APRES l’éclatement de l’Union soviétique et le désordre eltsinien, V. Poutine avait entrepris de reconstruire la Russie dans des limites désormais resserrées. Pour ce faire, il n’avait le support d’aucune idéologie – le communisme était mort -, il fit appel au patriotisme.
A l’extérieur, il rechercha, au tout début du moins, le soutien de l’Union européenne. Il s’aperçut très vite que si celle-ci a une réalité économique, elle n’a guère d’existence politique. Au surplus, les Européens ne mesuraient pas les chances que représentait, pour l’Europe elle-même, la disparition de l’URSS avec la possibilité d’une coopération nouvelle entre la Russie et l’Union européenne. Poutine se tourna alors vers les Etats-Unis. Mais ceux-ci demeuraient avec l’esprit de la Guerre froide (1947-1990). A dire vrai, si les Occidentaux s’étaient réjouis de la disparition de l’Union soviétique (1991), ils s’inquiétaient de la renaissance d’une Russie.
Pour sa part, outre le redressement de celle-ci, Poutine (2000 - ) visa, sinon à [un rétablissement impossible de l’URSS, du moins à un maintien renforcé dans sa mouvance des républiques ex-soviétiques. Au contraire, les Occidentaux, dans un esprit en partie missionnaire, n’eurent de cesse d’attirer celles-ci dans leur camp démocratique. Il s’agissait d’abord de l’entrée dans l’Union européenne, mais celle-ci était en général accompagnée de l’entrée dans l’OTAN.
Face à tant de rebuffades – et il en connut d’autres, telle l’indépendance du Kosovo -, Poutine le patriote devint de plus en plus nationaliste et les Occidentaux se méfièrent de plus en plus de lui.
Durant toutes les années suivant la disparition du Rideau de Fer, l’Ukraine avait vécue dans le trouble politique et le désordre économique. V. Ianoukovitch à la fin avait été élu (2010). Très vite, il avait été rejeté par la grande majorité des Ukrainiens, moins parce qu’il était soutenu par Moscou que pour son autoritarisme, son incompétence et sa cupidité. Son refus de signer l’arrangement projeté avec l’Union européenne (2013) a été moins la cause profonde des manifestations qui ont suivi qu’une péripétie qui fit exploser le mécontentement.
Mais très vite, l’affaire s’est internationalisée et elle devint, autant qu’une affaire de l’Ukraine, celle d’une opposition entre l’Est et l’Ouest. Celle-ci se nourrit et s’aggrave des antagonismes entre ukrainiens de Kiev et russophones de Donetsk, les uns et les autres soutenus qui par l’Ouest et qui par l’Est, sur fond de caisse de résonnance médiatique. Peu à peu, la surenchère prévaut, chacun se sent et se dit agressé, la situation paraît échapper à tous, on touche maintenant à l’irrationnel. D’aucuns même imaginent une guerre. Heureusement il y a de part et d’autre la dissuasion nucléaire pour nous garder d’aller jusqu’à des extrêmes !
Il est urgent de raison retrouver. La majorité silencieuse des Ukrainiens n’y suffira pas. Il est utopique d’autre part d’escompter que des élections comme celles envisagées pour le 25 mai 2014 pourraient seules résoudre légitimement la crise dans ce pays en désordre.
Pour ce qui concerne les Occidentaux, la prolongation et l’aggravation de cette crise actuelle, outre ses conséquences potentielles au-delà même de l’Ukraine, ne feraient que davantage ressortir leur impuissance, hélas trop habituelle, face à des situations périlleuses. Chacun dans le monde sait bien désormais qu’ils reculeront toujours devant l’usage de la force. En tout cas, ce n’est pas en l’occurrence une multiplication des sanctions qui amènera Moscou à résipiscence. C’est en Russie même que réside la véritable possibilité de mettre fin aux dérèglements actuels.
Monsieur Poutine a mis à profit le problème ukrainien pour récupérer la Crimée. Mais il sait bien qu’à aller trop loin il compromettrait gravement le redressement économique qu’il avait su conduire et qu’il exposerait à un tragique isolement cette Russie dont il s’était employé à faire de nouveau un acteur international majeur – la retenue actuelle de la Chine est à cet égard significative - .
Russes et Occidentaux ont donc tous intérêt à chercher à s’entendre, et à le faire sans tarder, tandis qu’au contraire leurs partisans de Kiev et de Donetsk tentent de les conduire à s’affronter. C’est à eux qu’incombe la responsabilité première de rechercher et de mettre en œuvre une solution.
Parmi les Occidentaux, les Européens, plus que tous autres, ont intérêt à prôner cette reprise de contact dans un esprit nouveau, avec pour objectif une Ukraine, fédérale ou non, mais réunifiée, qui soit proche de la Russie sans lui être inféodée et qui coopère avec l’Union européenne sans en faire partie. Parmi les Européens, la France –malgré sa perte d’autorité présente dans le monde (puisse-t-elle être temporaire !)-, l’Allemagne, impliquée politiquement à l’Ouest, mais fortement engagée à l’Est, et la Pologne, à condition qu’elle surmonte la rancœur née d’un passé douloureux, peuvent jouer un rôle tout particulier. Encore faut-il pour ce faire que ces trois puissances du Triangle de Weimar sachent prendre ensemble de la hauteur et privilégier maintenant la recherche sincère de la paix sur la poursuite de la polémique.
Manuscrit clos le 9 mai 2014
Mise en ligne initiale le 10 mai 2014
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Ambassadeur de France dignitaire, notamment ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay (1981-1985), ancien Ambassadeur à Madrid. Ancien Président de l’Institut Français du Pétrole. Ancien Président et Président d’Honneur de Gaz de France. Antérieurement, Directeur Général de la Croix Rouge Française.
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Date de publication / Date of publication : 11 mai 2014
Titre de l'article / Article title : Ukraine : Halte au feu !
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