La dégradation des relations Iran-Arabie saoudite survient à un moment clé. Si, en choisissant la voie du compromis, Barack Obama a réussi le tour de force de conclure un accord historique avec l’Iran, cet accord reste fragile. Les adversaires de la République islamique ont en effet tout intérêt à l’échec du Plan d’action et travailleront en ce sens. En outre, le règlement de la crise syrienne, encore incertain, est potentiellement déstabilisateur pour l’Iran qui doit éviter l’isolement stratégique. Le durcissement des tensions irano-saoudiennes participe de cette double logique. L’objectif de l’Arabie Saoudite n’est pas tant de peser directement sur un accord auquel elle n’est pas partie que de créer des conditions défavorables à sa mise en œuvre en ternissant l’image de la République islamique et en s’efforçant de l’isoler sur le plan diplomatique.
Le Plan d’action global commun conclu à Vienne le 14 juillet 2015 (ci-après : le « Plan d’action », le « texte de Vienne » ou « l’accord de Vienne ») entre la République islamique d’Iran et les Etats du groupe E3/EU+3 (1), constitue un tournant fondamental dans la crise initiée en 2002 suite à la révélation de l’existence d’activités d’enrichissement clandestines sur le site de Natanz (province d’Ispahan) et la construction non-déclarée d’une usine de production d’eau lourde à Arak (province de Markazī) (2). La République islamique d’Iran est membre de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (A.I.E.A.) depuis le 16 septembre 1959. Elle a également ratifié, le 5 mars 1970, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (T.N.P.), adopté le 1er juillet 1968. Le refus de l’Iran de déclarer ses activités d’enrichissement, de même que la construction de nouvelles installations (site d’enrichissement de Fordou en 2009), ont rapidement amené l’Agence à soupçonner la République islamique de vouloir développer des armes nucléaires.
La crise iranienne s’inscrit dans des enjeux stratégiques et géopolitiques qui dépassent sa seule dimension nucléaire. Le programme nucléaire iranien est, en effet, utilisé comme un levier d’influence politique par l’ensemble des acteurs de la crise. Le développement de son programme nucléaire a permis à la République islamique de renforcer son statut de puissance émergente (3). Cependant, dans le même temps, ce programme permet à ses adversaires de retarder l’émergence de l’Iran comme puissance régionale, en jouant sur les ambiguïtés qui caractérisent son programme nucléaire et sur la violation, par l’Iran, de ses obligations en matière de non-prolifération. Ces enjeux, de même que les incohérences et les errements des diplomaties américaine, européenne et iranienne ont, dans un premier temps, sensiblement hypothéqué le règlement de la crise (4).
En proposant un compromis politique audacieux, mais somme toute empreint de réalisme stratégique, Barack Obama a ouvert en 2010 la voie à une évolution sur le dossier iranien. Le principe même du compromis politique esquissé par le Président américain était relativement simple : prendre acte de l’accession par l’Iran aux capacités techniques et scientifiques nécessaires à l’obtention de l’arme nucléaire sans pour autant laisser la République islamique sauter le pas de l’acquisition. Néanmoins, la traduction juridique de ce compromis politique s’avérait autrement plus délicate à réaliser. Pour l’Iran, comment, en effet, accepter l’application de l’ensemble des mesures de contrôle réclamées par l’A.I.E.A. tout en préservant les éléments scientifiques, matériels et techniques de mobilisation du feu nucléaire ? Symétriquement, comment l’A.I.E.A., et les Etats du groupe E3/EU+3, pouvaient-ils concilier les objectifs de non-prolifération avec un compromis politique permettant in fine à l’Iran de conserver sa capacité technique à disposer de l’arme nucléaire ?
Le Plan d’action rassemble en son sein l’ensemble de ces contradictions qu’il tente de dépasser. Réaffirmant la place prépondérante du T.N.P., il se caractérise néanmoins par un abaissement significatif des objectifs de non-prolifération. Le texte de Vienne illustre en effet le renoncement des puissances occidentales à supprimer purement et simplement la capacité matérielle et scientifique iranienne à franchir le seuil de la puissance nucléaire : elles entendent simplement la contrôler et la limiter (§ 1). Affaiblie, la dimension nucléaire du programme militaire iranien est néanmoins préservée.
