont pas protégé les Chypriotes en 1974, ni contre le coup d’État provoqué par les colonels grecs, ni contre l’invasion de l’armée turque. Elles pourraient attirer sur l’île des complications internationales, quand elles sont utilisées contre un pays du Moyen-Orient comme ce fut le cas en Irak. Les insulaires estiment qu’elles présentent des risques pour eux, compte tenu de l’attitude de l’Iran, des guerres en Syrie et de l’absence de solution au conflit israélo-palestinien. Même entre Londres et Washington, l’utilisation des bases par les États-Unis pour des missions d’espionnage a suscité des échanges de notes plus ou moins acrimonieuses, rapportées par Wikileaks.
D’autre part, leur fonctionnement perturbe occasionnellement la vie de la population. Dans le passé, des manifestations ont été organisées pour mettre fin aux exercices de bombardements dans la péninsule d’Akamas et à l’établissement des grandes antennes d’Akrotiri en 2001, jugées dommageables à sa santé par la population résidente.
Pour sa part, le GdC s’est toujours montré assez compréhensif, notamment en acceptant une interprétation large de leurs conditions d’utilisation. Il fait son possible pour coopérer avec les Britanniques, qui dépendent en partie d’infrastructures extérieures aux ZdS et auraient des difficultés à fonctionner sans l’assentiment, sinon la coopération active des autorités chypriotes. Elles pourraient se montrer plus restrictives, notamment en ce qui concerne les activités qui se déroulent en dehors de leur périmètre.
Claire Palley estime qu’il serait facile aux Chypriotes de perturber fortement leur fonctionnement [66]. Leur bonne volonté, qui n’a pas été appréciée à sa juste valeur, a été mise à rude épreuve au moment de la négociation du plan Annan, quand le gouvernement britannique s’est montré particulièrement favorable au point de vue turc. Mais le GdC considère inopportun, compte tenu des problèmes qui se posent par ailleurs, de réclamer l’évacuation des bases.
Lors de son audition par le comité spécialisé de la Chambre des Communes [67], Claire Palley a qualifié leur statut d’incertain en droit international. En effet, comme le Royaume-Uni n’a pas respecté le traité de garantie en ne défendant pas l’intégrité de l’île en 1974, Chypre pourrait dénoncer le traité et demander l’évacuation des bases. Les ZdS ne sont pas un Etat, leur vocation exclusivement militaire pourrait s’apparenter à une « souveraineté limitée » inférieure en droit à celle de la République de Chypre.
La position officielle du GdC en faveur de la démilitarisation de Chypre n’inclut pas les ZdS. Confronté à l’instabilité croissante de son voisinage, à la guerre en Syrie et aux agressions turques dans sa ZEE, le GdC s’interroge sur les risques auxquels devrait faire face une île totalement démilitarisée. Bien que leur statut actuel soit jugé exorbitant du droit commun et leur utilisation excessive, sinon nuisible à la sécurité de la population, il accepte la continuation d’une présence militaire britannique, mais sous une autre forme. Pour sa part, le parti communiste chypriote AKEL est en faveur de la démilitarisation totale de l’île, y compris les ZdS. Il veut demander le départ des Britanniques dès qu’aura été obtenu celui des Turcs. C’est exactement pour cette raison que Londres a longtemps considéré la présence turque comme utile, sinon nécessaire au maintien des ZdS. Pour les autres partis, c’est la souveraineté britannique qui pose problème, pas l’existence des bases.
Il n’y a pas qu’à Chypre que les bases militaires ne soient pas populaires. Depuis la fin de la Guerre froide, beaucoup d’entre elles ont été évacuées, tout simplement parce que leur valeur militaire a diminué. Là où on en a installé de nouvelles, c’est avec le consentement du pays hôte, par exemple au Qatar et à Djibouti.
