Voici 20 ans éclatait une crise majeure au Congo Brazzaville. Ambassadeur de France en poste, Raymond Césaire apporte un témoignage inédit sur la situation de crise à laquelle il a été confronté. Un éclairage exceptionnel sur une facette de la fonction de diplomate.
Dans les pays d’Afrique noire francophone où les crises sont fréquentes, l’Ambassadeur de France ne s’absente généralement de son poste que pour peu de temps et non sans prévoir de rapides possibilités de retour. Si le Département (ndlr : désigne l’administration centrale du MAEDI) m’avait laissé partir pour quelques jours de vacances à la fin du mois de mai 1997, c’est que la situation dans la région devenait moins préoccupante. La force « Pélican » qui, à l’image des initiatives prises par d’autres pays (Belgique, États-Unis, Royaume-Uni) avait mobilisé jusqu’à huit cents militaires français à Brazzaville en vue d’une évacuation de nos ressortissants de l’ex Zaïre, n’avait pas eu à intervenir et avait commencé à regagner ses bases. Au Congo Brazzaville même, des violences avaient opposé en mai 1997 dans le nord du pays des militants Mbochis de l’ancien Président Sassou à ceux, Kuyus, de l’ancien Président et ex Premier Ministre M. Yhomby Opango, mais, après une réunion solennelle tenue le 31 mai 1997 en présence du Directeur Général de l’UNESCO, les choses semblaient devoir rentrer dans l’ordre. Les protagonistes de la vie politique s’étaient formellement engagés à faire taire les armes et à redoubler d’efforts pour parvenir à tenir démocratiquement, quoique le délai fut fort court, les élections présidentielles prévues pour le mois de juillet 1997.
Celui qui par sa stature ou sa langue était reconnu comme n’appartenant pas à une « bonne ethnie » était au mieux dépouillé, au pire abattu.
Mais, lorsque sous prétexte d’une opération de simple police destinée à arrêter les responsables des violences du début mai, cinq ou six blindés entourèrent le 5 juin 1997 au matin la résidence de l’ancien Président Sassou, le feu se ralluma aussitôt avec une rare violence, montrant bien que chacun était non seulement sur ses gardes mais probablement prêt à en découdre. Très rapidement la ville se trouva divisée en deux camps que militaires et miliciens s’efforcèrent de contrôler chacun pour son compte en dressant des barrages de matériels hétéroclites aux principaux carrefours. La partie nord de la ville et les casernes qui s’y trouvaient furent investies par les partenaires de l’ancien Président Sassou ou se rallièrent à lui. Les forces gouvernementales basées dans le quartier dit du Plateau et à côté de l’aéroport occupèrent le centre de la ville appuyées par de l’artillerie et quelques blindés qui se mirent à bombarder l’adversaire sans objectif précis. Passer d’un camp à l’autre devint un exercice périlleux : celui qui par sa stature ou sa langue était reconnu comme n’appartenant pas à une « bonne ethnie » était au mieux dépouillé, au pire abattu, l’étranger se trouvant lui le plus souvent rançonné par les deux camps. Seul le quartier de Bacongo qui avait été le théâtre des violences de 1993/1994 se trouva cette fois à l’écart des affrontements du fait de l’attitude ambiguë de M. Kolelas, Maire de Brazzaville, allié dans l’opposition à M. Sassou mais dont certains collaborateurs participaient au gouvernement de M. Ganao, Premier Ministre du Président Lissouba, en exercice.
Preuve s’il en était besoin des arrière-pensées des adversaires, le téléphone fut immédiatement coupé dans certains secteurs, l’émetteur de fréquence modulée de Radio France Internationale un peu plus tard et tandis que la radio et la télévision gouvernementales entamaient une violente campagne pour dénoncer le coup d’État, une radio puis une télévision pirates baptisées « Radio Liberté » commencèrent à émettre au profit de l’ancien Président Sassou.
Rentré à Brazzaville le 6 juin 1997 au matin par le dernier vol d’Air France, je fus accueilli par le Chargé d’affaires, Laurent Viguier, le Général Landrin, commandant l’opération « Pélican » et le Colonel Athiel, Attaché de Défense, dans une ville en état de siège. On m’apprit que ma Peugeot 605 blindée utilisée la veille pour raccompagner à leur domicile des agents de l’Ambassade avait dû être abandonnée à un barrage. Elle fut remplacée le jour même par la Renault 25 de mon collègue à Libreville. Mon véhicule ne devait être récupéré que plus tard sérieusement endommagé par des tirs de roquette. Le démontage de l’opération « Pélican » avait été évidemment stoppé et des dispositions logistiques furent prises (retour de véhicules de transport blindés, envoi d’avions supplémentaires) pour assurer la sécurité et accélérer l’évacuation de nos ressortissants qui demandaient à partir. Les autorités congolaises ne firent pas de difficulté à ce que la France, comme les autres pays d’ailleurs, utilise le dispositif d’évacuation initialement mis en place pour le Zaïre au profit de ses ressortissants au Congo. Mais la bonne volonté de l’Etat major congolais se trouva très vite limitée par son incapacité à contrôler son propre camp. Circuler dans la ville nécessitait, outre une protection militaire, l’accord de jeunes chefs de bandes particulièrement agressifs qui tenaient les points de passage obligés de la ville, défiaient l’autorité des officiers de liaison de l’armée congolaise et recherchaient l’incident.
