Avec la fin de la Guerre froide, la configuration géopolitique de l’Europe géographique a changé. Les élargissements de l’OTAN et de l’Union européenne ne sont pas des jeux à somme nulle. L’intégration de 12 nouveaux États membres a partiellement modifié l’Union européenne et sa relation à l’OTAN. La France se retrouve donc amenée à reconsidérer de fond en comble son approche de l’OTAN. La redéfinition des relations entre la France et l’OTAN est le résultat secondaire des mutations géopolitiques de l’Europe depuis 1989.
LE 11 SEPTEMBRE 2007, le ministre de la Défense Hervé Morin engage publiquement une réflexion sur le possible retour de la France dans la structure militaire intégrée de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Prise de position qui reviendrait à infirmer la décision prise par le général de Gaulle en mars 1966. En quittant la structure militaire intégrée de l’OTAN, la France entendait alors affirmer le principe du commandement national de ses forces jusqu’à leur insertion éventuelle sous commandement OTAN en cas de conflit. Le général de Gaulle souhaitait ainsi empêcher toute possibilité d’engagement automatique des forces françaises sans décision politique nationale préalable. Comment les autorités françaises en sont-elle venues à envisager de briser un tabou ?
Créée en 1949 pour impliquer les États-Unis dans la défense de l’Europe occidentale face à la menace soviétique, l’OTAN est un pur produit de la Guerre froide. Quarante ans plus tard survient la chute du Rideau de fer, en 1989. Si, en 1990, la fin de la Guerre froide a été un succès pour l’OTAN, bien des experts se sont rapidement interrogés sur sa pérennité. Pour des raisons différentes, il se trouve alors à Washington, mais aussi à Paris et à Moscou, des partisans de sa disparition. Alors que le Pacte de Varsovie a disparu, force est de constater que l’OTAN a non seulement survécu à la Guerre froide mais qu’elle a su faire de l’après-guerre froide un moment d’extension considérable en Europe.
Pour commencer, l’Allemagne est réunifiée en 1990 dans le cadre de l’OTAN, contrairement à ce que souhaitait l’Union des république socialistes soviétiques (URSS). Le jeu des États-Unis consiste alors à briser l’ordre issu de la Seconde Guerre mondiale. Une Allemagne réunifiée dans l’OTAN signe la défaite de l’URSS comme puissance victorieuse de 1945. La disparition de la République démocratique d’Allemagne (RDA), vitrine du communisme, symbolise la déroute de cette idéologie. Sans parler de l’implosion de l’URSS, le 8 décembre 1991.
Seul État membre de l’OTAN à ne pas participer à la structure militaire intégrée, depuis 1966, la France considère au début des années 1990 que l’Alliance atlantique n’est plus justifiée, puisque l’ennemi potentiel à l’Est a disparu. François Géré explique ainsi la position défendue par Paris : « La conception française de l’avenir de l’Alliance obéit tout d’abord à une logique cartésienne : une alliance ne survit pas aux raisons qui l’ont fait naître. Place à la mise en sécurité de l’Europe par les Européens. Il existe un projet français, relativement ambitieux, la vision d’une Europe de la puissance dont l’extension géographique serait différente de celle de l’OTAN en cours d’élargissement. Mais il apparaît que personne ne l’entend de cette oreille. Ni la volonté politique, ni les ressources financières, ni les moyens militaires ne sont disponibles pour ce rendez-vous avec les Temps nouveaux. Ce projet français est trop radicalement opposé à celui des États-Unis. »[1]
