Géopolitique de Daesh. La situation est peu banale : l’assise territoriale de Daesh semble se renforcer constamment. État atypique, le Califat s’enracine chaque jour davantage du simple fait que personne ne se trouve actuellement en mesure de le déloger. L’asymétrie favorise la sanctuarisation. Parallèlement, la mouvance terroriste que le Califat inspire à l’échelle mondiale persiste et s’amplifie, sans se structurer en réseau, ce qui complique considérablement le renseignement, la parade et l’éventuelle riposte. Territorialisation et déterritorialisation se combinent donc pour former un gigantesque casse-tête stratégique.
Solidement documenté, rédigé de façon maîtrisée, ce texte est appelé à faire référence.
TRÉS affaibli entre 2006 et 2010 par les forces américaines épaulées par les milices arabes sunnites antidjihadistes, l’État islamique en Irak, antenne locale d’Al Qaida, se revivifia à partir de 2011 dans la guerre civile syrienne. Engageant sur le champ de bataille ses combattants aguerris survivants, il remporta des succès qui lui procurèrent peu à peu les moyens de sa conquête : nouvelles recrues, armement et ressources financières. Cela sans attirer suffisamment l’attention de la communauté internationale qui fut donc prise au dépourvu par l’offensive lancée début 2014 dans le nord de l’Irak. En dépit de quelques revers, les forces de ce qui s’appelait depuis 2013 l’État islamique en Irak et au Levant opérèrent une progression foudroyante. Disposant d’un excellent réseau de renseignement, dotées de nombreux véhicules, appuyées par de l’artillerie et des chars sans pour autant perdre en souplesse, elles menèrent des offensives conventionnelles victorieuses, tout en poursuivant leurs actions de guérilla et leurs attentats terroristes [1]. Leur avancée leur permit de renforcer leurs effectifs par la libération de centaines de combattants emprisonnés en Irak et par le ralliement d’anciens cadres et soldats de l’armée de Saddam Hussein.
Forts de ces résultats, les djihadistes de l’organisation rebaptisée, en juin 2014, État islamique (Daesh) [2] ont entrepris de fonder un État territorial de part et d’autre de la frontière internationale séparant l’Irak et la Syrie. Prise de court, la communauté internationale a réagi de manière brouillonne et, pour le moment du moins, inefficace. Dénier à cette entité la qualité d’État ainsi que son appartenance à l’islam ne résout rien. Il semble paradoxal que les États en lutte contre le terrorisme islamiste soient surpris par cette entreprise. Agissant à l’échelle mondiale, comme Al Qaida et Daesh, ou localement, comme les taliban afghans et pakistanais, le Groupe islamique armé algérien des années 1990 ou Al Qaida au Maghreb islamique, son avatar contemporain, les shabab somaliens ou les Nigérians de Boko Haram, les radicaux de l’islam ambitionnent tous de conquérir un territoire sur lequel exercer le pouvoir. Les événements en cours en Irak et en Syrie offrent l’occasion d’examiner le projet et la stratégie des refondateurs du califat.
L’espace, les ressources et la population de plus de 200 000 km² (approximativement 170 000 km2 en Irak et 60 000 km2 en Syrie, soit environ un tiers de chacun de ces pays) se trouveraient sous l’influence ou le contrôle effectif sinon efficace de l’organisation. Celle-ci tente d’instaurer une variante d’État totalitaire se réclamant d’une conception religieuse et politique qui s’estime légitime parce qu’elle plonge ses racines dans l’islam des origines. Désireux d’échapper au cordon sanitaire qui pourrait l’asphyxier, le Califat reste relié au monde extérieur et cherche à étendre le combat au territoire de ses ennemis.
Patrice Gourdin, Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université
L’examen des cartes localisant les zones contrôlées ou influencées [3] par l’État islamique et leur juxtaposition avec les cartes physiques et économiques révèlent un projet rationnel [4]. Il s’agit d’un phénomène récurrent : depuis le début de l’Histoire, les hommes ou les groupes porteurs d’un projet politique ou politico-religieux cherchent à le réaliser sur un territoire. Autant que faire se peut, ce territoire doit leur conférer ressources et sécurité. Peut-être s’est-on trop focalisé, depuis la fin de la Guerre froide, sur la déterritorialisation prophétisée des rapports de force et sur la montée en puissance des organisations réticulaires. Al Qaida et Daesh poursuivent le même objectif : instaurer un État, c’est-à-dire une autorité régissant la population d’un territoire donné. Ce qui les oppose, hormis de possibles rivalités de personnes, c’est l’ordre des opérations. La première pose la défaite du monde occidental en préalable à la restauration de l’État islamique, le second - influencé par les thèses d’Abou Moussab al-Souri [5], l’auteur de l’Appel à la résistance islamique mondiale, paru en 2004 - fait de la refondation de ce dernier un prérequis à la domination mondiale de l’islam. Gilles Kepel a résumé la stratégie préconisée par al-Souri : « [les] attentats à caractère dispersé appartiennent à une première phase, qu’il nomme “guerre d’usure“, et dont le but est de déstabiliser l’ennemi. Une deuxième, celle de “l’équilibre“, voit les cellules attaquer systématiquement l’armée ou la police, en pourchasser et exécuter les chefs, s’emparer des zones qu’il est possible de libérer. Pendant la troisième, la “guerre de libération“, les cellules se basent sur les zones libérées pour conquérir le reste du territoire, tandis que, derrière les lignes ennemies, continuent assassinats et attentats qui achèvent de détruire le monde de l’impiété [6] ». La feuille de route suivie par l’État islamique depuis 2011 correspond à ce schéma.
L’espace contrôlé ou sous influence occupe une partie du Croissant fertile : des abords de l’axe vital Alep-Damas (Syrie) à l’ouest, aux environs de Bagdad (Irak) à l’est. Il recouvre environ deux tiers de la Mésopotamie antique, celle unifiée et organisée dans le premier empire babylonien (2000-1500 av. J.-C.). Ce qui compte parmi les premières constructions étatiques n’avait pu être édifié que grâce à la présence combinée de l’eau (fleuves Tigre et Euphrate avec leurs affluents) et de terres cultivables (irriguées ou non). Les cartes montrent l’emprise de Daesh sur une partie de ces espaces nourriciers : vallée de l’Euphrate de Jarabulus à Anah, puis (de façon discontinue) de Haditah à Falloudja ; vallée de la Khabour (affluent de l’Euphrate) et vallée du Tigre entre Rabia et l’amont de Samara. Bénéficiaires d’aménagements hydrauliques plus ou moins récents (Daesh exerce son emprise sur la plus grande partie des 56 000 km2 de terres irriguées en Syrie pour bonifier la Djézireh), ces régions produisent notamment du coton, de l’orge et du blé. Selon le ministère irakien de l’agriculture, Daesh aurait la mainmise sur 40% de la production agricole irakienne [7]. La Syrie assurait son autosuffisance alimentaire avant la guerre civile, mais il est difficile de savoir quelles sont aujourd’hui les disponibilités en nourriture dans les zones insurgées. La construction de barrages équipés assure une importante production d’électricité (Tichrin et Tabqa, en Syrie, Haditha en Irak). Les assauts répétés pour contrôler le barrage de Mossoul semblent liés à la nécessité d’assurer l’approvisionnement électrique de la population de cette très grande ville (entre 1 500 000 et 2 000 000 d’habitants avant les combats). Des stations d’épuration permettent aux habitants des villes de consommer une eau potable. Bref, Daesh tente de disposer des ressources et des équipements indispensables à la vie quotidienne des populations. Son emprise sur ces dernières en dépend partiellement. Un économiste a même comparé l’État islamique à un système de Ponzi : il ne tiendrait qu’au prix d’une extension territoriale continue [8]. Ceci explique en partie la poussée enregistrée récemment en direction de la Syrie “utile“ (axe Damas-Alep). Encore faut-il que les équipements demeurent en état de fonctionner et que les travaux agricoles se déroulent normalement, ce que l’état de guerre ne garantit pas. L’influence dans la partie désertique de la Syrie et du centre de l’Irak, milieu particulièrement difficile à contrôler, contribue à occulter une part des activités de Daesh. Mais les conditions de vie n’y favorisent pas la présence humaine et, dans cet espace, l’État islamique règne sur du vide.