Le plan d’évacuation de la communauté française prévoyait, comme partout, des degrés d’alerte et des points de regroupement dans la ville. Il se trouva très vite dépassé. Devant l’intensité des tirs et l’impossibilité de circuler autrement que sous escorte militaire, le départ de nos compatriotes dût être échelonné en fonction des risques qu’ils encouraient et des possibilités d’accès des quartiers où ils se trouvaient. L’Ambassade de France décidait des évacuations en liaison avec l’État-major de l’opération « Pélican », lui-même en contact avec les militaires congolais des deux camps, et les services consulaires. Il fallait renseigner nos compatriotes, les rassurer, faire transmettre des messages aux familles en France et établir, le cas échéant, les documents nécessaires à leur voyage. Les éléments de la force « Pélican » dont l’effectif fut porté à 1200 hommes, étaient chargés de localiser les personnes à évacuer, de les aider à se rassembler en convois avec éventuellement leurs propres véhicules pour être amenés à l’Aéroclub et de là sur Libreville où ils étaient accueillis au camp De Gaulle.
L’Ambassade de France à Brazzaville n’a pas poussé à l’évacuation, convaincue que ceux qui partaient, soulagés d’avoir sauvé leur vie, seraient rapidement très amers d’avoir dû sacrifier leurs biens. Les pillages qui suivirent immédiatement la plupart des évacuations confirmèrent ces craintes. L’exode devint par ailleurs massif lorsque, en même temps que les Français, les doubles nationaux d’origine congolaise et les étrangers des pays amis demandèrent à ce qu’on les aide à quitter le pays. Au total, plus de six mille personnes dont près de deux mille de nos compatriotes furent « extraites » des zones de combat dans des conditions la plupart du temps difficiles et parfois dangereuses. C’est au cours d’une de ces opérations qu’un jeune légionnaire fut tué tandis que deux de ses camarades étaient très sérieusement blessés. En revanche, et le résultat est assez remarquable, aucune victime ne fut à déplorer parmi les civils évacués par nos troupes.
Même si l’Ambassade de France à Brazaville fut la seule représentation diplomatique à rester, la question de son maintien après le départ de la force « Pélican » ne se posa pas vraiment. En effet, pendant que se déroulait l’opération d’évacuation, la diplomatie n’était pas inactive. Les contacts que nous avions maintenus avec les responsables politiques, civils et militaires, le poids que gardait la France dans les affaires du Congo-brazzaville et les moyens de transmission dont disposait l’Ambassade rendaient la présence de celle-ci utile, voire indispensable. Ses effectifs furent néanmoins réduits au minimum, une douzaine de membres auxquels s’ajoutèrent une trentaine de gendarmes pour assurer la sécurité des sites de la Chancellerie dans le centre ville et de la « Case de Gaulle », surnom de la résidence de l’Ambassadeur, dans le quartier de Bacongo.
La première offre de médiation faite par M. Kolélas, Maire de Brazzaville et troisième personnage du jeu politique local ayant été acceptée par les belligérants, c’est à la chancellerie proche de la ligne de front et sous la protection des éléments de la force « Pélican » qui se trouvaient encore là que furent négociés et signés les premiers accords de cessez le feu entre les états majors. Ils eurent pour conséquence une accalmie passagère qui favorisa l’évacuation de nos ressortissants. Parallèlement, un appel avait été lancé au Président Bongo du Gabon. Celui-ci, d’une origine ethnique voisine de celle du Président Lissouba dont il avait soutenu l’accession à la Présidence et marié à une fille du Président Sassou, avait avec chacun des adversaires des liens privilégiés. C’est son intervention qui avait déjà permis de dénouer la crise de 1993/1994. La France s’empressa donc de soutenir cette initiative qui reçut la double bénédiction d’une résolution de l’ONU et de l’Organisation de l’Unité Africaine en la personne d’un émissaire commun, l’Ambassadeur algérien Mohammed Sahnoun, fin connaisseur de la zone et bien accepté par toutes les parties. Les communications téléphoniques nationales et internationales étant coupées, c’est par l’Ambassade de France que transitèrent la plupart des messages échangés dans le cadre de cette médiation. Il en fut de même lorsque l’affaire fut portée devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies où la France se montra l’une des rares à soutenir l’envoi rapide d’une force multinationale.
Quelques jours après le déclenchement du conflit, le Président Lissouba m’avait demandé de transmettre au Président de la République Française et au Premier Ministre deux lettres rédigées en termes voisins, qu’il se proposait de faire expliciter à Paris par deux émissaires différents et au terme desquelles il souhaitait le maintien d’une partie de nos forces pour venir à bout de la « tentative de coup d’Etat ». Ayant moi-même échoué lorsque j’avais suggéré que l’on étudiât dès le début de la crise une formule française d’interposition, je laissais peu d’espoir au Président Lissouba quant à une suite favorable et je l’encourageais à faire aboutir au plus vite la médiation du Président Bongo.
En rendant compte de la demande présidentielle à Paris, j’avais rappelé le rôle modérateur que jouaient les éléments de la force « Pélican » dans certaines zones et notamment autour de l’aéroport où personne n’osait les attaquer. Leur départ créerait un vide que les adversaires pressés d’en découdre combleraient par un redoublement de violence. Les forces gouvernementales, qui auraient des difficultés à garder le contrôle de certaines zones, nous rendraient indirectement responsables de leurs défaillances.
