Le Sahara s’est trouvé peu à peu intégré dans les logiques de la mondialisation par les flux de différente nature qui en font une terre de passage ouverte sur le monde et par les groupes terroristes qui y ont trouvé refuge et ont constitué des réseaux mouvants.
La publication de cet article s’inscrit dans le contexte du 8e Festival de Géopolitique de Grenoble consacré aux "Dynamiques africaines" du 16 au 19 mars 2016.
Depuis une soixantaine d’années, le Sahara a connu une somme de mutations tout à fait impressionnante : découverte des hydrocarbures, décolonisation, migrations, urbanisation croissante, sècheresse, guerres civiles, implantation de réseaux terroristes, trafic de drogue, Printemps arabe…
Avec ces impulsions et ces chocs successifs, le plus grand désert du monde est devenu le cadre d’enjeux qui le dépassent, tout particulièrement sur le plan géopolitique. Le Sahara s’est trouvé peu à peu intégré dans les logiques de la mondialisation par les flux de différente nature qui en font une terre de passage ouverte sur le monde et par les groupes terroristes qui y ont trouvé refuge et ont constitué des réseaux mouvants. Ainsi, le grand désert ne peut assurément plus être considéré comme un espace en marge. Dans un contexte de crise profonde qui touche en 2016 un immense espace allant du Proche-Orient à l’Afrique Centrale, le Sahara – avec le Sahel dont il ne peut être dissocié – est devenu à l’évidence une plaque tournante de la géopolitique mondiale.
Le djihadisme saharien du XXIème siècle n’est pas une situation absolument nouvelle et un précédent existe dans ce domaine. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, l’empereur allemand Guillaume II pousse ses alliés ottomans à se soulever contre les puissances coloniales ennemies, France, Grande-Bretagne et Italie. C’est ainsi qu’un vaste mouvement de rébellion trouve ses racines dans le Fezzan libyen dans le cadre de la confrérie musulmane de la Senoussya où le sultan Ahmed organise le soulèvement à la fin de 1914. Les Touaregs de l’Ajjer sont entraînés dans ce djihad à la fin de 1915. Ils mettent le siège devant Djanet en mars 1915 et parviennent à en chasser la garnison française. La rébellion prend alors de l’ampleur à l’initiative d’un touareg de l’Aïr, Kaoussen, que rejoignent les Touaregs de l’Ajjer et de certaines tribus du Hoggar. Le 1er décembre 1916, quelques-uns d’entre eux atteignent Tamanrasset, avec l’intention vraisemblable d’enlever Charles de Foucauld, ancien officier français devenu ermite au Sahara et installé à Tamanrasset depuis 1905. Celui-ci est finalement abattu devant la porte du fortin qu’il avait construit pour abriter la population de la petite localité (Chatelard, 2000). Dans l’Aïr, Kaoussen s‘entend avec le sultan Tegama pour mettre le siège devant Agadès le 7 décembre de la même année. Pendant ce temps, plusieurs détachements français sont attaqués et massacrés, comme une section méhariste accompagnant la caravane du sel de retour de Bilma qui est presque entièrement anéantie dans l’Aïr. Le siège dure jusqu’au début du mois de mars 1917 et Kaoussen est obligé de chercher refuge dans le sud libyen où l’alliance entre les Turcs et les Senoussistes a volé en éclat. Il revient dans l’Aïr où les escarmouches se multiplient avec l’armée française qui a été réorganisée par le général Laperrine, de retour au Sahara après avoir été rappelé du front. Au tout début de l’année 1919, Kaoussen tombera finalement dans une embuscade tendue par le gouverneur du Fezzan et il sera pendu. Dans l’Ajjer, l’armée française se réinstallera définitivement à Djanet à la fin de 1917 et dans le Hoggar, la situation se stabilise au cours de cette même année avec le concours de l’amenokal Moussa ag Amastane qui n’était pas entré en dissidence. Au début de 1919, ce djihad saharien a définitivement pris fin…