Indépendamment des ZdS, le GdC a jugé bon d’accorder des facilités navales ou aériennes à des pays amis. C’est le cas de la France, qui a signé avec Nicosie un accord de coopération militaire, renouvelé pour 10 ans en 2018. Ainsi la marine française contribue-t-elle à la sécurité de la partie sud de l’île, où nous avons vu que Total a des intérêts gaziers. La France participe aussi à la formation de la Garde nationale chypriote. La Russie bénéficie également de facilités, ce qui n’a pas plu au Congrès américain.
Dans une île de 9250 km² il en résulte des complications dans la gestion des aéroports : après la fermeture de celui de Nicosie en 1974, le GdC a construit un terminal sur une ancienne piste de la RAF à Larnaca, qui a été dotée d’une nouvelle aérogare financée par l’UE à travers le Fonds de Cohésion. Pour recevoir le cas échéant des secours de la Grèce, un deuxième aéroport a été construit à Paphos. Pour desservir la zone occupée, les Turcs ont construit un aéroport à Tymbou (plus connu sous son nom turc d’Ercan), puis à Lefkoniko (Geçitkale).
Entre la démilitarisation souhaitée et la sur-militarisation subie, où peut se situer la sécurité de Chypre ? Compte tenu de l’aggravation des conflits dans la région, la neutralité intégrale n’est plus une option. La priorité d’une grande majorité de Chypriotes, au nord comme au sud, va à l’évacuation des forces hostiles, en clair au départ de l’armée turque. Ensuite se posera le problème d’une stratégie de défense qui ne peut pas aller sans alliances. Si l’adhésion à l’OTAN a longtemps été perçue comme dangereuse et pas seulement par les communistes, elle est aujourd’hui mieux perçue, mais implique l’accord de la Turquie. Le GdC est favorable à l’intégration dans la PESD, pour autant que celle-ci existe opérationnellement. En attendant, la présence britannique, en dépit de certaines relations incestueuses avec les États-Unis, apparaît comme un moindre mal.
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A suivre : J-F Drevet : Quel est le rôle des puissances ? En ligne sur Diploweb.com
Voir la première partie de cette étude J-F Drevet, Géopolitique de Chypre.
Voir la deuxième partie.
Voir la troisième partie.
Voir la quatrième partie.
[1] Uniquement dans la zone gouvernementale, le PIB du nord n’est pas officiellement connu.
[2] Juridiquement, cette expression est réservée aux DOM et aux archipels ibéro-atlantiques, mais géographiquement, elle peut s’appliquer à Chypre.
[3] Kúpros, le nom de l’île en grec, cuprum le nom latin du cuivre.
[4] Comme on en a trouvé dans un bateau naufragé vers 1200 avant JC près d’Uluburun (Turquie) : 354 lingots, soit 10 tonnes de métal.
[5] René Grousset (1885-1952), l’Empire du Levant, histoire de la question d’Orient, Payot, Paris 1979, pp. 368-370.
[6] “Les ports sont des plus médiocres” Géographie universelle Vidal de la Blache (1929), tome VIII p. 212.
[7] Benjamin Disraeli (1804-1881), Premier Ministre britannique de 1874 à 1880.
[8] “Si Chypre est cédée à votre Majesté par la Porte et que l’Angleterre à ce moment entre dans une alliance défensive avec la Turquie, protégeant la Turquie d’Asie d’une invasion russe, le pouvoir de l’Angleterre en Méditerranée en serait fortement accru et l’Empire des Indes de votre Majesté immensément renforcé. Chypre est la clé de l’Asie occidentale.”
[9] "En prenant Chypre, le mouvement n’est pas méditerranéen ; il est indien. Nous avons fait là un pas que nous pensons nécessaire pour le maintien de notre Empire et la préservation de sa paix. Si cela est notre première considération, la suivante est le développement de ce pays."
[10] En 1191, le roi Richard fait inopinément la conquête de l’île, avant de la vendre aux Templiers.
[11] Edward Grey (1862-1933), ministre britannique des Affaires étrangères de 1905 à 1916.