Ce scénario ne manqua pas de se produire. Le départ le 20 juin 1997 de la force « Pélican » fut suivi d’une reprise généralisée des combats et d’une agressivité accrue à l’égard des Français et notamment des agents de l’Ambassade qui, accompagnés parfois de quelques journalistes, s’efforçaient de poursuivre leur mission de contact et de bons offices. C’est pour tenter d’enrayer cette dégradation de la situation que je demandais audience au Président Lissouba. J’espérais le persuader d’accepter notre position de neutralité qu’il savait juridiquement fondée, puisque aucun accord ne nous liait avec le Congo, et l’inciter à faire aboutir l’envoi d’une force internationale à laquelle nous étions prêts à apporter un appui logistique.
Le gendarme qui m’accompagnait fut assommé d’un coup de crosse dans la figure tandis que j’étais traîné hors de la voiture. Je restais quelques longues secondes à plat ventre sur le sol sous la menace d’une kalachnikov en évitant de réagir. Au milieu des cris, une voix rappela enfin que j’étais l’Ambassadeur de France et qu’il convenait de me relâcher.
Le Président Lissouba me reçut le 24 juin 1997 avec sa courtoisie habituelle, mais dans une atmosphère tendue. Il me parut désemparé. Des informations alarmantes venaient de l’aéroport d’où j’avais dû moi-même quelques instants avant rebrousser chemin. C’est en sortant de cette audience, alors que je me trouvais dans la voiture du Président où, selon un protocole que nous avions déjà utilisé, j’avais pris place avec un de mes gardes du corps, que le véhicule fut arrêté par un énergumène dépenaillé et vociférant. Le gendarme qui m’accompagnait fut assommé d’un coup de crosse dans la figure tandis que j’étais traîné hors de la voiture. Je restais quelques longues secondes à plat ventre sur le sol sous la menace d’une kalachnikov en évitant de réagir. Au milieu des cris, une voix rappela enfin que j’étais l’Ambassadeur de France et qu’il convenait de me relâcher. Je rentrais au Palais à pied, « froissé » comme le disent plaisamment les Congolais, accompagné d’un garde du corps ensanglanté et encadré des quelques militaires dont j’eus le sentiment qu’ils faisaient écran pour que l’on ne nous tire pas dans le dos.
Avertie de l’incident, Mme Munari, Directeur du Cabinet présidentiel, nous accueillit avec une mine contrite et crispée. Le garde de sécurité fut délesté de son talkie-walkie et du pistolet qui se trouvait à sa ceinture avant qu’une infirmière ne vienne avec du coton et un flacon d’alcool pour nettoyer ses plaies. Un plateau de jus de fruit nous fut proposé. Mme Munari s’éclipsa. Le Président ne parut pas. L’aide de camp du Président nous raccompagna une demi-heure plus tard à la Chancellerie diplomatique dont tous les membres avaient été informés par radio de l’incident sans en connaître le détail
Je rendis compte à Paris sans vouloir dramatiser l’affaire. L’agression n’avait pas été préméditée, elle traduisait davantage la dégradation de l’autorité présidentielle que celle de nos relations. Comme un tel incident ne pouvait être laissé sans réaction, il fut convenu que le Secrétaire Général du Quai d’Orsay convoquerait l’Ambassadeur du Congo à Paris pour lui faire les récriminations d’usage. Quelle ne fut pas la surprise de M. Dufourcq de constater que M.Nguimbi, sans mettre formellement en doute la véracité de l’agression, n’avait visiblement pas reçu instruction d’exprimer des regrets mais insinuait que, par mes allées et venues dans la ville, je jouais – sans doute au profit de l’adversaire – un rôle trouble qui m’exposait à de telles mésaventures. Le Secrétaire Général se montra, me dit-on, très irrité et la cote du gouvernement congolais comme celle de son représentant à Paris ne s’en trouva pas relevée.
Cet incident et l’incapacité des Congolais à le gérer marquèrent le paroxysme d’une période de tension entretenue par l’attitude de dépit du Président Lissouba. Celui-ci, dépassé par les évènements et sans doute inquiet pour sa sécurité, laissa accréditer la rumeur complaisamment distillée par son entourage selon laquelle la France avait pris position contre lui. Reprise et analysée en termes extrêmement virulents par les medias officiels qui prenaient également la société ELF et le Président Chirac personnellement pour cible, cette contre vérité ne pouvait que desservir le gouvernement auprès d’une large partie de la population restée attachée à l’image de la France.
La vie de l’Ambassade de France se ressentit pendant quelques jours de cette tension : les déplacements dans la ville se firent plus rares pour éviter tout incident : les journalistes que nous hébergions, empêchés de quitter le pays pour des raisons de sécurité ou l’absence de moyens, furent contraints de partager le confinement et l’ordinaire, composé essentiellement de rations militaires, des pensionnaires de la Chancellerie. L’humour, entretenu par le spectacle à la fois dramatique et cocasse des militaires qui pillaient les alentours, n’en perdit pas ses droits.
Comme souvent en temps de guerre, en Afrique ou ailleurs, à cette période de grande tension succéda une certaine accalmie. La médiation nationale qui maintenait le contact avec nous parvint à préparer un second cessez le feu que le Président Bongo allait s’employer à faire aboutir. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies espérait encore, pour sa part, faire accepter l’envoi d’une force internationale qui, rapidement constituée, devait permettre de faire l’économie d’une opération plus lourde de maintien de la paix.
