Julien Lebel est doctorant à l’Institut français de géopolitique (IFG) de l’université Paris 8 Saint-Denis. Ses recherches portent sur les concurrences et les stratégies des compagnies aériennes, ainsi que leurs liens avec les acteurs politiques et économiques.
Les flux aériens entre l’Europe et l’Asie font face à différents enjeux qui influencent l’organisation du réseau de routes sur cet axe. En exploitant des services aériens entre les deux continents, les transporteurs sont exposés à des facteurs géopolitiques dont ils doivent tenir compte pour leur stratégie de développement. L’espace aérien peut ainsi s’apparenter à une ressource que certains acteurs politiques n’hésitent pas à utiliser pour défendre leurs intérêts et étendre leur influence. Cela se matérialise tant au travers du contrôle de l’espace aérien que de son utilisation par certaines compagnies avec lesquelles ils entretiennent des liens puissants. Cet article est illustré de deux cartes disponibles sous deux formats, JPEG et PDF.
LES FLUX aériens connectant l’Europe et l’Asie constituent un axe structurant du réseau mondial de routes aériennes. Ils s’inscrivent en effet dans le cadre d’importants échanges commerciaux, de coopérations multiples dans le secteur privé (partenariats, voire fusions entre entreprises), de rencontres diplomatiques fréquentes et d’échanges touristiques qui ne cessent d’augmenter. Le continent asiatique représente un marché où le secteur aérien civil enregistre ses meilleurs taux de croissance, devant l’Europe (et l’Amérique du Nord) qui compte depuis 2011 moins de passagers que la région Asie-Pacifique d’après l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) [1].
Les compagnies aériennes d’envergure mondiale cherchent donc à s’implanter ou à renforcer leur présence dans cet espace stratégique, notamment pour tirer profit du dynamisme du marché asiatique [2]. Cependant, la concurrence reste forte entre les transporteurs, tout particulièrement sur l’axe Europe-Asie qui se caractérise par des enjeux géopolitiques importants. Comment s’organise le réseau mondial de routes aériennes ? Quels sont les acteurs qui l’influencent et quelles sont leurs stratégies ?
Les compagnies aériennes de « pavillon national » (appelées flag carriers en anglais) constituent encore aujourd’hui un symbole puissant marquant l’extension d’influence d’un Etat, que celui-ci soit l’actionnaire principal de ce transporteur ou non. Les compagnies aériennes européennes et asiatiques représentent des indicateurs des flux existant entre les Etats des deux continents. Elles facilitent notamment les coopérations économiques, diplomatiques ou encore culturelles au travers de liaisons aériennes directes entre les principales villes disposant d’infrastructures spécifiques (ambassades, centres financiers, zones touristiques, etc.).
Depuis les années 2000 toutefois, ces flux aériens s’inscrivent dans le cadre d’une concurrence croissante [3], principalement marquée par l’essor de transporteurs moyen-orientaux : les compagnies du Golfe – tout particulièrement Emirates Airline, propriété du groupe Emirates et basée à Dubaï, Qatar Airways (Doha) et Etihad Airways (Abu Dhabi) – mais aussi Turkish Airlines, installée à Istanbul. A travers une stratégie ambitieuse de construction d’un hub d’envergure mondiale soutenue par les acteurs politiques, ces transporteurs sont devenus en l’espace d’une dizaine d’années des leaders du secteur aérien [4]. La croissance de leurs activités à partir d’un aéroport basé dans leur Etat d’ancrage crée cependant des connexions indirectes sur l’axe Europe-Asie car les passagers ont à effectuer une correspondance au cours de leur voyage. Ces compagnies ont toutefois des arguments à faire valoir auprès des voyageurs internationaux :
. Une localisation géographique de leur hub relativement avantageuse pour relier différentes régions du monde, tout particulièrement l’Europe et l’Asie du Sud-Est. Les compagnies du Golfe et Turkish Airlines utilisent souvent cet argument pour expliquer la réussite de leur développement. Il convient toutefois de le nuancer et de le considérer en partie comme une représentation véhiculée auprès des voyageurs et des acteurs s’intéressant à l’aérien : les itinéraires commercialisés par ces compagnies ne correspondent pas toujours à des trajets directs (par exemple Paris-Doha-Tokyo alors que le survol de la Sibérie est plus direct entre la France et le Japon).
