A l’heure où l’eau potable est de plus en plus considérée comme une ressource rare de valeur stratégique, le Brésil possède, avec environ 12% des réserves de la planète, un avantage considérable. Pourtant, s’en tenir à ce seul constat serait méconnaître les difficultés rencontrées par ce pays dans le domaine de la gestion de l’eau. En effet, inégalement répartie sur le territoire, la ressource hydrique est l’objet de convoitise et se trouve en outre menacée par l’action de l’homme qui, s’inscrivant dans un cercle vicieux, devient lui-même victime de sa négligence. Conscient des enjeux pour sa population et son économie, le Brésil accentue ses efforts pour améliorer cette situation en usant de différents leviers, tels que des projets d’infrastructures, une réglementation plus pragmatique et une approche rénovée de la gestion de la ressource.
Ce mémoire de géopolitique a été rédigé au Collège Interarmées de Défense, dans le cadre du séminaire « Géopolitique de l’eau » dirigé par Barah Mikaïl (IRIS).
DANS LA GEOPOLITIQUE MONDIALE, les périodes se suivent et ne se ressemblent pas. Les rapports interétatiques et, de plus en plus, transétatiques s’articulent ainsi successivement autour de certaines ressources jugées vitales ou, a minima, de portée stratégique. Celles-ci constituent autant de piliers de la puissance relative, de l’indépendance ou de l’existence pure et simple d’un pays. Les exemples en ce domaine sont nombreux et, parmi les plus emblématiques et les plus récents historiquement, on peut évoquer le charbon, l’acier, le gaz naturel ou, bien entendu, le pétrole. Mais les choses évoluent et certaines ressources prennent ou reprennent de la valeur au « hit parade » des enjeux stratégiques. C’est notamment le cas de l’eau, souvent évoquée comme « l’or bleu ». Car, si l’humanité ne manque pas d’eau, il est maintenant établi qu’elle manque d’eau potable. Avec 1/5ème de sa population qui n’a pas accès à l’eau potable, la planète est notamment victime du gaspillage lié à une irrigation dispendieuse et de la souillure de la ressource par des rejets agricoles et urbains insuffisamment contrôlés. Et la situation ne semble pas en voie de s’améliorer. D’une part, le réchauffement mondial menace de bouleverser le régime des pluies et de créer les conditions de sécheresses plus fréquentes et plus répandues. D’autre part, la croissance de la population mondiale et son corollaire de concentration urbaine sont de nature à accentuer tant la pollution que les besoins. Ainsi, en prospective, ce sont quatre milliards de citadins supplémentaires qu’il faudra alimenter en eau potable dans quarante ans. Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Le Brésil, avec 12% des réserves estimées, apparaît particulièrement à l’abri du besoin et à la tête d’un capital inépuisable. Il n’en est rien et c’est la tout le paradoxe et l’intérêt du cas brésilien.
En effet, le Brésil s’est largement appuyé pour son développement sur l’atout constitué par une eau immédiatement disponible et peu coûteuse. Mais cette dépendance s’avère à présent à double tranchant car, comme c’est souvent le cas en situation d’abondance, le Brésil a fait preuve de négligence, de gaspillage et d’imprévision. Aujourd’hui menacée, la nécessaire préservation de la ressource en eau de ce pays passe par de vigoureuses actions correctives dans la gouvernance des réserves. A ce titre, la promotion d’une gestion par bassin versant semble être une approche prometteuse qui mérite d’être explorée.
Ainsi, saisir tout le paradoxe de la situation du Brésil au regard de sa ressource hydrique, c’est, dans un premier temps, faire le point de ce qui fait la richesse de ce pays en ce domaine et appréhender les enjeux humains et économiques corrélatifs. C’est ensuite mettre en exergue ce qui fragilise une telle situation, a priori favorable, pour bien mesurer l’ampleur du défi qui s’impose aux autorités brésiliennes. C’est enfin comprendre, fort du constat d’ambivalence de la situation, la nécessité d’une série de mesures destinées à pérenniser les atouts intrinsèques du Brésil au plan de la ressource en valorisant, en codifiant et en optimisant ses modes d’exploitation.
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Si, comme le prétendent certains, la richesse d’une nation est amenée à l’avenir à se mesurer en litres d’eau douce, le Brésil est sans aucun doute à la tête d’un capital formidable. Car, parler de l’eau dans un pays comme le Brésil, c’est d’abord évoquer une ressource à l’échelle d’un continent. En effet, fort d’une population estimée actuellement à environ 180 millions d’habitants (dernier recensement le 1er août 2000 : 169,79 millions d’habitants[1]), le Brésil s’étend sur 8 514 976 km², dont une surface en eaux de 55 457 km², soit 10% de la superficie de la France[2].
Bénéficiant de cette grande superficie, mais surtout d’un climat et de caractéristiques physiques favorables, le Brésil dispose de ressources hydriques colossales. Ainsi, si l’on comptabilise l’ensemble du débit du bassin amazonique, incluant la contribution des pays d’amont, on estime que la disponibilité d’eaux superficielles est d’environ 251 000 m3/s. Si l’on ne compte que la contribution du territoire brésilien, celle-ci tombe à environ 180 000 m3/s, soit tout de même 18 fois le débit du fleuve Saint Laurent au Canada[3].
Appréhender la problématique de l’eau au Brésil, et saisir tout le paradoxe dans la situation de ce pays, nécessite tout d’abord de procéder à un état des lieux décrivant les grandes caractéristiques de ses ressources hydriques. A ce titre, l’Amazone constitue, à n’en pas douter, une particularité et méritera une attention particulière. Enfin, une telle richesse a pour corollaire des enjeux majeurs pour le Brésil, tant au plan économique qu’au plan humain, qu’il conviendra d’évoquer dans une perspective géopolitique.
11. DONNEES GENERALES
De manière générale, la ressource hydrique naturellement disponible s’articule autour, d’une part, de l’eau accessible en surface et, d’autre part, des nappes souterraines. Dans ces deux domaines, les disponibilités sont considérables au Brésil.
111. Les cours d’eau
Le Brésil possède un des systèmes fluviaux les plus étendus au monde, avec plusieurs bassins hydrographiques. Outre celui de l’Amazone, qui fera l’objet d’un traitement particulier plus loin, les plus importants sont ceux du Tocantins-Araguaia, du Paranà-Paraguay-Uruguay et du Sao Francisco.
Les bassins de l’Amazone et du Tocantins-Araguaia, au Nord et au centre du pays, représentent à eux seuls 56% de la surface totale des bassins hydrographiques du Brésil[4].
Le système fluvial Paranà-Paraguay-Uruguay couvre la région qui s’étend de l’Etat du Mato-Grosso, au centre Ouest du pays, vers le sud-ouest et le Sud, jusqu’à atteindre l’Atlantique par le Rio de la Plata près de Buenos Aires. Ce système est, après celui de l’Amazone, le deuxième plus grand de la planète.
Pour sa part, le São Francisco est le plus grand des fleuves situés entièrement au Brésil. Il prend sa source, comme le Paranà et le Tocantins, dans le plateau central. Il coule sur 3 161 km, d’abord vers le Nord, avant de bifurquer ensuite vers l’Est jusqu’à l’Atlantique.
Cette diversité des systèmes, associée à une grande variation climatique et hydrologique, conduit à des situations contrastées en terme de disponibilité hydrique.
Le Brésil a, du point de vue de la ressource en eau de surface, une autre particularité pour un pays présentant une telle superficie : l’absence de grand lac. En revanche, il existe au centre Ouest du pays, une immense région marécageuse qui couvre près de 230 000 km² et qui est inondée pendant la saison des pluies : le Pantanal.
L’autre grande catégorie de réserve en eau du pays est constituée par les ressources souterraines.
112. Les nappes aquifères
L’existence de zones d’accumulation souterraine d’eau est liée à la nature des différentes formations géologiques. Les plus favorables occupent environ 45% du territoire. Elles se composent de sédiments (proportions variées d’argile, de sable, de calcaires et d’autres éléments) sous forme de grandes couches. Les moins favorables occupent, quant à elles, les 55% du territoire restant et sont essentiellement composées de roches cristallines comme le granit, le gneiss, le mica et le basalte. Les conditions d’accumulation y sont plus faibles et seules les roches fracturées ou très altérées offrent une certaine perméabilité.
Au total, les réserves d’eau souterraine d’eau sont estimées à 111 661 km3 .
Cependant, au sein de cette imposante ressource souterraine, l’existence de la nappe aquifère Guarani constitue une donnée de portée stratégique pour le Brésil. Il s’agit en effet de l’un des plus grands systèmes aquifères de la planète, centré sur le bassin du Paranà-Plata. Appelé également Acuifero Gigante del Mercosur ou Sistema Acuifero Mercosur, il est situé entre les 16ème et 32 ème parallèle de latitude sud et les 47 ème et 56 ème méridiens de longitude ouest. Il s’étend dans les vallées des rivières Paraná, Paraguay et Uruguay. Sa superficie, encore mal délimitée, est estimée à au moins 1,5 millions de km² et s’étend sur cinq pays : la Bolivie, le Paraguay, l’Argentine (où la Mar Chiquita en serait une résurgence), l’Uruguay (où il correspond à la moitié du territoire) et le Brésil. En ce qui concerne ce dernier, il occupe plus d’un million de km² sous la totalité des Etats de Goiás, São Paulo, Mato Grosso do Sul, Paraná et Santa Catarina, ainsi que sous la plus grande partie du Rio Grande do Sul et le sud du Mato Grosso. Sa contenance est actuellement évaluée à 55 000 km3, soit 55 000 milliards de tonnes d’eau (exactement de quoi recouvrir la France d’une couche d’eau épaisse de 100 m). En réalité, les experts estiment que sa contenance est très vraisemblablement encore supérieure. La recharge serait de 160 à 250 km3 annuels, de telle sorte qu’avec une exploitation de 40 km3 annuels, on pourrait approvisionner 360 millions de personnes recevant 300 litres par jour.
La région couverte par l’aquifère abrite 15 millions d’habitants. Le Guarani constitue la principale source d’eau potable pour l’approvisionnement urbain, industriel et agricole et, au Brésil, plus de 300 villes de 3000 à 500000 habitants sont totalement, ou en partie, approvisionnées grâce à lui. Au Paraguay, on compte quelques 200 puits qui assument l’approvisionnement des populations de la région centrale du pays et, en Uruguay, on en recense 135, utilisés pour les services publics et les bains thermaux. En Argentine, on exploite seulement 6 puits d’eau douce thermale dans le secteur oriental de la province d’Entre Rios. Les zones de recharge et de décharge du Guarani, correspondant à une importante concentration d’usagers, sont considérées commes des zones critiques ? C’est le cas des zones de Concordia-Salto (Argentine-Uruguay), de Rivera-Santana do Livramento (Uruguay-Brésil) et de Ribeirao Preto (Brésil). Mais la zone la plus importante de recharge et de décharge est le corridor transfrontalier qui se trouve entre les territoires du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine.
Le Brésil peut, de toute évidence, être caractérisé par l’abondance de ses ressources en eau. Mais, dans l’inconscient collectif, ce pays est traditionnellement associé à une région spécifique : l’Amazonie. Il est vrai que cette zone, de par sa taille, ses spécificités géographiques et sa relative imperméabilité à l’homme, véhicule un imaginaire d’aventure et de secret. Le fleuve Amazone y joue un rôle tout particulier, sa puissance et son influence sur le milieu ne cessant d’impressionner. Du point de vue de cette étude, l’Amazone constitue un apport considérable dans la ressource hydrique du Brésil et mérite, à lui seul, un traitement particulier.