Le mois de juillet 1997, plus détendu que le précédent, se passa en tractations. Les émissaires envoyés par les belligérants et la société civile se plaisaient à Libreville où ils étaient royalement traités par le Président Bongo dans les deux plus grands hôtels de la ville. Les négociations aboutirent à un nouveau cessez le feu mis en vigueur le 14 juillet 1997 et relativement bien respecté pendant une dizaine de jours. L’Ambassade reprit ses déplacements et joua à nouveau son rôle d’intermédiaire entre les différentes instances de la médiation. Profitant de cette embellie, j’abandonnais mon studio de crise de la Chancellerie pour me réinstaller la nuit à la Résidence. Mon épouse, restée à Paris, vint me rejoindre via Kinshasa en effectuant la traversée du fleuve en pirogue à la surprise de pas mal d’amis congolais. Nous organisâmes pour la Fête nationale du 14 juillet une réception de quelques deux cents personnes autour du Comité national de médiation à laquelle assistèrent le Premier Ministre, quelques uns des chefs de file des partis et la poignée de nos compatriotes, principalement religieux, restés sur place.
L’espoir existait encore, à ce moment là, d’un règlement politique : M. Kolelas, en dépit de l’engagement toujours plus poussé de quelques uns de ses proches aux côtés du Président Lissouba, gardait une position d’équilibre le faisant apparaître comme incontournable dans l’adoption d’une solution négociée. Le quartier de Bacongo, son fief, se trouvait en même temps non seulement préservé des bombardements mais offrait un havre de relative sécurité à ceux qui se sentaient menacés. Les marchés étaient achalandés et un semblant de vie nocturne pouvait se maintenir.
Le Conseil Constitutionnel, qui avait été installé dans ses fonctions après le début de la crise, prit, le 19 juillet 1997, sa première et unique décision, celle de proroger indéfiniment le mandat du Président Lissouba. Sans base juridique sérieuse, cette décision était politiquement mauvaise puisqu’elle rendait plus difficile l’adoption par les parties d’une solution de compromis. La fin théorique du mandat du Président Lissouba prévue en principe par la Constitution pour le 31 août 1997 devint un enjeu renforçant dans les deux camps, et singulièrement celui du gouvernement qui voyait sa légitimité confirmée et se croyait militairement le plus fort, le sentiment qu’il parviendrait à l’emporter. Les différents pourparlers s’enlisèrent, les informations selon lesquelles le gouvernement avait procédé à d’importants achats d’armes et de munitions ainsi qu’au recrutement d’un groupe de mercenaires pour servir des hélicoptères de combat en cours de montage à Pointe Noire furent confirmées. Parallèlement, le Général Yhomby Opango se serait vu confier une mission pour rechercher auprès de l’UNITA angolaise de M. Jonas Savimbi un appui en hommes et en matériel que le gouvernement n’avait visiblement pas trouvé du côté de José Eduardo Dos Santos et du MPLA, mouvement communiste de libération de l’Angola. Cette collusion fut certainement, après la mise en cause de la France, la seconde grande erreur du Président Lissouba. Les liens de M. Sassou avec M. Dos Santos, comme avec un certain nombre de chefs d’État qui avaient été ses pairs ou qu’il avait aidés au cours de ses treize années de présidence étaient connus et le risque pris par le Président Lissouba devait être fatal.
Derrière le ballet des émissaires qui allaient et venaient à Libreville pour tenter de sauver la négociation et celui des courtiers signalés dans plusieurs capitales pour procéder à des achats d’armes, la guerre dans Brazzaville s’intensifia. Le 26 août 1997, deux hélicoptères MI 8 et MI 24 de construction russe firent une première incursion aussi rapide que spectaculaire le long du fleuve tirant dans un fracas assourdissant leurs salves de roquettes sur le quartier de Mpila où se trouve la résidence de M. Sassou. Cette offensive fut complétée par une généralisation des tirs et l’annonce faite par la radio qu’une partie des quartiers nord de la ville était tombée aux mains des forces gouvernementales.
Dans le centre ville, la Chancellerie, située sur la ligne de front qui n’avait pas bougé depuis le début des combats, fut atteinte de plusieurs tirs d’obus et de roquettes et se trouva à la fin du mois d’août 1997 dans une situation critique. Les visiteurs avaient disparu, les déplacements pour s’y rendre étaient à nouveau source d’incidents et la sécurité des personnels se trouvait menacée. Cette dégradation prévisible de la situation nous avait incités à ramener progressivement à la résidence une partie des matériels et à envisager un repli des personnels en confiant les locaux à la garde d’un détachement des forces gouvernementales stationné dans les jardins et dont nous assurerions l’entretien. Cette solution de repli en bon ordre avait reçu l’accord de Paris et, tacitement, celui des deux belligérants visiblement pressés d’arriver au contact dans cette zone.
Le 29 août 1997, une cohorte d’une vingtaine de véhicules lourdement chargés, encadrés par nos gendarmes, traversa la ville sous l’œil méfiant des miliciens gouvernementaux mais sans incident. La radio rendit compte de ce repli comme d’une déroute. La vie, y compris administrative, s’organisa désormais à la résidence et dans quelques dépendances voisines du quartier de Bacongo, l’un des problèmes les plus délicats étant de faire fonctionner le « chiffre » [1] dans des conditions satisfaisantes.
