Kamal Kajja met en perspective cette crise causée par la guerre du pétrole lancée par MBS avant d’analyser son impact sur les relations américano-saoudiennes et sur une économie saoudienne marquée par la pandémie COVID-19. Une crise qui intervient sur fond d’un autoritarisme qui ne cesse de se renforcer.
LE 11 mai 2020, le ministre des finances saoudien, Mohammad al Jadaan, a annoncé une série de mesures qui rentre dans le cadre d’une politique d’austérité que le régime saoudien veut mettre en place. L’objectif de cette politique est de faire face à la grande crise économique que connait l’Arabie Saoudite. Dans son intervention devant les médias, le ministre saoudien a déclaré que le royaume n’a pas fait face à une crise d’une telle ampleur depuis des décennies. Il a annoncé des mesures drastiques pour sauvegarder la stabilité économique et monétaire du royaume sur le moyen et le long termes sur lesquelles nous reviendrons [1].
En effet, le royaume qui fait face également face à la crise de la Covid-19, connait à l’instar des autres pays de la région un net ralentissement de son économie. Une économie basée sur le pétrole, dont la chute des prix causé par le brutal ralentissement d’activité a frappé de plein fouet l’économie saoudienne. Cette crise que connait l’Arabie Saoudite a constitué un énorme choc pour les dirigeants saoudiens, plus particulièrement pour Mohammad Ben Salman, qui risque de voir son fameux projet « Vision 2030 » remis en cause. Un projet pour lequel MBS a déployé d’énormes moyens de communication pour lui faire de la publicité notamment auprès de ses alliés occidentaux. Il convient donc d’étudier l’origine de cette crise causée par la guerre du pétrole, lancée par MBS (I) avant d’analyser son impact sur les relations américano-saoudiennes (II) et sur l’économie saoudienne (III). Une crise qui intervient sur fond d’un autoritarisme qui ne cesse de se renforcer (IV).
En septembre 2016, l’Arabie Saoudite et la Russie sont arrivées à un accord pétrolier. A travers cet accord, appelé « OPEP+ », les dirigeants des deux pays se sont mis d’accord pour planifier conjointement leur production pétrolière. En vertu de cet accord, les pays de l’OPEP et la Russie ont décidé de réduire leur production de 2,1 millions de barils par jour. Une réduction dont le gros volume a été assumé par l’Arabie Saoudite. Cet accord est intervenu deux ans après la guerre des prix lancée par l’Arabie Saoudite en 2014, pour forcer les États-Unis, dont la production du gaz de schiste ne cessait d’augmenter, à adhérer à la politique commune des producteurs de pétrole. Peine perdue pour le royaume, qui n’a pas réussi à forcer les producteurs américains à réduire leur production, ce qui l’a forcé, suite à la chute des prix, de mettre fin à cette guerre. Alors que l’accord de 2016 arrivait à terme, les négociations entre l’Arabie Saoudite et la Russie pour arriver à un nouvel accord pétrolier, ont abouti sur un échec. A travers cet accord, l’Arabie Saoudite voulait une réduction importante de la production pétrolière afin de maintenir les prix du pétrole à un niveau qui lui est acceptable.
Habitué aux coups de force spectaculaires depuis son ascension fulgurante au pouvoir, Mohammad Ben Salman décide, le 8 mars 2020, de mettre fin à l’accord conclu entre les deux pays en 2016. Le jeune prince s’est lancé dans une véritable guerre des prix de pétrole en inondant le marché mondial par le pétrole saoudien, à travers l’augmentation de la production saoudienne à un niveau inédit qui a atteint 12 millions de barils par jour. Mohammad Ben Salman a décidé également de réduire le prix du pétrole saoudien, pour concurrencer la production pétrolière russe. En se lançant dans ce bras de fer, Mohammad Ben Salman voulait punir la Russie pour avoir refusé un accord sur la réduction de sa production, tout en cherchant à défendre les parts de marché du royaume. L’objectif recherché par MBS, est de forcer la Russie à revenir à la table des négociations. Cette stratégie a buté sur le refus russe. Vladimir Poutine a affirmé qu’il n’avait pas l’intention de discuter avec les dirigeants saoudiens et que la Russie peut supporter pendant dix ans des prix du pétrole en dessous de 30 dollars.