12. L’AMAZONE : UN GEANT MONDIAL
Drainant son eau depuis les latitudes 5° Nord et 20° Sud, l’Amazone est le second des plus longs fleuves de la planète, le premier étant le Nil. Prenant sa source dans le plateau Andin, à proximité de l’océan Pacfique, il se jette dans l’océan Atlantique après une course de 6 570 km.
L’Amazone possède le plus gros bassin hydrographique de tous les systèmes fluviaux. Il draine ainsi une surface d’environ 6 300 000 km², soit près de 40% de l’Amérique du Sud[5]. La superficie exacte du bassin n’est pas connue avec précision car une partie des eaux de l’Orénoque supérieur quitte son bassin par le canal Casiquiare au Vénézuela. Cette eau alimente le Rio Negro, affluent majeur de l’Amazone parmi les 1100 que compte ce dernier.
L’Amazone posède un débit moyen de 175 000 m3 par seconde. Celui-ci culmine à environ 211 000 m3 par seconde au cœur de la saison des pluies (mai-juin). C’est de loin le plus gros débit des fleuves du monde, transportant plus d’eau que le Mississippi, le Nil et Chang Jiang réunis. L’Amazone est responsable à lui seul d’1/5ème du volume total d’eau douce déversée dans les océans du monde. Le volume d’eau douce et boueuse déversée est d’ailleurs tel que la salinité et la couleur de l’océan sont modifiées à encore 300 km des côtes.
La forêt tropicale est issue du climat extrêmement humide du bassin amazonien. En effet, l’Amazone et ses affluents s’y écoule lentement, les rives forestières étant à peine hors d’eau et régulièrement inondées (la largeur du fleuve passant alors à 50 km au lieu des 3 à 14 km normaux). Une fois quittée la zone andine, la pente est tellement faible (65 m de la frontière à l’océan) que c’est en réalité la poussée de l’eau en amont qui génère le flux vers la mer. A titre d’exemple, la ville de Manaus, située à 1 000 km de l’Atlantique, n’est située qu’à 44 m au-dessus du niveau de la mer. Le fleuve, de par ses caractéristiques, joue donc un rôle très particulier dans l’existence de ce qui constitue une richesse écologique majeure à l’échelle de la planète. En effet, la forêt amazonienne, plus grande zone forestière du monde, à la capacité d’absorber de gigantesques quantités de dyoxide de carbone. Par ailleurs, elle abrite une biodiversité extraordinaire : au moins 2,5 millions d’espèces d’insectes, des dizaines de milliers de plantes (certains experts estiment qu’un kilomètre carré peut contenir jusqu’à 90 000 tonnes de matière végétale vivante) et quelque 2000 espèces d’oiseaux et de mammifères. Cet enjeu dépasse donc les frontières du seul Brésil pour en faire un centre d’intérêt planétaire.
Du reste, les abondantes réserves en eau ont de manière permanente pour corollaire des implications humaines et économiques qui font de la ressource hydrique un élément consubstantiel de la vie du Brésil.
13. D’IMPORTANTS ENJEUX ECONOMIQUES ET HUMAINS
Parmi les nombreux enjeux sous-tendus par l’abondance de l’eau, quatre principaux méritent d’être plus particulièrement évoqués : la consommation humaine directe, l’utilisation dans le secteur agro-alimentaire, la production hydro-électrique et les voies de communication fluviales.
131. L’enjeu nutritionnel : l’eau comme source de vie
Garantir à chaque homme la satisfaction des besoins alimentaires indispensables à sa survie est une exigence majeure pour toute société humaine. A ce titre, l’eau constitue de plus en plus un enjeu stratégique au plan mondial, au nom de l’ardente obligation de chaque Etat à garantir l’approvisionnement de sa population. Sur cette question, et à l’inverse de nombreux autres pays, le Brésil possède un indéniable avantage comparatif. De ce fait, les prélèvements, assez modeste d’ailleurs par rapport aux grands pays développés, restent proportionnellement extrêmement limités au regard de la réserve disponible. En réalité, si aucune inquiétude n’est d’ordre capacitaire, des difficultés croissantes se font sentir dans la distribution de la ressource, notamment en raison d’un développement urbain parfois anarchique et volumétriquement très important. Ce point sera abordé de façon plus spécifique ultérieurement.
132. L’enjeu agro-alimentaire : l’eau comme socle d’une filière économique
Le secteur primaire est très dynamique et pèse 28% du produit intérieur brut (PIB) brésilien[6].
Les principales productions sont le soja, le café, les oranges, les céréales, le maïs, le soja, le manioc, le riz, la canne à sucre et l’alcool. Les principales exportations agricoles reposent sur le café, le soja et les oranges. A elle seule, l’agriculture représente 11% du PIB et emploie 30% de la population active[7]. En 2003, Le secteur agro-alimentaire a formalisé la création de 300.000 emplois.
En passe de devenir "la ferme du monde", ce poids lourd d’Amérique du Sud fait trembler les agriculteurs de toute la planète, et en particulier les farmers du Texas et du Kansas comme l’ensemble des exploitants agricoles de l’Union Européenne. Et les motifs de crainte des grandes nations agricoles du monde ne sont pas sans fondement. En témoigne la collection de places de n°1 que détient cet Etat dans le secteur. Premier producteur mondial de café, de sucre, de tabac, de jus d’orange, de soja, de viande bovine et de volaille, le Brésil parvient à obtenir ces résultats grâce à une surface agricole utile comparable à celle des Etats-Unis d’Amérique (soit 340 millions d’hectares) et deux fois et demie plus grande que celle dont disposait l’Union européenne à 25 Etats membres. Ce pays de l’hémisphère sud bouscule la hiérarchie agricole mondiale par son rendement, aujourd’hui, supérieur à celui des Etats-Unis (2,68 tonnes à l’hectare)[8].
Par ailleurs, le secteur agricole brésilien bénéficie de la plus-value apportée par l’Embrapa. Cet organisme de recherche agronomique rattaché au ministère de l’agriculture brésilienne, qui compte près de 8600 salariés ainsi que 2221 chercheurs répartis dans 37 centres de recherche à travers tout le pays, a permis de réelles avancées en matière génétique. Ces découvertes scientifiques en matière agricole ont, entre autre, accru les rendements et entraîné la mise au point de nouvelles espèces capables de s’acclimater aux conditions du pays.
Mais l’atout majeur du secteur agro-alimentaire brésilien, c’est une capacité de production agricole facilitée par une ressource hydrique abondante, aisément accessible et ce à faible coût. En effet, un tel niveau de production en végétaux sous-entend de façon corrélative un prélèvement en eau conséquent.
Ainsi, à l’échelle du pays, les principaux secteurs consommateurs d’eau sont l’agriculture et l’industrie, suivis par le secteur des ménages. La présence de l’eau et des surfaces cultivables font le potentiel agricole du Brésil. Or, les techniques et la pratique de l’irrigation sont de façon générale peu efficaces (Banque mondiale, 1999). S’en suit un prélèvement croissant en eau. Ce phénomène est en outre favorisé par l’importance de certaines productions très exigeantes en eau. C’est, par exemple, le cas du soja qui nécessite un apport jusqu’à trois semaines avant la récolte.
L’industrie utilise également de vastes quantités d’eau. En Amérique du Sud, on estime que les prélèvements industriels d’eau atteignent chaque année 15 km3, dont 80% en Argentine et au Brésil (ACAA, 2001)[9]. De même, le secteur minier, surtout au Chili et au Pérou il est vrai, consomme des quantités grandissantes d’eau.
Enfin, la demande d’eau à usage ménager augmente aussi. Cependant, tel qu’on le verra plus loin, les inégalités entre les usagers, même pour ce pays riche en eau, sont choses courantes.
133. La production électrique : l’eau comme enjeu énergétique
En 2004, 92% de l’énergie électrique produite au Brésil était d’origine hydroélectrique[10] . Il existe plus de 2000 barrages au Brésil (selon les estimations, il existe 800 000 barrages dans le monde[11] dont 45 000 sont considérés comme des grands barrages[12]), les 2/3 du potentiel de production se trouve dans la région amazonienne.
Toujours en 2004, le Brésil comptait 112 usines hydroélectriques, pour seulement 22 usines thermiques d’une production supérieure ou égale à 30 MW (annexe 11). Le « système intégré national » (SIN) se caractérise donc par l’exploitation préférentielle du potentiel hydroélectrique, afin de produire une énergie jugée propre, renouvelable et assortie d’un coût opérationnel réduit, et par une production thermique complémentaire (essentiellement au gaz). Il s’appuie sur une architecture intégrée par un complexe système de transmission qui s’étale sur 4 000 km du Nord au Sud.
La plus grosse unité du Brésil, le barrage d’Itaipù, est la plus grande centrale hydroélectrique du monde après le barrage des Trois Gorges en Chine. Situé sur le fleuve Paranà, il s’agit d’un barrage à contrefort de 196 m de haut, dont le réservoir a une surface de 135 000 ha pour un volume de 29 000 hm3.
A sa construction, en1984, la capacité de la centrale était de 12 600 MW (18 unités de 700 MW)[13]. Deux nouveaux générateurs, mis en fonction en 2006, ont porté la capacité de production à 14 000 MW, ce qui établit la production annuelle à plus 100 milliards de KWh (ou 100 TWh). Exploité en collaboration avec le Paraguay, cet ouvrage produit 95% de l’électricité consommée par ce pays.
134. Les voies navigables : l’eau comme vecteur économique et humain
D’une manière générale, les cours d’eau représentent des axes commerciaux et de peuplement importants qui ont historiquement joué un grand rôle. Emblématique sur ce point, l’Amazone a permis la pénétration par l’homme de la forêt tropicale. Premier européen à découvrir le fleuve en l’an 1500, Vincente Yañez Pinzon, à la tête d’une expédition espagnole, limita à l’époque son exploration à la zone de l’embouchure. Progressivement, les portuguais installèrent quelques comptoirs sur les rives afin de commercer avec les amérindiens et de les évangéliser. L’essor du vaste espace intérieur débuta réellement le 6 septembre 1850 quand l’empereur, Pierre II du Brésil, autorisa la navigation des vapeurs sur l’Amazone. La « Compania de Navigacao e Commercio do Amazonas » fut fondée en 1852 à Rio de Janeiro. En 1857, le gouvernement obligea la compagnie à mettre en place des liaisons régulières sur le fleuve, jettant les bases d’un développement économique. Le 31 juillet 1967, le gouvernement, sous la pression du pouvoir maritime et des pays encerclant le bassin supérieur de l’Amazone, décréta l’ouverture du fleuve à tous les pavillons. Les premiers échanges commerciaux entre Manaus et l’étranger débutèrent en 1874. Le commerce local fut par la suite développé par une compagnie britannique : « the Amazon Steam Navigation Company », notamment autour de la production de caoutchouc.
Aujourd’hui, le caractère pionnier mis à part, les cours d’eau continuent de jouer un rôle important dans l’acheminement des hommes et du fret. Ainsi, l’Amazone est navigable pour les grosses unités jusqu’à Iquitos, à 3 700 km de la mer, et pour les plus petits vaisseaux, sur 780 km supplémentaires jusqu’à Achual. Au-delà, les petits bateaux utilisent fréquemment le Pongo de Manseriche. Mais l’exploitation des voies navigables ne se limite pas à l’Amazone. Les Brésiliens utilisent parfois de façon intense les combinaisons fleuves/canaux : les « hidrovías ». Les deux plus importants s’articulent autour du fleuve Paraná.