Après l’échec des diverses médiations et un degré de plus dans l’escalade militaire, un nouvel épisode de la crise congolaise s’ouvrit à la fin du mois d’août 1997 avec le quartier de Bacongo comme scène et M. Bernard Kolélas comme principal acteur.
M. Ganao, Premier Ministre qui avait été appelé à ce poste en septembre 1996 pour garantir le bon déroulement des élections, avait été tenté depuis le début de la crise de donner sa démission sans jamais s’y résoudre. Devant le redoublement de la violence et l’impasse politique dans laquelle se trouvait le pays, nous l’avions encouragé à prendre une initiative en ce sens pour débloquer la situation. Il fut en fait devancé par M. Kolelas qui créa une nouvelle formation baptisée « Espace républicain pour la défense de la démocratie et de l’unité nationale » (ERDDUN). Celle-ci devait en principe avoir vocation à regrouper tous les partis politiques sans exception. L’accord préalable ne fut manifestement pas pris et M. Sassou et quelques uns des autres leaders politiques tenus à l’écart eurent beau jeu de dénoncer une manœuvre politique ourdie contre eux. C’est cette construction politique à la tête de laquelle il se retrouva curieusement aux côtés de M. Yhomby, qui devait permettre à M. Kolelas d’accéder au poste de Premier Ministre auquel il fut appelé le 8 septembre 1997.
Pensant avoir assuré sa supériorité sur le plan militaire, grâce notamment à la multiplication des interventions des hélicoptères et avoir mis définitivement M. Kolelas dans son jeu, le Président Lissouba eut le sentiment d’avoir définitivement marginalisé M. Sassou. Il entreprit une série de déplacements à l’extérieur du pays et notamment à Libreville et à Paris en espérant rallier ses interlocuteurs à ses thèses. Sa déception fut grande de ne pas parvenir à convaincre le Président Bongo, et de ne pas être reçu par le Président Chirac. Peu importait, sûr de son bon droit et de sa force, le Président Lissouba fit constituer par M. Kolelas un gouvernement dans lequel se retrouvaient presque tous les Ministres du Cabinet précédent, laissant aux représentants de M. Sassou, s’ils voulaient y participer, quatre portefeuilles, dont celui de la Justice pour prouver qu’il n’y aurait pas de chasse aux sorcières. Cette annonce était évidemment bien éloignée des prétentions toujours affichées de M. Sassou au poste de Premier Ministre puisqu’il avait déclenché la crise et tenu jusque là en échec le Président Lissouba.
C’est une fois encore par dépit, comme dans sa réaction vis-à-vis de la France, que le Président Lissouba commit une nouvelle erreur en s’abstenant de participer au dernier sommet des huit Chefs d’État les 14 et 15 septembre à Libreville, ne réunissant que Abdou Diouf du Sénégal, Gnassingbe Eyadema du Togo, Alpha Oumar Konare du Mali, Ange-Félix Patassé de la Centrafrique, Idriss Déby du Tchad, Théodore Obiang Nguema de la Guinée équatoriale et Omar Bongo du Gabon. Non seulement il dépêcha M. Kolélas, chef d’un gouvernement formé la veille et davantage en quête de notoriété que capable de faire le poids face à M. Sassou pour le représenter, mais il tourna ostensiblement le dos à ses pairs en se rendant le jour même en visite à Kinshasa, Kampala et Kigali à la recherche de nouvelles alliances ou de fournitures militaires.
En dépit de l’agitation tardive des Nations Unies pour obtenir à nouveau un cessez le feu et la mise sur pied d’une opération de maintien de la paix, l’échec du sommet de Libreville scella « la montée aux extrêmes ». Tandis que M. Kolelas, nouveau Premier Ministre, faisait de la figuration à Brazzaville, le Président Lissouba et son entourage multiplièrent les déplacements pour assurer leurs arrières et accumuler de l’armement. De son côté, M. Sassou, délaissant sa résidence de M’Pila, faisait des va-et-vient discrets sur le nord du pays où il recevait des émissaires de pays voisins. Sans doute se préparait-on des deux côtés à une offensive finale mais, le poids des armes paraissait tellement disproportionné en faveur du camp gouvernemental, que seuls l’expérience et des recoupements d’informations venues des pays limitrophes permettaient de penser que rien n’était gagné pour le Président Lissouba.
La première quinzaine d’octobre 1997 se déroula dans la plus grande confusion. Tout en se préparant à l’offensive finale, le camp gouvernemental évacuait vers le sud tout ce qui était transportable. Le quartier de Bacongo reçut un certain nombre d’obus dont plus personne ne connaissait l’origine. Des tirs ayant touché Kinshasa et fait une vingtaine de victimes, les forces du Président Kabila répliquèrent indistinctement sur les positions des deux belligérants et sur celles de M. Kolelas pour faire bonne mesure. La crainte s’installa lorsqu’à une intensification des bombardements par hélicoptères, répondirent un ou deux raids meurtriers de Mig 21 qui n’appartenaient pas aux forces gouvernementales. De bouche à oreille, puis repris par « Radio Liberté », la rumeur courut que les Forces démocratiques et patriotiques (FDP) de M. Sassou avaient conseillé aux habitants de Bacongo de quitter le quartier.