Le Plan d’action repose également sur la conscience de la fragilité du compromis dont il est porteur. L’équilibre du Plan dépend à la fois des bonnes volontés occidentales quant à la réussite du Plan d’action et de la bonne foi iranienne vis-à-vis de ses obligations internationales en termes de non-prolifération. Aucune n’est acquise aujourd’hui pour des raisons tenant au calendrier politique des Etats, à la complexité des alliances régionales mais également à la méfiance réciproque animant les parties prenantes à l’accord. Le texte de Vienne établit pour cette raison un cadre normatif et institutionnel souple, ou la négociation diplomatique doit primer sur le rétablissement des sanctions économiques dont le Plan d’action appelle la levée (§ 2). Absorbant ainsi le caractère instable de l’équilibre dégagé à Vienne, le gouvernement de Barack Obama a entendu garantir la viabilité d’un Plan auquel il a donné sa principale coloration.
Le paragraphe VII de son préambule inscrit le Plan d’action au centre du dispositif juridique issu du T.N.P.. Il précise en effet que « le T.N.P. demeure la pierre angulaire du régime de non-prolifération nucléaire et le fondement essentiel de la poursuite du désarmement nucléaire et de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ». Cependant, le texte de Vienne est également porteur d’une interprétation particulière du T.N.P., et ce même s’il réaffirme, dès le ii) de son Préambule, se donner pour objectif de garantir « le caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire de l’Iran ».
L’accord de Vienne ne constitue, en effet, qu’un élément d’un ensemble plus vaste d’accords, de nature et de portée juridiques diverses, conclus par l’Iran et les Etats du groupe E3/EU+3. L’adoption du Plan d’action a notamment été précédée de la signature, à Lausanne, des Parameters for a Joint Comprehensive Plan of Action regarding the Islamic Republic of Iran’s Nuclear Program le 2 avril 2015. Ce texte établit les « fondations sur la base desquelles le texte final du Plan d’action sera élaboré ». Il permet d’appréhender l’évolution subtile instillée dans l’économie générale du Plan d’action afin d’aligner le contenu de ce dernier sur les lignes de force du compromis politique initié par le gouvernement états-unien.
Le Plan d’action se caractérise, en effet, par un abaissement significatif des objectifs en matière de non-prolifération. De la stricte garantie du caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire, le Plan d’action s’est insensiblement déplacé vers un triple objectif. En premier lieu, l’accord de Vienne entend peser, « pour une durée d’au moins 10 ans » selon le texte de Lausanne, sur le développement du programme nucléaire iranien en vue d’allonger la période nécessaire à l’Iran pour franchir le seuil de la puissance nucléaire (5). C’est donc reconnaître, implicitement, l’existence de la capacité iranienne à acquérir l’arme nucléaire et, dans le même temps, renoncer à la faire totalement disparaître. Le Plan d’action ne supprime pas la capacité iranienne à franchir le seuil de la puissance nucléaire : il vise à en complexifier le franchissement.
En second lieu, en gelant temporairement les avancées techniques de l’Iran en matière de vecteurs et d’explosifs nucléaire, le Plan d’action entend « vieillir » le programme iranien et le déclasser en vue d’en affecter durablement la crédibilité. L’interdiction de toute « activité liée aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires » (§ 3 de la Déclaration - Annexe B), de même que le contrôle exercé par le Conseil de sécurité sur les exportations d’« articles, [de] matières, [d’] équipements, [de] biens et [de] technologies qui (…) pourraient contribuer à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires » (§ 4 de la Déclaration - Annexe B), dans les deux cas « jusqu’au huitième anniversaire de la Date d’adoption du Plan d’action », sont à cet égard particulièrement significatifs.
Ces dispositions sont complétées par une série de mesures visant plus spécifiquement les capacités iraniennes en matière d’enrichissement, là aussi pour une durée limitée. D’une part, interdiction est faite à l’Iran de poursuivre certaines activités présentant un risque de prolifération. Sont ainsi prohibées les opérations de retraitement du combustible usé (Annexe I au Plan d’action commun global ‒ Mesures relatives au nucléaire, point E, § 18), mais également l’achat ou la production de plutonium (Annexe I au Plan d’action commun global ‒ Mesures relatives au nucléaire, point E, § 20 et § 24). Dans les deux cas, l’interdiction vaut pour une durée de 15 ans. Elle sera toutefois maintenue au-delà de cette date tant pour les activités de retraitement que pour les activités visant à séparer le plutonium, l’uranium ou le neptunium du combustible usé.