. Des dessertes qui s’étendent aux villes secondaires et limitent les correspondances pour les passagers, pouvant parfois même devancer les compagnies européennes ou asiatiques (Lyon-Dubaï-Sydney avec Emirates, contre Lyon-Francfort-Singapour-Sydney avec Lufthansa et son partenaire Singapore Airlines). En proposant des services aériens depuis et vers des aéroports de deuxième rang (généralement provinciaux), cette stratégie rééquilibre ainsi la compétitivité des itinéraires moins directs via la Turquie ou le Golfe.
. Des prestations de qualité véhiculant une image prestigieuse et censée valoriser le pays d’ancrage de la compagnie (certains auteurs parlent de nation branding [5]), faisant même du transit sur le hub un moment récréatif plutôt qu’une contrainte au cours du voyage.
. Et surtout un prix du billet compétitif en raison de coûts d’exploitation moindres [6], notamment dans le cadre d’un soutien des acteurs politiques au secteur aérien, pouvant se traduire par des exemptions de taxes ou d’importantes subventions dans le cas des compagnies du Golfe, qui sont assimilées par certains transporteurs concurrents à une forme de concurrence déloyale [7].
Les compagnies du Golfe, ainsi que Turkish Airlines, apparaissent donc comme de puissants concurrents sur l’axe Europe-Asie [8]. Les ambitions d’acteurs politiques viennent ainsi soutenir le développement de ces transporteurs qui accroissent leur offre, souvent au-delà des besoins du marché, et créent ainsi des problèmes de surcapacité sur certaines routes. Le développement de Turkish Airlines – premier transporteur au monde en nombre d’escales internationales desservies – ainsi que celui des compagnies du Golfe ont fortement fragilisé les transporteurs concurrents mais ont également favorisé l’essor de certains Etats sur la scène internationale. La croissance de Turkish Airlines constitue ainsi pour le gouvernement turc un outil efficace pour soutenir les exportations d’un pays dont le dynamisme économique repose en grande partie sur des entrepreneurs aux activités tournées vers l’international [9]. C’est aussi un moyen d’ancrer la diplomatie turque au sein de nouveaux espaces alors que celle-ci s’avère affaiblie à l’échelle régionale (crise syrienne, tensions avec la Russie, divergences avec l’Egypte). Enfin, cela coïncide avec l’objectif affiché par le président Erdogan et le gouvernement turc de faire d’Istanbul une « ville monde » [10] à travers la réalisation d’infrastructures importantes, à l’image du 3ème aéroport actuellement en construction au nord de la ville (futur hub de Turkish Airlines). Sa capacité pourrait être portée jusqu’à 150 millions de passagers par an [11], un record mondial. Sans pour autant être l’actionnaire majoritaire de la compagnie, l’Etat dispose de parts dans le capital dont les clauses spécifiques lui permettent d’avoir un droit de regard sur les activités du transporteur : son accord est par exemple nécessaire en cas de suspension d’une route.
Dans le cas des émirats du Golfe, l’existence de transporteurs disposant d’un large réseau mondial leur permet de s’affranchir d’un espace régional instable, notamment caractérisé par des tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. En tant que membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) aux côtés de l’Arabie Saoudite, les émirats tirent profit de connexions aériennes développées qui leur permettent d’entretenir des liens étroits avec d’autres Etats externes à la région et donc de limiter l’influence saoudienne sur leurs orientations politiques. Les nombreux investissements réalisés à l’étranger grâce à d’importants fonds souverains [12] matérialisent ainsi les liens d’interdépendance que ces émirats entretiennent avec des puissances économiques et diplomatiques, qui s’avèrent en retour soucieuses de préserver la stabilité de ces petits Etats du Golfe. Enfin, le transport aérien constitue un outil de soutien aux politiques de diversification économique menées dans cette région, que ce soit pour appuyer le développement de centres financiers ou favoriser les flux touristiques. La présence de proches des émirs à des postes de direction au sein des compagnies du Golfe permet ainsi une articulation entre les décisions prises par les responsables politiques des émirats et les stratégies de développement mises en œuvre par ces transporteurs [13].