[12] "Je crois que Chypre n’a pas d’utilité pour nous et que la convention qui la concerne est un anachronisme et un embarras. Je voudrais donc abandonner l’île en contrepartie de n’importe quel meilleur arrangement que nous pourrions obtenir. En vérité, qu’il y ait ou non négociation, nous serions mieux sans Chypre."
[13] « À coup sûr, Chypre dont l’Amirauté n’a jamais été capable de faire bon usage serait un bon prix si nous obtenions la Grèce…”
[14] « Comme puissance maritime, cette île a plus de valeur pour nous que Chypre.”
[15] « Si la Russie obtient Constantinople et les Détroits, nous devons avoir Lemnos », ce que les Britanniques étaient alors en train de promettre (à regret) à la Russie pour la maintenir à leurs côtés dans la guerre.
[16] Andrekos Varnava, British Cyprus and the Long Great War, 1914-1925, Empire, Loyalty and Democratic Deficit, Routledge, 242p. et British imperialism in Cyprus, 1878-1915 : the inconsequential possession, Manchester University Press, 2009, 321p.
[17] Raoul Blanchard, Géographie universelle, tome VIII, Asie occidentale, Librairie Armand Colin, Paris 1929, p. 213.
[18] « la présence britannique au Moyen-Orient ne semble pas moins indispensable que quand la protection de la route des Indes était sa justification ultime. »
[19] « Pour le Royaume-Uni, une zone d’importance fondamentale. »
[20] Dont les Britanniques acceptent l’indépendance en 1948, bien qu’ils y entretiennent l’importante base aéronavale de Trincomalee, qui a joué un rôle essentiel dans la guerre contre le Japon, qu’ils ne quitteront qu’en 1956.
[21] Strategic colonies and their future, the problems of Hong Kong, Gibraltar, Malta, Cyprus, Fabian research series n°100, October 1945.
[22] « Comme Chypre n’est pas auto-suffisante et devra rechercher pour sa sécurité la protection d’un État plus important, la meilleure chance pour son redressement économique et l’accession à un niveau de vie plus élevé serait, en dépit de sa méfiance, plutôt une association avec le Royaume-Uni qui est maintenant engagé dans des schémas de développement économique, politique et éducatif et a déjà donné dans d’autres territoires des gages de l’orientation progressiste de sa politique coloniale.”
[23] « Les planificateurs militaires ont donc conclu que la souveraineté britannique devait être maintenue à Chypre, même au risque d’une agitation dans l’île et de réactions défavorables en Grèce », selon William Roger Louis, The British Empire and the Middle East (1945-1951), Clarendon Press Oxford 1984 page 211.
[24] “ Je ne suis pas persuadé que les arguments en faveur de la conservation de Chypre soient solides.. pas plus que je pense que la note produite par les chefs d’état-major soit convaincante. »
[25] NDLR : L’Enosis fait référence à l’ambition d’unir à la Grèce toutes les îles et régions où les Grecs étaient majoritaires, dont la Crête.
[26] Dans Bitter Lemons, Lawrence Durrell indique qu’un « sometime » aurait évité bien des problèmes.
[27] "Il a toujours été compris que certains territoires du Commonwealth, du fait de leur situation particulière, ne pourront JAMAIS espérer devenir complètement indépendants. » Henry Hopkinson (1902-1996), Ministre d’État pour les affaires coloniales (1952-1955).
[28] « Sans Chypre, pas assez de moyens pour protéger notre approvisionnement en pétrole. Pas de pétrole, c’est le chômage et la faim au Royaume-Uni. C’est aussi simple que cela. » Anthony Eden (1897-1977), Premier Ministre britannique (1955-1957), notamment pendant la crise de Suez de novembre 1956.
[29] Nancy Crawshaw, The Cyprus revolt, an account of the Struggle for Union with Greece, George Allen & Unwin, Londres, 1978, 447p.
[30] Expression utilisée par les Chinois pour qualifier les traités qui leur ont été imposés au XIXe siècle par les puissances européennes et le Japon.