En refusant un accord portant sur la réduction de son quota de production, la Russie voulait garder ses parts de marché. Moscou voulait également nuire à la production du gaz de schiste américain, qui a besoin d’un contexte marqué par des prix élevés du pétrole, et forcer les États-Unis à réduire leur production du pétrole. Certains analystes ont vu dans l’opposition de la Russie à un nouvel accord pétrolier, des représailles aux sanctions imposées par le président américain, Donald Trump, contre le géant pétrolier russe Rosneft et contre le projet de construction du gazoduc Nord Stream 2 qui vise à alimenter l’Europe communautaire en gaz russe. Alors que l’Arabie Saoudite table sur un prix du baril à 80 dollars pour boucler son budget, la Russie, quant à elle, mise sur un prix du pétrole se situant aux alentours de 40 dollars. L’économie russe, qui a été partiellement restructurée en 2015 pour faire face aux sanctions occidentales suite à l’annexion de la Crimée (2014 - ), devient plus diversifiée que l’économie saoudienne, bien que toujours rentière. Cette restructuration partielle de l’économie et sa diversification ont ainsi permis de réduire la part du pétrole dans le budget russe. Moscou a d’ailleurs réussi ces dernières années à avoir une réserve financière en devises, qui ne proviennent pas strictement de la rente pétrolière, et à se doter d’un fonds souverain doté d’une centaine de milliards de dollars.
La décision de Mohammad Ben Salman de déclencher cette guerre des prix, intervient dans un contexte marqué par la propagation de la pandémie de Covid-19, qui a ralenti la planète. Cette pandémie a provoqué également une diminution de la demande à cause de la réduction de l’activité économique mondiale, notamment celle de la Chine qui consomme environ 14% de la production mondiale de pétrole. La suspension du transport aérien, gros consommateur de pétrole, n’a fait qu’aggraver la situation. Le pari de MBS de faire plier la Russie combiné avec la chute de la demande mondiale suite à la crise sanitaire, causé par le Coronavirus, ont eu un effet dévastateur sur les prix du pétrole. Ces derniers ont dévissé à leur niveau le plus bas. Suite à une intervention de Donald Trump, l’OPEP et la Russie ainsi que d’autres pays producteurs sont arrivés, le 12 avril 2020, à un accord sur une réduction de leur production de 9,7 millions de barils à partir du 1er mai 2020, soit environ 10% de l’offre mondiale. Cet accord n’a pas suffi cependant à enrayer la chute des prix du pétrole, qui ont atteint leur plus bas niveau historique. Le 20 avril 2020, les cours du brut aux États-Unis ont plongé pour atteindre pour la première fois de leur histoire -37,63 dollars pour les livraisons de mai. Un niveau jamais atteint, alors que les installations de stockage n’arrivaient plus à faire face au surplus d’approvisionnement.
Alors que les États-Unis ont toujours été au courant de la stratégie pétrolière de leur allié saoudien, on pourrait se demander si la décision de MBS d’inonder le marché de pétrole - ce qui a provoqué la chute des prix à un niveau historique - n’avait pas reçu l’aval de Donald Trump avant que ce dernier ne se rétracte ? On notera que cette chute des prix du pétrole a été au début salué par le président américain, Donald Trump, qui depuis son élection n’a pas arrêté de fustiger l’OPEP et les autres producteurs pour demander une baisse des prix. Le président américain a présenté cette chute des prix comme une opportunité pour les États-Unis de remplir leurs réserves fédérales avec du pétrole à bas prix, qui profitera au contribuable américain. D. Trump a déclaré à ce sujet : « Nous allons les remplir à ras bord, faisant économiser au contribuable américain des milliards et des milliards de dollars ». Cependant lorsque le prix du baril a frôlé les 20 dollars à la fin du mois de mars 2020, menaçant ainsi les producteurs du gaz de schiste américain, Trump a fait marche arrière. Ces producteurs, fortement endettés, risquaient d’entrainer dans leur faillite des millions d’emplois et menacer le bilan économique de Donald Trump, déjà très critiqué pour sa gestion de la pandémie de Covid-19 quelques mois avant l’élection présidentielle américaine du mois de novembre 2020.