Toutefois, la signature d’un accord international sur le nucléaire iranien au cours de l’été 2015 offre de nouvelles perspectives commerciales, en particulier dans le secteur de l’aéronautique civil [14]. La commande de 118 appareils auprès d’Airbus (plus de la moitié concerne des modules long-courriers) [15] en janvier 2016 ouvre en effet la voie à Téhéran pour se développer comme un important hub aérien dans la région. Ce dernier viendrait concurrencer la Turquie et les émirats du Golfe et pourrait ainsi ancrer l’Iran au sein des flux transitant entre l’Europe et l’Asie.
L’exploitation de liaisons aériennes internationales implique des négociations d’accords entre les Etats afin « d’ouvrir le ciel » aux compagnies. Alors que certains pays ont libéralisé leur espace aérien – les transporteurs communautaires [16] peuvent opérer des vols sans restriction entre les Etats européens appliquant une législation commune en matière d’aviation civile – d’autres comme la Russie conservent une approche beaucoup plus restrictive. Disposant d’un large territoire survolé par la majorité des aéronefs effectuant les liaisons entre l’Europe et l’Asie orientale, la Russie bénéficie d’une localisation stratégique au sein du réseau mondial de routes aériennes. Le survol de la Sibérie constitue en effet l’itinéraire le plus court pour relier la plupart des pays européens à la Chine, au Japon, ou encore à la Corée du Sud [17].
L’essor des liaisons aériennes sans escale entre ces deux régions du monde au cours des années 1980 a renforcé la compétitivité de cet axe. Toutefois, l’URSS n’a pas signé l’Accord de transit aérien en 1944 qui ouvrait aux compagnies le droit de survoler le territoire d’Etats étrangers. Cette situation implique ainsi des négociations au cas par cas avec la Russie qui n’a accordé que très peu d’autorisations aux transporteurs basés dans le bloc occidental durant la Guerre froide. En opérant le premier vol direct reliant l’Europe au Japon en 1983, Finnair (compagnie basée à Helsinki) fut d’ailleurs contrainte de contourner le territoire soviétique en survolant le pôle Nord [18].
Après 1991, le ciel russe s’est davantage ouvert aux transporteurs étrangers. La Russie n’a pas cessé pour autant de percevoir l’espace aérien comme un outil stratégique. Dans les accords bilatéraux signés avec de nombreux Etats, la désignation des compagnies autorisées à pénétrer le territoire russe est hautement encadrée. En effet, lors des négociations, les pays doivent s’accorder sur les compagnies aériennes qui sont autorisées à exploiter des services aériens entre les deux Etats, mais aussi à survoler leurs territoires si l’un d’entre eux n’est pas signataire de l’Accord de transit de 1944. Parallèlement, la Russie tire profit de l’attractivité de la route aérienne survolant la Sibérie en obligeant les transporteurs qui l’empruntent à verser des royalties, en supplément des redevances habituellement payées et destinées à financer le contrôle du trafic aérien. Il est d’ailleurs avéré que les revenus générés par ces royalties – 320 millions d’euros chaque année d’après la Commission européenne en 2011 – sont principalement reversés à Aeroflot [19].