Georges-Henri Soutou écrit : « […] la première réaction de François Mitterrand fut de tenter de freiner la réunification allemande, qui à ses yeux compromettrait le statut de la France en Europe. Il comptait pour cela en particulier sur le processus dit ״ 2+4 ״, par lequel on désignait des négociations entre les Quatre et les deux Allemagne. En février 1990, il pensait qu’avec ״ 2+4 ״, la réunification prendrait des années. D’autre part, il chercha dans un premier temps à insérer la réunification dans la construction d’une Grande Europe incluant l’URSS : il le dit à Gorbatchev à Kiev le 6 décembre 1989 : ״ Il doit y avoir réunification mais dans le cadre d’une Grande Europe ״. D’où le 31 décembre suivant sa proposition d’une Confédération européenne comprenant l’URSS[2] ; dans le même esprit, il voulait développer les structures de sécurité en Europe entre les deux pactes pour encadrer la réunification, ce qui rejoignait le concept de Maison commune de Gorbatchev, comme il le lui dit en mai 90 à Moscou. Cette grande Europe aurait été facilitée, dans l’esprit du président de la République, par la fin du communisme soviétique de type classique et l’apparition en URSS et en Europe de l’Est d’un communisme réformé compatible avec le socialisme démocratique de l’Europe occidentale. C’est dans cet esprit que dans son discours de Valladolid, en octobre 1989, il exhortait les peuples de l’Europe orientale à ne pas rejeter ״ les valeurs du socialisme ״. Cette grande Europe aurait d’autre part permis à la France d’encadrer la réunification allemande en accord discret avec l’URSS ; Paris aurait pu ainsi maintenir son rôle international dans la nouvelle situation, selon la conception d’ensemble rappelée plus haut, l’URSS réformée aidant la France à contrebalancer le poids de l’Allemagne et des Etats-Unis. »[3] Visiblement, ce projet n’a pas suscité d’enthousiasme dans les anciens satellites de l’URSS.
Il importe de relever, par ailleurs, que le traité de Maastricht (1992) ne fonde pas seulement la monnaie unique mais encore la Politique étrangère et de sécurité commune. Son article 17 empêche la PESC d’être incompatible avec les intérêts de l’OTAN. Autrement dit, l’espoir français de conduire l’Europe communautaire à s’affranchir du cadre de l’OTAN se trouve mis en difficulté.
En 1999, la crise du Kosovo voit l’OTAN intervenir au moyen d’une offensive aérienne qui entend contraindre les autorités de Belgrade à cesser la répression des Albanais du Kosovo. Plusieurs fois, les États-Unis donnent l’impression – à travers les opérations de l’OTAN - de chercher jusqu’où ils peuvent contrarier les affinités de la Russie sur le terrain. Cette opération aérienne est controversée, notamment sur le plan juridique. Il n’empêche que l’OTAN reste à la fin des années 1990 un élément déterminant de l’architecture de sécurité européenne, alors que l’OSCE n’a pas réussi à s’imposer, contrairement aux vœux de Paris et Moscou. En témoigne le déroulement du premier élargissement de l’OTAN à des pays issus du bloc de l’Est.
Dès le 12 mars 1999, survient un événement inimaginable quinze ans plus tôt. En dépit de l’opposition virulente de la Russie post-soviétique, trois pays issus du bloc de l’Est intègrent l’alliance militaire ennemie de l’URSS : l’OTAN. Il s’agit de la Pologne, de la République tchèque[4] et de la Hongrie. Que les États-Unis puissent l’imposer à Moscou témoigne du rapport de force post-guerre froide dix ans après la chute du Mur. Et Washington ne s’arrête pas là.
En 2004 survient un véritable big bang géopolitique. L’OTAN s’ouvre le 29 mars 2004 à sept pays précédemment communistes : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et la Slovénie[5]. Ainsi, non seulement les États-Unis se permettent d’intégrer à l’alliance militaire qu’ils dominent d’anciens satellites de l’URSS mais ils vont jusqu’à oser y intégrer trois anciennes Républiques soviétiques. A bien des égards, il s’agit d’une véritable révolution. L’enclave russe de Kaliningrad se retrouve même « encerclée » par deux pays membres de l’OTAN, la Pologne au sud et la Lituanie au nord.
