L’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon, attire l’attention d’une partie des opinions publiques sur les questions de sûreté nucléaire. Une série de stress tests a été engagée pour les installations des pays de l’Union européenne. Dans le même temps, aux frontières de l’UE, deux centrales nucléaires sont en cours de construction ou projetée, dans l’enclave de Kaliningrad (Russie) et en Biélorussie. (1 carte)
La Biélorussie et la Russie ont chacune le projet de construire une centrale nucléaire aux frontières de la Lituanie. Ces projets inquiètent les autorités lituaniennes. Avant d’expliquer pourquoi, pourriez-vous rappeler l’histoire de votre pays avec cette énergie ?
La Lituanie a eu le triste privilège d’être le seul Etat Balte à avoir hérité de l’époque soviétique (1940-1990) une centrale nucléaire du même type que celle qui a explosé le 26 avril 1986 en URSS, à Tchernobyl (Ukraine). La notre était peut-être mieux entretenue mais le réacteur appartenait à la même catégorie. Comme d’autres pays d’Europe, la Lituanie a reçu des retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl.
Dans la perspective de l’adhésion de la Lituanie à l’Union européenne (UE), Bruxelles a exigé le démantèlement de notre centrale nucléaire, située à Ignalina. L’Autriche était particulièrement en pointe sur ce dossier, son opinion étant marquée par l’accident de 1986 et par la présence d’une autre centrale inquiétante à ses frontières, en Slovaquie.
Alors que nous avions besoin de cette énergie pour réduire notre dépendance aux importations énergétiques russes, le démantèlement de notre centrale d’Ignalina a été explicitement inclus dans notre traité d’adhésion à l’UE, le 1er mai 2004. Le premier réacteur d’Ignalina a été fermé en 2004 et le dernier en 2009. Il nous reste toujours à régler les immenses problèmes techniques mais aussi sociaux liés au démantèlement d’Ignalina. Nous avons tenu notre promesse vis à vis de l’UE ce qui nous a pourtant rendus plus dépendant encore de nos importations énergétiques de Russie, notamment de gaz et d’électricité, alors que nos relations diplomatiques avec Moscou sont complexes, voire parfois tendues.
La Lituanie a-t-elle encore l’intention de développer l’énergie nucléaire ?
Afin de réduire à terme notre dépendance énergétique, les autorités lituaniennes sont déterminées à construire une nouvelle centrale nucléaire sur le site d’Ignalina parce qu’il offre des conditions satisfaisantes, avec cette fois un nouveau réacteur, conforme aux standards internationaux. Ce projet est reconnu par l’UE comme un projet régional visant à satisfaire les besoins énergétiques régionaux, en particulier de la Lettonie, d’Estonie et de la Pologne.
La crise financière de 2008 a cependant provoqué une crise économique peu propice à ce projet que nous voudrions voir financé par des investisseurs étrangers. Nous supposons, de surcroît, que l’apparition soudaine d’autres projets nucléaires de proximité à nos frontières ont apporté une incertitude et confusion parmi des investisseurs potentiels ce qui les a incités à se retirer du premier appel d’offre.
Actuellement le gouvernement lituanien se prépare pour un deuxième appel d’offre en poursuivant les négociations avec les investisseurs potentiels pour construire cette nouvelle centrale nucléaire en Lituanie, à l’horizon 2020. Pour le pays qui investira dans ce projet, ce sera un bel outil diplomatique. Plus de vingt ans après les indépendances, les Baltes restent encore connectés au réseau russe pour leur électricité, ce qui semble déraisonnable. L’UE a heureusement accepté d’insérer la Lituanie au réseau électrique européen, notamment via la Finlande.
Les Russes ont également un projet de centrale nucléaire dans la région
La Russie est engagée dans une course de vitesse pour conserver sa suprématie énergétique dans la Baltique. Contrairement à ce qu’exige la Convention Espoo (Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, 1991), ils n’ont pas fait une évaluation suffisante de l’impact environnemental avant de commencer à creuser les fondations d’une centrale nucléaire dans l’enclave de Kaliningrad. Sans concertation avec les voisins, ils construisent une centrale nucléaire à 11 kilomètres des frontières de la Lituanie. Les autorités russes envisagent d’utiliser pour le refroidissement du réacteur de la centrale nucléaire les eaux du fleuve frontalier entre la Lituanie et l’enclave russe de Kaliningrad, le Niémen.