Dès la fin des années 1990, la Commission européenne a tenté de négocier avec la Russie pour faire abolir ces royalties, une démarche qui n’a pas rencontré de réel succès jusqu’à présent. La question continue ainsi de crisper les relations entre l’Union européenne et la Russie en matière d’aviation civile et se trouve en outre influencée par les tensions diplomatiques entre les deux entités. En effet, un accord semblait en vue fin 2011, prévoyant une « modernisation » dans le processus du versement des redevances à la Russie. Il s’agissait d’instaurer une plus grande transparence quant à leur calcul afin d’éliminer à l’horizon 2014 les royalties liées au survol de la Sibérie. La Russie aurait d’ailleurs négocié le soutien de l’UE pour son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en échange de la signature de cet accord de principe en 2011 [20]. Cependant, la dégradation des relations entre la Russie et l’UE suite aux crises syrienne puis ukrainienne est venue mettre à mal les projets de coopération entre les deux entités.
Alors que le Conseil européen lance au printemps 2014 des sanctions économiques à l’égard de la Russie, accusée d’alimenter le conflit ukrainien en soutenant les opposants au nouveau régime pro-européen installé à Kiev, des quotidiens russes ne tardent pas à révéler que la Russie envisagerait d’empêcher les compagnies européennes de survoler la Sibérie [21]. Même si la mesure paraît contraire aux intérêts russes – certaines sources locales soulignent qu’environ 18% des revenus d’Aeroflot en 2013 proviennent des royalties collectées pour le survol de la Sibérie [22] –, les transporteurs européens qui opèrent des vols vers l’Asie de l’Est en subiraient les conséquences, et tout particulièrement Finnair dont la stratégie repose sur l’exploitation d’un réseau reliant l’Europe et l’Asie via son hub d’Helsinki. Les activités de la compagnie finlandaise sont donc largement dépendantes de l’accès au ciel russe [23].
Un tel scénario s’avère cependant inopportun au regard de l’état de l’économie russe qui pâtit aujourd’hui de la chute des cours du rouble et du pétrole, ce qui n’est pas sans conséquences sur le secteur aérien du pays. La première compagnie privée russe, Transaero, a par exemple cessé ses activités en octobre 2015, fortement touchée par la nette diminution du nombre de touristes russes séjournant à l’étranger [24]. Aeroflot a quant à elle plus que jamais besoin des taxes liées au survol de la Sibérie pour s’assurer des revenus corrects alors que la compagnie exploite un réseau international directement exposé au ralentissement de l’économie russe.
Pour autant, aucune libéralisation du ciel russe n’est à l’ordre du jour et les autorités restent peu enclines à réviser les clauses de désignation des compagnies aériennes étrangères autorisées à survoler la Sibérie. Certains transporteurs européens ayant souhaité étendre leur réseau en Asie de l’Est au cours de la décennie passée se sont heurtés à l’intransigeance de la Russie dans un contexte de refroidissement des relations avec l’Union européenne. Aigle Azur, basée à Paris, fut ainsi contrainte de renoncer à sa première escale long-courrier à Pékin prévue pour l’été 2014, faute d’une autorisation de survol de la part des autorités russes. La compagnie venait en effet d’opérer un rapprochement avec un partenaire chinois, Hainan Airlines (dont la maison-mère HNA Group est entrée au capital d’Aigle Azur à hauteur de 48% en octobre 2012 [25]). Norwegian Air Shuttle [26] s’est heurtée au même refus de la Russie, sans pour autant que cela remette en cause son arrivée à l’été 2013 à Bangkok qu’elle dessert en contournant le territoire russe par le sud. Alors que ce détour implique un surcoût évalué à plus de 10 millions d’euros chaque année par le transporteur [27], son PDG, Bjørn Kjos, appelle régulièrement le gouvernement norvégien à empêcher les compagnies russes de survoler le pays, un itinéraire emprunté par Aeroflot pour rejoindre les Etats-Unis. Sans remettre en cause les activités d’Aeroflot en Norvège, Oslo a néanmoins refusé en mars 2016 de renouveler les autorisations de vol d’une compagnie cargo russe [28], Aviastar-TU, se posant auparavant dans le nord du pays.