Catherine Durandin note : « L’intégration dans l’OTAN, selon le calendrier qui va de Madrid en 1997 à Prague en novembre 2002, a suivi une logique ajustée, en dernier ressort, c’est à dire lors du sommet de Prague de 2002, aux objectifs avancés par la doctrine de sécurité des États-Unis. C’est ainsi que Washington, balayant ses réserves antérieures à l’adresse de candidats jugés encore trop peu avancés dans leur restructuration militaire, décide d’un big bang d’intégration, avec sept nouveaux membres, pour le sommet de l’OTAN de Prague. Le temps de l’OTAN va plus vite et bouscule, pour le devancer, le temps de l’Europe (communautaire – PV). La logique des États-Unis répond au besoin de contrôle de l’espace est et sud-est européen, avec les alliés Bulgares et Roumains dans une stratégie d’obtention d’espaces aériens et de bases pour les futures opérations en Irak, au Moyen-Orient, et comme pont vers la Caspienne et l’Asie centrale. Ces bases devraient être comme des points d’appui, relais d’alerte, relais de projection de forces. Les nouveaux partenaires des États-Unis ont pu saisir ˝cette chance historique ˝, cette extraordinaire opportunité d’une intégration dans l’OTAN, à un moment, durant l’année 2002, où la relation entre Moscou et Washington pouvait être considérée comme bonne, sinon solidaire dans la guerre contre le terrorisme. »[6]
Dès 2003, la marche à la guerre en Irak est l’occasion d’une nouvelle démonstration de l’attractivité des Etats-Unis. Les pays membres ou candidats à l’OTAN et / ou à l’UE manifestent leur soutien à la stratégie de Washington par « La lettre des huit pays d’’Europe pour un front uni face à l’Irak », le 30 janvier 2003 et la « Déclaration des pays du groupe de Vilnius », le 5 février 2003. La France et l’Allemagne, adossées à la Russie de V. Poutine, n’arrivent pas à susciter l’enthousiasme des pays membres ou candidats à l’UE pour leur critique de la stratégie états-unienne, pourtant largement fondée. Comment imaginer, cependant, que les anciens pays satellites devenus membres ou candidats à l’OTAN puissent voir d’un bon œil une position soutenue par Moscou ? Dommage collatéral, le président J. Chirac blesse les pays candidats à l’UE, ce qui dégrade l’image de la France en Europe balte, centrale et orientale.
Après la crise diplomatique de 2003 et dans la perspective de l’élargissement de 2004, Guy Millière écrit : « […] l’élargissement apparaît à l’entourage de Bush (fils – PV) comme une excellente perspective. Car on sait bien parmi les candidats à l’UE qui ont subi le joug soviétique, que si ce joug a disparu, ce n’est certainement pas du fait de l’Allemagne et de la France, mais grâce aux États-Unis comme à la politique de réarmement matériel et moral des années Reagan. […] L’élargissement va donc intégrer à l’UE, pense-t-on du côté de Bush, des pays pour lesquels il n’est de défense crédible qu’en étroite liaison avec les États-Unis. Il pourrait bien sonner le glas des espérances françaises : faire de l’Europe un substitut à la puissance que la France n’a plus depuis des décennies et prétendre par là peser sur les affaires du monde depuis une position de rivalité avec les Américains. […] L’élargissement de l’UE pourrait servir, du point de vue des partisans de la doctrine Bush, à isoler et à circonscrire le danger qu’incarnent, en France, l’obsession anti-américaine et les nostalgies de grandeur. »[7]
L’adhésion des pays d’Europe balte, centrale et orientale à l’OTAN en 1999 ou 2004 marque symboliquement la place prédominante des États-Unis en Europe. Il faut bien admettre avec Ronald Hatto et Odette Tomescu que « la pénétration américaine en Europe centrale et orientale ne dépend pas que de la seule volonté de Washington, mais qu’elle repose également sur les attentes des pays anciennement communistes. »[8] L’alignement relatif de plusieurs de ces pays découle d’une fascination pour l’Amérique et de la crainte d’un retour en force de la Russie. La réceptivité des sociétés concernées facilite le jeu de Washington. Depuis les années 1990, de nombreux jeunes diplomates et hommes d’État est-européens ont été formés dans les universités américaines. Et les États-Unis donnent des gages de leur engagement, notamment à travers le redéploiement de leurs bases militaires au bénéfice des nouveaux membres de l’OTAN, notamment en Pologne, Roumanie, Bulgarie et peut-être Hongrie. Ce qui leur permet à la fois de rapprocher les troupes américaines des « arcs d’instabilités » et de consolider leur primauté dans un espace clé de la planète. Pour Ronald Hatto et Odette Tomescu : « […] la stratégie de primauté américaine tend à éviter une intégration trop poussée de l’UE. Le but n’est pas d’empêcher l’intégration en tant que telle, mais plutôt de s’assurer qu’un certain degré de division persiste entre ses membres. »[9] Dans une certaine mesure, l’installation d’éléments d’un système anti-missiles en Pologne et en République tchèque pourrait s’inscrire dans ce processus.