Précédée par d’intenses tirs d’artillerie, une avancée le long du fleuve et en quelques points du front, qui fut saluée par les medias comme l’offensive finale, fit croire pendant quarante huit heures que les forces gouvernementales allaient l’emporter. Cette poussée avait été en réalité d’autant plus facile que par tactique ou crainte des bombardements, les zones concernées avaient été désertées. L’euphorie de la victoire fut donc de courte durée. Tandis que du côté gouvernemental les hiérarques du régime revenaient de leurs fructueux déplacements ou que l’on se préoccupait de réapprovisionner le front en munitions, l’initiative fut reprise par le camp de M. Sassou. Canons, mortiers et BM-21 (lance-roquettes mobile descendant du fameux « orgue de Staline ») que l’on n’avait jamais entendus jusque là avec une telle puissance de feu entrèrent en action. Ils neutralisèrent d’abord le quartier de Mfilou où se trouvait l’artillerie gouvernementale qui contrôlait l’aéroport, puis les différentes enceintes militaires. Le domaine présidentiel, qui avait été jusqu’ici épargné, devint une cible de même que les installations de M. Kolelas à Bacongo. On sut plus tard que des troupes angolaises appuyées de blindés et regroupées sous des couverts à une quarantaine de kilomètres au nord de Brazzaville avaient prêté main forte à cette courte offensive.
Désemparé, le Président Lissouba, au soir d’une visite à Kinshasa, ramena quelques journalistes jusque dans son palais pour témoigner qu’il l’habitait encore, puis il s’en fut vers le sud passer la nuit dans une maison amie. M. Kolelas tint jusqu’au lendemain. En dépit de mes protestations, un groupe de ses miliciens « ninjas », servant une mitrailleuse lourde, s’était installé aux abords de la « Case de Gaulle » convertissant le site en un objectif idéal pour l’artillerie adverse. Une salve d’obus destinée à neutraliser cette pièce s’abattit le lendemain sur le cantonnement de nos gendarmes. Elle ne fit, miraculeusement, qu’un blessé léger.
C’est durant le week-end du 11 octobre 1997 que la situation des occupants de la résidence de l’Ambassadeur, rongeant leur frein en attendant un dénouement incertain, devint la plus critique. La tentation fut forte de lever le camp. Nous disposions d’un parc d’une trentaine de véhicules tout terrain laissés par les Français et étrangers évacués qui devaient nous permettre de quitter les lieux si la situation devenait intenable. La principale difficulté consistait à évaluer les risques. La route du nord où nous aurions sans doute été bien accueillis, impliquait de traverser la ligne de front. Prendre celle du sud nous exposait à être arrêtés sur des barrages hostiles, même si nous étions accompagnés d’officiers de liaison gouvernementaux. Rallier le Gabon par des pistes secondaires était aller au-devant de l’aventure compte tenu de la longueur du trajet. Les autorités de Kinshasa, dont la réaction mérite qu’on s’en souvienne, n’avaient pas accepté le principe d’une traversée du fleuve pour mettre à l’abri le personnel de l’Ambassade.
Sans écarter, la mort dans l’âme, un éventuel départ qui livrerait nos installations au pillage et en faisant prendre certaines dispositions pour le préparer, j’avais conclu mon analyse de la situation pour le Département en estimant qu’il était préférable de rester. Je considérais que la poussée des forces de M. Sassou, avec les responsables desquelles nous avions un contact - encore qu’il fût plus difficile de les joindre au moment de cette offensive – se ferait au nord de la résidence et laisserait donc celle-ci relativement à l’abri si elle n’était pas prise à parti par les miliciens de M. Kolelas. Il fallait donc tenir. L’intensité des tirs qui s’abattirent sur le quartier de la résidence le 14 octobre 1997 au matin me fit un instant douter du bien fondé de mon analyse que j’avais fini par faire partager, non sans quelques réticences, par Paris. L’orage dura deux jours pendant lesquels le personnel du poste passa plusieurs heures dans les sous-sols de la résidence tandis qu’à l’extérieur les gendarmes redoublaient de vigilance.
Tandis que le centre ville était nettoyé par les « Cobras » de M. Sassou, les « Ninjas » de M. Kolelas tentèrent de résister quelques heures dans Bacongo autour de la maison de leur chef où ils furent sévèrement accrochés. Le Président Lissouba avait pris la route du sud en grand équipage et était signalé vers Dolisie. M. Kolelas se retrouva à Kinshasa. Je reçus à la « Case De Gaulle » la visite des nouveaux chefs militaires qui nous assurèrent de leur volonté de pacifier le quartier et de nous protéger. Il fallut quand même attendre plusieurs jours pour que les fusillades cessent, notamment la nuit, et plusieurs semaines pour venir à bout de tireurs isolés qui, jour et nuit, à intervalles réguliers, prenaient la résidence pour cible de leur mécontentement. Cette sortie de crise, dont je redoutais toujours qu’elle nous réservât quelque mauvaise surprise, se solda en définitive, avec beaucoup de chance, par un seul blessé léger parmi les membres de l’EPIGN [2].