Alors que l’accès au ciel d’un pays est directement influencé par les relations diplomatiques entre Etats et leur évolution, l’exploitation de lignes aériennes peut quant à elle être perturbée en cas de conflit armé au sol. Dans certaines régions, l’intensité et l’étendue des affrontements nécessitent une fermeture totale de l’espace aérien, compliquant ainsi l’organisation des flux aériens. Le missile tiré contre un appareil de Malaysia Airlines en juillet 2014 alors qu’il survolait la partie orientale de l’Ukraine – une zone de confrontation entre les soutiens au nouveau gouvernement pro-européen à Kiev et les opposants attachés au maintien de l’influence russe dans le pays – est venu rappeler la vulnérabilité du transport aérien civil en cas de conflit. La destruction (qu’elle soit intentionnelle ou non) de l’appareil d’une compagnie basée dans un pays externe au confit se déroulant au sol n’a pas manqué de mettre en avant sur la scène internationale les acteurs s’affrontant en Ukraine ainsi que leurs revendications, à travers la couverture médiatique de l’incident.
En termes d’exploitation, la partie orientale de l’Ukraine est désormais contournée par l’ensemble des vols commerciaux [29], tandis que l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 avait déjà entraîné la fermeture de l’espace aérien régional, son contrôle étant disputé entre les deux pays [30]. Ce nouveau contexte oblige les transporteurs qui faisaient auparavant transiter des vols entre l’Europe et l’Asie au-dessus de l’Ukraine à se reporter sur des routes traversant davantage la Russie ou la Turquie. Le premier cas nécessite d’être une compagnie désignée dans les accords aériens signés avec la Russie, tandis que la seconde option vient renforcer la place de la Turquie et de l’Iran au sein des flux Europe-Asie. Leurs espaces aériens sont aujourd’hui hautement fréquentés par des aéronefs transitant entre les deux continents, Ankara et Téhéran ayant respectivement enregistré une croissance du nombre d’appareils commerciaux survolant leurs territoires de 28% et 32% d’après Eurocontrol et les autorités de l’aviation civile des pays concernés [31].
On observe ainsi une concentration des flux aériens au-dessus des deux pays, au sein d’un couloir situé à la marge des zones d’instabilité en Syrie et en Irak où le groupe Etat islamique s’est déployé depuis quelques années. Le conflit actuel conduit les transporteurs à éviter le survol de ces deux Etats et n’a d’ailleurs pas manqué de perturber les flux sur les routes voisines. L’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) a par exemple invité en octobre 2015 les transporteurs à redoubler de vigilance en cas de transit dans l’espace aérien iranien suite aux tirs de missiles opérés par la Russie depuis la mer Caspienne et dirigés vers la Syrie [32]. Certaines compagnies ont ainsi préféré revoir l’itinéraire de leurs vols commerciaux transitant dans la région, en optant pour un détour via l’Arabie Saoudite et l’Egypte [33].
Le transit aérien dans l’espace moyen-oriental repose donc principalement sur la Turquie et l’Iran d’une part, et sur l’Arabie Saoudite et l’Egypte d’autre part [34], ce qui nécessite non seulement une certaine stabilité de ces Etats pour assurer le maintien des flux mais également la pérennité des accords autorisant les transporteurs à les survoler. Le développement des compagnies du Golfe s’avère dépendant de cette stabilité et les émirats semblent donc avoir tout intérêt à entretenir de bonnes relations aussi bien avec l’Iran qu’avec l’Arabie Saoudite. Les deux pays constituent en effet des espaces de transit stratégiques pour l’exploitation des vols commerciaux des compagnies du Golfe vers l’Afrique du Nord, l’Amérique et surtout l’Europe.
Les flux aériens entre l’Europe et l’Asie font face à différents enjeux qui influencent l’organisation du réseau de routes sur cet axe. En exploitant des services aériens entre les deux continents, les transporteurs sont exposés à des facteurs géopolitiques dont ils doivent tenir compte pour leur stratégie de développement. L’espace aérien peut ainsi s’apparenter à une ressource que certains acteurs politiques n’hésitent pas à utiliser pour défendre leurs intérêts et étendre leur influence. Cela se matérialise tant au travers du contrôle de l’espace aérien que de son utilisation par certaines compagnies avec lesquelles ils entretiennent des liens puissants.