Le Califat contrôle des gisements d’hydrocarbures : dans les provinces de Hassaké et surtout de Deir ez-Zor (avec deux raffineries de pétrole et une usine de liquéfaction de gaz) au nord-est de la Syrie (60% de la production syrienne [9]) ; les sites de Akkas, Husaybah (province d’Al-Anbar), Ajeel, Hamrin et Baiji, ainsi que les raffineries de pétrole de Baiji et de Tikrit (province de Salah Ad-Din) au nord-ouest de l’Irak (entre 10 et 20% de la production irakienne, selon les sources). La zone de peuplement arabe sunnite en Irak est pratiquement dépourvue de pétrole et la prise de contrôle de gisements en zone de peuplement kurde sonne aussi comme une revanche sur la géologie. Mais les Kurdes sont tenaces et n’abandonneront pas facilement les hydrocarbures, qui sont la principale source de financement de leur autonomie et de leur éventuelle indépendance. Grâce à des circuits de contrebande vers la Turquie cela assure des revenus substantiels : potentiellement de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars par an, mais les chiffres les plus divers circulent, sans aucun fondement sérieux. Élément tout aussi important, ces ressources couvriraient les besoins énergétiques locaux et opérationnels de Daesh. Voici une des spécificités du Califat : pour la première fois, une organisation djihadiste contrôle un territoire à haute valeur économique. Mais soulignons le caractère potentiel de celle-ci. Les sites pétroliers et gaziers font l’objet de bombardements incessants de la part de la coalition internationale depuis l’automne 2014, précisément pour annihiler cette source de revenus. Aucun bilan de ces opérations n’est disponible, mais il semble que le flux acheminé ait diminué. Les installations ne peuvent être entretenues et réparées faute de pièces de rechange et les hydrocarbures sont écoulés à des prix très inférieurs aux cours officiels (réduits eux-mêmes de moitié depuis la fin de l’été 2014).
Il s’agit de la première entreprise djihadiste assurant son emprise durable sur un territoire à très haute valeur stratégique : au centre du plus important carrefour terrestre mondial, à la charnière Afrique-Asie-Europe.
Daesh maîtrise le réseau des communications terrestres entre Alep et Ramadi ainsi qu’entre Falloudja et Mossoul. À quoi il faut ajouter le contrôle de Rutba, au cœur du désert, carrefour des pistes reliant la vallée de l’Euphrate à Amman ou à Damas. Voies de transport de marchandises licites, chemins de toutes les contrebandes, support de longs tronçons des oléoducs (en service ou non) reliant le Golfe Arabo-Persique et la mer Méditerranée, ces axes de communications représentent un atout considérable en temps de guerre et pourraient contribuer à la relance économique d’un Proche-Orient en paix. Là réside une autre particularité du Califat : il s’agit de la première entreprise djihadiste assurant son emprise durable sur un territoire à très haute valeur stratégique : au centre du plus important carrefour terrestre mondial (charnière Afrique-Asie-Europe). Les taliban n’ont jamais régné que sur l’aire pashtoune, zone isolée du monde depuis l’abandon des routes de la soie. Les shabab ne dominent qu’une frange d’un État failli et qui a perdu sa valeur stratégique, même s’il exerce une nuisance non négligeable comme havre de la piraterie (activité dont les djihadistes ne détiennent pas le monopole). Al Qaida dans la Péninsule Arabique demeure cantonné aux montagnes du sud du Yémen, en dépit d’opérations ponctuelles à l’extérieur. Al Qaida au Maghreb islamique est aux abois dans les rudes Aurès et n’a pu faire mieux que coloniser des zones de la bande saharo-sahélienne désertique ou semi-désertique, enclavée et réduite au transit des trafics divers. Boko Haram sévit dans la partie sahélienne, isolée, enclavée et la plus déshéritée du Nigéria.
Daesh possède une portion de la frontière commune (longue au total de 822 kilomètres) entre la Syrie et la Turquie, bénéficiant de plusieurs points de passage sur la section d’environ 200 kilomètres située entre Jarabulus (sur l’Euphrate) et Ras Al-Aïn (sur le Khabour). Cela présente deux avantages : d’une part, la garantie de la liberté de circulation pour assurer les trafics qui abondent les caisses du Califat (hydrocarbures, antiquités) et pourvoient en partie à l’approvisionnement des miliciens et des populations civiles. D’autre part, sont facilités l’arrivée de cadres civils indispensables au bon fonctionnement du Califat et le maintien du flux de combattants étrangers volontaires pour le djihad dont Daesh a besoin pour mener ses opérations - défensives ou offensives - sur les divers fronts ouverts. Le segment de frontière à sécuriser pour gêner les réseaux Daesh est nettement moins long que ce que prétend Ankara, ce qui alimente la suspicion de complicité avec les djihadistes.
Le territoire du Califat est un territoire en guerre, aux limites mouvantes, vidé de toute autorité légale, ravagé et extrêmement dangereux. Depuis l’invasion américaine de 2003, la partie arabe du nord-ouest de l’Irak n’a pas cessé de connaître des affrontements de plus ou moins grande ampleur. Au printemps 2011, le nord-est de la Syrie a basculé à son tour dans la violence armée (rebelles contre loyalistes, factions rebelles entre elles, djihadistes contre Kurdes, une partie de la coalition internationale contre les djihadistes). Cela relativise la normalité du fonctionnement de l’État fondé par al-Baghdadi et ses partisans.
L’assise territoriale d’un État n’a de valeur que si elle porte une population. Les stratèges de l’État islamique ont pris soin de conserver sous leur contrôle ou leur influence une part non négligeable des habitants, probablement entre huit et dix millions [10]. Main-d’œuvre, contribuables, bouclier humain, esclaves, cobayes pour une forme ressuscitée de gouvernance, adeptes, recrues, autant d’utilisations possibles de cet ensemble humain.
États de création récente, la Syrie et l’Irak englobent des populations hétérogènes, dont les composantes se trouvent le plus souvent réparties sur plusieurs pays. Les Arabes (89% de la population en Syrie, 75% en Irak) sont les plus nombreux. La région héberge depuis des siècles des populations non-arabes : Kurdes (8% de la population en Syrie, 20% en Irak) et Turcs (0,5% de la population en Syrie, 3% en Irak). Ces minorités ethniques sont en butte à de mauvais traitements. Mais ces pratiques, en particulier vis-à-vis des Kurdes, sont antérieures à l’emprise de Daesh.
La population est très largement de confession musulmane, mais partagée entre sunnites (70% de la population en Syrie, 35% en Irak) et chiites ou assimilés (19% de la population en Syrie en comptant les alaouites, 60% en Irak). Le Califat aspire à éliminer de sa population tous les éléments “impurs“. Il œuvre donc à l’éradication des tenants du chiisme sous toutes ses formes ainsi que des nombreuses minorités religieuses présentes depuis l’Antiquité : chrétiens (10% de la population en Syrie, 5% en Irak), yézidis et zoroastriens, notamment. Promis au massacre, au viol ou à l’esclavage, les membres de ces communautés ont fui en masse, ajoutant bien contre leur gré aux difficultés de la région.