La chute vertigineuse des prix du pétrole et l’incapacité des marchés à se stabiliser, a provoqué la colère de Donald Trump. Fervent défenseur de MBS, Trump est allé même jusqu’à menacer l’Arabie Saoudite d’imposer des droits de douanes très élevés sur ses exportations de pétrole à destination des États-Unis. Plusieurs sénateurs ont par ailleurs déposé une loi, réclamant notamment le retrait d’Arabie saoudite des systèmes américains antimissiles Patriot, pour manifester leur colère contre la guerre des prix provoquée par le prince héritier saoudien. Durant une conversation téléphonique avec Mohammad Ben Salman, le 2 avril 2020, Donald Trump, furieux, aurait haussé le ton contre ce dernier qu’il a menacé de ne pas s’opposer pas à l’initiative des sénateurs américains, si le royaume ne réduisait pas sa production de pétrole pour enrayer la chute des prix. Le 7 mai 2020, les États-Unis ont mis leur menace à exécution en retirant du royaume deux batteries antimissiles Patriot, ainsi que de deux autres systèmes de défense antiaérienne déployés en septembre 2019 en Arabie Saoudite.
Le déploiement de ces systèmes a été décidé au lendemain de l’attaque de drones des Houthis qui a visé, le 14 septembre 2019, les sites d’Abqaiq et Khurais, considérés comme le cœur du complexe pétrolier saoudien. Les États-Unis ont également procédé au retrait de deux escadrons d’avions de chasse ainsi que de 300 membres du personnel militaire américain. Cette information, révélée par le Wall Street Journal, a été un choc pour les dirigeants saoudiens et a mis la lumière sur les tensions dans les relations américano-saoudiennes à cause de la guerre des prix lancée par MBS. Les États-Unis ont justifié ce retrait par la baisse du risque d’attaques iraniennes contre les intérêts américains.
La décision de Mohammad Ben Salman de lancer cette guerre des prix du pétrole a frappé de plein fouet l’économie du royaume, qui faisait face, à l’instar des autres pays de la planète, à la pandémie de Covid-19. L’effondrement spectaculaire de la demande mondiale, à cause du Coronavirus, combinée avec la guerre des prix déclenchée par MBS, ont eu de graves répercussions sur l’économie saoudienne. Une économie qui souffre déjà des mauvaises stratégies de MBS et qui dépend à environ 90% de la rente pétrolière. Le géant pétrolier saoudien Aramco a déjà annoncé un net recul de ses bénéfices de 25% pour le premier trimestre 2020, qui ont attient 16,6 milliards de dollars contre 22,2 milliards de dollars en 2019. Le PDG de l’Aramco, Amin Nasser, a imputé ces pertes à la baisse de la demande mondiale, causé par la pandémie de Covid-19.
Le pari de MBS sur la privatisation de 2% de l’Aramco pour engranger entre 22 et 23 milliards de dollars a été un échec à cause de la chute des actions du géant saoudien. MBS, qui estimait la valeur de l’Aramco à 2 000 milliards de dollars, a dû revoir son chiffre à la baisse pour le situer à 1 700 milliards de dollars. Cet échec est dû à la méfiance et au manque d’enthousiasme des investisseurs étrangers pour le marché saoudien, à cause de l’instabilité de la région au lendemain des attaques de drones contre les complexes de l’Aramco à Abqaiq et Khurais. Ces attaques, revendiquées par les Houthis, ont provoqué la réduction de la production pétrolière du royaume la moitié. Les investisseurs ne croient plus également à la volonté de réforme de MBS. L’assassinat en Turquie du journaliste Jamal Khashoggi (2 octobre 2018), a durablement terni l’image de Mohammad Ben Salman en tant que prince réformateur.
