www.diploweb.com Géopolitique de l'Union européenne La Politique européenne de voisinage, par P. Verluise, spécialiste de géopolitique
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L'Union européenne (UE) commence à prendre ses responsabilités en coordonnant ses relations avec les pays frontaliers. Elle fixe des règles cohérentes avec ses valeurs et ses intérêts légitimes. Que l’UE affiche clairement que le niveau d’avancée de la PEV dépendra pour chaque pays du respect de ses engagements à respecter des valeurs qui fondent l’Europe communautaire n’a rien de choquant. Sous réserve, bien sûr, que l’Union respecte vraiment cette volonté de ne pas se galvauder. La Commission européenne semble consciente du risque, puisqu’elle écrit : «Pour la mise en œuvre de la PEV, il importe au plus haut point que les institutions et les Etats membres agissent de manière logique et cohérente. » |
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L’Union européenne se dirige-t-elle vers une politique de puissance à travers la Politique européenne de voisinage ? Pour répondre à cette question, il convient de retracer la genèse de la PEV et d’étudier ses objectifs. L’annonce publique de la Politique européenne de voisinage s’est faite en deux temps. A la suite d’une lettre conjointe adressée au Conseil en août 2002 par le Haut Représentant, M. Javier Solana, et le commissaire C. Patten, la Commission présente le 11 mars 2003 une communication intitulée : « L’Europe élargie – Voisinage : Un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud »[i]. Le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 salue cette initiative et invite la Commission à la poursuivre. Il importe de savoir que durant les mois qui précèdent l’élargissement, des représentants des pays en passe d’adhérer participent en tant qu’observateurs à plusieurs institutions clés. Ce qui leur donne un pouvoir d’influence, notamment à ce sujet. Le 12 mai 2004, soit à peine deux semaines après l’adhésion effective des 10 nouveaux Etats membres, la Commission donne un coup d’accélérateur à la Politique européenne de voisinage, avec l’adoption et la publication d’un « document de stratégie » [ii] appelé : « Politique européenne de voisinage. Document d’orientation.» [iii] Il est frappant de retrouver dans ce texte majeur des préoccupations des nouveaux Etats membres. La Pologne a, semble-t-il su faire passer durant les mois précédents les ambitions de certains courants polonais par rapport à l’Ukraine et à la Biélorussie, pour tenter d’en faire une « ceinture de protection » [iv] par rapport à la Russie post-soviétique. Dialectique Quelle est l’intention communautaire ? La Politique européenne de voisinage « a pour objectif de partager avec les pays limitrophes les avantages de l’élargissement de l’UE – c’est à dire la stabilité, la sécurité et la prospérité – dans des conditions distinctes d’une adhésion à l’UE. Elle vise à prévenir l’apparition de nouvelles lignes de fractures entre l’UE élargie et ses voisins, et à offrir à ces derniers l’occasion de participer à diverses activités de l’UE par le biais d’une coopération étroite sur les plans politique, économique et culturel, ainsi qu’en matière de sécurité » [v]. L’objectif annoncé est d’éviter que l’élargissement du 1er mai 2004 crée de nouvelles lignes de fractures. Une manière de couper l’herbe sous le pied à ceux qui – après avoir construit le Rideau de fer et le Mur de Berlin – pourraient être tentés de dénoncer la construction d’un « Mur de l’argent ». Ce qui ne manquerait pas de saveur pour un pays – chacun aura reconnu la Russie – spécialisé depuis vingt ans dans la fuite des capitaux [vi] . Pour autant, les habiletés dialectiques de la Commission ne trompent pas grand monde dans les pays voisins. En témoigne ce commentaire de La Gazette du Maroc : « La nouvelle « Politique européenne de voisinage » ne laisse aucune perspective d’adhésion aux pays concernés. »[vii]
Quels sont les espaces concernés par la PEV ? La réponse se trouve sur le tableau 1, UE: les espaces de la PEV.
Le tableau 1 distingue trois zones : l’Europe, la région méditerranéenne, et – à titre de recommandation de la Commission - le Caucase méridional. Mis à part l’Irak et l’Iran, la PEV concerne donc potentiellement toutes les frontières méridionales et orientales d’une UE élargie à la Turquie. Chacun a d’ailleurs relevé que la Turquie n’est pas incluse dans la PEV, parce qu’elle poursuit alors ses relations avec l’UE dans le cadre de la pré-adhésion. 23,9 millions de km2, 383,8 millions d'habitants Concentrons-nous maintenant sur les 14 entités d’Europe et de la région méditerranéenne directement concernées par la PEV. Leur superficie cumulée dépasse 23,9 millions de km2, soit presque six fois la superficie de l’UE25. L’apport principal vient de la Russie, avec 17,07 millions de km2.