En restreignant l’accès à son espace aérien, pourtant stratégique dans le réseau mondial de routes aériennes, la Russie peut ainsi négocier les conditions de son ouverture aux transporteurs d’autres pays tout en faisant progresser ses propres intérêts. A l’inverse, d’autres Etats ont choisi de s’appuyer sur le développement de puissantes compagnies aériennes, garantes d’une visibilité internationale et constituant aussi des outils efficaces pour satisfaire leurs ambitions économico-politiques (faire de la Turquie une des dix premières puissances mondiales, favoriser l’influence du Qatar sur la scène diplomatique internationale, assurer la pérennité du modèle de développement de Dubaï, etc.). Le transport aérien civil apparaît ainsi comme un secteur où se déploient des stratégies géopolitiques qui dépassent les questions aéronautiques.
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La rédaction du Diploweb.com recommande le n°78 de la revue Questions internationales, "Le transport aérien, une mondialisation réussie", La documentation Française, Mars-avril 2016.
[1] Pour les données chiffrées, voir l’annexe 1 des « Rapports annuels du Conseil » de l’OACI : http://www.icao.int/publications/Pages/annual-reports.aspx
[2] L’Asie-Pacifique compte en 2016 un tiers des capacités offertes à l’échelle mondiale, ce qui en fait la première région : voir les communiqués mensuels de l’OACI intitulés « Air Transport Monthly Monitor » sur http://www.icao.int/sustainability/Pages/Air-Traffic-Monitor.aspx ; par ailleurs, d’après l’International Air Transport Association (IATA), la Chine, l’Inde et l’Indonésie figureront parmi les 5 pays les plus dynamiques en nombre de voyageurs supplémentaires annuels à l’horizon 2034. La Chine devrait d’ailleurs passer devant les Etats-Unis en 2030 pour devenir le plus grand marché mondial en nombre de voyageurs aériens, tandis que l’Inde atteindrait la 3ème place devant le Royaume-Uni en 2031. Voir le communiqué de presse de l’IATA « New IATA Passenger Forecast Reveals Fast-Growing Markets of the Future », publié le 16 octobre 2014, http://www.iata.org/pressroom/pr/Pages/2014-10-16-01.aspx
[3] Voir LEBEL J., « Les compagnies aériennes face à la concurrence croissante », Questions Internationales, n°78, La Documentation Française, mars-avril 2016, pp. 79-88.
[4] Voir GLISZCZYNSKI F., « Air France, Etihad, Emirates…, quel Yalta pour le transport aérien ? », La Tribune, publié le 20 mai 2015, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/air-france-etihad-emirates-quel-yalta-pour-le-transport-aerien-477387.html
[5] Pour le Qatar, voir GRAY M., 2013, Qatar – Politics and the Challenges of Development, Lynne Rienner Publishers, London, 271 p.
[6] Voir les figures comparant les coûts et les prix des billets entre les compagnies du Golfe, Turkish Airlines et d’autres transporteurs dans DURSUN M. E., O’CONNEL J., LEI Z., WARNOCK-SMITH D., 2014, « The transformation of a legacy carrier – A case study of Turkish Airlines », Journal of Air Transport Management, n°40, pp. 106-118.
