Recherche par sujet

www.diploweb.com Histoire

"Comprendre Hitler et la Shoah.

Les historiens de la République Fédérale d'Allemagne et l'identité allemande depuis 1949",

par Edouard Husson, chercheur

 

*

 

Biographies d'Edouard Husson et du Pr. Ian Kershaw en bas de page.

Mots clés - key words : edouard husson, historiographie allemande de l'allemagne nazie et de la shoah, ian kershaw, presses universitaires de France, histoire, mémoire, III e reich, querelle des historiens, totalitarisme, ernst nolte, seconde guerre mondiale, nazisme, antisémitisme, allemagne fédérale, congrès des historiens allemands de 1998, débat, interprétation, orthodoxie, jeunesses hitlériennes, enseignement, politique raciale, morale, corporation, daniel goldhagen, contreverse, culpabilité, wehrmacht, europe centrale et orientale, réunification, extermination des juifs, archives, guerre génocidaire, courants intellectuels, fascisme, nationalisme, militarisme, vie quotidienne, complicités, victimes, bourreaux, allemands ordinaires, consensus politique, auschwitz, judéocide.

  éd. P.U.F, coll. Perspectives germaniques, 2000, 306 p.

Présentation par le Professeur Ian Kershaw

Ce livre mérite d'être lu par tous ceux qui s'intéressent à la manière dont l'histoire de la période nazie a été élaborée par les plus grands historiens allemands. En effet, voici une analyse judicieuse, équilibrée et pénétrante de presque cinq décennies d'historiographie allemande du nazisme. (Sommaire complet en fin de compte rendu)

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé d'histoire, docteur de l'Université Paris-Sorbonne, Edouard Husson rassemble ici des recherches érudites commencées dans le cadre de sa thèse de doctorat. Il est actuellement chargé de recherche à l'Institut d'histoire du temps présent de Munich.

Un moment clé

Dans cet ouvrage, Edouard Husson décrit parfaitement ce qui s'est passé en 1998 au Congrès des historiens allemands. Celui-ci a revêtu une importance inhabituelle, parce qu'il a marqué pour l'historiographie la fin d'une époque. Il est devenu évident, à cette occasion, que le paradigme des interprétations de la période nazie avait changé. Le Graal de l'orthodoxie historique est passé d'une génération d'historiens à une autre. Nous avons assisté aux adieux de la "génération des jeunesses hitlériennes", c'est à dire cette génération d'historiens qui fut marquée à l'adolescence par l'ouragan de destruction accompagnant l'agonie du régime nazi. Elle se forma à la recherche historique durant les années cinquante et a progressivement dégagé dans les deux décennies suivantes les personnalités marquantes de la profession.

Lors du Congrès de 1998, leur domination sur les études historiques a été ouvertement remise en question par une nouvelle génération d'historiens, nés dans les années cinquante ou soixante, c'est à dire longtemps après l'effondrement du nazisme et la fin de la guerre. En un mot, les plus éminents représentants de la "génération des jeunesses hitlériennes" ont été confrontés au passé de leurs propres maîtres. Comment expliquaient-ils que leurs vénérés professeurs, mentors et directeurs de thèse aient été des complices actifs de la politique "raciale" du régime nazi ?

Remise en question

Il est frappant d'observer avec quelle vigueur les historiens de la nouvelle génération formulent une condamnation morale du passé nazi des historiens ayant régné sur la corporation dans l'immédiat après-guerre et comment, par voie de conséquence, l'autorité morale de la "génération des jeunesses hitlériennes" est ébranlée. L'atmosphère de la discussion est très semblable à ce qu'on a pu observer - à l'échelle d'un plus large public - lors du débat intense provoqué par un livre de Daniel Goldhagen sur les Allemands comme "bourreaux volontaires au service d'Hitler". Ouvrage auquel Edouard Husson a, d'ailleurs, déjà consacré une étude exemplaire, sous le titre "Une culpabilité ordinaire ? Hitler, les Allemands et la Shoah. Les enjeux de la controverse Goldhagen", Paris, éd. F-X de Guibert, 1997. L'ambiance du débat public fait également penser à la controverse sur la participation de la Wehrmacht à une guerre d'extermination en Europe centrale et orientale.