La crise sanitaire, qui a causé jusqu’à maintenant la contamination de plus de 120 000 personnes et la mort de plus de 900 personnes, a provoqué également un net ralentissement de l’économie saoudienne. La fermeture des Lieux saints (la Mecque et Médine), suite à la propagation du virus, a également privé le royaume d’une importante rente provenant du petit pèlerinage (la Omrah). Cette fermeture risque probablement de le priver également de la substantielle rente générée par le grand pèlerinage annuel (le Hajj), qui aura fin juillet-début août 2020, durant lequel le royaume reçoit environ cinq millions de pèlerins venant du monde entier. Le ralentissement de l’économie saoudienne a été confirmé par le FMI, qui a projeté en avril 2020 une contraction du PIB saoudien de 2,3% et une baisse de 4% du PIB non pétrolier. Le royaume a déjà annoncé un déficit budgétaire de l’ordre de 9 milliards de dollars pour le premier trimestre, un chiffre qui risque de se creuser davantage. Pour faire à ce déficit qui ne cesse de croître depuis 2014, le pouvoir saoudien a décidé d’adopter un ensemble de mesures. Parmi ces mesures, le royaume, dont la dette extérieure ne cesse d’augmenter, a décidé d’emprunter 58 milliards de dollars sur les marchés internationaux. Ceci coïncide avec un effritement de la réserve en devises du royaume, à cause des politiques de MBS. Le royaume dispose ainsi d’une réserve d’environ 464 milliards de dollars, on est loin des 737 milliards de dollars dont disposait le royaume en 2014.
Devant une telle situation, le ministre saoudien de l’économie, Mohammad al Jadaan, annoncé le 11 mai 2020 un plan d’austérité sans précédent pour stabiliser l’économie saoudienne. Ce plan comprend le triplement du taux de la TVA, qui passe à partir de juillet 2020 de 5 à 15%. Le triplement du taux de la TVA ne manquera pas de provoquer une flambée des prix qui se répercutera sur le pouvoir d’achat de la population saoudienne. Le plan comprend également la suppression à partir de juin 2020 de l’allocation attribuée aux fonctionnaires pour faire face à la hausse du coût de la vie. Il s’agit d’une prime de l’ordre de 267 dollars, dont bénéficie environ un million et demi de fonctionnaires. Enfin ce plan prévoit une réduction de dépenses publiques, allouées à plusieurs secteurs publics et certains projets entrant dans le cadre de la « Vision 2030 », qui a été dès à présent amputé de 8 milliards de dollars. L’objectif du royaume est d’économiser 26 milliards de dollars pour faire face au déficit budgétaire.
Alors que la plupart États ont opté pour le versement d’aides aux populations, afin de soutenir leur pouvoir d’achat et éviter du coup l’effondrement de la consommation, le pouvoir saoudien a opté pour une sévère politique d’austérité qui aura un énorme impact social. Le ralentissement de l’économie, combinée avec une politique d’austérité, auront un sérieux impact sur le marché de l’emploi en Arabie Saoudite, un pays qui connait un fort taux de chômage et dont plus de la moitié de la population est composée de jeunes. Cette crise économique que connait le royaume, risque de remettre en cause le plan « Vision 2030 » de Mohammad Ben Salman, notamment son projet de construction de la ville de Neom sur la mer Rouge, une ville futuriste dont la construction coûterait plus de 500 milliards de dollars. Ce plan est au cœur de sa stratégie de conquête de pouvoir de MBS, pour lequel le prince héritier a déployé d’énormes moyens de communication pour lui faire de la publicité auprès de ses alliés occidentaux.
La guerre du Yémen risque également d’aggraver la crise économique que connait le royaume. Cette guerre lancée par MBS en 2015 et qui coûte au royaume 5 milliards de dollars mensuellement, selon les estimations, constitue un gouffre financier pour le royaume. Malgré cette situation, MBS refuse de mettre un terme à ce conflit qui a créé un véritable chaos et une grave crise humanitaire. Lancée sans réel objectif, cette guerre risque de coûter très cher au royaume. L’incapacité de l’armée saoudienne à remporter une victoire décisive sur les Houthis qui dorénavant n’hésitent pas à frapper des cibles stratégiques au cœur du royaume, constitue un énorme défi en termes de sécurité. Malgré les sommes pharamineuses englouties, depuis des décennies, dans l’achat d’armement sans réelle efficacité sur le terrain, les dirigeants saoudiens n’arrivent même plus à sécuriser leur propre territoire des menaces provenant du Yémen, avec lequel le royaume partage 1 800 kilomètres de frontières.