[31] Voté par le Congrès américain en 1901 à la suite de la guerre hispano-américaine, inséré dans la constitution cubaine, il officialise un droit d’ingérence des États-Unis dans les affaires de l’île, qui ne sera aboli qu’en 1934.
[32] Léonide Brejnev (1906-1982), premier secrétaire du PCUS (parti communiste de l’Union soviétique de 1964 à 1982), inventeur de la « doctrine Brejnev » de souveraineté limitée : « Les peuples des pays socialistes et les partis communistes ont et doivent sans aucun doute avoir la liberté de déterminer la voie du développement de leur propre pays. Cependant, aucune de ces décisions ne doit porter atteinte au socialisme dans leur pays, ni aux intérêts vitaux des autres pays socialistes. » dans la Pravda du 26 septembre 1968.
[33] Une habitude d’Ankara de donner un intitulé pacifique à ses incursions armées dans les pays voisins : en Syrie « Bouclier de l’Euphrate » (2016-2017), puis « Rameau d’olivier » (2018) et « Source de paix » (2019).
[34] “Le Royaume-Uni avait le droit, l’obligation morale et les capacités militaires pour intervenir à Chypre en juillet-août 1974. Il n’est pas intervenu pour des raisons que le gouvernement refuse de donner. » Rapport du Parliamentary Select Committee on Foreign Affairs on Cyprus, publié le 8 avril 1976.
[35] “Les travaillistes qui sont à l’origine des désastres à Chypre par leur refus de décoloniser l’île après 1945, ont maintenant achevé ces désastres en l’abandonnant à la trucidation. » Perry Anderson, The divisions of Cyprus, London Review of Books, vol 30 n°8 du 24 avril 2008.
[36] Claire Palley, née en 1931, première femme à occuper un poste de professeur de droit public (à l’Université de Belfast), militante anti-apartheid en Afrique du sud et ancienne conseillère constitutionnelle du Président de Chypre (1980-2004) dans son ouvrage An International Relations Debacle, The UN Secretary General’s Mission of Good Offices in Cyprus, 1999-2004, (Hart Publishing, Oxford and Portland Oregon 2005, 395p.) p.151.
[37] Article 2§4 « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » et article 103 : « En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront. »
[38] FCO : Foreign & Commonwealth Office (devenu Foreign, Commonwealth & Development Office) : « The Treaty of Guarantee will not be affected by Cyprus’ accession to the European Union.” Written answer by the Minister of State, FCO, House of Lords Debate du 8 November 2001.
[39] David Hannay : « On the treaty of guarantee… in the view of the British government its continuation was an essential component of any settlement”, Cyprus, the Search for a Solution, IB Tauris, Londres, 2007, p. 62.
[40] Article 4§1 interdisant l’Anschluss : « Les Puissances alliées et associées déclarent que toute union politique ou économique entre l’Autriche et l’Allemagne est interdite. L’Autriche reconnaît pleinement les responsabilités qui lui incombent à ce sujet et s’engage à ne participer à aucune union politique ou économique avec l’Allemagne sous quelque forme que ce soit. »
[41] Alexandros Lordos, Erol Kaymak & Nathalie Tocci, A people’s peace in Cyprus, Testing Public Opinion on the Options for a Comprehensive Settlement, Centre for European Policy Studies, Bruxelles, 2009, 128 p.
[42] UNIFICYP, Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre depuis 1964.
[43] Alexandros Lordos, Erol Kaymak & Nathalie Tocci, op. cit.
[44] Claire Palley, An International Relations Debacle, the UN Secretary Général’s Mission of Good Offices in Cyprus 1999-2004, Hart Publishing, Oxford 2005, 395p.
[45] Comme cela s’est passé à Gibraltar, avec la transformation d’une base militaire en colonie de la couronne, avec des habitants attachés au maintien de la souveraineté britannique.
[46] Le terme officiel est Sovereign Bases Areas (SBAs), en français Zones de Souveraineté (ZdS).