Changement de cap

Visiblement, la nouvelle génération s'éloigne de ce qui intéressait la "génération des jeunesses hitlériennes", pour se consacrer à ce qui intéresse en premier lieu les habitants de l'Allemagne réunifiée depuis 1989-1990 : la question de la participation de la population de l'Etat national allemand de la première moitié du siècle à une "guerre d'anéantissement" et à l'extermination des juifs.

Depuis la première édition, en 1985, de la version anglaise de mon livre "Qu'est-ce que le nazisme ?"(Trad. Fr. Paris, éd. Gallimard, 1992 et 1997), des changements majeurs sont donc intervenus dans l'historiographie du IIIe Reich. Tout particulièrement dans la manière dont les historiens allemands abordent cette période. Certains des débats qui avaient tellement marqué la période entre les années soixante et les années quatre-vingt ont perdu beaucoup de leur urgence. Dans d'autres cas, la nature du débat a complètement changé. L'impulsion la plus importante venue de l'extérieur pour induire ces changements a été donnée par la chute du bloc soviétique et par la réunification allemande survenue dans son sillage. Ces évènements ont coïncidé avec l'arrivée à l'âge de la retraite - ou même, dans certains cas, le décès - des historiens qui avaient mené les débats sur le IIIe Reich depuis les années soixante : la "génération des jeunesses hitlériennes". En quelques années seulement, le climat historiographique a changé. Des pièces d'archives majeures sont devenues accessibles en Europe de l'Est. Ce qui a donné l'occasion d'entreprendre pour la première fois une recherche empirique détaillée sur le déploiement d'une guerre génocidaire et sur la mise en place de l'extermination des Juifs. L'apport de ces documents se conjugue aux nouvelles perspectives, que procurent aussi bien le recul du temps que la chute du Rideau de Fer.

Un outil utile pour comprendre le chemin

"Connais tes historiens et tu sauras quelle histoire ils écrivent" est une vieille maxime. Elle convient particulièrement à la profession en Allemagne depuis 1945. Le grand mérite de ce livre d'Edouard Husson est d'avoir été capable d'analyser, au terme de l'enquête la plus approfondie et la plus complète qui ait été menée jusqu'à présent, les influences qui ont façonné l'œuvre historique de la "génération des jeunesses hitlériennes". Sa maîtrise des questions que soulève un déversement d'érudition couvrant presque cinq décennies est proprement admirable. Il est difficile d'imaginer que l'on puisse entreprendre une analyse plus complète de ces courants intellectuels majeurs. L'étude des changements de paradigme de l'analyse historique dans l'Allemagne des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix est particulièrement excellente.

L'impact de la réunification

Voici comment, dans sa conclusion, Edouard Husson exprime l'évolution :"Dans le discours historique ouest-allemand des années cinquante, Hitler est quasiment l'unique responsable de la violence qui s'est abattue sur la société allemande. Dans les années soixante et soixante-dix, les grandes institutions de l'Allemagne traditionnelle et du régime nazi sont mises en cause, mais le débat reste partiellement abstrait : on débat sur le totalitarisme, le fascisme, le nationalisme, le militarisme, etc. A partir des années quatre-vingt, l'intérêt pour l'histoire de la vie quotidienne aide à poser la question des complicités avec le régime au niveau local. La chute du communisme, enfin, fait sauter les derniers tabous : parler des crimes de la Wehrmacht, ce n'est plus remettre en cause la Bundeswehr (et donc l'OTAN, garantie contre le communisme), dont les premiers cadres dirigeants avaient servi Hitler. Evoquer les complicités des dirigeants économiques avec le IIIe Reich ne fait plus soupçonner de vouloir renverser le capitalisme.