[7] Sur la question des subventions accordées aux compagnies du Golfe, voir les documents révélés par les trois grandes compagnies américaines (American Airlines, Delta Airlines et United Airlines) qui se sont associées pour dénoncer des pratiques de concurrence jugées déloyales : http://www.openandfairskies.com/
[8] A titre d’exemple, les compagnies du Golfe ont augmenté leurs capacités de 80% vers la Thaïlande entre 2014 et 2015, pendant que les capacités n’augmentaient que de 4% entre l’Europe et la Thaïlande. De même, le nombre de sièges disponibles entre l’Europe et Singapour a chuté de 60 000 à 50 000 entre 2012 et 2015, tout en s’accroissant de 550 000 à 650 000 sur la même période entre le Golfe et l’Europe. Voir KINDERGAN A., « Revisiting : The Rise of the Gulf Carriers », The Financialist, publié le 2 janvier 2015, https://www.thefinancialist.com/the-rise-of-the-gulf-carriers/. Concernant Turkish Airlines, la part des voyageurs internationaux effectuant une correspondance sur le réseau du transporteur est passée de 20% en 2006 à 40% en 2012, indiquant que Turkish Airlines renforce ses parts de marché sur des itinéraires qui n’ont ni pour origine ni pour destination la Turquie, tandis qu’elle exploite le premier réseau européen en nombre de pays desservis et augmente régulièrement ses fréquences sur tous les continents, notamment en Asie de l’Est. Voir CAPA « Turkish Airlines : narrowing the strategic Gulf », publié les 4 et 5 juin 2013 (partie 1 et partie 2). La carte 2 vient illustrer la prééminence de ces transporteurs face à des concurrents régionaux beaucoup moins puissants.
[9] Voir YANKAYA D., 2013, La nouvelle bourgeoisie islamique, Puf, 214 p. ; INSEL A., 2015, La nouvelle Turquie d’Erdogan, La Découverte, 205 p. ; PEROUSE J.-F., 2013, « Les nouveaux horizons d’influence de la Turquie à travers l’indicateur des liaisons aériennes », IFEA, http://dipnot.hypotheses.org/45
[10] MORVAN, Y., 2013, « L’aménagement du grand Istanbul : entre ambition géopolitique mondiale et enjeux fonciers locaux », Hérodote, n°148, La Découverte, pp. 197-210.
[11] « Minister reveals details about giant infrastructure projects in Turkey », Hürriyet Daily News, publié le 14 avril 2016, http://www.hurriyetdailynews.com/minister-reveals-details-about-giant-infrastructure-projects-in-turkey-.aspx?pageID=238&nID=97809&NewsCatID=345
[12] Voir MOURVELAT P., 2009, « Les fonds souverains au Moyen-Orient », Revue d’économie financière, vol. 9, pp. 99-107. D’après l’auteur, de janvier 2006 à octobre 2008, les fonds souverains du Golfe auraient investi près de 35 milliards de dollars en Europe.
[13] Dans le cas de Dubaï, voir par exemple le schéma réalisé par les trois grandes compagnies américaines : http://www.openandfairskies.com/dubai-inc/. Par ailleurs, l’actuel directeur général de Qatar Airways, Akbar Al Baker, a été nommé en 1996 par l’émir Hamad Al Thani tout juste arrivé au pouvoir, tandis qu’Etihad Airways est présidé par Hamad Al Nahyan, le demi-frère du président des Emirats Arabes Unis et émir d’Abu Dhabi, Khalifa Al Nahyan. Voir ULRICHSEN K., 2015, « Gulf Airlines and the Changing Map of Global Aviation », Center for the Middle East, Rice University’s Baker Institute for Public Policy.
[14] Voir VALERO J., « L’UE compte sur l’Iran pour diversifier le transport aérien vers le Golfe », EurActiv.com, publié le 20 avril 2016, https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/europe-eyes-iran-as-alternative-to-gulf-countries-in-aviation-routes/
[15] GLISZCZYNSKI F., « De l’A320 à l’A380, l’Iran se paye toute la gamme d’Airbus », La Tribune, publié le 28 janvier 2016, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/de-l-a320-a-l-a380-l-iran-se-paye-toute-la-gamme-d-airbus-546770.html
[16] Il s’agit du statut officiel des compagnies aériennes basées dans l’UE et les pays voisins partenaires ayant la même législation en vigueur pour le secteur aérien civil (Norvège et Suisse par exemple).
[17] Voir l’organisation des routes aériennes entre l’Europe et l’Asie orientale sur la carte 1.