L’ Hidrovía Paraná-Paraguay est la grande voie navigable formée par l’axe Río Paraná-Río Paraguay, reliant les villes brésiliennes de Cáceres et de Cuiabá, dans l’Etat de Mato Grosso, au Río de la Plata et au port de Buenos Aires, c’est à dire à l’ Océan Atlantique. Pénétrante stratégique, il permet ainsi de relier par voie fluviale cinq pays d’Amérique du Sud : les quatre pays du Mercosur et la Bolivie. Précisons que cette voie a été en continuelle amélioration au cours des dernières décennies. Certains obstacles à la navigation de fort tonnage subsistant encore, plusieurs travaux d’infrastructure collatéraux sont planifiés ou en voie d’achèvement.
L’ Hidrovía Paraná-Tietê est une voie de navigation brésilienne située entre trois régions, région Sud, région Sud-Est, et région Centre-Ouest, qui permet le transport de charges et de passagers au long des Rios Paraná et Tietê. C’est une voie très importante pour l’écoulement de la production agricole des Etats de Mato Grosso, Mato Grosso do Sul, Goiás et partiellement de Rondônia, Tocantins et Minas Gerais. Actuellement l’hidrovía transporte 2 millions de tonnes de frêt par an (chiffres de 2001). On y a construit 12 terminaux portuaires, distribués sur une surface de 760 000 kilomètres carrés. Dès l’entrée en opération de cette voie, on a favorisé l’implantation de 23 pôles industriels, de 17 pôles touristiques et de 12 pôles de distribution, soit plus ou moins 4 mille emplois directs[14].
Géant de la ressource hydrique, le Brésil possède un avantage comparatif énorme au plan international grâce aux capacités immédiatement disponibles dans ses réserves de surfaces et souterraines. A l’heure où l’eau s’affirme comme une ressource de plus en plus rare et à valeur stratégique, le gouvernement dispose d’un atout de nature à favoriser la stabilité politique et la croissance économique. Historiquement, cette dernière repose d’ailleurs pour une part importante sur l’eau, notamment au plan de la production énergétique, de la production agroalimentaire et des voies de communications.
Pourtant, cette richesse cache difficilement des difficultés, sans doute liées, mais pas uniquement, à l’imprévision, souvent caractéristique des situations d’abondance.
Possédant approximativement 12% de l’eau douce qui s’écoule à la surface de la planète, le Brésil est considéré comme un pays très riche d’un point de vue hydrologique. Cependant, s’en tenir à ce simple constat serait méconnaître de nombreuses difficultés, immédiates ou potentielles, pesant sur cette ressource. Tout d’abord, l’abondance à l’échelle du pays dissimule l’inégale répartition territoriale des réserves en eau. D’autre part, de multiples menaces pèsent sur ces dernières avec de graves conséquences, compte tenu notamment des importants enjeux induits qui ont été décrits précedemment. Enfin, comme tout avantage comparatif détenu par un pays dans un contexte permanent de rivalité géostratégique, la richesse hydrique peut-être une source de convoitise au plan international.
21. UNE REPARTITION INEGALE DE LA RESSOURCE
La richesse hydrologique est répartie de façon inégale : il y en a 70% en Amazonie, région où vit moins de 7 % de la population nationale, 15% dans le Centre-Ouest, 6% dans le Sud et le Sud-Est et à peine 3% dans le Nordeste, dont les 2/3 sont situés dans le bassin du fleuve São Francisco[15]. L’influence du climat est bien entendu prégnante sur cette situation. L’étude d’une carte des zones climatiques au Brésil permet d’ailleurs de distinguer, d’emblée, la situation singulière de la région du « Nordeste ».
Le Nordeste couvre 1,5 million de km² et compte neuf Etats : Bahia, Sergipe, Alagoas, Pernambuco, Paraíba, Rio Grande do Norte, Ceará, Piauí et Maranhão. La population de la région est d’environ 50 millions d’habitants (32 hab/km²), ce qui pose de façon aiguë la question de l’approvisionnement en eau.
Historiquement, le Nordeste a connu une brève expansion économique fondée sur le sucre, ses plantations étant alors la principale source de revenu. Le déclin s’est fait sentir dès le début du XVIIIéme siècle et s’est poursuivi jusqu’à l’époque moderne. Aujourd’hui, le Nordeste est synonyme de pauvreté et de famine, semblable en cela aux nations les plus pauvres d’Afrique. Les problèmes du Nordeste ont tous la même origine : une terre incapable de nourrir ses habitants. Hormis la longue bande de terre fertile qui borde la côte de Bahia à Rio Grande do Norte, la région est une vaste steppe semi-aride. La vallée du fleuve São Francisco est l’une des rares zones fertiles de tout le Nordeste.
Si l’on s’en tient au classement de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) relatif à la disponibilité hydrique par habitant des régions du monde, on peut distinguer 3 catégories de régions :
. les régions d’abondance : quantité supérieure à 20 000 m3/personne/an,
. les régions intermédiaires : quantité d’environ 5 000 m3/personne/an,
. les régions en situation critique : quantité inférieure à 1500 m3/personne/an.
Au Brésil, tout les Etats de la région Nord sont classés dans les régions d’abondance, le Roraima arrivant même à l’incroyable chiffre de 1,7 milliard de m3/personne/an. A contrario, au Nordeste, seul le Piauí est en position intermédiaire, grâce à la relative richesse hydrologique de son sous-sol sédimentaire et à l’existence d’un grand fleuve constant, le Parnaiba, qui constitue la frontière avec le Maranhão. L’Etat de Bahia, dont l’approvisionnement est légèrement supérieur à 2 500 m3/personne/an, arrive à avoir d’avantage d’eau que l’Etat de São Paulo car il bénéficie de l’apport du fleuve São Fransisco. La situation des autres Etats nordestins (Sergipe, Alagoas, Pernambuco, Paraíba, Rio Grande do Norte et Ceará) est préoccupante avec un approvisionnement inférieur à 2 500 m3/personne/an. Deux Etats se distinguent tout particulièrement dans l’adversité : le Paraíba avec 1437 m3/personne/an et le Pernambuco avec 1320 m3/personne/an[16].
L’inégalité de la répartition dans le pays, avec un désavantage évident du Nordeste brésilien, est la conséquence de caractéristiques géo-environnementales de la région, surtout avec la présence du bouclier cristallin sur près de 70% de la superficie semi-aride nordestine (ce qui rend difficile la constitution de réserves dans le sous-sol), de la topographie, avec le manque de percées fluviales pouvant être fermées, et des sécheresses qui ravagent habituellement la région.
Au-delà des inégalités dans la répartition géographique de l’eau, d’autres problèmes sont venus aggraver la rareté des ressources hydrologiques, la hausse de la température moyenne, augmentant le taux d’évaporation, la déforestation autour des sources, la pollution, l’accroissement des villes, l’augmentation de la demande pour la consommation humaine et l’irrigation, ainsi que la mauvaise gestion des ressources hydrologiques. Tout ces points constituent autant de menaces à l’endroit de la richesse en eau du Brésil.
22. UNE FORTE INTERACTION HOMME/EAU PORTEUSE DE MENACES
Comme cela l’a été souligné précédemment, la richesse hydrique du Brésil a conduit ce pays a appuyer de façon considérable son expansion économique et humaine sur cette ressource en eau facilement accessible et peu onéreuse. Une forme d’interaction très poussée, voire de dépendance, s’est donc instaurée entre l’homme et l’eau. Mais cette dépendance induit une faiblesse réciproque susceptible d’affecter en miroir la ressource et l’activité humaine. Ce phénomène peut notamment s’observer au travers de trois manifestations : la variation dans le débit des fleuves, la dépendance énergétique et la pollution.
221. La variation dans le débit des fleuves
Les sérieuses variations qui se sont faites sentir dans le débit de l’Amazone apparaissent emblématique du problème rencontré. Il faut tout d’abord reconnaître que cela trouve, pour une part, son explication dans le phénomène naturel « El Niño » (à l’instar de l’année 1963), qui a provoqué une importante sécheresse. Ce phénomène climatique est connu sous le nom d’« ENSO » (El Niño – Southern oscillation)[17]. En effet, le débit des eaux du fleuve Amazone est corrélé à une pluviométrie très influencée par les variations des températures de surface de l’océan Pacifique tropical et de l’océan Atlantique tropical. La baisse du débit de l’Amazone correspond à une tendance lourde constatée depuis 1999. Les mesures réalisées à la station brésilienne d’Obidos (située à 800 km de l’Atlantique) le montrent. Le volume maximal des eaux roulées par le fleuve, alimenté par le rio Solimoes (qui prend sa source au Pérou), par le rio Madeira (Bolivie) et par le rio Negro, est ainsi passé de 267 000 mètres cubes par seconde en 1999 à
226 000 mètres cubes par seconde en 2003[18].
El Nino n’est pas la seule cause des variations de débit. Selon certains experts, la déforestation serait la principale cause des basses eaux enregistrées. En effet, elle aurait entraîné un dérèglement du régime d’évapo-transpiration de la forêt qui génère 50% des pluies sur le bassin amazonien.
Ces variations emportent bien entendu de nombreuses conséquences. Au plan humain, l’accès à l’eau potable s’en trouve raréfié sur certaines zones et s’accompagne de pathologies caractéristiques (diarhée, hépatite, typhoïde)[19]. Par ailleurs, au plan économique, des incidences se font clairement sentir sur la capacité à maintenir le trafic fluvial et les flux économiques associés, dans une région où le trafic routier et, a fortiori, aérien est très réduit. Cela compromet notamment, par une certaine forme d’ironie du sort, l’export de bois. L’assèchement des cours d’eau pourrait en outre avoir des répercussions notables sur certaines populations animales déjà menacées. Le ministère de l’environnement brésilien s’inquiète ainsi du sort de deux espèces protégées : le "boto", petit dauphin d’eau douce, et le lamantin.
222. Une situation de dépendance énergétique
Avec une production hydroélectrique à hauteur de 92% de la production totale nationale (cf. §133), le Brésil s’est mis en situation d’étroite dépendance économique vis-à-vis de la ressource hydrique. En effet, les statistiques mettent en évidence une corrélation entre la demande électrique et le niveau du produit intérieur brut.
Le phénomène de variation du débit des fleuves, décrit au paragraphe précédent, génère des contraintes très importantes sur la capacité de production issue du harnachement des eaux et peut déboucher sur des situations de pénurie. Cela a notamment été le cas en 2001, avec ce que les brésiliens ont appelé l’« apagao », c’est-à-dire la « coupure ». A l’époque, cela s’est traduit par un grave rationnement électrique (de l’ordre de 20% de la consommation nationale) et par deux coupures complètes[20].
223. Un niveau de pollution parfois inquiétant
La pollution des cours d’eau et des nappes souterraines illustre à nouveau une forme d’interaction négative entre l’homme et son milieu. Trois facteurs principaux contribuent à ce phénomène : l’activité agricole, l’activité minière et les rejets domestiques.
2231. La pollution liée à l’activité agricole
L’activité agricole, sous sa forme intensive en particulier, génère une pollution des réserves hydriques du faits de l’utilisation des intrants (engrais et pesticides). Le Brésil n’échappe bien sûr pas à cette règle, et l’importance de la production agricole pour la balance commerciale du pays est même de nature à favoriser des schémas productivistes qui s’accomodent souvent mal des considérations écologiques.