Tandis que la crise se dénouait dans le sang à Brazzaville, la ville de Pointe Noire allait être soumise à un long suspense. Les belligérants, comme les autorités locales, s’étaient efforcés de maintenir jusque là la « capitale économique » dans une situation de relative neutralité, qui servait essentiellement les intérêts gouvernementaux puisque c’est là qu’étaient perçues taxes et redevances. Plusieurs centaines de milliers de personnes étaient venues rejoindre des familles et grossir la population. On évoquait périodiquement la possibilité pour le gouvernement de s’y installer et plusieurs villas ou appartements avaient été réquisitionnés
Du côté français, soucieux de ne pas répéter un exode comparable à celui de Brazzaville, nous nous étions efforcés de garder à la présence de nos quelques 2500 compatriotes, parmi lesquels un certain nombre étaient repliés de Brazzaville, la plus grande normalité possible. Le Consulat de France s’était attaché depuis plusieurs mois à actualiser le plan d’évacuation mais en veillant à ne pas dramatiser la situation. La période des vacances d’été avait favorisé le départ en France des familles mais, en octobre, le lycée s’apprêtait à réouvrir malgré l’absence des enfants de pétroliers dont les impératifs sécuritaires avaient empêché le retour. Néanmoins, plus le dénouement paraissait proche à Brazzaville, plus la tension montait à Pointe Noire.
La rumeur de règlements de compte dans les quartiers populaires africains, celle de la présence de troupes angolaises à la frontière du Cabinda et quelques exactions contre nos ressortissants que les autorités gouvernementales étaient incapables d’empêcher furent, autour du 15 octobre 1997, sur le point de déclencher un vent de panique. Le Consulat fut pressé par un certain nombre de nos compatriotes de demander une opération d’évacuation dont les modalités étaient prêtes mais dont l’exécution et surtout les suites s’avéraient délicates. Heureusement l’appel au calme lancé par le Préfet et le Commandant de zone et leur décision de ne pas opposer de résistance à une poussée adverse en proclamant Pointe Noire « ville ouverte » évitèrent les affrontements. Les miliciens de M. Sassou et quelques militaires ralliés à lui firent leur entrée dans la ville avec l’appui d’une colonne blindée angolaise qui en prit aussitôt le contrôle. Seul l’aéroport fut le théâtre de quelques combats. Aucune victime civile européenne ne fut à déplorer mais quelques mercenaires parmi lesquels une demi douzaine de Français, accusés d’avoir ravitaillé en armes le régime du Président Lissouba, furent détenus ou retenus pendant quelques semaines à Pointe Noire.
La confusion régna pendant plusieurs jours sur le sort de Dolisie et des autres villes du centre du pays où avaient fui le Président Lissouba et son entourage et vers lesquelles semblaient converger des forces angolaises venues du nord du Cabinda. Deux communautés composées chacune d’une douzaine de nos compatriotes et de quelques étrangers se trouvèrent en difficulté, l’une était celle de la SARIS, entreprise sucrière du groupe Vilgrain à Nkayi, et l’autre comprenait des exploitants forestiers de la région de Dolisie. La localisation de ces groupes et leur extraction furent réalisées de façon exemplaire en deux opérations héliportées avec couverture aérienne à partir de la frontière du Gabon. Seuls devaient se retrouver en définitive isolés quelques Français dans la ville même de Dolisie qui n’eurent d’autre solution que d’attendre que les évènements se tassent en évitant de se faire piller. On apprit un peu plus tard qu’après quelques épisodes rocambolesques, notamment à l’aéroport de Dolisie, le Président Lissouba avait quitté le pays par la route pour le Gabon où il reçut un certain nombre de facilités de la part du Président Bongo pour se rendre au Burkina. Ainsi se terminait pour lui une tragédie dont il avait été le principal responsable.
L’étendue des dégâts subis par Brazzaville est considérable, même si le Président Sassou a fait aussitôt enlever les gravats et balayer la ville comme pour conjurer le désastre. A la dégradation continue de la plupart des bâtiments et des routes depuis des décennies sont venus s’ajouter le séisme de la guerre et l’habitude prise du pillage. Au-delà des destructions, le pays se trouve traumatisé.
Presque immédiatement après la fin des combats, la France a envoyé à Brazzaville une équipe de la sécurité civile avec un hôpital de campagne pour soigner les blessés des derniers affrontements. L’aide humanitaire est également arrivée par gros porteurs sur Brazzaville et par bateau sur Pointe Noire (2000 tonnes de farine). Une équipe de déminage est restée une quinzaine de jours pour sécuriser les principaux sites publics et désamorcer une centaine d’engins qui n’avaient pas explosé. Encouragés par le gouvernement français, quelques grands groupes et notamment EDF, la Lyonnaise des eaux et Alcatel, ont envoyé des équipes avec du matériel pour aider à remettre en état certains équipements et rechercher des solutions provisoires afin d’assurer à nouveau la distribution d’eau, d’électricité et le téléphone dans certains secteurs. Aidé par la coopération française, Agrisud a également redémarré très vite ses activités maraîchères et autres pour lesquelles existait une forte demande.
Ces équipes sont parvenues avec les responsables locaux qu’il a fallu parfois convaincre ou protéger, tant leur peur était grande, à des résultats remarquables. Pendant les deux mois qui ont suivi la fin des combats, un nouveau chapitre s’est ouvert, celui de l’aide aux victimes, du bilan des dégâts et de la remise en fonctionnement d’un minimum d’installations. L’Ambassade de France, seule structure restée constamment en place, s’est trouvée étroitement associée à ces actions, permettant avec les véhicules dont elle avait la garde le déplacement des équipes, assurant leur protection avec ses gendarmes et se transformant en centre d’hébergement.