La crise économique que connait le royaume intervient dans un contexte marqué par le renforcement, par Mohammad Ben Salman, de son emprise sur le pouvoir et un durcissement de la répression contre ses opposants. Une répression qui touche dorénavant la famille royale saoudienne, qui n’est plus à l’abri de la poigne de fer du jeune prince. MBS a d’ailleurs ordonné, le 9 mars 2020, dans un geste soudain et brutal l’arrestation de trois grands princes saoudiens. Il s’agit du prince Ahmed Ibn Abdul Aziz (propre oncle de MBS), de l’ancien prince héritier et cousin de MBS, Mohammad Ben Nayef et de son frère Nawaf Ben Nayef, qui ont été accusé d’avoir « fomenté un coup dans le but de renverser le roi et le prince héritier ». Ces princes, qui appartiennent au puissant clan des Soudeiri auquel appartient également le roi Salman et MBS et qui sont de potentiels prétendants au trône saoudien, risquent la prison à vie voire la peine de mort. Le prince Ahmed est réputé pour ces critiques à l’encontre des politiques du nouveau prince héritier, notamment en ce qui concerne la guerre au Yémen. Après un bref exil en Angleterre, le prince Ahmed est rentré au royaume dans un contexte marqué par l’éclatement de l’affaire Khashoggi. Son retour en Arabie Saoudite, a été interprété comme une volonté du prince de montrer son soutien à la monarchie, qui faisait face à de terribles pressions à cause de l’assassinat du journaliste saoudien en Turquie. Pour sa part l’ancien prince héritier, le prince Mohammad Ben Nayef, était déjà sous résidence surveillée depuis la « purge » lancée par MBS en novembre 2017.
A travers l’arrestation de ces trois princes, Mohammad Ben Salman a irrémédiablement cassé le consensus historique du traditionnel équilibre de pouvoir, qui a caractérisé la monarchie saoudienne, depuis sa formation en 1932. Tout en cherchant à supprimer les derniers obstacles devant sa marche vers le trône, MBS a voulu lancer un avertissement à la famille royale qu’il ne tolérerait aucune critique ou opposition à sa politique et qu’il n’hésiterait pas à employer la force contre tout contrevenant, comme cela été le cas avec la princesse Basma bint Saoud Ibn Abdul Aziz. Cette princesse, qui a ouvertement critiqué le bilan du royaume en matière des droits des femmes, a été arrêtée avec l’une de ses filles par MBS en février 2019. La princesse Basma a publié le 17 avril 2020 un tweet, à travers lequel elle implore le roi Salman et le prince héritier de la libérer à cause de son état de santé qui ne cesse de se détériorer dans la prison de Hayer, affirmant ne pas avoir reçu de soins médicaux.
La soif de pouvoir qui anime ce dernier, depuis l’avènement de son père sur le trône saoudien et son ascension politique fulgurante, l’ont poussé à vouloir toujours renforcer sa position, en cherchant à concentrer entre ses mains tous les leviers du pouvoir. L’objectif ultime de MBS est devenir l’unique centre de pouvoir. Pour réaliser son objectif, ce dernier a mis en place une féroce répression contre toute opposition à son pouvoir et à ses ambitions, peu importe son origine, tout en cherchant à apparaitre comme un prince réformateur aux yeux de ses alliés occidentaux. Son emprise sur le pouvoir s’est même étendue aux réseaux sociaux saoudiens, sur lesquels il exerce un contrôle très strict, en n’acceptant aucune critique. Ceci explique les vagues d’arrestations lancées régulièrement par MBS contre ses opposants qui appartiennent à tout le spectre politique saoudien. Des arrestations qui ont touché, depuis 2017, plusieurs figures emblématiques du mouvement de la Sahwa al Islamiyya (Éveil islamique), comme les Cheikhs Salman al Awda et ‘Ayed al Qarni.