La grave crise interne qui a secoué l’Algérie entre 1992 et le début des années 2000 a eu d’évidentes répercussions dans les régions frontalières des États saharo-sahéliens. Au tout début de l’année 1992, l’annulation du second tour des premières élections législatives pluralistes du pays, que le Front islamique du salut (FIS) était sur le point de remporter, déclencha une vague de violences sans précédent qui est généralement connue sous le nom de « Décennie noire ». Le djihadisme saharien des années 2000 trouve ses racines dans cette période. Les cellules terroristes liées à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) sont en effet issues pour la plupart du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), né en 1998 d’une dissidence avec le Groupe islamique armé (GIA) qui s’était constitué après l’annulation des élections algériennes. Le salafisme fait référence à l’islam des origines (le wahabisme saoudien est par exemple salafiste). Le GSPC a été l’auteur de nombreux attentats en Algérie et il s’est replié au Sahara à la fin des années 1990 pour échapper aux poursuites de l’armée algérienne. Le premier enlèvement d’Occidentaux a eu lieu en 2003 dans le sud algérien (six groupes de touristes avec leurs véhicules, soit trente-deux personnes au total). Depuis cette date, on comptabilise de nombreuses attaques contre des voyageurs occidentaux comme l’attaque qui coûta la vie à quatre voyageurs français le 24 décembre 2007 près d’Aleg, en Mauritanie. Cette attaque fut suivie, deux jours plus tard, par la mort de trois militaires mauritaniens, abattus à El-Ghallawiya au nord-est du pays. A la suite de ces deux événements, le rallye automobile Paris-Dakar qui devait démarrer début janvier 2008 fut annulé et il n’est jamais revenu en Afrique depuis. L’attentat d’Aleg a inspiré le roman Katiba à Jean-Christophe Rufin qui était alors ambassadeur de France à Dakar. En France, les enlèvements de sept employés d’Areva (dont cinq Français) à Arlit, au Niger, le 16 septembre 2010 (libérés le 29 octobre 2013) et de deux jeunes Français à Niamey le 7 janvier 2011, tués le lendemain dans une embuscade à la frontière avec le Mali, ont particulièrement marqué les esprits. L’attaque la plus spectaculaire, et aussi la plus tragique pour le nombre des victimes, s’est déroulée sur le site gazier d’In Amenas, en Algérie, entre le 16 et le 20 janvier 2013. Menée par le groupe de Mokhtar Belmokhtar à partir de la Libye, elle s’est terminée par la mort de 40 employés de différentes nationalités et 29 membres du commando.
Ces différentes actions ont été perpétrées par des groupes plus ou moins affiliés à AQMI, parfois concurrents entre eux et, pour la plupart, fortement impliqués dans le trafic de drogue à travers le Sahara. L’Afrique de l’ouest est en effet devenue une importante zone de transit pour la cocaïne sud-américaine qui arrive en Afrique par « l’autoroute 10 », c’est-à-dire le dixième parallèle le long duquel circulent avions et bateaux entre les côtes orientales de l’Amérique du Sud et celles du golfe de Guinée. Cette drogue, convoyée à travers le Sahara par les katibas, participe au financement des divers mouvements djihadistes avec les rançons obtenues pour la libération des otages occidentaux. La drogue aboutit sur les côtes méditerranéennes des pays du Maghreb d’où elle est ensuite acheminée en Europe.
Le Sahara est devenu le théâtre de la concurrence que se livrent désormais les deux principales nébuleuses terroristes, AQMI et Daech, comme les attentats perpétrés par le groupe de Mokhtar Belmokhtar au Sahel – à Bamako le 20 novembre 2015 et à Ouagadougou le 15 janvier 2016 – l’illustrent bien.
Dans les États saharo-sahéliens (Niger, Mali, Mauritanie), un important facteur de crise réside dans les violences entre nomades et sédentaires qui n’ont cessé de prendre de l’ampleur depuis les indépendances. Au Niger et au Mali, elles ont opposé les groupes sahariens, touaregs essentiellement, aux sédentaires noirs détenteurs du pouvoir politique depuis les indépendances et en Mauritanie, elles ont opposé les groupes négro-africains du sud aux Maures qui ont toujours dirigé l’État. Après les indépendances, au Niger comme au Mali, le fossé grandissant entre les nomades du nord et les sédentaires du sud au pouvoir, s’est traduit par de nombreuses exactions qui ont poussé les Touaregs à l’émigration dans les pays voisins. Leur politisation et leur militarisation, avec le soutien actif du colonel Khadafi, ont forgé un nationalisme touareg qui n’existait pas vraiment jusqu’alors et qui s’est structuré à la fin du XXème siècle. Iyad al Khali est l’un des acteurs marquants de cette évolution au Mali. Peu à peu radicalisé au début des années 2000, il a été écarté du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) en 2011 avant de fonder le mouvement indépendantiste et islamiste Ansar Eddine (« défenseur de l’islam »).