A titre d’illustration, l’exemple de l’Etat de Bahia peut être cité. Depuis dix ans, la culture du cacao y est gravement touchée par un champignon appelé « balai de sorcière » (Cripinellis perniciosa), qui a fait chuter la production. Aussitôt, des traitements à base de cuivre ont été utilisés pour enrayer la maladie. Le cuivre, en partie lavé par les eaux de pluie, se retrouve dans l’eau de la rivière Cachoeira où vivent crevettes et crabes consommés par les populations locales.
Mais quand on parle de pollution au Brésil, on pense surtout au mercure. Tout d’abord, il convient de préciser que le mercure est naturellement présent dans la nature. Projeté hors des volcans, il s’évapore des plans d’eau et s’échappe de l’écorce terrestre sous forme de gaz. Il retombe sur terre dans l’eau de pluie et se dépose dans les sols et les sédiments, dans les océans et les lacs. Cependant, le Brésil est dans une situation défavorable face à cette menace car les sols amazoniens sont très vieux : de 500 000 ans à un million d’années. Le mercure présent dans l’atmosphère s’y dépose donc depuis très longtemps et l’on en trouve de fortes concentrations dans le sol (des teneurs dix fois plus élevées que celles enregistrées dans les pays tempérés). Or, cette région a connu une colonisation massive au cours des quarante dernières années et la majorité des colons ont adopté l’agriculture comme mode de subsistance. Ils ont donc abattu de larges pans de forêts, habituellement par brûlis. De même, lorsque ces sols défrichés perdent leur fertilité après quelques années, les agriculteurs défrichent les parcelles adjacentes en abattant les arbres et en les brûlant. Étant donné que les chemins sont souvent rares dans des régions accessibles principalement par voies navigables, l’agriculture sur brûlis et la déforestation qui en résulte se produisent surtout le long des rives. Le sol contaminé par le mercure étant ainsi exposé, le ruissellement des grandes pluies entraînent les contaminants vers les systèmes fluviaux. Là, les micro-organismes et les plantes aquatiques absorbent le mercure et le transforment en méthylmercure, substance très nocive pour les humains. Les petits poissons consomment ces plantes aquatiques contaminées et le methylmercure passe ainsi dans la chaîne alimentaire jusqu’aux prédateurs supérieurs.
2232. Les effets pervers de l’activité minière
Célèbre pour ses chercheurs d’or, le Brésil l’est aussi pour la pollution que cette activité génère. En effet, l’orpaillage s’est très sensiblement développé depuis une quarantaine d’années dans cette région du monde. Or, pour séparer l’or des particules prélevées dans les alluvions déposées par les rivières, les orpailleurs utilisent du mercure. Très dense, le mercure a la propriété de s’amalgamer aux fines paillettes d’or qui sont ainsi isolées des autres particules. Un chauffage au chalumeau permet ensuite de séparer le mercure de l’or : le mercure se vaporise sous l’effet de la chaleur tandis que l’or, insuffisamment chauffé, reste solide. Au cours de ces manipulations, 5 à 45 % du mercure est rejeté directement dans les rivières. Le reste s’évapore sous forme de mercure élémentaire dans l’atmosphère et finira par « retomber », contaminant l’environnement jusque dans des sites éloignés des lieux d’émission.
Les techniques industrielles de recherche de l’or sont également polluantes en raison, d’une part, des déchets de cyanures qu’elles produisent. D’autre part, l’usage de pompes et de puissants jets d’eau pour désintégrer les sols et les réduire en boue qu’on mélange au mercure pour en extraire l’or est source d’une pollution par destruction du sol, par augmentation de la turbidité de l’eau, et par la mise en suspension de métaux lourds ou minéraux indésirables, certes naturellement présents, mais normalement fixés dans les sols.
D’autres types d’exploitations minières, telles que les mines de fer et de diamants dans l’Etat du Minas Gerais, peuvent aussi être incriminées en raison de leur impact néfaste sur la ressource hydrique.
2233. La pollution issue des rejets domestiques
Les centres urbains ont fréquemment eu un développement anarchique au Brésil. Cette croissance désordonnée a souvent eu pour conséquence des réseaux d’eau approximatifs, voire inexistants. C’est ainsi que dans le domaine des eaux usées, très sensible au plan environnemental, des carences dramatiques sont constatées. On estime qu’environ 96 millions de personnes ne disposent pas d’un réseau d’égout[21]. De même, 45% de la population du pays n’a pas accès à l’eau traitée quand, dans le même temps, les réseaux de distribution défectueux entraînent une perte de 46% de l’eau acheminée (soit l’équivalent des besoins d’approvisionnement en eau cumulés de la France, de la Belgique, de la Suisse et du nord de l’Italie)[22].
Par ailleurs, divers rejets contribuent à polluer de manière dramatique les réserves hydriques. Pour exemple, le Brésil consomme en moyenne 100 millions de lampes fluorescentes par an. Considérées comme des déchets très toxiques, 94% sont jetées sans traitement particulier, ce qui entraîne la pollution par des métaux lourds des nappes phréatiques et de l’air.
D’une manière générale, l’industrialisation du pays et le peuplement urbain ne se sont pas accompagnés de la nécessaire installation des stations d’épuration des égouts. Cette « dette sociale passive » constitue à n’en pas douter un des défis majeurs de la société brésilienne pour l’avenir.
23. L’EAU SOURCE DE LUTTES ET DE CONVOITISE
A l’heure où nul n’ignore plus l’enjeu représenté par la possession et l’exploitation des réserves hydriques, trois catégories d’acteurs, outre l’Etat fédéral et les Etats fédérés, rivalisent au Brésil pour conforter leur positionnement respectif : la population, les entreprises privées et certains Etats étrangers.
231. Les conflits entre usagers à buts multiples
Les conflits entre usagers multiples sont fréquents au Brésil et prennent des formes diverses. Relevant parfois des traditionnels incidents entre les usagers d’amont, accusés de sur-utiliser les cours d’eau ou de les contaminer, et les usagers d’aval, les conflits revêtent parfois des formes plus complexes.
Il en va ainsi des des conflits très sérieux entre les compagnies d’assainissement chargées de l’alimentation en eau des villes et l’industrie en général (agro-alimentaire en particulier). De même, les tensions entre gros exploitants et les micropropriétaires sont récurrentes. Ce type d’antagonisme s’est parfois traduit par des morts d’hommes comme, par exemple, lors du conflit opposant les petits irrigants et les grands propriétaires dans le bassin hydrographique du fleuve Salitre, affluent du fleuve São Franscisco, dans le territoire de l’État de Bahia.
Mais l’exemple le plus répandu concerne les fortes rivalités entre les usagers du secteur hydroélectrique et la population. C’est en fait la problématique des constructions de barrages et de leurs multiples conséquences qui sous-tend ce type de conflit. Au Brésil, dont on a constaté le volontarisme dans le développement du secteur hydroélectrique, la tension est exacerbée et a donné lieu à certaines formes de résistance de populations locales qui se sont organisées pour faire entendre leur voix. C’est l’origine de mouvements très représentatifs de l’opposition populaire tels que le MAB (Movimento dos Atingidos por Barragens) ou Mouvement des personnes affectées par les barrages. Les conséquences, tant positives que négatives, de la construction d’un barrage important sont effectivement nombreuses.
Trois foyers principaux de résistance peuvent être considérés comme le berceau du MAB :
. en premier lieu, dans la région Nord-Est, à la fin des années 70, la construction de l’usine hydroélectrique (UHE) de Sobradinho dans la localité de Rio São Francisco, où plus de 70000 personnes ont été délogées, et plus tard celle de l’UHE d’Itaparica, théâtre d’une grande mobilisation populaire ;
. deuxièmement, au Sud, presque simultanément, en 1978, débute un important processus de mobilisation contre la construction de l’UHE d’Itaipu, dans la baie du Fleuve Paraná, et des usines de Machadinho et d’Ità, dans la baie du Fleuve Uruguai ;
. enfin, dans la région du Nord, à la même période, la population locale s’est organisée pour revendiquer ses droits lors de la construction de l’UHE de Tucuruí.
Tous ces ouvrages, ainsi que d’autres au Brésil, qu’ils soient réalisés ou en projet, donnent encore lieu aujourd’hui à une forme d’opposition populaire.
232. Les stratégies d’implantation des multinationales de l’eau
Elles aussi conscientes des enjeux de profit liés à l’eau dans un pays comme le Brésil, les sociétés privées multinationales spécialisées dans le traitement de l’eau, la mise en place de réseaux d’adduction et la production hydroélectrique rivalisent sur ce marché et développent des stratégies d’implantation, soit sous forme d’investissements directs à l’étranger (IDE), soit en créant des joint ventures. L’exemple de la société Suez et de sa filiale belge Tractabel, particulièrement active au brésil, est, de ce point de vue, très instructif.
La force des sociétés du niveau de Suez repose tout d’abord dans l’accumulation et la synergie de compétences et de techniques industrielles différentes. Ainsi, Suez « c’est » l’eau, les métiers dérivés comme l’épuration ou la désalinisation, l’énergie, l’ingénierie, le traitement des déchets et, de manière générale, les "sous-compétences" de ses "sous-filiales". Ainsi, la construction du barrage brésilien de Cana Brava a été confiée à l’entreprise française Coyne et Bellier, qui est une filiale de Tractebel[23].
Par ailleurs, la tendance actuelle des pouvoirs publics nationaux et supranationaux à édicter des normes "environnementales" et sanitaires de plus en plus sévères s’avère profitable pour les sociétés transnationales. En effet, elles sont les mieux armées pour répondre à ces exigences, étant entendu que les surcoûts sont susceptibles d’être externalisés (pris en charge par la collectivité ou par le consommateur). Ce type de perspectives de durcissement de la réglementation est de nature à inciter le Brésil à ouvrir à la privatisation ses réseaux de captage, de stockage, de distribution et de traitement de l’eau.
De ce point de vue, les sociétés comme Suez ou Veolia bénéficient d’ailleurs de l’action de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement qui facilitent indirectement leur entrée sur le marché latino-américain. En effet, les prêteurs multilatéraux font souvent des progrès structurels dans la distribution de l’eau, dans le domaine sanitaire et dans la préservation de l’environnement une « condition » à l’allègement de la dette ou à de nouveaux prêts.
Enfin, certaines entreprises s’associent ponctuellement à des organisations non-gouvernementales (ONG) pour favoriser leur implantation. Ainsi, au Brésil, l’ONG Essor présente, sur un site intitulé "Human village, le portail de la solidarité", ses réalisations "de terrain". Parmi celles-ci, on peut noter le partenariat Essor-Aguas Amazones, filiale de Suez, visant à accompagner cette dernière "lors de la mise en place du réseau d’eau dans les quartiers défavorisés : sensibilisation à la problématique de l’eau, recherche de solutions personnalisées, animation de groupe de jeunes"[24], etc.
Les sociétés de « l’eau » développent donc des stratégies et utilisent l’ensemble de leurs atouts pour pénétrer les marchés. Outre les luttes d’influence auxquelles se livrent ces sociétés dans un secteur extrêmement concurrentiel, cette démarche génère des tensions car le mouvement d’opposition à la privatisation de la ressource hydrique n’a cessé de prendre de l’ampleur, avec une structuration théorique autour de notions tel que le bien public, par exemple. La tension est d’autant plus forte que, de façon plus pragmatique, la privatisation de la gestion de l’eau doit répondre à des critères de rentabilité qui suscitent l’inquiétude des usagers, craignant une hausse de leur facture.