Probablement plus que jamais, les États-Unis disposent depuis 2004 d’outils et de moyens pour se donner un droit de regard sur le fonctionnement des institutions européennes. D’une certaine manière, les derniers ajustements gouvernementaux réalisés au second semestre 2004 au sujet des relations entre la Politique étrangère et de sécurité commune et l’OTAN dans le projet de traité constitutionnel en sont une illustration. Les derniers arbitrages entre gouvernements des pays membres envisageaient de faire de l’OTAN « le fondement » et « l’instance » de la mise en œuvre de la défense collective des pays membres de l’OTAN, c’est à dire de la très grande majorité des membres de l’UE. Ce qui témoigne d’un état d’esprit. Le résultat négatif du référendum français du 29 mai 2005 – et le blocage du texte – ne retire rien à cet état d’esprit.
Avec le recul, le représentant permanent de la France à l’OTAN de 2001 à 2005, Benoît d’Aboville, doit en convenir : « C’était une vision linéaire que de penser qu’après la fin de la Guerre froide l’OTAN allait se dissoudre d’elle-même. »[10]
La France se retrouve donc contrainte de reconsidérer de fond en comble son approche de l’OTAN. La redéfinition des relations entre la France et l’OTAN est le résultat secondaire des mutations géopolitiques de l’Europe depuis 1989.
Comment ne pas imaginer la satisfaction des dirigeants Américains entendant le président de la République française, Jacques Chirac, déclarer en 2004 au sommet de l’OTAN à Istanbul : « La France conçoit ses engagements dans l’Union européenne et dans l’Alliance comme parfaitement compatibles. Il n’existe pas, il ne peut pas exister, d’opposition entre l’OTAN et l’Union européenne. »[11] Voilà bien un effet collatéral de la chute du Rideau de fer.
Les dirigeants français ont été – progressivement et douloureusement – obligés de faire le deuil de leur objectif initial… et de se rapprocher, assez maladroitement, de l’OTAN à partir de 1995. La France réintègre alors le Comité militaire, la plus haute autorité militaire de l’Alliance, qui réunit les chefs d’état-major des armées des pays membres. En 2004, la France participe notamment aux instances intergouvernementales suivantes de l’Alliance : Conseil de l’Atlantique Nord, Comité militaire et état major international. Cependant, à cette date, « La France ne participe pas au fonctionnement de la structure militaire intégrée mais dispose de missions militaires ou d’officiers de liaison auprès des principaux états-majors (SACEUR, SACLANT, commandements régionaux et subrégionaux…) pour tenir compte des besoins de coordination et d’interopérabilité nécessaires à une éventuelle implication des forces françaises dans les opérations de défense collective ou de gestion de crise. »[12] En 2004, la France compte 170 personnes dans les postes de commandement de l’OTAN. Chiffre qu’il faut comparer au 2 805 Américains, 2 212 Allemands, 1 216 Italiens, 632 Turcs, 405 Espagnols…
Les élargissements de l’OTAN et de l’Union européenne ne sont pas donc des jeux à somme nulle. La nature de configuration géopolitique a changé. L’intégration de 12 nouveaux États membres a partiellement modifié l’Union européenne et sa relation à l’OTAN.