Russie, Moscou en 2005. Crédits: C. Millet En 2001, la population cumulée des espaces concernés par la PEV s’élève à 383,8 millions d’habitants, soit 3 millions de plus que la population de l’UE15 au 1er janvier 2004, mais 71,1 de moins que celle de l’espace UE25 à cette même date.[viii] Les pays les plus peuplés sont par ordre décroissant la Fédération de Russie (144,8 millions d’habitants), l’Egypte (65,3) et l’Algérie (30,7). Les moins peuplés sont, par ordre décroissant : la Moldavie (4,3), le Liban (3,6) et les territoires placés sous l’Autorité palestinienne (3). Ces territoires sont caractérisés par des dynamiques économiques très différentes comme en témoigne l’étude du Produit Intérieur Brut par habitant dans les espaces de la PEV, en % de l’UE15 (UE15=100), 2001. Les espaces concernés par la PEV semblent particulièrement peu productifs. Certes, Israël fait exception (79,7%), mais ce résultat reste finalement assez modeste puisqu’il place cet Etat à peine au-dessus de Chypre (76,4%) [ix]. Tous les autres espaces sont à moins de 20%, voire 10% des résultats de l’UE15. Ils sont donc – encore - moins bien placés que la Turquie (26,1%). Peut-être sera-t-on surpris des résultats médiocres de la Russie (8,3%)… Sans parler de la Moldavie : 1,8%.
Eviter la multiplication des facteurs destabilisants Ces données économiques conduisent à craindre des tensions entre l’UE élargie et son voisinage. Ce qui réduirait les chances de l’UE de devenir, un jour, une véritable puissance. Un tel différentiel de richesse risque de développer de multiples trafics, notamment d’êtres humains. La stratégie de la Commission vise donc à éviter la multiplication de foyers de tension et de facteurs déstabilisants pour l’UE. Ainsi, la Politique européenne de voisinage s’inscrit bien dans le deuxième objectif de la Stratégie européenne de sécurité adoptée par l’UE en décembre 2003 : contribuer à la sécurité du voisinage. La Commission propose une méthode : la définition d’une série de priorités dans des plans d’actions arrêtés conjointement. Ces plans différenciés par pays, prévus pour une période de 3 à 5 ans, reposent sur l’engagement en faveur des valeurs de l’Union européenne : les droits de l’homme, notamment les droits des minorités, l’Etat de droit, la bonne gouvernance, la promotion des relations de bon voisinage et les principes de l’économie de marché et du développement durable. Des engagements de la part des pays partenaires sont également demandés en ce qui concerne certains aspects essentiels de l’action extérieure de l’UE.
Les plans d'actions Les plans d’actions peuvent couvrir des domaines essentiels : - Le dialogue politique : lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, soutien à la résolution des conflits régionaux. - La politique de développement économique et social : efforts de rapprochement de la législation des pays concernés avec les textes communautaires, accès à certains programmes éducatifs de l’UE, amélioration des connexions et des liens physiques avec l’UE, par exemple dans le domaine des transports et de l’énergie. Le renforcement du partenariat énergétique est présenté comme « un volet essentiel de la PEV ». - Le commerce : ouverture accrue du marché, conformément aux principes de l’Organisation Mondiale du Commerce et en convergence avec les normes de l’UE. - Justice et affaires intérieures : gestion des frontières et des mouvements de population, lutte contre le terrorisme, la corruption, le trafic d’êtres humains, la drogue et les armes, la criminalité organisée, le blanchiment de capitaux, la criminalité financière et économique [x].