D’autre part, le Plan d’action entend favoriser la comptabilité des matières nucléaires présentes sur le territoire iranien. A cette fin, il plafonne la quantité d’uranium que l’Iran sera en droit de posséder (300 kg), ainsi que son niveau d’enrichissement (3,67%). Il limite également les activités d’enrichissement d’uranium au seul site de Natanz – qui est également le site de stockage des centrifugeuses non utilisées – tout en spécialisant les activités des sites de Fordou et d’Arak afin de les détourner définitivement de l’enrichissement. Le but est d’éviter, pour une période de 15 ans, la dispersion des sources de production d’uranium enrichi et de faciliter ainsi le travail de comptabilité de l’Agence dans le cadre de la mise en œuvre des mécanismes de garantie.
En troisième lieu, le Plan d’action doit permettre de veiller à ce que l’Iran ne puisse, par la suite, « recrédibiliser » son programme nucléaire. Cet objectif doit être atteint par un ensemble d’engagements qui, selon le point F. § 26 de l’Annexe V au Plan d’action commun global – Plan d’application, continuent de « s’appliquer au-delà [des dates d’abrogation ou d’extinction] » des mesures temporaires. Relèvent de cette logique aussi bien la « présence à long terme de l’A.I.E.A. en Iran » garantie par le § 15 du Plan d’action que l’interdiction des « activités (…) susceptibles de contribuer à la mise au point d’un dispositif explosif nucléaire » (Plan d’action global commun, point T., § 82). Surtout, l’accord de Vienne entend renforcer durablement les pouvoirs d’inspection des agents de l’A.I.E.A., renforcement qui s’inscrit précisément dans la volonté d’empêcher l’Iran de relancer un programme nucléaire de nature militaire.
Ainsi, le paragraphe 75, qui déclenche la procédure pouvant conduire à la mise en œuvre du régime renforcé des inspections, envisage-t-il deux situations. Une première correspond aux doutes qui pourraient naître à propos de la sincérité et de l’exhaustivité des déclarations concernant les quantités et la localisation des matières nucléaires dont dispose la République islamique. Une seconde renvoie à l’éventualité où l’Iran déciderait, en dépit de ses obligations internationales, de redémarrer un programme militaire clandestin et conduirait à cette effet des activités non-déclarées ou se déroulant sur des sites non-déclarés.
Dans une telle situation, les agents de l’A.I.E.A. doivent pouvoir accéder aux sites concernés, déclarés ou non déclarés, dans le seul souci de « vérifier l’absence de matières et activités nucléaires non déclarées ou de s’assurer qu’aucune activité non conforme au plan d’action de la Commission ne s’y déroule ». Il s’agit donc, sur la base du paragraphe 76 cette fois, de permettre à l’Agence d’accéder virtuellement à tout site, y compris militaire (6), sur lequel des activités clandestines seraient susceptibles d’avoir lieu ou des matières nucléaires entreposées. Ces dispositions constituent un renforcement du Protocole Additionnel à l’Accord de garantie ratifié par l’Iran (7) Le Protocole additionnel impose en effet une obligation de déclaration plus large et accorde des pouvoirs d’accès plus étendus aux inspecteurs, mais uniquement dans la limite des sites ayant fait l’objet d’une déclaration aux termes des articles 2 et 5 (8). Le Plan d’action étend cette possibilité aux sites, déclarés ou non-déclarés, quel que soit par ailleurs leur statut, civil ou militaire.
Outre certaines dérogations, précisément circonstanciées, aux obligations iraniennes découlant du Plan d’action (9), c’est véritablement l’institution d’un mécanisme de règlement des différends qui donne sa coloration compromissoire au Plan d’action. Ce mécanisme repose sur la création d’une Commission conjointe, composée des « représentants des participants au Plan d’action », (§ 1.2 de l’Annexe IV au Plan d’action global commun – Commission conjointe) et qui « cherchera à régler les problèmes qui se posent dans le cadre de l’application du Plan d’action » (article ix) du Préambule). S’il s’agit d’une structure assez classique en droit des traités, dont les différends qui les concernent sont soumis à l’impératif onusien du caractère pacifique de leur règlement (10), le mécanisme de règlement des différends se retrouve véritablement au cœur du Plan d’action dont il constitue le pilier central.