Ni les crimes du communisme russe et des ses complices allemands, ni les violences engendrées par la modernisation des sociétés européennes et occidentales, ne peuvent rendre compte de la singularité par excellence de l'histoire allemande : "La route tortueuse qui mène à Auschwitz" (Karl A. Schleunes). Telle est l'idée qui s'affirme progressivement, avec la multiplication des travaux sur les crimes du nazisme. […]

Reconstruire l'histoire allemande après Auschwitz, au sens où je l'entends, signifie passer - progressivement - d'un récit qui camoufle la violence du passé unitaire à un récit qui la dit. Les victimes sont identifiées comme victimes et la violence n'est plus seulement "celle des autres". C'est à dire que, paradoxalement, les singularités de l'histoire allemande sont affirmées comme jamais elles ne l'avaient été. Cela ne veut pas dire que l'on cesse de parler des contributions positives de l'Allemagne à l'histoire de l'Europe ni que l'on fait de tous les Allemands des "bourreaux volontaires de Hitler".

Au contraire : décrire le plus précisément possible la contribution des "Allemands ordinaires" aux entreprises criminelles du III e Reich, c'est à la fois contribuer à éviter des généralisations abusives et montrer qu'il suffisait de contribuer au consensus politique qui soutenait le régime pour en permettre les entreprises les plus monstrueuses ; c'est aussi rendre la place qui leur revient aux victimes allemandes du nazisme dans la mémoire de la nation. Présenter toutes les facettes de l'histoire allemande, c'est aider à comprendre comment, pour reprendre une formule classique, le peuple de Goethe peut être en même temps celui d'Auschwitz". (pp. 294-295)

Sommaire complet :

Introduction : D'une conception sacrificielle à une conception mémorielle de la nation ?

Première partie

Comprendre la préhistoire du nazisme : les historiens allemands et la déconstruction des mythes nationalistes.

  1. L'Allemagne est-elle coupable ? Dialogues d'historiens (1945-1960).
  2. Débats sur la République de Weimar.
  3. Les thèses de Fritz Fischer sur le comportement des dirigeants et de l'opinion allemande durant la Première Guerre mondiale.
  4. Ralf Dahrendorf : Pourquoi le libéralisme est-il resté une tradition étrangère à l'Allemagne ?
  5. "Primauté de l'explication par la politique étrangère", "impérialisme allemand" ou "Sonderbewusstsein"?

Deuxième partie

Auschwitz signifie-t-il la fin de l'histoire allemande ? Querelles d'historiens

  1. De la légitimation de l'existence de deux Etats allemands au retour de l'anticommunisme : les impasses de la pensée postnationale.
  2. Le plaidoyer pour l'historicisation du national-socialisme de Martin Broszat.
  3. La "querelle des historiens".
  4. Les historiens face à la réunification.

Troisième partie

Regarder en face les crimes du nazisme : Histoire et mémoire du III e Reich en RFA dans les années quatre-vingt-dix

  1. "Faire passer le passé" dans l'Allemagne réunifiée ?
  2. L'exposition sur les crimes de guerre de l'armée allemande du IIIe Reich.
  3. Histoire et mémoire du judéocide en République Fédérale d'Allemagne. Le cas des historiens.
  4. Les historiens sous le IIIe Reich : une réévaluation.

Conclusion - Choix bibliographique - Abréviations - .

Voici donc pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'Allemagne et de l'Europe un ouvrage qui donne bien des clés utiles pour donner un sens aux travaux historiques allemands publiés depuis 1949 à propos de Hitler et de la Shoah.

Professeur Ian Kershaw

Copyright février 2001-Kershaw/www.diploweb.com . Les intertitres sont de la rédaction.

 
    Plus avec www.diploweb.com  
    . "Le pacte Ribbentrop-Molotov, l'agression soviétique contre la Pologne le 17 septembre 1939 et sa négation en 1999. L'état des connaissances en 2000", par Alexandra Viatteau.