La répression exercée par MBS, s’est également étendu aux figures du courant libéral saoudien ainsi qu’aux activistes des droits de l’Homme et des droits des femmes, comme les militantes Israa Al-Ghomgham, Lujain al Hathloul et Samar al Badawi (sœur du blogueur saoudien Raif al Badawi, emprisonné depuis 2012). L’arrestation de ces militants, qui sont détenus dans des conditions très difficiles, illustrent bien la façon brutale avec laquelle MBS conçoit et exerce le pouvoir. Une brutalité qui a causé la mort, le 24 avril 2020, de l’académicien et grand activiste saoudien des droits de l’Homme, Abdallah al Hamed. Ce dernier, qui était emprisonné depuis 2013, est décédé en prison suite à la détérioration de son état de santé. Le compte Twitter « Détenus d’opinion », qui défend les détenus en Arabie saoudite, a confirmé la mort d’Abdullah al Hamed dans l’une des prisons du royaume. Ce compte a accusé le régime saoudien de négligence médicale délibérée, affirmant que l’administration pénitentiaire a laissé al Hamed dans le coma pendant plusieurs heures avant de le transférer à l’hôpital, ce qui a provoqué sa mort.
Mohammad Ben Salman doit également faire face à une contestation d’origine tribale cette fois, provoquée par son projet phare Neom. La construction de cette ville futuriste dans la province de Tabuk, au nord-ouest du royaume, sur la mer Rouge, a déclenché une vague de contestation, suite la décision du pouvoir saoudien de procéder au déplacement forcé de la tribu d’al Howeitat. Cette tribu, qui habite cette région depuis des siècles, est une importante tribu saoudienne qui a également une branche jordanienne, palestinienne et égyptienne.
Cette contestation s’est intensifiée ces derniers temps et a pris une tournure sanglante après l’assassinat, par les forces de l’ordre saoudiennes, d’Abdul Rahim al Howeiti, un activiste tribal opposé au projet Neom. Selon des messages et des vidéos postés sur les réseaux sociaux, ce dernier a exprimé son refus d’être expulsé de sa maison pour la construction de la mégapole, voulu par MBS. L’assassinat de ce militant a accru les tensions locales à l’égard du projet de Neom et a donné lieu à une campagne de solidarité avec al Howeiti sur les réseaux sociaux. Les internautes ont ainsi critiqué avec virulence cet assassinat ainsi que la décision du pouvoir saoudien de déplacer les habitants de la tribu d’al Howeitat.
L’Arabie Saoudite doit faire face à d’énormes défis économiques, qui ne manqueront pas d’avoir d’importantes conséquences sociales. Le royaume est à l’aube d’énormes changements socio-économiques qui ont auront probablement un impact sur le plan politique. La crise que connait le royaume risque de bouleverser le fameux contrat social saoudien. Un contrat à travers lequel le régime saoudien s’est engagé à fournir des services à la population comme l’éducation, la santé, le logement ainsi que les emplois dans le secteur public, en contrepartie la population saoudienne continuera à prêter allégeance à la monarchie saoudienne en renonçant à toute forme de participation politique au pouvoir. Cette situation risque d’être aggravée par les politiques de Mohammad Ben Salman et sa façon brutale d’exercer le pouvoir, dont le but ultime est de s’installer sur le trône saoudien, mais à quel prix ? Des politiques qui ont causé la dilapidation de la richesse du royaume et la réduction de son influence régionale.
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Kamal Kajja est Docteur et chercheur en géopolitique, analyste de l’Observatoire du cyber monde arabophone (Chaire Castex de cyberstratégie/ IHEDN/ IFG) de 2016 à 2019.
[1] Cf. Troisième partie
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Date de publication / Date of publication : 28 juin 2020
Titre de l'article / Article title : L’Arabie Saoudite à l’heure de la pire crise économique de son histoire ?
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Kamal Kajja met en perspective cette crise causée par la guerre du pétrole lancée par MBS avant d’analyser son impact sur les relations américano-saoudiennes et sur une économie saoudienne marquée par la pandémie COVID-19. Une crise qui intervient sur fond d’un autoritarisme qui ne cesse de se renforcer.
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