C’est, en effet, au sein du cénacle, éminemment diplomatique, de la Commission conjointe que l’intensité et l’étendue des obligations pesant sur l’Iran seront réellement précisées. A ce titre, le fonctionnement de la Commission conjointe constitue un élément absolument essentiel pour la bonne compréhension de l’économie générale du Plan d’action. Les rédacteurs de l’accord de Vienne ont, en effet, basé son fonctionnement sur le consensus, « sauf disposition contraire » (§ 4.1 de l’Annexe IV au Plan d’action global commun – Commission conjointe). Le consensus désigne une « procédure d’adoption d’un texte (…) sans recours au vote en l’absence de toute objection formelle exprimée par un participant, et ce à la suite de consultations officieuses entre les participants les plus représentatifs des groupes d’intérêts de l’organe concerné » (11).
Ce mécanisme est clairement porté par une volonté de conciliation et de compromis. Dans la mesure où « l’unanimité de façade qu’il préserve cache, le plus souvent, une coalition d’insatisfaits, au point que le consensus est parfois assorti de réserves, dont la connaissance est indispensable pour connaître la portée réelle des textes adoptés » (12), la Commission conjointe entend permettre l’expression d’un désaccord sans pour autant remettre en cause la poursuite de l’exécution du Plan d’action. Par le biais du consensus, un Etat en désaccord sur la nature des mesures imposées à l’Iran – en raison de leur caractère trop conciliant par exemple - pourra manifester ce dernier sans avoir à supporter le poids diplomatique de l’échec du Plan. Plus précisément, elle permettra à cet (ou ces) Etat(s) de ne pas donner l’impression qu’il(s) consent(ent) à la décision prise par la Commission (13).
Le caractère compromissoire du Plan d’action, de même que le rôle central du consensus, peuvent s’apprécier tant en ce qui concerne le règlement des différends nés à l’occasion des inspections menées par les agents de l’A.I.E.A. (§ 78 du Plan d’action), que ceux afférents au non-respect par l’Iran, ou par un Etat du groupe E3/EU+3, de ses obligations en matière de non-prolifération (§ 36 du Plan d’action). Dans le cas des inspections menées au titre du paragraphe 76, l’Iran dispose en effet de la possibilité de « proposer à l’A.I.E.A. d’autres solutions pour lever les doutes de l’Agence » et d’éviter ainsi de nouvelles inspections. Toutefois, le paragraphe 78 souligne que « faute d’accord entre les parties, la Commission conjointe indiquera, par voie de consensus ou par un vote à la majorité d’au moins cinq de ses huit membres, quels sont les moyens qui lui paraissent nécessaires pour lever les doutes de l’A.I.E.A. ».
C’est en d’autres termes permettre à la négociation diplomatique de déterminer, in fine, l’étendue des obligations auxquelles l’Iran aura à se soumettre, et, le cas échéant, de faire primer l’application du Plan d’action sur le strict respect du droit de la non-prolifération. Il est vrai que le paragraphe 78 laisse le choix à la Commission conjointe de se prononcer par la voie du consensus ou par le biais d’un vote à la majorité de cinq de ses huit membres. Cependant, les dispositions du paragraphe 4.1 laissent peu de doute quant à la procédure que le paragraphe 78 entend privilégier. La décision par consensus doit être le principe tandis que le vote doit rester une exception qui ne sera recherchée que dans un second temps, en l’absence de consensus.
Cela est d’ailleurs conforme à la pratique des Nations Unies, certains auteurs voyant dans ce mode de décision une « procédure préalable » (14). Le recours au vote ne parait cependant pas de nature à remettre en cause le caractère conciliateur du Plan d’action, au profit d’une ligne plus dure. La nécessité de recueillir un vote à la majorité de cinq membres sur les huit que compte la Commission impose, pour l’Etat souhaitant appliquer strictement les dispositions du Plan d’action, de recueillir un soutien étendu dans le camp occidental, notamment si l’on admet que la Chine, la Russie et l’Iran iront dans le sens d’une application « souple » du Plan d’action. Or, dans le cadre des négociations ayant conduit à l’adoption de l’accord de Vienne, seule la France, soutenue par la Grande Bretagne, était favorable à l’adoption d’une ligne dure. Le vote ne ferme pas la porte à une application stricte et rigoureuse du Plan d’action. Il en complexifie la réalisation en la conditionnant à la recherche d’un soutien étendu.