Daesh s’intéresse avant tout aux Arabes de confession sunnite (majoritaires en Syrie, minoritaires en Irak). Parmi ceux-ci, un nombre non négligeable - mais impossible à évaluer avec précision - ont appelé de leurs vœux l’avènement de l’État islamique ou, du moins, ont observé une neutralité bienveillante à son égard. À l’origine, dans les cas irakien comme syrien, leurs motivations semblent avoir été plus politiques (lutte contre l’oppression, du clan al-Assad en Syrie et rejet de la politique sectaire pro-chiite de Nouri al-Maliki en Irak) que religieuses. D’autres Arabes sunnites, en revanche, ont fui et certains sont demeurés contre leur gré. Ces derniers subissent la radicalisation religieuse dans toute sa rigueur, mais restent pris au piège et ne semblent pas en mesure de s’opposer à la terreur djihadiste. D’autant que, selon une pratique totalitaire bien rôdée, Daesh infiltre l’ensemble de la société afin de la surveiller au plus près et de la réprimer, souvent de manière préventive. Il aurait identifié et recensé les avocats, les professeurs, les médecins et les ingénieurs, les contrôlerait étroitement et exercerait des pressions sur eux. Les juristes seraient même contraints à quitter le Califat car ils connaissent trop bien le droit et pourraient dénoncer les abus commis au nom de la charia ou du fait de son ignorance. L’organisation aurait également utilisé des cinquièmes colonnes pour préparer certaines de ses opérations militaires les plus audacieuses, comme la prise de Mossoul. Ces agents clandestins seraient également à l’œuvre dans les régions loyalistes pour détruire de l’intérieur la société, par exemple en contraignant ses cadres qualifiés à ne plus exercer leurs activités.
Ces populations comptent un grand nombre de jeunes (49% des Irakiens et 45% des Syriens sont âgés de 20 ans ou moins), inégalement éduqués (taux d’analphabétisme de 20 à plus de 30% de la population jeune dans la zone contrôlée en Syrie alors que la moyenne nationale est de 6%, entre 5% et 20% dans la zone contrôlée en Irak alors que la moyenne nationale est de 11%), mais victimes dans une proportion significative des défaillances de leurs dirigeants. Ces derniers n’ont ni su ni voulu consentir les efforts nécessaires pour assurer un emploi et, plus largement, une insertion sociale à l’ensemble de ces jeunes. Une partie d’entre eux, désœuvrés, sans perspectives, se trouvent disponibles pour les aventures les plus hasardeuses. D’autant plus que le niveau de vie de ces populations est des plus modestes : l’indice de développement humain-IDH classe la Syrie 120e (équivalent à celui de l’Afrique du Sud) et l’Irak 121e (proche de celui du Guyana ou du Viêt Nam) sur 187 pays évalués. Les zones contrôlées ou influencées par Daesh figurent parmi les plus déshéritées. Les plaines alluviales et les plateaux steppiques de la Djézireh, en dépit de l’irrigation et des hydrocarbures, constituent une région périphérique, en Syrie comme en Irak. Dans chaque camp en présence, l’engagement dans les forces armées, les unités paramilitaires ou les milices constitue un (le seul) moyen d’exister et/ou de nourrir les siens.
Faute d’États garantissant à l’ensemble des habitants le statut de citoyennes ou de citoyens libres et égaux en droits et en devoirs, la Syrie et l’Irak demeurent marqués par l’emprise des structures tribales sur la population. Loin d’être le symptôme d’un attachement archaïque à la tradition, il s’agit de pragmatisme. Les hommes se tournent vers les liens de solidarité traditionnels, les seuls qui leur assurent la sécurité, les moyens de vivre et d’avoir une existence sociale. Cette survivance sanctionne l’échec de l’instauration (en admettant qu’elle ait été tentée ou… que les tribus ne s’y soient pas opposées victorieusement) d’un État de droit. Parce qu’il s’agit d’intermédiaires indispensables, l’État islamique noue, avec des fortunes diverses, des relations avec les notables des principales tribus de sa zone d’opérations. En Irak, dans la province d’Al Anbar, il s’appuie sur un partie de la puissante confédération Dulaymi (très présente dans l’armée de Saddam Hussein avant 2003) et autour de Mossoul, il compte des partisans au sein de la branche al Djarba, sunnite, des Shammar. En Syrie, il est lié à une partie des Shammar al-Kursah et des Charabya. Mais la logique tribale est dominée par l’impératif de survie du groupe, ce qui rend les allégeances aléatoires car elles fluctuent au gré des intérêts et des rapports de force. La résistance de la tribu al-Sheitaat (provinces de Raqqa et de Deir ez-Zor) à l’État islamique tenait au moins en partie à la concurrence pour l’exploitation des champs de pétrole. Conjuguée à la règle fondamentale de la vengeance (intiqâm) contre tout outrage, la segmentation propre à ce type de société pose le problème des luttes intertribales. Celles-ci contribuent à empêcher toute unification durable des populations de la zone contrôlée et facilitent les manœuvres, comme l’utilisation des certaines tribus contre les djihadistes. Les massacres spectaculaire de plusieurs centaines de membres (parmi lesquels de nombreux civils) de la tribu al-Sheitaat (provinces de Raqqa et de Deir ez-Zor), en août 2014, et de la tribu Albou Nimr (province d’Al-Anbar), en novembre 2014, visaient, notamment, à imposer par la terreur une neutralité sinon une loyauté durables. Le cheik de la tribu al-Sheitaat, Rafaa Aakla al-Raju, avait appelé (en particulier sur une vidéo diffusée par YouTube) les tribus bédouines à se soulever contre l’État islamique. Cela révèle les limites de l’efficacité tant des liens personnels tissés par Daesh que du réseau de renseignement extrêmement dense que l’État islamique a organisé dans les zones arabes sunnites d’Irak et de Syrie. Ce dernier lui permet d’empêcher, y compris par des assassinats préventifs, la constitution d’une vaste coalition semblable au Réveil (Sahwa). Organisée par les Américains, à l’instigation du général David L. Petraeus, entre 2006 et 2010, elle avait pratiquement anéanti Al Qaida en Mésopotamie, la matrice de Daesh. Mais rien ne garantit à Daesh un soutien sincère et durable. En outre, la terreur ne dissuade que jusqu’à ce que le seuil de l’insupportable soit atteint. Et les pratiques extrêmement violentes et cruelles du Califat risquent de provoquer rapidement cette saturation. Encore faudra-t-il que les adversaires de Daesh soient capables de le savoir et d’en tirer parti.
L’État islamique se trouve confronté à un défi majeur où il joue en grande partie sa crédibilité et donc son avenir vis-à-vis des populations locales : sa capacité à assurer le fonctionnement normal d’une société. La logique d’un conflit asymétrique répond habituellement à la démarche inverse : paralyser ou bloquer tous les services qu’une population attend de ses dirigeants afin qu’elle se tourne vers les insurgés. Quelques témoignages récents [11] rapportent que le Califat, s’il fait régner la sécurité, s’avèrerait incapable de fournir en suffisance l’électricité, l’eau potable, l’alimentation de base, les médicaments et les soins médicaux dont ont besoin les hommes et les femmes qui se trouvent dans ses zones de domination ou d’influence. Cela s’expliquerait d’une part, par les dégâts résultant des combats, d’autre part, par le manque de main-d’œuvre qualifiée, en particulier des spécialistes de haut niveau (ingénieurs et médecins, notamment).