233. La convoitise de certains Etats étrangers
Bien entendu, en termes géopolitiques, le Brésil dispose, avec son capital hydrique, d’un avantage comparatif considérable par rapport à d’autres Etats. Cette situation se traduit par une certaine convoitise, avérée ou présumée, à l’échelle régionale et au-delà.
Au plan régional, certaines rivalités inter-étatiques, surtout liées à la gestion et à l’exploitation de fleuves frontaliers, voient parfois le jour. Les tensions qui ont entouré pendant des années le projet du barrage d’Itaipù (voir § 133), entre le Brésil et le Paraguay, illustrent parfaitement ce type de conflit d’intérêts.
La convoitise peut aussi se mesurer à l’échelle du continent. D’aucuns considèrent ainsi que l’activisme militaire des Etats-Unis dans la région dite de « la triple frontière », qui unit le Brésil, l’Argentine et le Paraguay, est ambigu. En effet, les Etats-Unis, dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme international et le narco-trafic, affirment avec insistance que cette zone est un refuge d’activistes ou de sympathisants d’organisations à vocation terroriste[25]. Ils ont donc déployé des troupes avec l’accord des Etats concernés, qui redoutent d’éventuelles actions criminelles néfastes à , localement vitale, du tourisme. Or, il se trouve également que c’est dans ce corridor transfrontalier que se trouve une des plus importante zone de recharge et de décharge de l’aquifère Guaraní (voir § 112). Certains auteurs, traditionnellement hostiles à la politique étrangère américaine il est vrai[26], voient là plus qu’une simple coïncidence, mettant notamment en perspective cette présence avec, d’une part, le constat de réduction des réserves hydriques des Etats-Unis (voir à ce sujet les travaux des Canadiens Barlow et Clark, auteurs du désormais célèbre ouvrage L’or bleu) et, d’autre part, le rapport intitulé Santa Fe IV[27]. Ce dernier, établi en 2000 par les néo-conservateurs au sein du Parti républicain, présentaient les principaux éléments stratégiques susceptibles de jouer, à leurs yeux, un rôle fondamental dans la sécurité nationale des Etats-Unis. Dans ce cadre, il soulignait la nécessité pour les pays où se trouve le Guaraní de promulguer des lois protégeant l’aquifère en tant que patrimoine. Parallèlement, il affirmait la nécessité pour les Etats-Unis de s’assurer « de la disponibilité des ressources naturelles pour répondre
à…[leurs]…priorités nationales ».
En tout état de cause, et si les vues des Etats-Unis sur les réserves du Guaraní ne sont pas avérées, il n’en demeure pas moins que le capital hydrique du Brésil ne peut qu’aiguiser les appétits de voisins plus ou moins éloignés, potentiellement en proie, à plus ou moins long terme, à un manque de ressources hydriques.
Une analyse un peu plus poussée montre que le Brésil, malgré une richesse incontestable au plan des réserves en eau, n’est pas à l’abri de difficultés majeures dans la gestion des ressources hydriques. Ces dernières, mal réparties sur le territoire et exposées à de nombreuses menaces, sont susceptibles de fragiliser certains pans de l’activité humaine et économique du pays et sont source de luttes intestines et de convoitise. Soucieux de protéger et de rationaliser la ressource, le gouvernement brésilien recherche activement les voies permettant une saine gestion des réserves.
On l’a compris, le défi que doivent relever les autorités brésiliennes est considérable, notamment au regard de l’interpénétration des enjeux humains et économiques du pays avec les questions relatives à la préservation et à l’exploitation des ressources en eau potable. Conscients de la nécessité d’agir pour améliorer la situation, les décideurs se sont engagés depuis plusieurs années, et parfois sur fond de querelles politiciennes et idéologiques, dans une démarche de valorisation de la ressource disponible. Cette démarche s’articule autour de trois axes principaux : d’une part, une série de projets destinée à mieux protéger les réserves, à gommer certaines inégalités géographiques ou à améliorer le potentiel des cours d’eau, d’autre part, la mise en place d’un cadre législatif cohérent encadrant l’exploitation des ressources hydriques et définissant les responsabilités respectives dans ce domaine des différents acteurs institutionnels ou privés et, enfin, le développement de modes de gestion innovants susceptibles de favoriser une exploitation réfléchie et durable des réserves.
31. D’AMBITIEUX PROJETS POUR VALORISER LA RESSOURCE HYDRIQUE
Le Brésil cherche à protéger sa ressource, notamment en luttant contre une déforestation incontrôlée, dont il a été montré que les conséquences sont particulièrement néfastes sur les réserves d’eau de surface et souterraines (voir § 221 et 223). Par ailleurs, ce pays poursuit sa politique de grands travaux afin, d’une part, de mettre en valeur le potentiel économique offert par la puissance et la ramification des cours d’eau dont il dispose et, d’autre part, d’améliorer l’approvisionnement de certains zones géographiques victimes d’un stress hydrique structurel. Deux ensembles de projets apparaissent emblématiques de cette volonté : le projet Madeira et le projet de soutien au Nordeste.
311. La lutte contre le déboisement illégal
Le problème de la déforestation légale et illégale au Brésil –et surtout en Amazonie– constitue, à lui seul, un immense sujet qui mériterait des développements importants. Cependant, au regard des interactions déjà décrites entre cette problématique et la capacité à préserver la ressource hydrique, il est nécessaire d’évoquer très brièvement la démarche entreprise par le gouvernement brésilien.
Ce dernier, parfaitement conscient des enjeux, est néanmoins balloté entre les intérêts économiques (implantation de systèmes agricoles productifs focalisés sur le soja et la viande bovine, qui constituent une source importante de devises pour le pays) et les gros efforts en faveur de la protection de l’environnement.
L’Etat brésilien semble néanmoins engagé dans une recherche d’organisation rationnelle du territoire, prenant en considération les deux intérêts contradictoires. Cependant, devant la rapidité des mutations en cours et le fait que, pour la plupart, elles ne sont pas impulsées par l’Etat mais dirigées par des acteurs privés, on peut se demander quelle est la capacité réelle du gouvernement à atteindre ce but. Les initiatives basées sur la valorisation économique de la forêt « en pied » rencontrant peu d’écho, il ne lui reste souvent comme ressource que de classer d’amples surfaces en Unités de Conservation, seule barrière qui semble à peu près retenir la progression du front agricole et de la déforestation sauvage, mais au prix de conflits locaux parfois violents et d’une incompréhension croissante (et proportionnelle à leur efficacité) entre les services du ministère de l’Environnement et les populations locales. Ainsi le gouvernement a créé de nombreuses réserves forestières de protection et d’exploitation durable, comme le parc du Xingu, les Terres Indigènes connexes ou la Terre Indigène Yanomami. Ces zones représentent 7,7 millions d’hectares.
Par ailleurs, depuis 2003, le gouvernement met en place une série d’opérations de contrôle, et les sanctions adoptées se sont intensifiées. En 2005, ce ne sont pas moins de 52 000 m3 de bois illégalement coupés qui ont été saisis. Plusieurs bases ont été installées en Amazonie à cet effet.
Il a également été annoncé l’emploi d’un nouveau système de contrôle par satellite (Deter), permettant de balayer la zone plus fréquemment. Il sera ainsi possible de renforcer la réactivité dans l’envoi d’unités dédiées pour enrayer la déforestation avant que celle-ci ne devienne effective[28].
312. Le projet Madeira
Le projet Madeira, du nom du fleuve devant faire l’objet d’aménagements, a pour but de favoriser le développement économique du Brésil, de la Bolivie et du Pérou, en facilitant la navigation et en produisant de l’électricité pour le Brésil. Présenté en décembre 2003 par l’entreprise brésilienne Furnas Centrais Electricas, le projet consiste à noyer les cataractes et les rapides du secteur moyen du Madeira, obstacles à la navigation continue. Par ailleurs, deux centrales hydroélectriques seraient intégrées au projet : l’une à Santo Antonio, en aval, et l’autre à Jirau, en amont, toutes deux en territoire brésilien. Le coût de l’aménagement est estimé à 7,5 milliards de dollars US[29], soit 5,7 milliards de dollars pour la construction des deux barrages, 1,6 milliard pour la ligne haute tension de raccord au réseau brésilien au niveau de la ville de Cuiabá, et 200 millions de dollars pour les deux écluses correspondant aux deux barrages. Avec un tel prix de revient et les productions électriques envisagées, le prix d’un kwh « Madeira » s’établit à 0,02 $, contre 0,07 $ pour un kwh type « pétrole »[30].
Ce projet constitue également un enjeu important au plan géopolitique. En effet, c’est potentiellement 4000 nouveaux kilomètres de voie navigable reliés au réseau de l’Amazone en territoire brésilien, péruvien et bolivien. Pour la Bolivie ce projet est capital en l’absence actuelle de sortie fluvio-maritime, ce qui pénalise la compétitivité de ses produits. Cependant, pour rendre le Madeira totalement navigable, un troisième barrage, dont la construction se heurte encore à des obstacles législatifs internes à la Bolivie, sera nécessaire à la frontière boliviano-brésilienne. Pour le Brésil, l’importance de ce projet est également de portée stratégique car il permettrait d’améliorer le débouché vers le Pacifique dans des proportions considérables. Ainsi, il faciliterait l’export des excédents agricoles de l’Etat de Rondônia et du nord du Mato Grosso vers l’Amazone, première étape avant l’export. Le flux annuel sur le Rio Madeira est estimé à 35 millions de tonnes. Le Brésil envisage d’ailleurs le développement d’infrastructures portuaires à Itacoatiara, au confluent de l’Amazone et du Madeira, qui prendraient le nom de Puerto Bolivár. Ces facilités s’inscriraient dans un schéma de transport fluvial entre le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Equateur et le Pérou. Par ailleurs, les minerais pondéreux brésiliens (fer, manganèse et bauxite) trouveraient également un débouché naturel, via le Pérou, vers les clients « montants » d’extrême-orient (Chine, Corée, Japon, etc.). Il convient enfin de préciser, dans une perspective géopolitique, que le projet Madeira ne constitue qu’un maillon de l’axe Pérou-Brésil-Bolivie de l’initiative majeure d’Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-Américaine (IIRSA)[31], lui-même partie du projet d’hidrovía Orénoque-Amazone-Plata visant à relier le delta de l’Orénoque (Venezuela), au réseau Amazonien, puis à l’hidrovía Paraná-Paraguay (voir § 134), englobant ainsi toute l’Amérique du Sud à l’exception du Chili.
313. Le soutien au Nordeste
La situation de fort stress hydrique dans le Nordeste est à l’origine de différentes initiatives visant, d’une part, à valoriser les réserves existant localement et, d’autre part, d’acheminer dans les zones les plus défavorisées un volume d’eau plus important.