Peu après l’élargissement de 2004, C. Durandin pose publiquement les nouvelles données du problème : « Le débat est lancé. Evitons au moins les contradictions ; cessons du côté français de nous poser comme pôle de construction d’une Europe puissante ayant pour objectif de peser face et contre les États-Unis pour poursuivre de manière ambivalente en affirmant la complémentarité et la non concurrence entre l’OTAN et la Défense européenne. Soyons cohérents et cessons d’avancer tantôt comme Européens contre Washington et tantôt comme Européens/Occidentaux avec les États-Unis. Cette ambivalence ne peut engendrer qu’une distance affaiblissante, alors que des défis et des responsabilités communs se posent aux sociétés développées, aux nations conquérantes qui s’imposèrent successivement au monde. »[13]
Après le sommet de Riga de novembre 2006, François Géré démontre que la France est devenue un contributeur important de l’OTAN. « Traduction du sommet de Prague de 2002, la France et le Royaume-Uni obtiennent en 2005 le label de « Nation Cadre » de la composante aérienne (de l’OTAN – PV). A cette fin, l’Armée de l’air met en place une structure de commandement projetable apte à conduire 250 sorties aériennes quotidiennes. Les hautes autorités françaises donnent mandat à l’Armée de terre de mettre en place un état-major multinational pour l’OTAN qui prend ses quartiers dans la forteresse Vauban de Lille. La marine nationale met en service des Bâtiments de projection et de commandement, les BPC, qui pourront être affectés aux NRF[14]. […] Notons que nos forces restent sous commandement national jusqu’à leur affectation à une NRF ; elles passent alors sous commandement de l’OTAN. Quant aux militaires français insérés dans les structures de l’OTAN, ils restent sous la responsabilité directe du chef d’état-major des armées. Mais, notre politique de défense a su apprécier ce qui est essentiel dans sa relation à l’OTAN. Dans le domaine stratégique de la guerre électronique, et c’est peu connu, notre pays accueille à maintes reprises les campagnes Embow et Mace dédiées à l’autoprotection des aéronefs. En mars 2005 des avions de renseignement électronique français (notamment Gabriel et Awacs) ont participé aux exercices de l’OTAN Trial Hammer (organisé au-dessus de la France et de l’Allemagne) puis Spartan Hammer en Grèce en novembre 2006. Aujourd’hui (décembre 2006 – PV), les forces françaises sont engagées au Kosovo, mais surtout en Afghanistan. Là, le dispositif français de plus d’un millier de militaires et de plusieurs chasseurs-bombardiers Mirage 2000 D reçoit fin 2006 l’appui de deux hélicoptères EC-725 Resco de l’Armée de l’air, des machines toute récentes conçues pour les missions spéciales en zones hostiles. Bref, il n’est plus possible à quiconque de dire que la France, membre de l’Alliance Atlantique, ne fait pas partie de l’OTAN. »[15]
Du 1er avril au 31 juillet 2007 se déroule une mission peu connue mais significative. L’armée de l’air française assure la protection du ciel des Etats baltes, dans le cadre de l’OTAN. Pour la première fois depuis 1966, ce n’est plus Paris mais le commandement de l’OTAN qui est en situation de donner directement à un pilote français un ordre de tir contre un aéronef. Sachant qu’il est arrivé récemment que la chasse russe viole l’espace aérien des Etats baltes, chacun comprend que cette situation pouvait se traduire par un ordre donné par l’OTAN à un aéronef français au sujet d’une incursion russe. Pour qui connaît à la fois l’historique des relations entre la France et l’OTAN depuis 1966 et celui des relations entre la France et la Russie, il s’agit d’un moment intéressant.
A la fin de cette opération et peu avant la prise de position publique du ministre de la Défense citée en introduction, un rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat consacré aux enjeux de l’évolution de l’OTAN témoigne au mois de juillet 2007 d’une mutation des esprits. « Les évolutions futures de l’OTAN intéressent directement la France au même titre que tous les autres alliés. Aussi aurait-elle intérêt à définir plus clairement le rôle qu’elle entend voir jouer à l’Alliance dans les années à venir. A ce titre, le volontarisme français au service du renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense ne doit pas être exclusif d’un nécessaire réalisme, tenant compte des conceptions et du niveau d’ambition de nos partenaires, tout comme de la place de l’OTAN dans leurs politiques de sécurité. Pour être davantage entendue à l’OTAN, la France ne doit-elle pas dissiper les ambiguïtés de certaines de ses positions et clarifier son projet pour une organisation servant de cadre à une partie notable de ses engagements militaires ? […] Il importe donc, pour la France, de définir clairement ce qu’elle attend de l’Alliance atlantique, de proposer une articulation cohérente et crédible entre celle-ci et l’Europe de la défense, et de se donner les moyens de promouvoir ses idées dans une organisation où son rôle politique ne semble pas à la hauteur de sa contribution militaire. »[16]
Durant l’examen en commission, Josselin de Rohan « est convenu que les Etats-Unis détenaient les clefs de l’avenir de la PESD. Il s’est toutefois interrogé sur l’intérêt qu’aurait Washington à laisser la PESD prendre corps, une Europe plus autonome risquant d’être moins prédisposée à se ranger aux souhaits des Etats-Unis. »
La situation est, en effet, complexe. Benoît d’Aboville, relève que : « […] le problème de la relation entre l’OTAN et l’UE est d’abord celle de la coopération directe entre l’UE et les États-Unis. Cela implique que ceux-ci reconnaissent politiquement son rôle international autonome, un pas qu’ils n’ont toujours pas osé franchir jusqu’ici parce qu’ils pensent, à tort, que l’OTAN pourrait en être affaiblie. La refondation de la relation transatlantique en passe toutefois nécessairement par là. »[17] Les résultats pour le moins mitigés de la stratégie américaine en Irak amèneront peut-être le successeur de G.W. Bush à une meilleure prédisposition. Encore faudrait-il que les Européens aient une position commune à faire valoir.