[47] Ainsi que la piste alors non utilisée de Larnaca (construite par la RAF pendant la guerre mondiale) qui sera remise en état pour créer l’aéroport international après 1974.
[48] Annexe (b) : “The Akamas Range Area may be used as a field firing range and for all kinds of engineer training, including the carrying out of demolitions…. The western part of the land area of the Akamas Range Area and the sea area of that Range Area may be used as a naval bombardment range.”
[49] Une des zones les plus importantes pour la conservation du patrimoine naturel chypriote.
[50] Mentionnée dans un rapport du Parlement européen sur le système ECHELON.
[51] Grâce au Système mondial d’interception des communications privées et publiques (SIGINT), élaboré par les États-Unis, avec le concours du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
[52] Giorgios Georgiou, British Bases in Cyprus and Signals Intelligence.
[53] “frapper au-dessus de son poids. »
[54] « D’un point de vue purement national, les ZDS sont habituellement plutôt un problème qu’un avantage », selon une note interne du FCO (draft paper de G. Arthur) du 24 août 1974 citée dans Keith Hamilton & Patrick Salomon The Southern Flank in crisis, 1973-1976, Whitehall History Publishing, p. 262.
[55] William Mallinson, Cyprus, Diplomatic History and the Clash of Theory in International Relations, I.B. Tauris, Londres & New York, 2009, 228p.
[56] « Les aérodromes britanniques à Chypre sont utiles aux États-Unis comme étape pour des opérations au Moyen-Orient et comme base arrière pour les infrastructures américaines installées à Adana, Turquie », Archives du Département d’État, volume X part 1, Foreign relations of the US 1958-1960.
[57] “Bien que notre préférence soit en faveur d’un retrait complet de Chypre de l’armée britannique, nous reconnaissons que nous ne pouvons pas le faire actuellement, compte tenu de l’importance à travailler étroitement avec les Américains. » Note du FCO, South East European Department), 1975 (citée par Mallinson p. 98).
[58] « La réduction ou la perte des infrastructures des ZDS serait une menace pour nos intérêts de sécurité nationale en Méditerranée. »
[59] « Dans la conduite de la guerre en Irak, Chypre a approuvé les survols et l’utilisation de ses ports et aéroports par les forces des. États-Unis et des autres membres de la coalition. » Mediterranean Quarterly, Vol. 16 summer 2005, p.14.
[60] Conformément à l’annexe O du traité d’Établissement : “The currency of the Republic will be legal tender in the Sovereign Base Areas.”
[61] Arrangement relatif à la Règlementation du Développement dans les Zones de Souveraineté, signé à Londres le 15 janvier 2014.
[62] Les bases ne représentent que 2.6% du territoire de l’île, mais 9.6% du littoral.
[63] Au moment de leur adhésion en 1973, les Britanniques avaient voulu que Gibraltar fasse partie de l’UE, à la différence d’autres territoires autonomes (les îles Anglo-normandes et l’île de Man), ainsi que leurs territoires d’outre-mer qui ont été classés dans les PTOM.
[64] « Nous maintiendrons notre réseau de bases opérationnelles permanentes… y compris les ZDS à Chypre. Ces bases nous donnent et dans certains cas apportent à nos alliés une large capacité de projection géographique et des centres de soutien logistique pour déployer nos forces. Elles vont continuer à jouer un rôle central dans notre capacité à projeter nos forces militaires dans le monde et à apporter des réponses aux changements du contexte stratégique. » UK’s Strategic Defence and Security review 2010.
[65] Alexandros Lordos, Erol Kaymak & Nathalie Tocci, A People’s Peace in Cyprus : Testing Public Opinion on the Options for a Comprehensive Settlement, CEPS (Centre for European Policy Studies), Bruxelles 2009.
[66] “Reluctant and “feet dragging” co-operation will render operation difficult and expensive.”
[67] House of Commons, Foreign Affairs, Second report (22 février 2005) : Written, evidence submitted by Dr Claire Palley.
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