Daesh s’est emparé de plusieurs villes - notamment Raqqa, Falloudja et Tikrit -, de taille variable, toutes en zone de peuplement arabe sunnite, dont la plus grande est Mossoul. Compte tenu des difficultés d’administration et d’approvisionnement que semble rencontrer l’organisation, la raison de ces conquêtes serait d’abord stratégique. Les djihadistes se fondent dans la population qui se retrouve ainsi servir involontairement de bouclier humain contre les bombardements aériens. En outre, la reconquête de ces périmètres urbains nécessitera des effectifs et du matériel en quantité considérable et sera tout à la fois extrêmement meurtrière et destructrice. Les forces loyalistes de Syrie et d’Irak ne paraissent pas en état de mener de telles opérations, encore moins de vaincre. Quant à la coalition internationale, elle n’entend pas s’engager au sol. Par conséquent, le Califat peut, jusqu’à nouvel ordre, conforter ses positions urbaines. Nul doute que ses stratèges ont étudié avec soin les combats auxquels ils ont pris part dans les villes d’Irak depuis 2003 et de Syrie depuis 2011, ainsi que les pratiques du Hezbollah au Sud Liban et du Hamas à Gaza. Ces précédents n’augurent pas d’une déterritorialisation rapide de Daesh. La reconquête de Kobane par des Kurdes appuyés par l’aviation de la coalition internationale, le 26 janvier 2015, ne semble pas significative. L’État islamique, peut-être pris d’hybris à cause de ses victoires antérieures et certainement aveuglé par son idéologie, était tombé dans le piège de la bataille symbolique. Il usa ses forces pour un enjeu insignifiant sur le plan stratégique, mais transformé en enjeu politique majeur par la médiatisation de la résistance héroïque des milicien(ne)s kurdes. Daesh s’est révélé vulnérable et a sorti les marrons du feu au profit des nationalistes kurdes. Gageons que les leçons de cet échec seront tirées et que les stratèges du Califat ne reproduiront pas cette erreur-là.
Loin d’être une entreprise aberrante, la restauration du califat dans la région conquise ou sous influence, résulte d’un projet idéologique rigoureux et élaboré. En effet, tout s’inscrit dans la mémoire arabe, musulmane et sunnite, dans le but de susciter l’adhésion du plus grand nombre possible d’Arabes musulmans sunnites. À commencer par ceux dont le désir de revanche semble le plus intense : ceux d’Irak, dépossédés du pouvoir et humiliés par les chiites depuis 2003, et ceux de Syrie, chassés du pouvoir, discriminés et impitoyablement réprimés par certains clans alaouites depuis 1970.
Le chef suprême cultive la ressemblance avec le prophète Mahomet. Outre qu’il arbore une barbe fournie, il se couvre d’un turban et revêt un manteau réputés pareils à ceux que portait le fondateur de l’islam. Ces effets sont de couleur noire, celle du prophète, reprise par ceux qui se présentaient comme ses descendants légitimes : les souverains abbassides. Il s’attribue une filiation avec la tribu de la Mecque à laquelle appartenait Mahomet : les Quraysh. Les généalogies ne présentent pas toujours d’incontestables garanties d’authenticité, mais cette ascendance est indispensable car, selon la tradition musulmane [12], le califat ne peut être détenu que par l’un d’entre eux.
La proclamation du Califat, le 29 juin 2014, vise à réactiver la mémoire glorieuse de l’empire au temps de la dynastie abbasside. Dans la civilisation arabo-musulmane, ce geste revêt une importance en général mal comprise et/ou sous estimée en Occident. La définition d’Ibn Khaldûn (1332-1406), référence essentielle à ce sujet, permet de comprendre : le calife, écrit-il, est « le substitut du Législateur pour la garde de la religion et le gouvernement des affaires d’ici-bas sur un fondement religieux [13] ». Le calife ( khalifa ) est, littéralement, le “successeur“ du prophète Mahomet. Ce fut le titre adopté par celui qui, à sa suite, prit la tête de la communauté des croyants (oumma), son beau-père Abu Bakr (632-634). Il fut pérennisé par ‘Umar (634-644), autre beau-père de Mahomet, véritable bâtisseur du califat en tant que forme particulière d’autorité, à la fois politique et religieuse. Héritée des pratiques tribales de la péninsule arabique, la conception califale du pouvoir est, dans le meilleur des cas du moins, arbitrale et non despotique. Toutefois, elle peut déroger à cet idéal pour accomplir sa tâche prioritaire, qui est de garantir l’unité de l’oumma, d’en éviter la division (fitna). Afin d’écarter l’anarchie, chacun des membres de l’oumma doit, lors d’une cérémonie collective, prêter un serment d’allégeance personnelle (bay’a) au calife. Toute contestation est impitoyablement châtiée car considérée comme une rébellion contre l’État voulu par Dieu, une innovation (bid’a) déviante par rapport à un ordre qui doit demeurer immuable. La doctrine du pouvoir fixée sous les Abbassides rend obligatoire l’obéissance à l’égard de toute personne qui gouverne, sauf si celle-ci ordonne la désobéissance (ma’siya) à Dieu. Cette obligation équivaut à un devoir religieux. Calife, prétendant renouer le fil de l’histoire interrompue en 1258, Ibrahim ne pouvait donc que réclamer la bay’a dans les zones qu’il contrôle et c’est en toute “légitimité“ qu’il pratique une politique de terreur à l’encontre des tribus rebelles.
Abou Bakr al-Baghdadi veut signer la revanche de la communauté des Arabes sunnites sur une humiliation pluriséculaire. Il traduit la volonté de renouer avec la grandeur perdue.
Durant la période abbasside (750-1258), la réflexion politique fixa la doctrine du pouvoir califal et définit les fonctions principales du détenteur de celui-ci : préserver la religion telle que fixée par Mahomet et les premiers musulmans (salaf) ; protéger les territoires musulmans ; combattre pour la conversion des non-musulmans. Le supplice du dernier souverain abbasside, Al-Muta’sim, par les Mongols lors de la prise de Bagdad, en 1258, marqua la fin à la fois de la lignée califale et de la prépondérance politique et économique des Arabes sunnites dans l’empire. Le geste d’Abou Bakr al-Baghdadi veut signer la revanche de la communauté des Arabes sunnites sur une humiliation pluriséculaire. Il traduit la volonté de renouer avec la grandeur perdue. Il entend aussi et surtout marquer la renaissance de l’islam que ses adeptes considèrent comme le seul véritable : celui “restauré“ par les Abbassides après le dévoiement dont ceux-ci accusaient les Omeyyades de s’être rendus coupables. Cela le place, enfin, en position de force, au moins symbolique, face au chef d’Al Qaida, Ayman al-Zaouahiri : le calife impose sa primauté. Selon la pratique instaurée par les Abbassides, les décisions du calife ne peuvent être ni contredites, ni ignorées ni enfreintes sans que ses adversaires ne soient considérés comme des traîtres à l’islam. Encore faut-il que le calife dispose des moyens de faire respecter son autorité. Ce qui suppose préalablement la reconnaissance de sa légitimité, ce que, dans le cas d’Abou Bakr al-Baghdadi, n’ont fait ni Ayman al-Zaouahiri, ni aucune des autorités religieuses respectées par l’immense majorité des musulmans sunnites.
Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri, dit Abou Bakr al-Baghdadi se fait désormais appeler calife Ibrahim. Certes, il s’agit de son vrai prénom et cela pourrait être une raison suffisante pour expliquer ce choix. Toutefois, ce prénom revêt également une très forte valeur symbolique dans la religion musulmane. Correspondant à l’Abraham des juifs et des chrétiens, Ibrahim compte parmi les prophètes reconnus par les musulmans. Ceux-ci le considèrent comme le père du monothéisme et comme le modèle du croyant, absolument soumis à Allah, comme en témoigne son acceptation du sacrifice d’Ismaël. La tradition musulmane lui attribue la construction du temple de la Ka’ba, à La Mecque. Certaines tribus arabes, parmi lesquelles les Quraysh, se proclament descendantes de son fils Ismaël. En effet, ce dernier vécut : alors qu’Ibrahim s’apprêtait à le sacrifier comme Allah le lui avait demandé pour éprouver sa foi, sur l’ordre de ce dernier, l’ange Jibril arrêta sa main et substitua un mouton à Ismaël. C’est ce que commémore l’Aïd el-Kebir.
Les djihadistes entendent également manifester leur rejet de la conception occidentale de l’État, celle de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène), devenue la norme internationale par le biais de l’expansion impériale des nations européennes au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle.
La destruction spectaculaire d’un poste frontière entre la Syrie et l’Irak, le 26 juin 2014, affirme la volonté de rompre avec un ordre territorial imposé de l’extérieur. Le découpage du Proche-Orient résulte des accords Sykes-Picot, conclus secrètement par la France et la Grande-Bretagne en 1916, révisés à la fin de la Première Guerre mondiale, puis entérinés par la Société des Nations-SDN à San Remo en 1920. Ils consacraient le démantèlement de l’Empire ottoman et la domination de la région par les deux principales puissances occidentales d’alors [14]. Dans la mémoire collective arabe, donc bien au-delà des rangs de Daesh, ces frontières constituent la marque tangible de la trahison des promesses faites en 1916 (correspondance Hussein-McMahon reconnaissant l’existence de la nation arabe et acceptant le principe de la création d’un État arabe), du dépècement des territoires arabes et de la privation d’indépendance de leur population. Les djihadistes entendent également manifester leur rejet de la conception occidentale de l’État, celle de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène), devenue la norme internationale par le biais de l’expansion impériale des nations européennes au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle. L’État islamique (dawla al-islâmiya) forgé sous les Abbassides dont se réclame le calife Ibrahim, regroupe une communauté homogène : les croyants d’une seule religion, l’islam, dans une seule composante, le salafisme djihadiste, et régie par une loi divine, la charia. Il récuse tout ordre politique, intérieur ou international, qui ne procède ni ne se fonde sur le divin. D’où l’inutilité des ergotages sur l’appellation de l’entité créée le 29 juin 2014. Daesh n’est pas un mouvement indépendantiste combattant en vue de sa reconnaissance juridique en tant qu’État-nation, il a instauré un Salafistan , un territoire où règnent de nouveau la Vérité révélée par Mahomet et la Loi qui en découle. Le calife Ibrahim entend en faire le noyau auquel s’agglomèreront toutes les terres d’islam, un ensemble transcendant les frontières et les appartenances tribales ou nationales, et une base à partir de laquelle la conversion du monde entier à l’islam sera menée à bien.
Prétendant à la qualité d’État, le Califat ajouta aux prérogatives régaliennes qu’il exerce de fait (sécurité, justice, défense) celle de battre monnaie. Le 13 novembre 2014, il présenta les pièces de monnaie qui auraient désormais seules cours sur son territoire : 1 et 5 dinars d’or, 1, 5 et 10 dirhams d’argent, 10 et 20 fills de cuivre. De la sorte, il renouait avec un autre héritage de l’islam originel. Les monnaies iraniennes et byzantines circulèrent jusqu’au règne du calife omeyyade Abd al-Malik (685-705). Celui-ci fit frapper les premières monnaies musulmanes : le dinar (or) et le dirham (argent). Le calife abbasside Al-Ma’mun (813-833) mit en circulation de nouvelles pièces qui fournirent le standard en usage durant plusieurs siècles. Outil économique et fiscal autant que vecteur idéologique (elle porte le nom du souverain et des citations du Coran qui expriment la politique menée par le calife), la monnaie est un instrument essentiel du pouvoir califal que Daesh a restauré. Le retour à un système monétaire métallique, outre la volonté d’affirmer l’existence d’un État et de renouer avec la grandeur des Abbassides, traduit un projet politique émancipateur vis-à-vis de l’ordre économique mondial. Daesh veut briser la domination des institutions financières internationales et américaines. Contrôlées, selon lui, par les chrétiens et les juifs, ce sont, à ses yeux, des instruments voués au pillage des ressources du monde arabe. Battre dinar et dirham est donc sensé libérer l’oumma et montrer aux peuples opprimés la voie à suivre pour se défaire de l’hégémonie occidentale.
S’inscrivant dans la durée, le Califat réorganise la société selon son projet totalitaire. Surveillés de près, les individus doivent tous œuvrer à la réalisation de l’utopie salafiste, faute de quoi ils sont éliminés sans état d’âme. L’administration est maintenue ou rétablie, non seulement pour assurer le fonctionnement normal des services publics, mais aussi pour instaurer et pérenniser l’ordre islamique. Certains auteurs évoquent une “djihadisation“ des esprits. L’action sociale fait l’objet d’une attention particulière, dans une évidente stratégie de séduction. La charia est appliquée dans toute sa rigueur. L’éducation est très étroitement contrôlée, les salafistes désirant endoctriner la jeune génération. Outre la séparation stricte des sexes, le nouveau pouvoir impose une modification complète des programmes. Trois séries de matières sont bannies : d’abord, celles contribuant à l’épanouissement personnel (arts plastiques, musique, sport), ensuite celles développant la réflexion personnelle et l’esprit critique (histoire, philosophie, sciences sociales), enfin celles délivrant une connaissance jugée non conforme au Coran (psychologie, théorie de l’évolution). La lutte contre les Kurdes contient une forte dose idéologique : ceux-ci militent (ou prétendent militer, afin de s’attirer les bonnes grâces de l ’Occident ?) pour un État laïque, “socialiste“ et respectueux des droits de la femme. Ils incarnent donc, aux yeux des salafistes djihadistes, un contre-modèle à détruire.
Bref, Daesh tente de matérialiser le rêve de résurrection de la grandeur perdue en 1258, lorsque les conquérants mongols mirent fin au dernier empire musulman dominé par les Arabes. Rien ne serait plus erroné que de sous-estimer la portée de cette entreprise. Cette nostalgie dépasse très largement les rangs des seuls adeptes de Daesh. Cela ne provoquera probablement pas la levée en masse attendue par ces derniers, mais à tout le moins une sympathie plus ou moins marquée d’une partie des populations arabes sunnites, pouvant évoluer dans certains cas vers un soutien plus ou moins actif.