3131. Le projet sur les eaux souterraines dans le Nord-est du Brésil
Le projet sur les eaux souterraines dans le Nord-est du Brésil (PROASNE) est un programme de transfert de technologie financé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) qui vise à favoriser l’approvisionnement en eau à partir des ressources souterraines locales. En effet, les roches dures et imperméables rencontrées dans le Nordeste (socle précambrien cristallin)[32] rendent les réserves souterraines peu abondantes et difficiles à localiser. Mais de multiples difficultés contribuent par ailleurs à rendre la situation difficile pour les populations. Ainsi les pluies sont localement faibles et les taux d’évaporation sont très élevés. Les eaux de surface, qui sont généralement polluées (la population est très peu sensibilisée aux problèmes d’écologie) et saumâtres, ne sont consommables qu’après traitement, or l’approvisionnement énergétique nécessaire au transport et au pompage de l’eau est insuffisant. Par le biais du PROASNE, des technologies modernes sont fournies à trois Etats du Nordeste afin de promouvoir un développement soutenable des ressources existantes. De bons résultats ont d’ores et déjà été obtenus grâce à une action combinant un renforcement des capacités institutionnelles, un volet éducatif et de développement communautaire et un programme technique. Ce dernier décline plusieurs moyens : cartographie de la distribution des eaux souterraines par géophysique aéroportée, établissement d’une base de données sur les réserves, ou encore technologie solaire de traitement de l’eau saumâtre. Modèle de coopération internationale, ce projet ne permet cependant pas à lui seul de compenser le déficit structurel en eau du Nordeste. Un apport extérieur s’avère nécessaire.
3132. Le projet de transfert partiel des eaux du São Francisco
L’idée de ce chantier gigantesque n’est pas nouvelle mais suscite d’importantes polémiques. Déjà, au XIXème siècle, l’empereur Dom Pedro II avait vu dans cette entreprise le moyen de compenser les sécheresses désastreuses qui touchaient la région. Cependant, faute de ressources financières et de compétences techniques, le projet n’avait pas vu le jour. En 1943, sous la présidence de Getúlio Vargas, puis en 1994, le projet était revenu dans le débat public.
Techniquement, le chantier consiste à détourner un débit maximal de 127 m3/seconde en élevant l’eau à une altitude de 160 mètres au-dessus du niveau de captation pour atteindre les bassins récepteurs (qui se trouvent dans quatre Etats : Ceará, Pernambouc, Paraíba et Rio Grande do Norte). Deux canaux achemineraient l’eau sur 2000 km jusqu’aux cours d’eau intermittents des zones semi-arides du Sertão. Le pompage n’aurait pas vocation à la continuité, sa mise en œuvre correspondant aux phases de déficit hydrique. La moyenne des quantités pompées s’établirait alors à plus d’un milliard et demi de tonnes annuellement, soit environ 50 m3/seconde[33].
Les polémiques sur ce projet vont bon train sur fond de clivages politiques. Initialement soutenu par Fernando Henrique Cardoso, rival politique de Luiz Inácio Lula da Silva, le projet a finalement été repris par ce dernier, au grand dam des opposants traditionnels. Ceux-ci dénoncent un projet qui leur paraît en fait destiné aux latifundistes, cultivant fruits tropicaux et coton dans une optique d’exportation, et non aux populations en difficulté, contournées ou non desservies par les canaux qui seraient construits. Et même en supposant que le « capital » ne soit pas le bénéficiaire des travaux, certains soulignent l’état de « souffrance » du São Francisco (captages d’irrigation, barrages, déforestation des berges et érosion, pollution, faune menacée) d’après eux incompatible avec un tel projet. Leader de cette opposition, l’évêque Cápio (grêviste de la faim pendant 11 jours en septembre/octobre 2005 à ce sujet) a illustré cette approche dans un article du quotidien A Tarde de Salvador (Bahia) en déclarant : « Comment une personne anémique pourrait-elle donner du sang à des malades ? ».
Les contestations relatives au rapport sur les conséquences environnementales et au processus de consultation publique n’ont en tout état de cause pas dissuadé le gouvernement en place, qui a validé le projet en début d’année 2007. Malgré les polémiques, cette entreprise n’en demeure pas moins une parfaite illustration des ambitions des autorités brésiliennes quant à la valorisation du potentiel hydrique du pays.
Au-delà des réalisations techniques ambitieuses envisagées, le gouvernement brésilien s’est également engagé dans la démarche de rationalisation et de valorisation de la ressource hydrique à la faveur d’une réforme structurelle des organes de gestion par voie législative.
32. UN CADRE LEGAL RENFORCE
Conscient des difficultés rencontrées dans la gestion de la ressource, le gouvernement fédéral a entrepris le « dépoussiérage » d’un droit de l’eau très sectorisé et soumis à de multiples tutelles ministérielles. Cet effort de rationalisation a débouché sur la mise en place d’une loi-cadre en 1997.
321. Le contexte juridique
L’apparition de textes légaux sur l’eau au Brésil remonte à 1934 avec la rédaction du Code de l’eau. Exclusivement axé sur la production d’énergie électrique et la garantie des intérêts des investisseurs étrangers, ce texte a donné le coup d’envoi à la construction des grands aménagements hydroélectriques du pays. Cette situation monopolistique du secteur hydroélectrique a perduré pendant près d’une quarantaine d’années mais, dès le début des années soixante-dix, le développement socio-écononomique du pays a rendu nécessaire la prise ne compte des intérêts d’autres secteurs tels que l’irrigation, la navigation, l’alimentation en eau, le traitement des affluents urbains et industriels, le secteur du tourisme et du loisir, la pêche, etc. Cette prise en compte progressive a pris des formes diverses :
. création, dans l’Etat de São Paulo, d’une entreprise pour contrôler la pollution environnementale, particulièrement la pollution des eaux ;
. fondation, à la même occasion, de l’Institut national de l’environnement (IBAMA), dont les fonctions étaient auparavant détenues par un secrétariat spécial attaché au Gouvernement fédéral ;
. création, en 1978, des comités exécutifs d’études intégrées aux bassins hydrographiques (CEEIBH) ;
. édition de la loi sur la Politique nationale d’irrigation, en 1979 ;
. en 1981, loi n°6.938 relative à la politique nationale d’environnement ;
. résolution du Conseil national de l’environnement, en 1986, exigeant l’élaboration d’études d’impact environnemental pour les barrages hydroéléctriques.
La Constitution brésilienne de 1988 établit pour sa part, dans son article 21, incise XIX, qu’il revient au gouvernement fédéral d’instituer un « système brésilien de gestion de ressources en eau ». Elle dispose par ailleurs des règles suivantes : les lacs, les fleuves et tous les cours d’eau sur les terrains de son domaine, ainsi que ceux qui touchent plus d’un Etat, servent de frontière internationale ou débouchent en territoire étranger ou en proviennent relèvent de la compétence fédérale. Hors ces cas de figure, les eaux de surface ou souterraines, courantes, émergentes ou mortes, sont de la compétence des Etats, sauf dans le cas de ressources produites par des travaux de l’Union.
La Constitution édicte de façon très claire certaines règles de gestion, les objectifs poursuivis et plusieurs clés de répartition des responsabilités à l’échelle de l’Union :
. les services gouvernementaux ont l’obligation d’exiger, auprès des différents propriétaires et entrepreneurs, des études d’impact environnemental préalables à la réalisation d’un quelconque aménagement ;
. l’exploitation des ressources en eau dans les territoires autochtones ne peut être effectuée sans la permission du Congrès national, après avoir entendu les communautés concernées ;
. en matière de gestion des eaux, les objectifs majeurs sont la protection de l’environnement et le combat de toutes formes de pollution, l’amélioration des conditions de l’assainissement de base, ainsi que l’inventaire et le contrôle des permis d’exploitation ;
. la gestion de l’utilisation des eaux superficielles pour la génération d’énergie électrique, aussi bien que pour la navigation entre deux ports brésiliens de différents Etats, est de la compétence exclusive de l’Union. Toutes les autres utilisations des ressources hydriques peuvent être de la compétence du Gouvernement fédéral, des Etats ou des mairies des villes, en fonction des compétences territoriales respectives.
Cependant, cette répartition des compétences souffre de quelques ambiguïtés. Ainsi, dans son article 22, la Constitution Fédérale établit qu’il appartient exclusivement à l’Union de légiférer sur les eaux. En revanche, dans l’article 24, il est établi qu’il appartient conjointement à l’Union et aux Etats de légiférer sur les forêts, la chasse, la pêche, la faune, la conservation de la nature, la défense du sol et des ressources naturelles, la protection de l’environnement et le contrôle de la pollution. Autrement dit, si la Constitution interdit aux Etats de légiférer sur l’eau, elle les autorise à aborder cette problématique par le biais de thématiques indirectes. Cette situation est de nature à compliquer la gestion des réserves, notamment en favorisant la redondance de certaines structures au niveau de l’Union et des Etats, avec pour conséquence des incohérences et une dilution des responsabilités peu propices à l’efficience.
Afin de tenter de gommer ces difficultés, un texte novateur, pris en application de la Constitution, s’est avéré nécessaire pour réformer la politique de gestion de l’eau, en favorisant une meilleure articulation entre les organes de décision et en améliorant la concertation.
322. La loi-cadre sur l’eau de 1997[34]
La loi fédérale relative à la politique nationale des ressources en eau a pris le numéro 9.433/97 et a été promulguée le 8 janvier 1997. Le délai entre la promulgation du texte et la présentation du projet par le gouvernement au Congrès National en 1991 illustre les réticences sectorielles, et singulièrement du secteur hydroélectrique, à voir évoluer la gestion vers un système décentralisé, s’appuyant sur des redevances. La loi 9.433 met en place une série de principes fondateurs d’une gouvernance rénovée et articule le dispositif de mise en œuvre autour de structures de pilotage déconcentrées.
3221. Les principes de la politique nationale des ressources en eau
La politique brésilienne des ressources en eau, proposée par le gouvernement fédéral, est le résultat d’un travail concerté et de longue haleine entre plusieurs cénacles, dont l’Association brésilienne des ressources en eau (ABRH) et du Groupe de travail pour l’étude du système national de ressources en eau (GT-SINGREH).
L’objectif affiché de la nouvelle politique nationale est « d’assurer en permanence l’utilisation et la conservation des ressources en eau, en tenant compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux, au bénéfice de la santé, du bien-être, de la sécurité et du développement de la société ».
A cette fin, cette politique se décline selon dix principes essentiels :
. 1 : l’eau, indispensable à la vie et fondamentale à l’activité humaine, possède une valeur économique, sociale et environnementale, en raison des coûts croissants pour son obtention, pour sa protection et pour sa conservation, et ce à mesure qu’augmentent les besoins de la société ;
. 2 : l’Union a fonction de trouver des moyens et d’agir dans les limites de ses sphères de pouvoir (fédérale, des Etats et urbaine), afin d’empêcher les conflits d’utilisation, la pollution et le gaspillage des eaux superficielles et souterraines ;
. 3 : la gestion des ressources en eau doit être décentralisée, sans séparer les aspects quantitatif et qualitatif, en considérant les trois phases du cycle hydrologique (précipitation, infiltration et évaporation) et en adoptant le bassin hydrographique comme scénario de la planification ;
. 4 : la gestion des ressources en eau doit satisfaire aux diversités et aux particularités physiques, hydrologiques, biotiques, sociales, anthropologiques, économiques, culturelles et politiques, régionales et locales ;
. 5 : la planification et l’élaboration des projets de travaux publics et privés à buts multiples doivent satisfaire aux objectifs économiques, sociaux et environnementaux, aussi bien que générer des bénéfices et des impacts positifs aux niveaux national, régional et local ;
. 6 : les ressources en eau sont un bien public de grande valeur économique et leurs usages doivent dépendre de permis et de critères de redevances, compte tenu des aspects de quantité et de qualité, aussi bien que des particularités régionales et des bassins hydrographiques ;
. 7 : le coût des barrages à buts multiples, d’intérêt collectif, devra être partagé par les usagers ou bénéficiaires, en tenant compte des particularités et des niveaux socio-économiques régionaux et locaux ;
. 8 : les municipalités seront indemnisées, par le propriétaire des aménagements, pour les inondations entraînées par la construction des réservoirs ;
. 9 : le Brésil prendra part à la coopération internationale afin d’améliorer l’usage rationnel des ressources en eau, de fortifier les liens d’amitié, aussi bien que d’échanger des expériences scientifiques, technologiques, économiques et socio-économiques tout en respectant les ententes internationales ;
. 10 : il revient au gouvernement fédéral de revoir périodiquement et de modifier, lorsque nécessaire, le Plan national des ressources en eau, qui devra être soumis au président de la République pour approbation.
