Vidéo. B. Badie Politique de puissance ou politique de faiblesse ?

Par Bertrand BADIE , le 1er août 2018  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, professeur des Universités à Sciences Po Paris et enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Propos recueillis par Nathalie Belhoste (GEM). Résumé par Thomas Marrier d’Unienville pour Diploweb.

L’analyse classique des relations internationales repose sur le fameux « power politics ». Aujourd’hui, les puissances ne gagnent plus les guerres et celles-ci, loin de rester des compétitions de puissance, apparaissent comme des compétitions de faiblesses. Cette conférence a été prononcée dans le cadre du 10e Festival de géopolitique (2018).

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Résumé par Thomas Marrier d’Unienville pour Diploweb

D’après Bertrand Badie, les relations internationales se sont construites, se sont pensées, sur la grammaire réaliste, soit la politique de puissance (« power politics »).

L’objet de cette conférence de Bertrand Badie est de démontrer que ce paradigme tend à se modifier, si ce n’est que ce changement est déjà engagé. Les relations internationales seraient régies par des politiques de faiblesse (« weakness politics »).

En d’autres termes, son propos consiste à montrer en quoi les relations internationales aspirent à être conceptualisées par le terme de faiblesse, à défaut de puissance. Un nouveau paradigme se met en place.

Dans l’optique de comprendre ce remaniement, l’interrogation est la suivante : d’où vient notre engouement pour la puissance ?

Selon ce spécialiste des relations internationales, l’idée selon laquelle l’altérité n’est que le fruit d’un rapport de puissance, signifie respecter la morphologie du système westphalien et le penser nécessaire.

L’invention de la puissance comme construction centrale du système international est survenu à la sortie du Moyen-Age. Il s’agissait de créer un ordre politique en rupture avec le système féodal. Ce nouvel ordre, a progressivement pris la forme d’une « juxtaposition d’unité (politique) territoriale souveraine  ». L’international est dorénavant défini par l’infinie compétition de puissance [1].

L’unique limite de ce nouveau « protocole » est son caractère anthropique. C’est la raison pour laquelle, l’idée de puissance a été immédiatement corrigée par l’idée d’équilibre. En d’autres termes, afin de ne pas être perpétuellement en guerre cette puissance doit trouver un équilibre.

Vidéo. B. Badie Politique de puissance ou politique de faiblesse ?
Bertrand Badie
Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, professeur des Universités à Sciences Po Paris et enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI)
GEM

La guerre est synonyme de paroxysme. Elle est le dénouement résultant de cette rivalité de puissance. Cependant, elle ne doit en aucun être « l’expression d’une totale pérennité  ».

Le sociologue américain Charles Tilly (1929- 2008) a parlé de dialectique sans fin entre la guerre et l’Etat.

L’Etat a comme vocation de faire la guerre et la guerre a comme principal effet de renforcer l’Etat (« war making, state making »). Cette maxime trop corrosive se voit corrigée par l’idée de « balance of power ».

La puissance correspond au pilier fondamental du système international. Il nous évoque une désincarnation sociale, puisqu’elle correspond aux guerres du temps westphalien, soit à des compétitions inter-étatiques entre monarques.

La socialisation de la guerre est la source de changement du paradigme international. Du temps du traité de Westphalie, les sociétés étaient exclues de la guerre sauf en cas de razzia ou de catastrophes sanitaires telles que des famines, des épidémies.

L’autre grand bouleversement de la Révolution française est d’avoir justement permis de socialiser la guerre. Désormais, les guerres sont des guerres des peuples. Ces derniers s’identifient à la guerre et se dressent en masse [2].

« Un français doit vivre pour elle (la République), pour elle un français doit mourir » - Chant du départ, 1794

La guerre n’est donc plus une compétition, les projets sociologiques et politiques mènent et habitent ces guerres.

Contre toute attente, le statut de puissance se trouve conforté au cours du XIXe siècle.

Premièrement, la logique de guerre et la logique de puissance éclosent dans la concurrence et la compétition politique entre Etats. La guerre a une finalité politique [3].
Ensuite, le propre de la guerre est de « susciter l’ennemi ce dont a besoin la nation pour survivre  ». La nation revient sur la place politique. Elle se régénère.

Par conséquent, la Première Guerre Mondiale (1914-1918) correspond sûrement au paroxysme de cette logique de puissance. L’exemple le plus flagrant en est le traité de Versailles (1919), où le vaincu, l’empire allemand, est humilié. L’humiliation des peuples est la méthode pour faire prévaloir sa puissance.

De surcroît, la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) insiste car dans ce cas là la puissance a à la fois permis de remporter la victoire de manière décisive face au IIIe Reich et terrassé le monstre nazi. En d’autres termes, la deuxième victoire est morale, le Mal a été vaincu.

Au sortir de cette guerre, la science des relations internationales verra le jour [4]. La puissance renverra ici à la marque d’identité des Etats dans les relations internationales. C’est la naissance d’un nouvel ordre international. La Guerre Froide sera la période de l’apologie de la puissance. Le maître règne en maître. La chute du mur de Berlin en 1989 marquera la fin de cette ère de la puissance.

Ce changement d’époque, de cycle, s’amorce progressivement à partir d’évènements militaires tels que la défaite des forces françaises face à celles du Viet Minh lors de la bataille de Diên Biên Phu en 1954 et les guerres de décolonisation. Ici, ce sont les « faibles » qui gagnent face aux « puissants ».

La mondialisation engendre une asymétrie à l’international. Chaque Etat étant dorénavant sur un pied d’égalité, les inégalités omises, aux yeux du nouveau jeu international, la puissance ne peut plus servir d’outil de mesure. L’interdépendance sociale, politique, économique, militaire, entre les Etats est telle que la compétition se défait peu à peu et donc l’idée de puissance avec.

En somme, Bertrand Badie interroge la viabilité de la puissance aujourd’hui. La faiblesse ne se combat pas, ne se combat plus par la puissance. En d’autres termes, le traitement militaire de la faiblesse ne fonctionne pas. Une approche sociale semble s’imposer.

Copyright pour le résumé Août 2018- Marrier d’Unienville/Diploweb.com


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Pierre Verluise
Diploweb

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[1T. Hobbes, « Léviathan », 1651

[2Loi Jourdan-Delbrel, 1793

[3C. Von Clausewitz, De la guerre

[4H. Morgenthau, « Politics among nations », 1948

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