Si la réalisation du programme économique du nouveau Président français pourrait aller dans le sens d’une réelle convergence économique franco-allemande, le projet européen de E. Macron, favorable à une réforme en profondeur de la zone euro, est en revanche loin de faire consensus outre-Rhin.
LES PREMIERS PAS de la nouvelle marche présidentielle bercés par l’Ode à la joie de Beethoven, sur un poème de Schiller, une passation symbolique des pouvoirs en commémorant la victoire sur l’Allemagne nazie et une première visite annoncée dans la capitale allemande : jamais auparavant l’Allemagne n’a été si présente dans la symbolique d’intronisation d’un nouveau Président de la République française. La mise en scène habile de l’esprit européen, parfaitement orchestré le 7 mai 2017 devant le décor somptueux du Louvre, nourrit des attentes fortes chez les Allemands, impatients de voir le moteur franco-allemand émerger de son long sommeil. Outre-Rhin l’espoir est grand que la France puisse s’affranchir de ses blocages, réduire sa dette et surmonter son déclin économique pour redevenir enfin, après des années de léthargie, ce grand partenaire en Europe que les Allemands appellent de leurs vœux. Si Emmanuel Macron devait réussir son pari de réformer la France, ce serait perçu comme le meilleur gage pour une relance européenne. Ouvertement appuyé par Wolfgang Schäuble (CDU), le ministre des Finances, le projet de réforme du nouveau Président français semble d’ailleurs s’inspirer de l’élan réformateur du chancelier Gerhard Schröder qui avait réussi douze ans auparavant à moderniser de fond en comble l’économie allemande. L’objectif consistant à relancer l’emploi en France - via l’assouplissement du code du travail, la baisse des cotisations sociales et la flexibilisation du temps de travail - est, de l’avis des Allemands, rien de moins qu’un « Agenda 2010 » à la française, capable de donner enfin des ailes à la compétitivité française. De plus, la refondation du dialogue social et de la négociation collective serait une preuve supplémentaire que la France se réapproprie les vertus qui ont fait la réussite du capitalisme rhénan. S’il devait réussir, ce « new deal » macronien pourrait enfin réconcilier les Français avec l’économie sociale de marché et apporter un cinglant désaveu aux populismes qui menacent l’Europe.
Si la réalisation du programme économique du nouveau Président français pourrait donc aller dans le sens d’une réelle convergence économique franco-allemande, le projet européen de Macron, favorable à une réforme en profondeur de la zone euro, est en revanche loin de faire consensus outre-Rhin. L’idée d’une plus forte coordination des politiques économiques au sein de la zone euro, dotée d’un budget propre – également réclamé par le candidat du SPD Martin Schulz -, et supervisée par un ministre de l’Economie et des Finances présupposerait tout d’abord une modification des traités européens. Une entreprise risquée dans un contexte européen labile ; à fortiori,l’unanimité des pays membres pour une telle réforme paraît improbable. Fidèle à l’impératif européen de rigueur budgétaire, Angela Merkel continue à exhorter Paris à réduire son déficit public et à respecter le Pacte de stabilité, plutôt que de se lancer dans cette nouvelle aventure institutionnelle européenne. C’est pourquoi les Allemands restent opposés à l’introduction des Eurobonds –comme l’a rappelé le 8 mai 2017 le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert–, et à l’idée de mutualiser la dette européenne, potentiellement à charge du contribuable allemand. Même si M. Schäuble a jugé le 12 mai 2017 dans un entretien à l’hebdomadaire Der Spiegel l’excédent commercial allemand trop élevé et les transferts financiers au sein de l’UE d’autant plus nécessaires, la question « Combien nous coûte Macron ? » fait la Une des journaux allemands. Aussi, le gouvernement actuel ne déroge-t-il pas à sa position : il souhaite que la France s’attelle déjà à des réformes majeures avant de mettre en œuvre un vaste programme d’investissements publics, notamment destinés à rénover les infrastructures allemandes, qui sont, reconnaissons-le, souvent désuètes, comme l’appelle de ses vœux Emmanuel Macron.
Mais l’orthodoxie budgétaire prônée par la chancelière Angela Merkel ne fait pas que des émules en Allemagne au sein de la Grande Coalition. Les profondes divergences sur l’avenir de l’Union européenne entre le CDU et le SPD, instrumentalisées à des fins électorales, révèlent à quel point le scrutin législatif du 24 septembre 2017 sera décisif pour la feuille de route européenne du Président français. Ainsi, Sigmar Gabriel (SPD), favorable au projet de relance européenne, a appelé dès le 7 mai 2017 son gouvernement à faire preuve de souplesse budgétaire, en proposant notamment un fonds d’investissement franco-allemand en faveur de la croissance économique. Dans un projet présenté le 11 mai 2017, intitulé « Elysée 2.0 », l’actuel ministre des Affaires étrangères avance des idées en faveur d’un agenda franco-allemand pour l’Union européenne. Renouant avec les décisions prises lors du Conseil de l’Europe de décembre 2016, il propose notamment une politique commune de défense et de sécurité qui fait par ailleurs consensus outre-Rhin. Ainsi, le Livre blanc allemand sur la défense de l’été 2016 avait-il souligné la volonté des Allemands d’assumer des responsabilités militaires accrues sur la scène internationale, traduisant ainsi le « consensus de Munich », mais dans les limites d’une « puissance réfléchie », récalcitrante à l’usage de la force et soucieuse du pacifisme de la société allemande. Cette relance de l’Europe de la défense, souhaitée également par E. Macron, pourrait à terme générer une meilleure complémentarité, militaire et économique, voire un rééquilibrage entres les deux puissances allemande et française.
Herman Hesse : "Au début de toute chose, il y a un charme". Angela Merkel : "Mais le charme ne dure que si les résultats sont là."
Confrontée au dilemme entre stabilité et renouveau de sa politique européenne, la chancelière Angela Merkel, confortée par sa victoire en Rhénanie du Nord-Westphalie, fera-t-elle une ouverture à l’égard d’Emmanuel Macron, incarnant ainsi sa volonté de coopération ? L’élection présidentielle française est en tout cas un signal politique adressé à l’Allemagne : cette dernière ne peut plus rester les mains croisées, en losange. Depuis le soir du 7 mai 2017, l’Union européenne est à nouveau un horizon mobilisateur, et le leadership semble avoir changé de camp.
Manuscrit clos le 15 mai 2017
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NDLR : A l’occasion de cet entretien, E. Macron a répété qu’il allait "conduire des réformes en profondeur pour restaurer la confiance" entre les deux pays. Il a aussi ajouté : "Je ne suis pas un promoteur de la mutualisation des dettes passées", précisant que la seule "mutualisation" à laquelle il pense doit porter sur l’avenir et donc sur les "investissements". A. Merkel, de son côté, a fait preuve de bonne volonté au sujet des propositions de son homologue concernant l’intégration de la zone euro. "Du point de vue allemand, il est possible de changer les traités si cela fait sens." Elle s’est donc déclarée plus ouverte que son ministre des Finances, W. Schäuble. Elle a cependant tenu à citer cette phrase de l’écrivain allemand Herman Hesse : "Au début de toute chose, il y a un charme". Avant d’ajouter : "Mais le charme ne dure que si les résultats sont là." Source : Le Monde, 17 mai 2017, p. 8.
Historienne et économiste, Dorothea Bohnekamp est Maître de conférences à l’université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, où elle dirige le Master « Gestion et Marketing franco-allemands ».
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Date de publication / Date of publication : 15 mai 2017
Titre de l'article / Article title : E. Macron à Berlin : quelles sont les attentes de l’Allemagne ?
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