[19] Communiqué de presse de la Commission européenne, « Transport aérien : la Commission se félicite de l’accord relatif au survol de la Sibérie », publié le 1er décembre 2011, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-11-1490_fr.htm
[20] Selon une source confidentielle.
[21] Voir KISELYOVA M., STOLYAROV G., « Moscou pourrait punir des compagnies aériennes de l’UE », Reuters, publié le 5 août 2014, http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN0G51Q820140805?pageNumber=1&virtualBrandChannel=0
[22] GALOUCHKO K., JASPER C., ROTHMAN A., « Russia Ban on Siberia Trips Poses Little EU Airline Risk », Bloomberg, publié le 5 août 2014, http://www.bloomberg.com/news/articles/2014-08-05/aeroflot-reaches-4-month-low-on-report-russia-to-curb-overflight
[23] KINNUNEN T., LUUKKA T., TEIVAINEN A., « Siberian overflight ban would be a blow to Finnair », Helsinki Times, publié le 7 août 2014, http://www.helsinkitimes.fi/finland/finland-news/domestic/11454-siberian-overflight-ban-would-be-a-blow-to-finnair.html
[24] GRYNSZPAN E., « Moscou coupe les ailes de Transaero au profit d’Aeroflot », La Tribune, publié le 9 novembre 2015, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/moscou-consolide-le-transport-aerien-autour-d-aeroflot-520816.html
[25] Voir GLISZCZYNSKI F., « Les capitaux chinois débarquent dans le transport aérien français », La Tribune, publié le 22 octobre 2012, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/20121022trib000726310/les-capitaux-chinois-debarquent-dans-le-transport-aerien-francais-.html
[26] Si la Norvège ne fait pas partie de l’UE, celle-ci applique le même cadre législatif en matière d’aviation civile. Par ailleurs, Norwegian Air Shuttle exploite des bases dans différents pays européens.
[27] NILSON T., « Norwegian flies into aviation dispute with Russia », Barents Observer, publié le 13 février 2015, http://barentsobserver.com/en/business/2015/02/norwegian-flies-aviation-dispute-russia-13-02
[28] NILSON T., « Reciprocity stops Russian airliner to Finnmark », The Independent Barents Observer, publié le 16 mars 2016, http://thebarentsobserver.com/industry/2016/03/reciprocity-stops-russian-airliner-finnmark
[29] « Des compagnies aériennes avaient renoncé à survoler l’Ukraine avant le crash », La Tribune, publié le 18 juillet 2014, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/20140718trib000840587/certaines-compagnies-avaient-renonce-a-survoler-l-ukraine-avant-le-crash.html
[30] « Ukraine : fermeture de l’espace aérien de la Crimée », RFI, publié le 11 mars 2014, http://www.rfi.fr/europe/20140311-ukraine-simferopol-fermeture-espace-aerien-crimee/
[31] Comparatif réalisé entre les mois de novembre 2014 et 2013 pour la Turquie, et entre les mois d’octobre 2014 et 2013 pour l’Iran. Voir « No-fly zone over Eastern Ukraine – a $200 million fortune for neighbouring countries, including Russia », Aerotime, publié le 27 février 2015, http://www.aerotime.aero/en/people/people-news/opinions/16204-no-fly-zone-over-eastern-ukraine-%E2%80%93-a-$200-million-fortune-for-neighbouring-countries,-including-russia
[32] Voir le Safety Information Bulletin édité le 9 octobre 2015 par l’AESA et intitulé « Caspian Sea, Iran and Iraq Airspace – Lauch of Missiles from Caspian Sea to Syria ».
[33] FREED J., « Malaysia Airlines resumes flight path over Iran after holding back baggage », The Sydney Morning Herald, publié le 6 janvier 2016, http://www.smh.com.au/business/aviation/malaysia-airlines-resumes-flight-path-over-iran-after-holding-back-baggage-20160106-gm09kp.html
[34] Voir l’organisation des routes aériennes au Moyen-Orient sur la carte 2.
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