Ceux qui rejoignent les terres du Califat affichent une détermination sans faille, celle des fanatiques. Au IXe siècle, une tradition apocalyptique naquit dans les rangs chiites : un Mahdi (un être “bien guidé“) accompagné d’une armée invincible viendrait préparer le Jugement Dernier. Au XIe siècle, les savants sunnites reprirent ces croyances afin d’entretenir la ferveur religieuse et de stimuler la fidélité politique des populations de l’empire abbasside. Daesh se réclame de cette eschatologie sunnite et enflamme ses partisans en les persuadant qu’ils sont les annonciateurs du Jugement d’Allah. Les djihadistes pensent que la fin du monde approche et qu’il faut séparer le camp du Bien de celui du Mal, celui de la religion révélée par Mahomet de toutes les autres. Cela impose une purification par la violence et une annihilation des impies, qui passe, en particulier, par la décapitation des ennemis (musulmans et non-musulmans) de l’islam qu’ils défendent, le seul véritable à leurs yeux. Cette pratique, couramment utilisée à l’encontre des animaux, participe de la déshumanisation de l’autre, commune à tous les totalitarismes. En outre, dans la tradition musulmane médiévale, la tête est le siège de l’âme. La victime voit donc son humanité niée dans ses dimensions tant physique que spirituelle. Une prophétie (hadith de Amaq [15]) assure que la bataille finale entre le Bien et le Mal, qui doit assurer la victoire des croyants sur les infidèles, se déroulera au nord du pays de Sham (la Syrie) en un lieu appelé tantôt Amaq, tantôt Dabiq, d’où le choix de ce nom pour le titre de la revue de propagande de Daesh [16]. Ces deux villages se situent entre Alep et la frontière turque [17].
Daesh développe une vision manichéenne du monde : il incarne le camp du Bien - réduit aux salafistes djihadistes qui se rallient à lui. Il se déclare en lutte contre le camp du Mal. Ce dernier regroupe le reste de l’humanité. D’abord, les “mécréants“ (kouffar), au premier rang desquels les athées, les juifs, les chrétiens et les musulmans chiites, mais auxquels s’ajoutent les adeptes de toutes les religions, y compris les musulmans sunnites ne partageant pas leur vision de l’islam. Ensuite, les “hypocrites“, soit tous les dirigeants arabes, corrompus par l’Occident. Enfin, les États-Unis et la Russie sont les ennemis étatiques principaux. La vision salafiste djihadiste du monde s’inscrit dans le droit fil de celle du nazisme - qui sédui(si)t une partie de l’opinion et des dirigeants arabes [18]-, puisqu’il y aurait un complot mondial antimusulman, ourdi par les Juifs, réels détenteurs du pouvoir à Washington et à Moscou.
Comme les bolcheviks après la révolution d’octobre 1917, les chefs de l’État islamique redoutent par-dessus tout l’isolement. Le changement radical qu’ils veulent instaurer n’a de chance de survivre que s’il trouve des soutiens extérieurs. Par surcroît, le groupe poursuit des objectifs expansionnistes : contrôler le Moyen Orient, puis tous les pays musulmans et enfin imposer un califat mondial. Pour ces deux motifs, Daesh recrute activement des jeunes djihadistes sur l’ensemble de la planète. De plus, le Califat est un projet politique particulier : la réalisation d’une utopie susceptible de séduire des musulmans du monde entier puisqu’il s’agit d’édifier ici-bas une société régie par la Loi divine. Comme il y eut (a) un “rêve américain“, se dessine un “rêve islamique“, celui de la cité de Dieu sur la Terre. Ainsi pensent les familles qui, depuis les pays les plus divers, rejoignent le Califat : elles sont persuadées d’agir au mieux et, notamment, d’assurer le salut de leurs enfants [19]. Un État animé d’une idéologie universaliste a certes besoin de guerriers pour le défendre et l’étendre, mais son bon fonctionnement suppose qu’il dispose de cadres qualifiés dans tous les domaines. Daesh tente d’en recruter dans le monde entier. Toutefois, ce qui transpire des difficultés d’existence dans le Califat semble limiter les capacités de séduction.
L’une des spécificités de Daesh réside dans sa communication [20]. Très élaborée et très maîtrisée, elle vise tout à la fois à séduire de nouveaux adeptes, à entretenir l’ardeur des combattants, à drainer des financements, à démoraliser les adversaires et à défier le droit international qu’elle récuse. Elle se montre particulièrement prolixe : présente sur internet et les réseaux sociaux, elle diffuse des messages, une revue de propagande (Dabiq), des vidéos d’exécutions sanglantes et des films de propagande (comme Le Choc des épées) qu’elle réalise grâce à son propre organe de production audiovisuelle (Al-Furqân Media Production). Daesh exploite sans vergogne l’obscénité de la violence sanglante et fournit sans se soucier des conséquences les preuves tangibles de sa pratique du crime de guerre et du crime contre l’humanité. Ce que l’on a nommé un “djihad médiatique“ semble séduire puisqu’il contribuerait largement à alimenter le flux de combattants et de résidents qui rejoignent le territoire du Califat. Cette communication est de bien meilleure qualité technique et beaucoup plus manipulatrice que celle d’Al Qaida. Cette dernière occupe d’ailleurs une large place dans les polémiques diffusées par le forum qui relaie le discours de l’État islamique, Al-Minbar. Toutefois, le Califat ne dispose pas (encore ?) des moyens de mener une cyberguerre, notamment contre les États de la coalition qui le combat. La vague d’attaques de janvier 2015, pour médiatisée qu’elle ait été, ne reflétait pas une capacité de nuisance considérable : selon les spécialistes, tous les sites piratés présentaient la caractéristique d’être mal ou peu protégés.
Depuis la fin 2014, Daesh enregistre des ralliements hors de sa zone et a validé l’allégeance (bay’a) de plusieurs groupes : Ansar Bait al-Maqdis dans le Sinaï, Ansar Dawlat al-Islammiyya au Yémen, Majlis Shura Shabab al-Islam en Libye, Jund al- Khilafah fi Ard al-Jazaïr en Algérie, Ansar al-Tawheed en Inde, Jundallah au Pakistan, la Brigade de l’Islam dans le Khorosan en Afghanistan, Abou Sayyaf et les Combattants islamiques pour la liberté de Bangsamoro aux Philippines, une partie du Jamaah Ansharut Tauhid en Indonésie. On ignore le nombre de combattants de ces groupes, mais cela traduit à tout le moins un rayonnement de l’idéologie propre à l’État islamique dans l’ensemble de l’aire musulmane sunnite.
Or, les équilibres régionaux se trouvent menacés. Le destin de la Syrie revêt une importance particulière car le pays est un État-tampon essentiel, ce que révèle la complexité de la guerre civile devenue conflit régional indirect et lieu des rivalités pour l’influence mondiale. Il se trouve à l’intersection des poussées expansionnistes contradictoires des États sunnites (Égypte, Arabie Saoudite, Turquie) et chiites (Iran, Irak), au centre de la lutte entre Israël et les organisations musulmanes extrémistes, au cœur de la rivalité américano-russe. En outre, Daesh a identifié des points faibles dont la prise de contrôle fait ouvertement partie de ses plans : Liban, Jordanie, Sinaï et Arabie Saoudite.
L’Iran, aspirant à la puissance régionale, se trouve largement impliqué aux côtés des forces pro-gouvernementales en Syrie comme en Irak. Au-delà de la solidarité religieuse avec les chiites au pouvoir à Bagdad et avec les alaouites qui tentent de garder le contrôle de la Syrie, l’Iran est engagé dans un bras de fer avec l’Arabie Saoudite. Or, l’Irak et la Syrie sont ses deux principaux appuis. Ajoutons que Téhéran aurait tout à craindre d’un éclatement de l’Irak : l’affirmation d’une entité sunnite extrémiste à ses frontières pourrait déstabiliser sa propre minorité arabe sunnite (province frontalière du Khouzistan) et l’indépendance du Kurdistan réveiller l’irrédentisme de ses propres Kurdes.