Quant aux Français, il leur reste à négocier mieux qu’au milieu des années 1990 leur nouveau rapprochement avec l’OTAN.
En effet, la France déclare sous le gouvernement d’Alain Juppé (1995 - 1997) avoir l’intention de revenir dans le commandement intégré de l’OTAN. Peu après, Paris pose une condition à son retour : obtenir un grand commandement, par exemple celui de l’Europe du Sud. Devant le refus des Etats-Unis, Paris change une nouvelle fois sa position et demande un grand commandement pour un pays européen, par exemple l’Italie ou l’Espagne puisque l’enjeu est l’Europe du Sud. Après quoi Rome et Madrid s’empressent de déclarer qu’elles ne veulent pas d’un tel honneur.
Finalement, les aspirations françaises tombent à l’eau. L’ambassadeur Jacques Jessel fait le commentaire suivant : « Un diplomate débutant le sait : si on engage une négociation en ayant une exigence essentielle, il faut formuler celle-ci avant de prendre un engagement dont elle constitue la condition sine qua non ! La demande française d’un commandement aurait du être abordée lors de pourparlers discrets avec les Etats-Unis. La France ayant eu des postes importants dans l’OTAN avant d’en quitter le commandement intégré, il était logique que Paris formule une telle demande. En revanche, il était prévisible que Washington refuse le commandement de l’Europe du Sud, parce qu’il inclut celui de la VI e flotte américaine que les Etats-Unis ne peuvent évidemment pas placer sous une autorité étrangère. Paris aurait probablement pu obtenir un autre poste, mais pas de cette manière incohérente. On ne pouvait pas mieux faire pour échouer. »[18]
En septembre 2007, Laurent Zecchini écrit : « Paris pose d’ores et déjà deux conditions majeures. Un retour de la France dans la structure militaire intégrée de l’Alliance (Atlantique – PV) ne peut s’envisager que parallèlement à des avancées substantielles de l’Europe de la défense. Et, deuxièmement, l’OTAN doit entreprendre une profonde rénovation, qui passe par un nouveau concept stratégique. […] Le raisonnement est le suivant : si la France cesse d’être un partenaire difficile, ses partenaires européens de l’Alliance cesseront peut-être de freiner les progrès de la défense européenne. »[19] Quels seront les facteurs d’inertie ? Les représentations de la France héritées de sa posture précédente seront-elles longues à dépasser ? Quel sera le jeu de la Russie ? Comment la prochaine présidence des Etats-Unis concevra-t-elle les relations UE-OTAN ?
Bien malin qui pourrait dire quels seront les résultats pour la Politique européenne de sécurité et de défense en 2025, mais il s’agit sans aucun doute d’une affaire à suivre.
Plus à ce sujet : Pierre Verluise, 20 ans après la chute de Mur. L’Europe recomposée, Paris : Choiseul, 2009. Voir
Notes :
[1] GERE, François, La sortie de guerre. Les États-Unis et la France face à l’après-guerre froide, Economica, 2002, p. 134. Pour une étude des positions françaises par rapport à l’OTAN, lire notamment dans l’ouvrage de F. Géré les pages 83-88 ; 131-146. Cf. également BOZO, Frédéric, La France et l’Alliance atlantique depuis la fin de la Guerre froide. Le modèle gaullien en question (1989-1999), Cahiers du Centre d’études d’histoire de la défense, n°17, ministère de la Défense, 2001, 71 p.