Au Mali, la proclamation d’indépendance du nord du pays (l’Azawad) par le MNLA le 6 avril 2012, a fait suite au coup d’État du 22 mars précédent qui avait amené la destitution du président Amadou Toumani Touré. Le MNLA s’est trouvé très rapidement marginalisé par différents groupes djihadistes comme Ansar Eddine, ainsi que par deux mouvements islamistes non touaregs et non maliens : AQMI et le Mouvement pour l’unicité le jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO). Ces groupes ont attaqué le 10 janvier 2013 la petite ville de Konna, près de Mopti où se trouve le principal aéroport de la région. A la demande du président du Mali et sous couvert de la résolution 2085 de l’ONU, la France qui était la seule puissance à disposer de forces armées pré-positionnées dans la région est intervenue le 11 janvier 2013 pour arrêter la progression de ces groupes qui menaçaient d’atteindre rapidement la capitale Bamako. Dans le cadre de l’opération Serval, ces groupes ont été rapidement repoussés dans le nord de l’Adrar des Iforas, sans que l’activité djihadiste ne disparaisse cependant complètement de cette région. Cette menace persistante a amené la France à monter l’opération Barkhane en 2014, en coopération avec cinq pays de la bande sahélo-saharienne : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. La base de commandement de cette force se trouve à Ndjamena.
Un autre facteur de déstabilisation a pris beaucoup d’ampleur depuis le début du XXIème siècle, celui des migrations transsahariennes. Inscrits dans la continuité de courants migratoires constitués à partir des années 1950 par des populations originaires du Sahel qui partaient chercher du travail en Algérie et en Libye, ces mouvements se sont renforcés lors de la grande sécheresse des années 1970 et se sont ensuite développés à la fin des années 1990. Le géographe Julien Brachet (2009) a établi qu’environ un cinquième seulement de ces migrants transsahariens avait le projet de passer en Europe. Les itinéraires ont d’abord été orientés vers le détroit de Gibraltar puis ils se sont déplacés vers le Niger, à la fin du XXème siècle, comme voie de passage principale en direction de la Libye, pays perçu à la fois comme une source potentielle de travail et comme la principale porte d’accès à l’Union européenne, via l’île italienne de Lampedusa. Ces courants migratoires se sont déplacés vers l’est de la Méditerranée à la suite de la chute du régime de Mouammar Khadafi en 2011 puis les itinéraires, aux mains d’organisations mafieuses, se sont réorientés à nouveau vers la Libye dans la seconde moitié de l’année 2013. A partir de ce pays désormais totalement désorganisé et ouvert à tous les vents, les navigations hasardeuses ont repris vers l’île de Lampedusa qui est pour les migrants une porte d’entrée potentielle dans l’Union européenne. Ces traversées se terminent parfois de manière tragique comme ce fut le cas le 19 avril 2015 avec le naufrage d’une embarcation qui avait quitté Tripoli en Libye et fit plus de 800 victimes.
Il est évident que l’affaissement du régime de Mouammar Khadafi en Libye en 2011 dans le contexte du Printemps arabe, puis la mort du dictateur le 20 octobre de la même année, et enfin le véritable chaos qui s’en est suivi dans un pays abandonné à son sort, ont ajouté à la déstabilisation générale du Sahara. L’année 2011 apparait ainsi comme une année charnière dans la géopolitique récente du Sahara. AQMI, auteur de nombreux attentats et enlèvements d’étrangers, est maintenant concurrencé au Sahara et au Sahel par Daech (Groupe État islamique) qui a profité du chaos libyen pour s’implanter dans ce pays, dans la région de Derna tout d’abord, en 2015, puis de Syrte au début de 2016. Un autre point de fixation djihadiste s’est organisé au sud du Sahara avec Boko Haram, installé dans le nord du Nigéria et qui a fait allégeance à Daech en mars 2015. Ainsi le Sahara est-il devenu le théâtre de la concurrence que se livrent désormais les deux principales nébuleuses terroristes, AQMI et Daech, comme les attentats perpétrés par le groupe de Mokhtar Belmokhtar au Sahel – à Bamako le 20 novembre 2015 et à Ouagadougou le 15 janvier 2016 – l’illustrent bien.
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Bibliographie
BRACHET J., 2009, Migrations transsahariennes – Vers un désert cosmopolite et morcelé, Terra/Editions du Croquant, 324 p.
CHATELARD A., 2000, La mort de Charles de Foucauld, Karthala.
HERODOTE (revue de géographie et de géopolitique), 2011, « Géopolitique du Sahara », n° 142.
LECOQUIERRE B., 2015, Le Sahara, un désert mondialisé, La Documentation photographique n° 8106, Paris : La Documentation française.
RUFIN J.-C., 2010, Katiba, Flammarion.
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