3222. La mise en œuvre de la loi
Au-delà de cet ensemble de principes, il convient cependant de préciser que la loi promulguée le 8 janvier 1997 demeure une loi-cadre, qui se borne : à proclamer les fondements de la planification et de la gestion des usages de la ressource hydrique, à définir les outils d’action, et à établir le cadre réglementaire global du secteur.
En ce qui concerne les fondements, la planification et la gestion doivent intégrer :
. l’unité de la ressource en eau dans le cadre des bassins hydrographiques ;
. la conciliation des intérêts des usagers à buts multiples ;
. l’introduction d’une dimension économique en traitant l’eau comme une denrée économique ;
. la décentralisation des structures de gestion ainsi que la participation des parties prenantes dans la prise des décisions.
Pour leur part, les outils d’action prévus s’articulent en six points.
Les schémas d’aménagement et de gestion de ressources en eau
Les schémas d’aménagement et de gestion sont des documents de planification, établis à l’échelle du bassin hydrographique, qui fixent les orientations fondamentales, en tenant compte des milieux aquatiques (de surface et souterrains), physiques et socioéconomiques. Ces schémas d’aménagement ont pour but d’orienter la politique nationale de ressources en eau, étant donné que le Plan national de ressources en eau résulte de la consolidation de tous les schémas des bassins versants.
L’octroi de permis d’utilisation pour les usagers
L’instauration de permis d’usage des ressources en eau a pour but, d’une part, d’assurer le contrôle quantitatif et qualitatif des différentes utilisations et, d’autre part, de garantir à l’usager la satisfaction de ses besoins. La classification des usages soumis à permis distingue notamment : les prélèvements d’eau destinés à l’utilisation urbaine et industrielle (en distinguant eau de surface et eau souterraine) ; le déversement dans les cours d’eau des égouts et d’autres résidus liquides ou gazeux (avec ou sans traitements préalables), la production d’énergie électrique, ainsi que les autres usages susceptibles de modifier le régime, la quantité ou la qualité des réserves d’eau. Les pouvoirs publics, la satisfaction des besoins des petites agglomérations urbaines en milieu rural, ainsi que les prélèvements et déversements considérés comme insignifiants sont exonérés de permis.
Un système de redevance
La loi sur l’eau proclame la valeur économique de cette ressource, considérant à la fois sa vulnérabilité et le fait que c’est un élément qui participe de la production de biens et de services. Dans ce cadre, l’établissement d’un système de redevance est conçu comme un levier à même de contribuer à la gestion de la demande, de réduire le gaspillage, de redistribuer les coûts sociaux, de permettre la constitution de fonds d’intervention, et d’intégrer à la planification globale les dimensions sociales et environnementales. Les redevances sont fonction des volumes d’eau prélévés ; des volumes consommés (c’est-à-dire la partie du volume prélévé qui ne retourne pas au cours d’eau) et des caractéristiques des éfluents versés aux cours d’eau. Elles sont perçues auprès des usagers suivants : les communautés urbaines et rurales, les industries, les irrigants, les pisciculteurs et les autres usagers qui rélèvent d’un permis pour l’usage de l’eau.
Une classification des cours d’eau selon leur usage prépondérant
Cette classification permet, notamment, d’identifier les bons interlocuteurs, privés ou institutionnels, et d’optimiser la gestion des cours d’eau.
La mise en place d’un système d’information sur l’eau
Le Système national d’information des ressources en eau se nourrit de l’ensemble des données relatives aux ressources hydriques de surface, souterraines et atmosphériques. Les données de ce système sont générées par tous les organismes qui le constituent (voir § 3223). Le système répond aux principes de décentralisation de la collecte des informations, de coordination centralisée du système[35] et de garantie d’accès aux données pour toutes les parties prenantes à l’échelle de l’Union. Le système a vocation à établir, de façon continue, le bilan hydrique de chaque cours d’eau, de chaque aquifère et de chaque bassin hydrographique. Il sert par ailleurs de socle à d’autres instruments de gestion comme la classification des cours d’eau, l’établissement des permis aux usagers et le système des redevances. Il s’agit d’un outil de planification et d’aménagement du territoire.
Une compensation financière aux communes
Cet instrument vise à faire compenser financièrement par le secteur hydroélectrique les désagréments subis par les communes à la suite des inondations des barrages-reservoirs. Cette compensation est exigée pour les aménagements de plus de 30.000 kW de puissance nominale. Contrairement au dispositif antérieur qui était moindre mais permanent, les versements prennent fin dès lors que la compensation atteint le niveau initialement estimé des pertes économiques et financières subies. Il est à souligner que ce système fait débat entre le secteur de gestion des ressources en eau et le secteur hydroélectrique, ce dernier estimant être taxé à deux reprises : une fois au titre de la redevance et une fois au titre de la compensation.
3223. Le Système national des ressources en eau
La loi n° 9.433/97 a entraîné la création d’un ensemble intégré d’organismes -le Système national des ressources en eau- dédiés à la gestion de l’eau sur le territoire brésilien, et dont les principaux sont :
. le Conseil national des ressources en eau (CNRH en portugais) ;
. les conseils des ressources en eau des Etats (CERH en portugais) ;
. les comités de bassin hydrographique ;
. les agences de l’eau.
Le Conseil national des ressources en eau
Cette structure, à la tête du système national, joue un rôle fondamental dans la détermination de la politique suivie à l’échelle de l’Union dans le domaine de la ressource hydrique. Ses attributions sont nombreuses et conséquentes :
. établir la planification en coordination avec les régions, les Etats et les secteurs usagers de l’eau ;
. arbitrer les conflits entre les CERH ;
. délibérer des projets d’utilisation des ressources ayant une dimension interétatique ;
. trancher les problèmes soumis par les comités de bassins ;
. évaluer les propositions d’amendement de la politique nationale des ressources en eau ;
. établir des orientations complementaires pour la politique nationale des ressources en eau, pour la mise en œuvre de ses instruments et pour l’amélioration des performances du Système national de ressources en eau ;
. approuver les créations de comités de bassin hydrographique et leurs plans ;
. élaborer des critères généraux d’octroi des permis d’usage et d’établissement des redevances.
Les pouvoirs du CNRH sont donc considérables et le gouvernement fédéral a utilisé les marges offertes par l’article 34 de la loi[36], relatif à la constitution de cette instance, pour conserver la majorité des voies en son sein.
Le souci de décentralisation exprimé par le legislateur se trouve quelque peu battu en brêche par un système où l’autonomie du CNRH est faible par rapport au gouvernement (voire au lobby hydroélectrique sur-représenté). De ce fait, sa composition et ses logiques de fonctionnement ont constamment été remises en question depuis sa mise en place. L’Union souhaite actuellement garder la majorité pour deux raisons principales : d’une part, le président est le responsable légal en dernier ressort des décisions prises et, d’autre part, le secteur des ressources en eau est encore en phase de constitution, ce qui demanderait « plus d’Etat ». La maturation de ce secteur pourrait, à terme, engendrer une évolution de sa composition. Mais les réticences sont fortes et, pour l’heure, les organisations civiles se battent sur des fronts plus modestes, tels que celui de la prise en charge des frais induits par les déplacements en sessions des chambres techniques (CT), où s’effectuent l’essentiel des travaux, afin de garantir leur présence.
Si la réforme de la politique de l’eau se met en place de manière parfois laborieuse, avec un tropisme centralisateur persistant qui s’exprime au sein du CNRH et des resistances au changement, il n’en demeure pas moins que la loi-cadre de 1997 oriente résolument la gouvernance de l’eau vers un mode de gestion décentralisé. Dans ce cadre nouveau, la gestion par bassin versant apparaît comme une piste sérieuse pour optimiser la ressource.
33. LE BASSIN VERSANT : NOUVELLE ECHELLE DE GESTION DES EAUX AU BRESIL ?
Au Brésil, le concept de gouvernance de l’eau renvoie à l’application du principe de « participation à la formulation des politiques pour l’eau » introduit dans la loi-cadre de 1997 et dans les lois des Etats fédérés. Cette innovation s’inscrit dans le cadre de la réforme plaçant le bassin versant au centre d’un dispositif de gestion se voulant plus démocratique et plus fonctionnel. La loi invite les usagers à sortir d’une logique sectorielle au profit d’une gestion plus intégrée des ressources, à la faveur notamment de la création, dans le contexte du bassin, d’organismes d’inspiration française : les comités de bassin, qui recouvrent la redevance et gèrent au plan financier, et les agences de l’eau (ou agences de bassin), qui approuvent les plans d’utilisation des ressources, administrés par les agences. En effet, jusqu’alors, les compétences respectives des institutions fédérales (cours d’eau fédéraux), des Etats et des municipalités (maîtres d’ouvrage des services urbains de l’eau et de l’assainissement et responsables de l’usage des sols) rendaient peu lisible l’action d’un dispositif institutionnel désarticulé, dissociant presque toujours qualité et quantité. Désormais, les nouveaux organismes de bassins et les conseils de l’eau, qui associent les différents acteurs, ont vocation à donner de la cohérence à l’ensemble.
Pour autant, la mise en œuvre opérationnelle de ce dispositif n’est pas simple, se heurtant à une certaine complexité et à des difficultés d’adaptation. La gestion des bassins impose en effet la cohabitation de plusieurs systèmes distincts de gestion (parfois sur des cours d’eau communs à plusieurs Etats), sans pour autant empêcher la prolifération d’organismes de sous-bassin, et tout en exigeant la mise en place du système des redevances à l’Etat fédéral et aux Etats fédérés. Par ailleurs, la question des échelles appropriées de gestion se pose aussi pour les services publics d’eau et d’assainissement : alors que le régime autoritaire avait cherché à imposer un opérateur public unique par Etat, la démocratisation voit s’affronter d’autres modèles alternatifs. Remunicipalisation et privatisation sont envisagées, mais sans que le niveau local ne dispose des capacités de gestion ou de contrôle suffisantes ; et, paradoxalement dans un système fédéral, la création de syndicats intercommuaux (intermunicipais) est contestée par certains pour inconstitutionnalité.
Néanmoins, l’application de ce modèle de gestion décentralisée, fruit d’un consensus bâti chez les techniciens de l’eau au Brésil dès les années 70, progresse au travers de nombreuses expériences. C’est notamment le cas dans le sud-est humide, urbanisé et industrialisé – notamment le bassin du Paraíba do Sul – mais également dans l’Etat de São Paulo, avec l’agence de bassins Piracicaba-Capivari-Jundiai (qui réunit 32 villes et agit avec le soutien de l’agence de l’eau Seine-Normandie dans le cadre d’une accord de coopération décentralisée), ou encore dans l’Etat de Bahia avec le Bassin du Rio Jiquiriça. Par ailleurs, par souci d’échange constructif et d’appui mutuel, certaines agences s’associent au plan national, témoignant ainsi de l’engouement suscité par ce type de gestion. Ainsi, un réseau des Consortiums (syndicats intercommunaux) et Associations intermunicipales de bassins hydrographiques a vu le jour, ainsi que le Réseau brésilien des organismes de bassins hydrographiques (Rede Brasil dos Organismos de Bacias Hidrograficas – REBOB), membre du Réseau International des Organismes de Bassins (RIOB).