Et les Biélorusses ont - eux aussi – un projet de centrale nucléaire.
A 23 kilomètres de la frontière lituanienne – et à 53 km de notre capitale, Vilnius - les autorités biélorusses ont un projet de centrale nucléaire à Ostrovec. Nous avons appris qu’en cas d’accident nucléaire les Biélorusses ont déjà prévu le plan d’évacuation de la capitale lituanienne, Vilnius, avec ses 500 000 habitants et toutes les institutions d’Etat. Ce qui est bien aimable mais nous préférerions qu’ils respectent les exigences internationales. La société russe Rosatom va fournir aux Biélorusses un réacteur d’un nouveau type : VVER 1200. Nous notons qu’il n’existe pas à ce jour de réacteur VVER 1200 sur le territoire de l’Europe géographique, c’est-à-dire à l’Ouest de l’Oural. En revanche, des réacteurs de ce type sont installés en Russie à l’Est de l’Oural et en Chine mais nous n’avons pas les moyens de les évaluer en matière de sécurité. En effet, la Biélorussie n’a pas effectué l’évaluation de l’impact sur l’environnement de la centrale nucléaire, conformément aux normes de la Convention d’Espoo. Elle n’a pas organisé de débats publics en Lituanie, ainsi que des consultations bilatérales entre la Biélorussie et la Lituanie, comme l’exige la Convention d’Espoo.
La proximité des projets russes – 11 kilomètres de notre frontière – et biélorusses - 23 kilomètres – inquiéterait n’importe quel pays.
Compte tenu des doses déjà reçues lors de l’accident de Tchnernobyl, les Lituaniens sont inquiets. L’accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima (11 mars 2011) – qui n’est pas comparable à celui de Tchernobyl – a marqué les esprits en Lituanie comme ailleurs dans le monde.
Sous l’angle stratégique, comment comprenez-vous le projet russe ?
Au-delà de la sûreté nucléaire, nous nous préoccupons du calcul stratégique russe puisque les besoins énergétiques de l’enclave de Kaliningrad ne justifient en rien la construction d’une centrale nucléaire. Ce territoire est peuplé de moins d’un million d’habitants. Disposant d’une surcapacité, nous pensons que la Russie a ensuite l’intention de vendre son excédent d’électricité dans la région. Ils pourraient facilement « casser les prix » pour gagner les marchés de l’UE. Ce qui fermerait des marchés aux autres producteurs d’énergie de la région, notamment les Etats Baltes et la Pologne. La Russie a lancé les travaux le plus vite possible pour couper l’herbe sous le pied à la concurrence. Cette hâte s’inscrit dans une logique d’arriver le premier pour envahir ensuite le marché avec de l’électricité low cost.
Quels sont vos moyens d’action ?
Nous n’avons pas les moyens d’influencer Moscou, alors, parallèlement aux discussions sur le plan bilatéral, nous cherchons à introduire dans les négociations d’autres éléments : la Commission européenne, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le Secrétariat général des Nations unies, et d’autres organisations internationales.
En mars 2011, nous avons contribué à ce qu’un Conseil européen invite la Russie comme l’Ukraine à faire elles aussi des stress tests pour évaluer la sécurité de leurs installations nucléaires. Lors d’une conférence de l’AIEA à Vienne, entre le 4 et 14 avril 2011, nous avons posé des questions précises aux autorités russes et biélorusses. Dans le cadre de la préparation du sommet UE-Russie (9-10 juin 2011), nous avons obtenu que la centrale de Kaliningrad fasse partie des questions abordées. En effet, il importe que les pays membres de l’Union européenne se saisissent de cette question qui les concerne tous d’une manière ou d’une autre.
Cet entretien a été réalisé à Paris. Il a été relu et corrigé par Madame Lina Terra. Manuscrit clos le 16 juin 2011.
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« A. Ažubalis to Belarussians : You can carry out experiments on a desert land but not next to us », Diploweb.com, 25 mai 2011. Voir
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