Outre les financements privés qu’elle a autorisés par le passé (et dont rien ne garantit qu’ils ont réellement pris fin), l’Arabie Saoudite partage beaucoup avec Daesh : vision salafiste de l’islam, glorification du djihad et mêmes adversaires (les musulmans chiites, le clan al-Assad, le gouvernement chiite d’Irak, l’Iran et le Hezbollah libanais). L’inconvénient pour la dynastie des Saoud résulte du fait que la défense de l’islamisme, fut instrumentalisée par le fondateur du royaume (puis par ses successeurs), d’abord pour imposer son pouvoir à l’intérieur, ensuite pour contrer le nationalisme arabe à l’extérieur. À la suite de Ben Laden, les salafistes djihadistes dénoncent l’hypocrisie de la monarchie, coupable de ne pas respecter les principes salafistes, et proclament leur volonté de chasser ceux qu‘ils qualifient d’“usurpateurs“ pour prendre le contrôle des lieux saints de Médine et de La Mecque. C’est ce qu’a annoncé le calife Ibrahim durant l’été 2014. Or, le projet n’est pas aussi irréaliste qu’il y paraît. D’une part, le programme de Daesh ressemble beaucoup à celui affiché par les Saoud : un régime régi par la Loi divine et fondant sa légitimité sur la défense de la Foi. D’autre part, outre le mécontentement d’une partie de la population, les Saoud redoutent la mécanique des solidarités tribales : certaines tribus arabes de Jordanie, de Syrie et d’Irak proches de Daesh sont originaires de la péninsule arabique et entretiennent des liens avec les tribus peuplant encore aujourd’hui l’Arabie Saoudite. En dépit des frontières tracées à San Remo (1920), les solidarités et les complicités ont persisté, pour le meilleur et pour le pire. La rivalité de puissance avec l’Iran pousse Ryad à manipuler les appartenances communautaires, tout comme Téhéran, au Liban, en Syrie, en Irak, au Bahreïn et au Yémen. Elle n’intervient contre les forces du Califat qu’en Syrie, parce que c’est l’épicentre de Daesh, mais aussi parce qu’elle ne veut pas renforcer le régime chiite de Bagdad, allié de l’Iran.
La Turquie se préoccupe d’abord de sa stabilité intérieure, laquelle dépend en partie de la question kurde. Sa priorité est donc d’empêcher l’émergence d’une entité kurde indépendante, sur son sol comme chez ses voisins. Pareille au Pakistan prêt à tout pour neutraliser l’irrédentisme pashtoun, elle s’appuie sur n’importe quelle force pour briser les aspirations kurdes. Sa surveillance de la frontière avec la Syrie ne semble pas à la hauteur de la situation et, malgré ses dénégations, il paraît plus que probable qu’elle joue la carte des djihadistes contre les Kurdes [21]. Cette alliance objective sinon formelle (dénoncée par le vice-président américain, Joseph Biden, devant des étudiants de Harvard le 2 octobre 2014) explique en partie que le gouvernement turc n’autorise pas les avions de combat de la coalition internationale formée par les États-Unis à utiliser sa base d’Incirlik. Il est vrai que les actuels dirigeants élus du peuple turc puisent eux aussi aux sources du fondamentalisme musulman, même s’ils affirment en rejeter la variante extrémiste. Ankara aspire également à la puissance régionale. Elle estime, à tort ou à raison, que cela passe par le renversement de Bachar al-Assad en Syrie. Elle tente en vain d’en faire la priorité des États-Unis et de leurs alliés, ce qui contribue aussi à expliquer son refus de prêter la base d’Incirlik. Certains évoquent, enfin, un sentiment anti-Arabe assez répandu : pourquoi venir en aide à des gens qui se sont faits les complices des Occidentaux pour trahir l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale ? Singulière conception pour un État membre de l’Alliance atlantique !
La Russie, bien que directement menacée par Daesh dans une vidéo en russe diffusée le 2 novembre 2014, minimise le danger, du moins dans l’immédiat. Obsédée par sa détestation de l’Occident et accaparée par les conséquences de son aventure ukrainienne, Moscou se borne à défendre ce qu’elle considère comme ses intérêts au Proche-Orient : l’alliance avec Bachar al-Assad en Syrie, avec l’Iran et avec le gouvernement irakien. Cela ne contribue en rien à la solution du conflit.
Une vaste coalition internationale tente d’épauler les forces irakiennes légalistes et les éléments de la résistance syrienne non contaminés par le salafisme djihadiste. Les États-Unis ont pris l’initiative de l’opération Inherent Resolve en septembre 2014. Plusieurs mois après le début des opérations, il semble bien que l’aveu de Barack Obama au début de l’été 2014 demeure d’actualité : Washington n’a pas vraiment de stratégie. Comment en irait-il autrement ? L’équipe dirigeante américaine elle-même est divisée, au point que le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, a été limogé sèchement en novembre 2014. Selon la presse américaine, il préconisait une action militaire aussi intense en Syrie qu’en Irak alors que les partisans d’une intervention essentiellement centrée sur l’Irak, bastion de Daesh, ont emporté l’adhésion du président. Outre un sentiment de culpabilité poussant à tenter de réparer la faute commise en Irak par son prédécesseur, qui fut incapable de réparer le chaos qu’il y avait semé, il semble que Barack Obama ait donné la priorité à deux impératifs : ne pas ajouter encore aux contentieux avec la Russie et ne pas mécontenter l’Iran, avec qui des négociations cruciales sur la prolifération nucléaire militaire sont en cours et dont l’intervention militaire au côté des forces irakiennes est indispensable. En effet, la coalition tire à hue et à dia car les pays qui la composent divergent sur les priorités et le rythme, mais tous se retrouvent sur un plus petit dénominateur commun : aucun ne veut engager de troupes au sol. Donc les Gardiens de la Révolution et autres combattants iraniens sont irremplaçables. L’issue de cette entreprise, fondée essentiellement sur l’emploi des forces aériennes, est incertaine. Tout repose, aujourd’hui, en dernière analyse, sur la réussite de l’attrition du territoire influencé ou contrôlé par Daesh.
Or, le Califat, parfaitement conscient de ce risque mortel, fait tout pour contrer la stratégie de la coalition internationale. Par le biais d’une communication agressive et racoleuse, il cherche à attirer le plus grand nombre possible de djihadistes (environ 20 000 fin janvier 2015 [22]) et de spécialistes civils venus de l’étranger. Le bon fonctionnement de ces flux suppose le contrôle d’une partie de la frontière turque (ce qui pose la question de la complicité objective de la Turquie avec Daesh, comme il a toujours existé une complicité objective entre le Pakistan et les talibans) et la persistance de facilités de déplacement sur l’ensemble de la planète (fruit de l’accélération et de l’amplification de la mondialisation intervenue après la fin de la Guerre froide), notamment dans l’espace de l’Union européenne. Démarche originale, Daesh diffuse de nombreuses vidéos montrant des militants de nationalités diverses afin de prouver qu’il n’y a pas d’exclusion vis-à-vis des musulmans non-Arabes, notamment ceux venus de l’Occident. Citadelle assiégée, Daesh tente également de porter le feu sur le territoire de l’ennemi. Ainsi a-t-il appelé à des actions de guerre sur le territoire de l’ensemble des États qui prennent part à la coalition qui le combat. Cela correspond à la stratégie préconisée par al-Souri, celle des petites cellules disséminées en territoire adverse, partageant la même idéologie, ayant reçu une formation pratique, agissant de manière autonome et au gré des opportunités. Selon lui, les actions spectaculaires type 11 septembre 2001 sont vouées à l’échec car elles requièrent une structure et une logistique importantes donc vulnérables, surtout depuis que l’adversaire est averti.