La procédure de rétablissement des sanctions de l’article 36 est également portée par une logique de conciliation. Elle se décompose en deux parties, la première se déroulant devant la Commission conjointe, la seconde devant le Conseil de sécurité. Devant la Commission la recherche du compromis caractérise, encore une fois, la procédure. Si un des participants estime qu’un Etat ne respecte pas ses obligations en vertu du Plan d’action, une conciliation sera ainsi successivement recherchée devant la Commission conjointe, puis devant les ministres des affaires étrangères des Etats participants à l’accord de Vienne qui doivent « apporter une solution », et/ou devant un Conseil consultatif de trois membres qui rendra « un avis non contraignant sur la question du non-respect », avant un ultime retour devant la Commission conjointe. Le Conseil de sécurité peut alors être saisi.
La résolution 2231 prévoit la procédure à suivre en cas d’échec de la Commission conjointe dans la recherche d’un compromis. Dans ses paragraphes 11 à 13, elle souligne ainsi que, en cas de « non-respect notable d’engagements prévus par le Plan d’action, le Conseil procédera à un vote sur un projet de résolution concernant le maintien de la levée » des sanctions. Si le Conseil de sécurité « n’adopte pas la résolution prévue », les sanctions établies par les résolutions antérieures s’appliqueront à nouveau. Dans le cas de la procédure instaurée par la résolution 2231, les sanctions ne pourront être réappliquées que dans la mesure où plusieurs Etats, notamment parmi ceux disposant d’un droit de veto, votent contre la résolution. Dans le cas contraire, si un Etat entend exercer, seul, son droit de veto, il serait conduit à supporter le poids diplomatique de l’échec du Plan. Il s’agit donc, tout comme dans le cadre de la procédure de vote du § 78, de contraindre politiquement l’expression du désaccord à la recherche d’un support collectif. C’est une logique différente de celle qui prévaut devant la Commission conjointe lorsque cette dernière se prononce par le biais du consensus, lequel amène à laisser le désaccord s’exprimer pour mieux le neutraliser.
S’il joue un rôle pivot dans le cadre de la crise iranienne, le Plan d’action ne doit pas être envisagé comme l’aboutissement de cette dernière, mais comme une étape en vue de son règlement. D’une part, l’Accord de Vienne s’inscrit dans le temps long et sa mise en œuvre est résolument progressive. La présentation, le 15 décembre 2015, par le Directeur général de l’A.I.E.A., du « bilan final concernant le règlement de toutes les questions passées et présentes restées en suspens », conformément aux dispositions du Plan d’action global commun, point C., § 14, a certes permis au Conseil des gouverneurs de l’Agence de mettre fin à l’examen des possibles dimensions militaires du programme nucléaire iranien par une résolution du même jour (15). Cependant, tant le « bilan final » que la résolution du Conseil des gouverneurs ne correspondent qu’à la deuxième phase de la mise en œuvre de l’Accord de Vienne (phase dite de la « Date d’adoption »). Elle constitue une étape préalable à la troisième phase (dite de la « Date d’application ») qui doit permettre la levée des sanctions économiques pesant sur l’Iran. Or, cette levée est soumise au respect, par la République islamique, d’un certain nombre d’obligations énumérées au point F. §§ 15 à 15.12 de l’Annexe V au Plan d’action commun global – Plan d’application.
D’autre part, si, en choisissant la voie du compromis, Barack Obama a réussi le tour de force de conclure un accord historique avec l’Iran, cet accord reste fragile. Les adversaires de la République islamique ont en effet tout intérêt à l’échec du Plan d’action et travailleront en ce sens. En outre, le règlement de la crise syrienne, encore incertain, est potentiellement déstabilisateur pour l’Iran qui doit éviter l’isolement stratégique. Le durcissement des tensions irano-saoudiennes participe de cette double logique. L’objectif de l’Arabie Saoudite n’est pas tant de peser directement sur un accord auquel elle n’est pas partie que de créer des conditions défavorables à sa mise en œuvre en ternissant l’image de la République islamique et en s’efforçant de l’isoler sur le plan diplomatique. Plus que la lettre même de l’accord, c’est en réalité la formalisation juridique d’un forum de négociations qui constitue un succès diplomatique tant pour l’Iran, et son allié russe, que pour les Etats-Unis. La Commission conjointe constitue en effet une structure où un dialogue direct peut s’établir entre les différentes parties prenantes à l’accord de Vienne et contribuer ainsi au rétablissement d’une confiance qui constitue, dans ce cas précis, le meilleur levier en termes de non-prolifération.
Manuscrit clos le 5 janvier 2016
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Notes
(1) Le sigle « E3 » désigne la Chine, la Russie et les Etats-Unis, tandis que le sigle « EU+3 » englobe l’Union européenne, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
(2) Mise en œuvre de l’Accord de garanties TNP en République islamique d’Iran Rapport du Directeur général, AIEA, GOV/2003/40, 6 juin 2003, p. 3.