Une aide conditionnelle Le document de référence rendu public le 12 mai 2004 énonce plusieurs fois et sans ambiguïtés que l’UE intensifiera ses liens avec chaque partenaire au vu d’une évaluation pragmatique. « Le niveau d’ambition des relations de l’UE avec ses voisins tiendra compte de la mesure dans laquelle ces valeurs seront effectivement partagées.» [xi] Quelques pages plus loin, le texte reprend cette idée : « L’ambition et le rythme de développement des relations de l’UE avec chaque partenaire dépendront de son engagement en faveur de valeurs communes, ainsi que de sa volonté et de sa capacité de mettre en œuvre les priorités convenues.»[xii]
Ne peut-on pas se féliciter que l’UE semble prendre ses responsabilités, coordonne ses relations avec son voisinage et fixe des règles cohérentes avec ses valeurs et ses intérêts légitimes ? Enoncer des normes et ambitionner de les étendre dans son environnement pour en devenir ainsi indirectement co-organisateur, n’est-ce pas un comportement qui s’approche d’une attitude de puissance ? Que l’UE affiche clairement que le niveau d’avancée de la PEV dépendra pour chaque pays du respect de ses engagements à respecter des valeurs qui fonde l’espace communautaire n’a rien de choquant. Sous réserve, bien sûr, que l’Union respecte vraiment cette volonté de ne point se galvauder. La Commission semble consciente du risque, puisqu’elle écrit : «Pour la mise en œuvre de la PEV, il importe au plus haut point que les institutions et les Etats membres agissent de manière logique et cohérente. »[xiii]
L'Ukraine Durant le mois de décembre 2004, l’implication de l’Union européenne en faveur d’élections libres en Ukraine marque le renforcement d’une tendance antérieure. Depuis 1991, le total de l’aide de l’UE se chiffre à plus de 1 milliard d’euros. Ce qui fait de l’Europe communautaire le plus grand donataire de l’Ukraine. Les principaux objectifs du programme TACIS sont de renforcer la démocratie et l’Etat de droit. L’Ukraine est un des 30 pays cibles pour l’initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH). Au cours de ces dernières années, l’Ukraine a reçu environ 5,3 millions d’euros pour soutenir les activités visant à améliorer l’accès à la justice et la surveillance des droits de l’homme. Dès le mois de mai 2004, le rapport de la Commission européenne[xiv] note ainsi : « Le dialogue politique UE-Ukraine s’est considérablement intensifié au cours de ces dernières années. Il a engendré des résultats pratiques et ouvert la voie à la poursuite des discussions, notamment sur les questions régionales, la prévention et le règlement des conflits. L’Ukraine s’aligne unilatéralement sur un grand nombre de déclaration de l’UE dans le cadre de la PESC et a exprimé un ferme intérêt quant à sa contribution aux futures opérations de l’UE dans le contexte de la PESD ». La nouvelle donne en Ukraine apportera probablement de nouveaux développements. Il reste maintenant à suivre la mise en oeuvre effective de la Politique européenne de voisinage pour évaluer la cohérence entre les objectifs et les résultats. Il serait également intéressant d’étudier de façon approfondie la nature exacte des relations entre la PEV et le Partenariat pour la Paix de l’OTAN: convergences ou divergences ? NDLR: Pour en savoir plus, se reporter à Pierre Verluise, "Géopolitique de l'Europe. L'Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ?", Ellipses, 2005.
[i] COMMISSION OF THE EUROPEANS COMMUNITIES, Communication from the Commission to the Council and the european Parliament, « Wider Europe – Neighbourhood : A New Framework for Relations with our Eastern and Southern Neighbours », Brussels, 11.3.2003, COM (2003) 104 final, 23 p. [ii] COMMISSION EUROPEENNE, Communiqué 157-2004, 12 mai 2004, p. 1. [iii] COMMISSION EUROPEENNE, Communication de la Commission, « Politique européenne de voisinage. Document d’orientation », Bruxelles, 12.05.2004, COM (2004) 373 final, 38 pages. [iv] Expression utilisée par H. WOZNIAKOWSKI, Président des éditions Znak (Cracovie) lors d’un entretien avec P. VERLUISE, en février 2004. Document publié en septembre 2004 sous le titre « La Pologne dans l’UE » à l’adresse http://www.diploweb.com/forum/wosniakhen.htm [v] COMMISSION EUROPEENNE, Communiqué 157-2004, 12 mai 2004, p. 1. [vi] Cf. VERLUISE (Pierre), « Le nouvel emprunt russe », Paris: Odilon Média, 1996, 210 pages. [vii] BOUZBOUZ (Lamia), La Gazette du Maroc, 24 mai 2004. Disponible sur le site http://www.lagazettedumaroc.com [viii] COMMISSION OF THE EUROPEAN COMMUNITIES,Communication from the Commission to the Council and the European Parliament. Wider Europe - Neighbourhood: A New Framework for Relations with our Eastern and Southern Neighbours, Bruxelles, 11.03.2003, COM (2003) 104 final, p.19. [ix] EUROSTAT, Statistiques en bref, Thème 1 – 2/2004, « Produit intérieur brut régional des pays candidats, 2001 », p. 3. [x] Cf. LEBLANC-MARTIN (Marianne) « La criminalité économique et financière dans l’Union européenne », dossier documentaire mis en ligne en avril 2004 sur le site www.diploweb.com à l’adresse http://www.diploweb.com/document/criminalite_UEbis.htm [xi] Page 3. [xii] Page 8. [xiii] Page 7. [xiv] COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, « Document de travail des services de la Commission. Politique européenne de voisinage. Rapport sur l’Ukraine », COM (2004) 373 final, Bruxelles, 12. 5. 2004. Copyright 20 février 2005-Verluise / www.diploweb.com L'adresse URL de cette page est www.diploweb.com/forum/verluise06013.htm |
Date de la mise en ligne: janvier 2006 |
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