Un contingent important de journalistes s’est également trouvé présent pour couvrir le changement. Il a pu assister dans une ville en ruines à la prestation de serment du Président Sassou et aux premiers pas du nouveau gouvernement. Avec la résidence du Président Sassou, à Mpila, la « Case de Gaulle » devint pendant ces deux mois, un des hauts lieux de l’activité brazzavilloise. Hébergeant une soixantaine de pensionnaires de disciplines les plus diverses, il y régnait une atmosphère de ruche dans laquelle chacun s’efforçait de faire son miel.
Consternés et abattus devant l’étendue des dommages lors de leur premier retour, les Français résidents sont petit à petit revenus. Les difficultés rencontrées en France pour s’installer et leur attachement au Congo les ont incités dans la plupart des cas à tenter à nouveau l’aventure. Aux prises elle-même avec de multiples contraintes, l’Ambassade de France, pour donner l’exemple, a réoccupé le 1er décembre 1997 les locaux de la Chancellerie qu’elle avait abandonnés le 29 août et qui avaient été très sérieusement dégradés.
Après un tel drame, l’attente à l’égard de notre pays est immense et risque d’aller bien au-delà de nos possibilités d’y répondre. ELF qui a passé cette période en limitant les dégâts a été sollicité pour apporter son concours à la reconstruction. Une nouvelle renégociation de la dette pétrolière sera sans doute le préalable à une reprise des négociations avec la communauté financière internationale. Mais les problèmes les plus difficiles à résoudre seront sans doute ceux de la sécurité et de la reconstruction de l’appareil de l’État complètement disloqué.
La démocratie, pas plus en Afrique qu’ailleurs, et surtout lorsqu’elle est davantage formelle que réelle, n’est pas une panacée. La bonne gouvernance, au sens de bonne gestion, est certainement tout autant ou plus importante. La question se pose de savoir jusqu’où, au nom du sacro-saint principe de sauvegarde de la démocratie ou de celui de non ingérence dans les affaires des États, nous devons, dans nos relations de coopération avec nos partenaires africains, fermer les yeux sur un certain nombre de dérives ou de turpitudes qui nous sont connues. Faut-il provoquer des troubles plus tôt – dont l’Ambassadeur a toujours de fortes chances de faire les frais – pour éviter plus tard une crise majeure ? Vaste dilemme qui est parfois d’autant plus difficile à résoudre que nous ne donnons pas nous-mêmes toujours le bon exemple. Ramener les dirigeants africains à la rigueur et au réalisme n’est pas la moindre difficulté compte tenu des habitudes prises et de la pompe dont nous les entourons.
La crise du Congo a été le baptême du feu d’une nouvelle période de cohabitation. Vue de Brazzaville, elle a été gérée avec Paris sans dissonance et aura peut-être donné l’image d’une nouvelle politique de la France éloignée du copinage et des réseaux, transparente et sans complexe dans ses prises de position, assurée dans sa conduite. Sanctionnant l’échec d’un homme, elle s’est attachée à aider un pays et un peuple. Le rôle joué par Brazzaville dans notre histoire aurait certainement justifié que l’on fit encore davantage pour éviter le drame. Cela n’a pas été possible, mais du moins notre solidarité doit demeurer engagée aux cotés du Congo pour l’avenir.
Confrontée à une inévitable mondialisation, mise en œuvre avec des partenaires, européens, notamment peu familiers de l’Afrique lorsqu’ils n’y détiennent pas des intérêts égoïstes, notre politique de coopération avec ce continent doit trouver un nouveau souffle. Plutôt que de changer périodiquement d’objectifs, elle doit être menée autrement. Comment ? En amenant sans doute davantage la jeunesse de ce continent à prendre en mains son propre destin et en encourageant les dirigeants à rechercher sur place et non à Paris, Bruxelles ou Washington, les solutions à leurs problèmes.
Manuscrit clos en 2000. Inédit
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Cet article inédit est publié en synergie avec l’Association Réalité et Relations internationales (ARRI)
ARRI, Pour une meilleure intelligence du monde.
ARRI, Association Réalités et Relations internationales, réunit des personnalités ayant en commun la conviction qu’il faut promouvoir dans la société française l’idée d’une meilleure connaissance des réalités internationales à commencer par celles des pays de l’Union européenne.
ARRI a l’ambition d’aider à mieux comprendre les enjeux et les conséquences de la mondialisation, et voudrait promouvoir la construction européenne parce qu’elle apporte une réponse à la plupart des interrogations que cette mondialisation suscite.
ARRI rassemble un effectif d’environ 500 membres. Elle est reconnue d’utilité publique.
Ambassadeur de France.
Vice-président de la 2e section de l’Académie des sciences d’outre-mer. Membre de l’Association Réalités et Relations internationales (ARRI) et Président d’Amitié Réalité Outre-mer (AROM).
[1] Le « chiffre » est le service d’une Ambassade en charge de l’acheminement et de la sécurité des communications.
[2] Escadron Parachutiste d’Intervention de la Gendarmerie Nationale, ayant fusionné en 2007 avec le GIGN.
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Date de publication / Date of publication : 14 mai 2017
Titre de l'article / Article title : Six mois de crise au Congo Brazzaville : juin-décembre 1997
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Voici 20 ans éclatait une crise majeure au Congo Brazzaville. Ambassadeur de France en poste, Raymond Césaire apporte un témoignage inédit sur la situation de crise à laquelle il a été confronté. Un éclairage exceptionnel sur une facette de la fonction de diplomate.
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