. "Staline assassine la Pologne. 1939-1947", par Alexandra Viatteau.

. "Découvrir l'Allemagne", par Edouard Husson.

. "La réunification allemande et les relations franco-allemandes", par Jacques Jessel, ministre plénipotentiaire.

. "L'Allemagne à l'aube du XXI e siècle", par Edouard Husson.

 
     

Biographie du Professeur Ian Kershaw

 
    . Né en 1942.

. Médiéviste de formation, il soutient sa thèse sur l'histoire économique et sociale d'un monastère britannique.

. En 1974, il commence à travailler sur le nazisme, à propos de la Bavière entre 1933 et 1945. Cette recherche se fait dans le cadre d'un projet de l'Institut d'Histoire Contemporaine de Munich (République Fédérale d'Allemagne).

. Il se spécialise dans les études sur l'opinion publique allemande sous le nazisme. Une étude sur l'évolution de la popularité de A. Hitler l'amène à se poser la question du pouvoir exercé par Hitler. Simple tyrannie totalitaire ou mobilisation sur sa personne des aspirations les plus diverses au service d'un programme radical d'extermination raciste ? La réalisation d'une biographie de Hitler lui a demandé 12 ans de travail.

Il a publié, en français:

. "Qu'est-ce que le nazisme ?", éd. Gallimard, 1992 et 1997.

. "L'opinion publique sous le nazisme", CNRS éditions, 1995.

. "Hitler. Essai sur le charisme en politique", éd. Gallimard, 1995.

. "Hitler. Tome 1 : Hubris 1889-1936. Tome 2 : Nemesis 1936-1945", éd. Flammarion, 1999 et 2000.

 
     

Biographie d'Edouard Husson, chercheur

 
    Etudes et activités professionnelles

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure (concours L1988)

Agrégé d'histoire (1992)

Docteur en histoire de l'université Paris IV (1998)

Ancien chargé de cours au Centre d'Etudes Germaniques (université Strasbourg III)

Ancien boursier du DAAD

Ancien boursier de la Fondation Thiers

Chercheur à l'Institut für Zeitgeschichte/ Leonrodst. 46b D-80636 Munich

Publications:

  1. La traduction française de Jörg Wollenberg, Richelieu. Kirchenpolitik und Staatsräson. Die Legitimation der Aussenpolitik des Kardinalpremiers, Brême 1977, sous le titre: Les trois Richelieu. Servir Dieu, le Roi et la Raison, Paris, F-X de Guibert, 1995, avec une postface : "Richelieu, Bismarck et la paix européenne"
  2. Une culpabilité ordinaire ? Hitler, les Allemands et la Shoah. Les enjeux de la controverse Goldhagen, Paris, F-X de Guibert, 1997.
  3. L'Europe contre l'amitié franco-allemande. Des malentendus à la discorde, Paris, F-X de Guibert, 1998
  4. Allemagne. Une névrose française. Note n°3 de la Fondation Marc Bloch/ Fondation du 2 mars
  5. Avec Michel Pinton, Une histoire de France, Paris F.-X. de Guibert, 2000.
  6. "Nietzsche, Marx et leurs épigones dans l'œuvre de Nolte". Préface à Ernst Nolte, Nietzsche, Paris, Bartillat, 2000.
  7. Comprendre Hitler et la Shoah. Les historiens de la République Fédérale d'Allemagne et l'identité allemande depuis 1949, Paris, PUF, octobre 2000.

Egalement des articles dans L'Histoire, la Revue d'Allemagne, Documents.

 
  Recherche par sujet   Ecrire :P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France
       

Copyright février 2001-Kershaw/www.diploweb.com

La reproduction des documents mis en ligne sur le site www.diploweb.com est suspendue à deux conditions:

- un accord préalable écrit de l'auteur;

- la citation impérative de la date de la mise en ligne initiale, du nom de famille de l'auteur et du site www.diploweb.com .

Pour tous renseignements, écrire: P. Verluise ISIT 12 rue Cassette 75006 Paris France