Ce modèle doit encore être validé dans les bassins couvrant une superficie très importante et où, fort logiquement, la convergence des intérêts respectifs est encore plus difficile à obtenir. C’est ainsi le cas du bassin du fleuve Tocantins (environ 770 000 km²) et surtout du São Francisco (environ 640 000 km²) où, dans le contexte politique très délicat déjà évoqué, les compétences du comité de bassin sont largement contestées.
En tout état de cause, et malgré les difficultés rencontrées et à venir, d’ailleurs souvent liées au caractère récent de la mise en place des agences de bassin ainsi qu’aux incontournables balbutiements et résistances au changement, il semble que la voie de la gestion décentralisée des ressources en eau est la plus prometteuse. Une politique centralisée et non-discriminée dans un pays aussi vaste et aussi diversifié (dans la ressource comme dans les besoins) que le Brésil paraît en effet relever de l’utopie. L’expérience de pays pionniers tels que la France est de nature à profiter aux responsables brésiliens qui, fort opportunément, développent la coopération internationale. La prise de conscience par le Brésil de ses difficultés dans la gestion de l’eau et l’ambition affichée dans la mise en œuvre de solutions novatrices constituent en tous cas des sujets d’optimisme.
A l’échelle de la planète, et à l’heure où la possession de réserves d’eau douce est de plus en plus perçue comme une donnée stratégique, le Brésil dispose d’atouts considérables. Grâce à ses cours d’eau nombreux et puissants, ainsi qu’à la faveur d’importantes ressources souterraines, ce pays détient 12% des réserves estimées d’eau douce dans le monde. A ce titre, le fleuve Amazone et l’aquifère Guarani apparaissent particulièrement emblématiques des fantastiques capacités hydriques mises à la disposition du Brésil par la nature. Conscient de ses atouts, le Brésil s’est largement appuyé pour son développement sur ces ressources à la fois abondantes, facilement accessibles et, de fait, peu onéreuses. Ainsi, l’eau a notamment pris une part extrèmement importante dans le développement de la production agricole et agro-industrielle, point fort de l’économie brésilienne, ainsi que dans la production énergétique, à plus de 92% d’origine hydraulique.
Mais au-delà de ce premier constat, et c’est là tout le paradoxe de la situation brésilienne, une analyse un peu plus poussée montre que la ressource hydrique du pays présente de nombreuses faiblesses. Enfant gâté par la nature, le Brésil constate aujourd’hui l’ampleur des erreurs commises : gaspillage, sur-exploitation et surtout pollution. De fait, outre une répartition territoriale parfois inégalitaire des réserves, l’interdépendance qui s’est progressivement établie entre l’eau, d’une part, et la population et l’ensemble de l’économie du Brésil, d’autre part, donne toute sa dimension à une menace écologique désormais prégnante. Constituant un nouvel enjeu de survie, de pouvoir et de profit, l’eau est à la fois une source de querelles entre les usagers et l’objet de la convoitise d’industriels spécialisés, voire de pays étrangers, donnant à la ressource hydrique toute sa résonance géopolitique.
Affichant leur volonté de relever le défi d’une meilleure gouvernance de l’eau, les autorités brésiliennes se sont engagées dans une démarche volontaire en jouant sur plusieurs leviers. Ainsi, souhaitant s’inscrire dans un processus d’exploitation durable, le gouvernement cherche tout d’abord à protéger la ressource tout en la valorisant dans ses modes de distribution et dans ses potentialités économiques. Par ailleurs, l’accent a été mis sur une nouvelle politique nationale de gestion dont l’objectif déclaré est « d’assurer en permanence l’utilisation et la conservation des ressources en eau, en tenant compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux, au bénéfice de la santé, du bien-être, de la sécurité et du développement de la société ». A cet effet, un cadre législatif a été établi afin, notamment, de promouvoir une gestion déconcentrée articulée autour des bassins versants, s’inspirant en cela de l’expérience française. Bien que se heurtant à certaines résistances au changement et aux traditionnelles difficultés de mise en place, cette voie de la gestion décentralisée des ressources en eau semble la plus adaptée à un pays aussi vaste et diversifié que le Brésil. Le rodage nécessaire des jeunes agences de bassins devrait, à terme et avec l’appui de structures internationales expérimentées, donner des résultats satisfaisants, à la faveur d’une concertation renforcée et d’une meilleure synergie des différents acteurs.
Enfin, il convient de remettre en perspective la situation du Brésil dans la problématique internationale de « l’or bleu ». Force est de constater que ce pays, malgré sa situation privilégiée, n’échappe pas à la question de l’accès à l’eau, et à l’ardente nécessité de tout Etat d’assurer la satisfaction des besoins hydriques de ses citoyens. Comprendre la nécessité d’une gestion pérenne de l’eau, c’est comprendre sa vulnérabilité et la nécessité d’assurer la préservation d’un intérêt vital, et ce quel que soit le capital dont on dispose initialement. Au regard des besoins croissants qui semblent se dessiner à l’échelle de l’humanité, il est loisible de s’interroger sur l’éventuelle sortie d’une gestion nationale de l’eau. La considérer comme un droit fondamental, qui ne saurait être un enjeu de marché ou la propriété des Etats, est la solution préconisée par certains. A quand une Agence mondiale de l’eau, aux pouvoirs supranationaux ?
Manuscrit clos en mars 2007
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Notes
[1] FREMY Dominique et Michèle et al., QUID 2005, Paris, Robert Laffont, 2004, pp. 1144-1145.
[2] ibid.
[3] GARRIDO Raymundo, gestion de ressources en eau au Brésil, www.oieau.fr.
[4] Brésil, http://natal.ifrance.com.
[5] Site Aquastat de la FAO (www.fao.org et www.rlc.fao.org).
[6] www.boursorama.com – Spécial pays émergents, Antoine Chazal, 25 août 2006.
[7] FREMY Dominique et Michèle et al., QUID 2005, Paris, Robert Laffont, 2004, p. 1147.
[8] www.boursorama.com – Spécial pays émergents, Antoine Chazal, 25 août 2006.
[9] www.unep.org/org/org3/french/294.htm
[10] Professeur MARQUES Eduardo, séminaire université paris-Dauphine, Situation et perspectives du secteur hydroélectiique au Brésil, PARIS, 14 octobre 2004.
[11] http://www.dams.org/news_events/press316.htm.
[12] Pour la Commission internationale des grands barrages (CIGB), un grand barrage a une hauteur de 15 mètres ou plus (à partir de la fondation). Ceux d’une hauteur de 5 à 15 mètres et ayant un réservoir d’un volume supérieur à 3 millions de m3 sont également classés dans les grands barrages. Sur la base de cette définition, il existe plus de 45 000 grands barrages dans le monde. (Source : rapport de la Commission Mondiale des Barrrages – novembre 2000).
[13] www.wikipedia.org
[14] www.wikipedia.org
[15] SUASSUNA Joao, Agência Carta Maior, 9 avril 2004 (www.autresbresils.net).
[16] Ibid.
[17] Institut de recherche pour le développement, fiche scientifique n°101, octobre 1999.
[18] www.lemonde.fr, Christiane Galus, 21 octobre 2005.
[19] www.acme-eau.org, Jean-Luc Touly, 14 octobre 2005 (d’après une dépêche AFP non datée – Julio Cesar Correa, Secrétaire à la Défense civile du Brésil).
[20] Séminaire Université Paris-Dauphine, Situation et perspectives du secteur électrique au Brésil, Edouardo Marques, le 14 octobre 2004.
[21] SUASSUNA Joao, Agência Carta Maior, 9 avril 2004 (www.autresbresils.net).
[22] Ibid.
[24] http://humanvillage.com/fr_article5741.html.
[25] Dans cette zone, les villes de Ciudad del Este (Paraguay – 170000 habitants) et Foz de Iguazu (Brésil – 270000 habitants) abritent une importante communauté sirio-libanaise.
[26] Elsa M. Bruzzone, Bataille pour l’or bleu à la triple frontière, Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine (RISAL), 7 janvier 2004. Hinde Pomeraniec, L’eau convoitée de l’aquifère Guarani, RISAL, 26 décembre 2005. (http://eau.apinc.org)
[27] Ibid. L’eau convoitée de l’aquifère Guarani
[28] Monitoremento da floresta brasileira por satélite, PRODES, 2003, (http://www.obt.inpe.br/prodes)
[29] Projet Madeira, 8 février 2007. www.wikipédia.org
[30] Au prix théorique et modeste de 50 $ le barril, sachant qu’un barril contient 159 litres de brut et qu’un kilo de brut équivaut à 5 kwh, et en faisant abstraction des coûts connexes : raffinage, transport,etc.
[31] IIRSA : l’intégration sur mesure pour les marchés, Raúl Zibechi, 15 septembre 2006 (www.risal.collectifs.net)
[32] Voir § 21
[33] www.wikipedia.org
[34] A ce sujet voir le texte de loi et l’article La gestion des ressources en eau au Brésil, Raymundo Garrido, http://www.oieau.fr.
[35] Le Sécrétariat national des ressources en eau, en tant que sécrétariat exécutif du Conseil national des ressources en eau est chargé de la coordination centralisée du système et du lien avec les organismes et entités fédérales réliés.
[36] Qui prévoit que la représentation maximale du pouvoir fédéral ne pourra excéder 50% des voix +1.
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OUVRAGES
THERY, Hervé et MELLO DE, Neli Aparacida, Atlas du Brésil, CNRS-GDR Libergéo, Paris, La Documentation française, 2004.
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Sur les enjeux de la triple frontière :
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Sur les phénomènes de sécheresse touchant l’Amazone :
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www.acme-eau.org, Jean-Luc Touly, 14 octobre 2005
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Sur les questions générales et les projets d’aménagements des cours d’eau :
www.wikipedia.org
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L’intégration sur mesure pour les marchés, Raúl Zibechi, 15 septembre 2006 www.risal.collectifs.net
www.iirsa.org:BancoMedios/Imagenes
Chef d’escadron, gendarmerie nationale, France, 14e promotion du CID
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Date de publication / Date of publication : 1er mars 2008
Titre de l'article / Article title : L’eau au Brésil. Les paradoxes de l’abondance
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A l’heure où l’eau potable est de plus en plus considérée comme une ressource rare de valeur stratégique, le Brésil possède, avec environ 12% des réserves de la planète, un avantage considérable. Pourtant, s’en tenir à ce seul constat serait méconnaître les difficultés rencontrées par ce pays dans le domaine de la gestion de l’eau. En effet, inégalement répartie sur le territoire, la ressource hydrique est l’objet de convoitise et se trouve en outre menacée par l’action de l’homme qui, s’inscrivant dans un cercle vicieux, devient lui-même victime de sa négligence. Conscient des enjeux pour sa population et son économie, le Brésil accentue ses efforts pour améliorer cette situation en usant de différents leviers, tels que des projets d’infrastructures, une réglementation plus pragmatique et une approche rénovée de la gestion de la ressource.
Ce mémoire de géopolitique a été rédigé au Collège Interarmées de Défense, dans le cadre du séminaire « Géopolitique de l’eau » dirigé par Barah Mikaïl (IRIS).
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