(3) B. HOURCADE, « Iran. Entre ambitions et alliances. Décryptage géopolitique », Diplomatie, n° 48, janvier-février 2011, pp. 72-73.
(4) Sur ce point voir B. HOURCADE, Géopolitique de l’Iran, Paris, Armand Colin, 2010, pp. 129 à 130 et F. GERE, L’Iran et le nucléaire – Les tourments perses, Paris, Lignes de repères, 2006, pp. 98 à 107. Voir également, F. GERE, « L’intransigeance française pourrait provoquer la rupture », lopinion.fr, publié le mercredi 19 novembre 2014 à 11h18, consulté le 3 novembre 2015 à 10h11.
(5) L’accord de Lausanne souligne que « Iran’s breakout timeline – the time that it would take for Iran to acquire enough fissile material for one weapon – is currently assessed to be 2 to 3 months. That timeline will be extended to at least one year, for a duration of at least ten years, under this framework ».
(6) Si les demandes d’accès ne doivent pas conduire à « s’immiscer dans les affaires militaires de l’Iran » des inspections peuvent avoir lieu sur un site militaire, à condition qu’elles « visent exclusivement à lever des doutes relatifs au respect des engagements pris dans le cadre du plan d’action de la Commission conjointe et autres obligations de l’Iran en matière de non-prolifération et de garanties » (Plan d’action global commun, point Q., § 74).
(7) Le Protocole Additionnel vient renforcer les obligations de l’Iran en matière de non-prolifération. Il prévoit une obligation de déclaration étendue à toute activité liée à un programme nucléaire, même à celles « ne mettant pas en jeu de matières nucléaires », et un accès des inspecteurs de l’A.I.EA. aux installations correspondantes. Selon le paragraphe 64 du préambule du Plan d’action, « l’Iran informera l’AIEA de l’application provisoire du Protocole additionnel à son Accord de garanties conformément à l’article 17(b) du Protocole additionnel dans l’attente de son entrée en vigueur, et veillera ensuite à le faire ratifier et à lui donner effet, dans le respect des rôles respectifs du Président et du Majlis (Parlement) ».
(8) R. HOOPER, « Le Protocole additionnel de l’Agence internationale de l’énergie atomique », in Les inspections sur place : mêmes problèmes, autres solutions, n° spécial Forum du désarmement, 1999, n° 3, p. 15.
(9) A titre d’exemple, « l’uranium enrichi dans des assemblages de combustible provenant de Russie ou d’autres sources destiné à être utilisé dans les réacteurs nucléaires iraniens ne sera pas compté dans les stocks d’UF6 de 300 kg susmentionnés » (Plan d’action global commun, point A., § 7).
(10) P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 2009, 8ème édition, p. 246, § 143
(11) J. SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 239.
(12) Idem.
(13) L. SIEVERS et S. DAWS, The procedure of the UN security council, Oxford, Oxford University Press, 2014, 4ème edition, p. 337.
(14) H. CASSAN, « Le consensus dans la pratique des Nations Unies », A.F.D.I., 1974, p. 478.
(15) Résolution du 15 décembre 2015, relative à l’Application du Plan d’action global commun et vérification et contrôle en République islamique d’Iran à la lumière de la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité de l’ONU, GOV/2015/72, A.I.E.A.. Cf. en particulier le § 9. Quant au rapport du Directeur général de l’A.I.E.A., il établit tout d’abord que l’Iran a bien mené des activités « en rapport avec la mise au point d’un dispositif nucléaire explosif ont été menées en Iran avant la fin de 2003 ». Néanmoins, le Directeur général de l’Agence relève également que, postérieurement à 2003, les activités menées ont été d’ampleur limitée. Elles sont, en particulier, demeurées au « stade des études de faisabilité, des études scientifiques et de l’acquisition de certaines compétences et capacités techniques pertinentes « et ne paraissent pas avoir été prolongées au-delà de 2009. Par ailleurs, l’Agence reconnaît ne pas avoir « d’indices crédibles de l’existence du détournement de matières nucléaires en ce qui concerne les dimensions militaires possibles du programme nucléaire iranien ». Cf. Évaluation finale des questions passées et présentes en suspens concernant le programme nucléaire iranien - Rapport du Directeur général, GOV/2015/68, 4 décembre 2015, §§ 87 et 88.
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