Le débat sur la terminologie à employer semble oiseux. Il s’agit bien d’une guerre et c’est d’ailleurs le terme utilisé par les djihadistes. Le problème est de savoir quelle sera la durée du conflit. En effet, la situation est peu banale : l’assise territoriale de Daesh semble se renforcer constamment. État atypique, le Califat s’enracine chaque jour davantage du simple fait que personne ne se trouve actuellement en mesure de le déloger. L’asymétrie favorise la sanctuarisation. Parallèlement, la mouvance terroriste que le Califat inspire à l’échelle mondiale persiste et s’amplifie, sans se structurer en réseau, ce qui complique considérablement le renseignement, la parade et l’éventuelle riposte. Territorialisation et déterritorialisation se combinent donc pour former un gigantesque casse-tête stratégique.
La question de la violence djihadiste ne saurait être résolue par une réponse strictement militaire. D’ailleurs, si les frappes aériennes semblent avoir enrayé la progression de Daesh, elles ne paraissent pas avoir empêché sa consolidation dans les zones de peuplement arabe sunnite. Les sociétés arabo-musulmanes connaissent une crise profonde affectant toutes leurs dimensions. Leur stabilisation ne peut donc résulter que d’un processus politique, au sens noble du terme. C’est-à-dire le traitement de l’ensemble des maux qui affectent les habitants. Pour réussir, ce processus doit être le fait des populations elles-mêmes, mené à leur rythme et bénéficier, le cas échéant, de l’aide de la communauté internationale. Cela devrait être la leçon des échecs occidentaux en Afghanistan, en Irak et en Libye. Encore faut-il que les sociétés arabo-musulmanes forgent le contexte favorable pour que la frange de leurs élites disposée à conduire ces changements puisse agir efficacement.
Article clos le 27 janvier 2015
Copyright 31 janvier 2015-Gourdin/Diploweb.com
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Références bibliographiques :
Pierre Verluise (sous la direction de)
Géopolitiques des terrorismes
Diploweb.com, 24 janvier 2015
ISBN : 979-10-92676-01-3
Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne les relations internationales et la géopolitique auprès des élèves-officiers de l’Ecole de l’Air. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique auquel est adossé le Diploweb.com.
[1] . Laurent Touchard, « État islamique : naissance d’un monstre de guerre (#1) & (#2), Jeune Afrique, 24 et 26 septembre 2014.
[2] . Deux ouvrages utiles :
. Patrick Cockburn, Le retour des djihadistes. Aux racines de l’État islamique, Paris, 2014, Équateurs ;
. Thomas Flichy de la Neuville et Olivier Hanne, L’État islamique. Anatomie du nouveau Califat, Paris, 2014, Bernard Giovanangeli éditeur.
[3] . En particulier celles publiées par l’Institute for the Study of War (www.understandingwar.org), notamment : ISIS Sanctuary, January 15, 2015, iswiraq.blogspot.fr/2015/01/isis-sanctuary-map-january-15-2015.html, consultée le 16 janvier 2015.
[4] . Voir une synthèse d’octobre 2014 sur http://accelus.thomsonreuters.com/fr/ infographic/islamic-state-how-worlds-richest-terrorist-organization-funds-its-operations#, consultée le 13 janvier 2015.
[5] . Brynjar Lia, Architect of Global Jihad : The Life of Al Qaeda Strategist Abu Mus’ab Al-Suri, Columbia University Press, 2008.
[6] . Gilles Kepel, Terreur et martyre. Relever le défi de civilisation, Paris, 2008, Flammarion, pp. 190-191.
[7] . « Iraqi agriculture drops 40% under IS control », Al Monitor, January 20, 2015.
[8] . « Business of the Caliph », Zeit online, December 4, 2014.
[9] . Barthélémy Gaillard, « Pourquoi il est compliqué de combattre l’État islamique », europe1.fr, 8 septembre 2014.
[10] . Ces chiffres et ceux cités ci-après résultent d’estimations qui nous donnent un ordre de grandeur, en aucun cas une mesure exacte de la réalité.
[11] . Liz Sly, « The Islamic State is failing at being a state », The Washington Post, December 26 2014 ;
Susannah George, « The Islamic State is waging war on technocrats », The Guardian, December 26 2014.
[12] . Dans le Sahîh de Muslim, un des deux recueils de hadith considérés comme les plus fiables : « L’autorité restera toujours dans la tribu de Quraysh ». Cité par Ibn Khaldûn, Muqaddima, III-24, traduction d’Abdesselam Cheddadi, Paris, 2002, Gallimard, p. 476.
[13] . Ibn Khaldûn, op. cit., p. 470. Il explique : « En effet, les hommes n’ont pas été créés uniquement en vue du monde d’ici-bas, qui n’est que jeu et vanité, puisque destiné à la mort et à l’anéantissement. […] Le but pour lequel ils ont été créés est leur religion, qui doit les conduire au bonheur dans l’autre monde. […] Aussi les lois religieuses sont-elles venues pour exhorter les hommes à suivre ce chemin dans tout ce qu’ils font, aussi bien en matière de culte que dans leurs relations avec leurs semblables. […] Le califat consiste à […] faire agir [les hommes] suivant une vision religieuse des intérêts de l’autre monde et des affaires de ce monde qui en dépendent. » (ibidem, pp. 469-470)
[14] . James Barr, A Line in the Sand. Britain, France and the Struggle for the Mastery of the Middle East, London, 2011, Simon & Schuster.
[15] . Dans le Sahîh de Muslim.
[16] . Michael W. S. Ryan , « Dabiq : What Islamic State’s New Magazine Tells Us about Their Strategic Direction, Recruitment Patterns and Guerrilla Doctrine », Terrorism Monitor, The Jamestown Foundation, August 1, 2014.
[17] . William McCants ; « ISIS Fantasies of an Apocalyptic Showdown in Northern Syria », blog Markaz, Brookings Institution, October 3, 2014.
[18] . Roger Faligot et Rémi Kauffer, Le Croissant et la croix gammée : Les Secrets de l’alliance entre l’Islam et le nazisme d’Hitler à nos jours, Paris, 1990, Albin Michel
Martin Cüppers et Klaus-Michael Mallmann, Croissant fertile et croix gammée : Le Troisième Reich, les Arabes et la Palestine, Paris, 2009, Verdier.
[19] . Kevin Sullivan and Karla Adam, « Hoping to create a new society, the Islamic State recruits entire families », The Washington Post, December 24, 2014.
[20] . Thomas Flichy de la Neuville et Olivier Hanne, « État islamique, un cyber-terrorisme médiatique ? », École de Guerre, décembre 2014, http://www.chaire-cyber.fr/IMG/pdf/article_3_15_ _chaire_cyberdefense.pdf
[21] . Fehim Taştekin, « Turkish military says MIT shipped weapons to al-Qaeda », Al Monitor, January 15, 2015.
[22] . Chiffres de l’International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence :
http://icsr.info/2015/01/foreign-fighter-total-syriairaq-now-exceeds-20000-surpasses-afghanistan-conflict-1980s/, consulté le 27 janvier 2015.
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Date de publication / Date of publication : 1er février 2015
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Géopolitique de Daesh. La situation est peu banale : l’assise territoriale de Daesh semble se renforcer constamment. État atypique, le Califat s’enracine chaque jour davantage du simple fait que personne ne se trouve actuellement en mesure de le déloger. L’asymétrie favorise la sanctuarisation. Parallèlement, la mouvance terroriste que le Califat inspire à l’échelle mondiale persiste et s’amplifie, sans se structurer en réseau, ce qui complique considérablement le renseignement, la parade et l’éventuelle riposte. Territorialisation et déterritorialisation se combinent donc pour former un gigantesque casse-tête stratégique.
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