[2] Le 4 janvier 1990, lors d’une conférence de presse conjointe avec le chancelier H. Kohl, le président F. Mitterrand déclare : « Je pense à partir de là au sort des pays qui ne sont pas membres de la Communauté, mais dont la marche vers la démocratie est évidente. Quand ils y seront parvenus, que feront-ils ? Avec qui traiteront-ils ? Lorsqu’il y aura la Communauté des Douze d’un côté, n’y aurait-il rien pour eux de l’autre, aucune perspective européenne ? Et quand je dis cela, j’englobe aussi bien l’Union soviétique que tous les pays du continent. Bien entendu, c’est une idée à long terme : il faut organiser une perspective pour tous les pays qui adhéreront à la démocratie, et qui ne pourront pas, pour une raison ou pour une autre, adhérer à la Communauté européenne qui ne peut s’enfler indéfiniment. » Documents d’actualité internationale (DAI), ministère des Affaires étrangères / Documentation française, n°5, 1er mars 1990, pp. 95-96.
[3] SOUTOU, Georges-Henri (dir.), et al., La Pologne et l’Europe du partage à l’élargissement (XVIIIe-XXIe siècles, PUPS, 2007, p. 272.
[4] Issue de la partition de la Tchécoslovaquie le 1er janvier 1993.
[5] Issue de l’explosion de la Yougoslavie, en 1991.
[6] DURANDIN, Catherine, Les États-Unis, grande puissance européenne, Armand Colin, 2004, p. 214.
[7] MILLIERE, Guy, États-Unis : le trop plein d’ « Europe », Outre-terre, n°7, Eres, 2004, pp. 111-112.
[8] HATTO, Ronald et TOMESCU, Odette, Les Etats-Unis et la « nouvelle Europe ». La stratégie américaine en Europe centrale et orientale », CERI/Autrement, 2007, p. 5.
[9] HATTO, Ronald et TOMESCU, Odette, Les Etats-Unis et la « nouvelle Europe » . La stratégie américaine en Europe centrale et orientale , CERI/Autrement, 2007, pp. 100-101.
[10] ABOVILLE d’, Benoît, « Où va l’OTAN aujourd’hui ? », conférence du 27 février 2006, dans le cadre des Lundis de l’IHEDN, Paris. Notes de VERLUISE, Pierre.
[11] SENAT, Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapport n°193, session ordinaire de 2003-2004, annexe au procès verbal de la séance du 3 février 2004, extrait de la partie consacrée à « L’OTAN et l’Europe de la défense : une coordination nécessaire ».
[12] SENAT, Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapport n°193, session ordinaire de 2003-2004, annexe au procès verbal de la séance du 3 février 2004, extrait de la partie consacrée à « La France dans la nouvelle OTAN ».
[13] DURANDIN, Catherine, Europe : l’utopie et le chaos, Armand Colin 2005, p. 149.
[14] NRF : NATO Response Force.
[15] GERE, François, La France et l’OTAN après le Sommet de Riga. Publié sur le site de l’Institut Français d’Analyse Stratégique le 27 décembre 2006 à l’adresse http://www.strato-analyse.org/fr/article.php3?id_article=138
[16] PONCET, Jean-François ; BRANGER, Jean-Guy ; ROUVIERE, André. Les enjeux de l’évolution de l’OTAN. Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères du Sénat, n°405 (2006-2007), 19 juillet 2007.
[17] D’ABOVILLE, Benoît, L’Occident, l’Europe face aux nouveaux défis, Défense nationale, mars 2007, p. 31.
[18] VERLUISE, Pierre, Quelle France dans le monde au 21e siècle ? Publié en 2001 sur le site www.diploweb.com à l’adresse http://www.diploweb.com/france/46.htm
[19] ZECCHINI, Laurent, La France envisage un retour complet dans l’OTAN, Le Monde, 13 septembre 2007.
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