Brexit : quels enjeux géopolitiques ?

Par Djiby SOW, le 6 septembre 2016  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Djiby Sow est politologue et juriste de droit international public, diplômé de l’Université de Montréal. Il s’intéresse aux questions de sécurité internationale et de lutte contre le terrorisme, notamment dans la région du Sahel et en Afrique de l’Ouest. Son ouvrage intitulé « La légalité de l’intervention militaire française au Mali. Contribution à l’étude du cadre juridique de la lutte armée contre le terrorisme international » est paru en février 2016 aux éditions L’Harmattan.

Quels sont les enjeux géopolitiques internationaux du Brexit ? Cette contribution envisage les effets possibles du vote britannique à court et moyen terme sur la construction européenne, leur impact sur la position hégémonique des États-Unis et pose la question de son sens stratégique dans le contexte plus large de basculement du monde dans la multipolarité.

LE 23 JUIN 2016, le Royaume-Uni se prononçait à 51,9% en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE). Une première en presque soixante-dix années d’intégration continue. Les résultats du vote auront mis en évidence de façon très nette les clivages, notamment territoriaux, qui articulent la géopolitique intérieure du pays. Le Leave recueillait une majorité de voix en Angleterre (53,4%) et au pays de Galles (52,5%), tandis que le Remain l’emportait en Irlande du nord (55,8%) et en Écosse (62%), où un nouveau référendum sur l’indépendance semble possible.

Quels sont les enjeux géopolitiques internationaux du Brexit ? Cette contribution envisage les effets possibles du vote britannique à court et moyen termes sur la construction européenne (I), leur impact sur la position hégémonique des États-Unis (II) et pose la question de son sens stratégique dans le contexte plus large de basculement du monde dans la multipolarité (III).

Brexit : quels enjeux géopolitiques ?
Djiby Sow
Chercheur, diplômé de l’Université de Montréal.

I. La construction européenne menacée ?

Un candidat à l’élection présidentielle française de 2017 écrivait en réaction aux résultats du référendum britannique que le « Mur de Bruxelles est tombé » [1]. C’est dire l’ampleur de la menace que fait peser la victoire du Leave sur l’Union. Le Brexit marque effectivement le rejet des institutions européennes à travers le continent – qui plus est dans un contexte de crise sociale et identitaire aggravée dans plusieurs États-membres – et semble appelé à catalyser les forces centrifuges qui travaillent à la dé-construction européenne.

Dès le lendemain du vote, des membres de l’opposition appelaient à la tenue de référendums similaires dans plusieurs États, dont l’Autriche, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et la Slovaquie. La Présidence Tchèque s’est quant à elle engagée à organiser un référendum sur l’appartenance du pays à l’UE, mais également à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Des questions sectorielles seront également soumises au plébiscite, comme en Hongrie où devrait se tenir, le 2 octobre 2016, un référendum sur l’immigration – une mise en cause directe de la gestion de la « crise des migrants » par Bruxelles. Les relations commerciales de l’Union ne seront pas en reste puisque l’accord de libre-échange UE-Canada (dont la signature était prévue en octobre 2016) devrait finalement être soumis au vote des parlements nationaux [2]. Avec, en perspective, un enlisement vraisemblable du débat autour des tribunaux d’investissement prévus en guise de substitut au controversé mécanisme « Investor-State Dispute Settlement » (ISDS), mais dont ils demeurent très proches en substance [3].

À terme, la sortie effective du Royaume-Uni de l’UE constituerait un précédent. Toute concession obtenue par Londres dans le cadre des négociations de sortie à intervenir avec Bruxelles, en ce qui concerne le contrôle de l’immigration et la libre-circulation par exemple, pourrait également être invoquée par d’autres États dans le futur avec le risque de matérialiser l’« Europe à la carte » que redoutent les dirigeants européens [4].

D’ici là, l’exemple britannique devrait peser de tout son poids sur la vie politique des États-membres. À cet égard, deux échéances s’annoncent cruciales pour l’avenir de l’UE. En Italie, le gouvernement mettra son mandat en jeu en octobre 2016 à l’occasion du référendum sur un projet de réforme constitutionnelle devant aboutir à la réduction du nombre et des pouvoirs des sénateurs. Le Mouvement 5 Étoiles (M5S) apparait toutefois en mesure de transformer la consultation en un large plébiscite pour ou contre l’action du gouvernement. De plus, alors qu’il avait déjà mis en difficulté le Parti démocratique du Premier ministre Renzi aux municipales de juin 2016 en remportant 19 des 20 villes où il avait présenté un candidat, trois sondages effectués entre le 28 juin et le 5 juillet 2016 présagent au mouvement une victoire en cas d’élections législatives immédiates [5]. Le risque pour l’UE vient du fait que dans le contexte de crise du système bancaire italien, le M5S a déjà fait connaître son intention d’organiser d’un référendum sur le maintien de l’euro comme monnaie du pays ou le retour à la Lire. Une éventualité à laquelle la zone euro ni le projet européen ne paraissent en mesure de survivre compte tenu des répercussions qu’elle aurait sur l’Allemagne, cœur de l’économie européenne.

En France, les sondages donnent Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de mai 2017. En s’engageant à organiser un référendum en cas de victoire, la candidate du Front National a déjà fait de l’Europe un enjeu de campagne majeur. Il n’est pas exclu non plus de voir les partis européistes du centre, en chute libre, radicaliser eux aussi leur offre politique sur des thématiques spécifiques dans le but de synchroniser avec un électorat qui compte parmi les plus eurosceptiques de l’Union. Le pays avait en effet déjà dit « non » à 54.6% en 2005 au Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe. Un texte remanié, le Traité de Lisbonne, fut néanmoins ratifié par voie parlementaire. L’Europe et la monnaie unique, synonymes de mondialisation et de désindustrialisation pour nombre d’ouvriers et de cadres déclassés, sont majoritairement considérées comme les responsables de grave situation économique et sociale que connaît le pays. Les blocages considérables suscités par la loi de réforme du travail (El Komri), elle aussi largement perçue comme imposée par Bruxelles et passée en force par un mécanisme constitutionnel, en constituent l’illustration la plus récente.

Surtout, la question de l’immigration est désormais – bien davantage qu’au Royaume-Uni – un sujet de tension extrême. Le pays a été relativement moins affecté par la « crise des migrants » que d’autres États de l’Union. Cependant, le « vivre-ensemble » avec ses citoyens originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne paraît confronté à d’importantes difficultés, ainsi qu’ont pu l’illustrer la permanence du débat sur la laïcité au cours de la dernière décennie ou la polémique courante sur le « burkini ».

Les attentats des 7, 8 et 9 janvier et 13 novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice ont achevé d’installer un climat délétère. Le Chef de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) affirmait dès mai 2016, devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de novembre 2015, que le pays était « au bord de la guerre civile » et mettait en garde contre une « confrontation inéluctable » entre « entre l’ultra droite et le monde musulman - pas les islamistes mais bien le monde musulman » [6]. Si le constat peut sembler alarmiste, il y a peu de risque à parier que la dialectique sécurité/contrôle des frontières pourrait devenir, dans un tel contexte, la clé de l’élection avec, en bout de ligne, la libre circulation et l’espace Schengen pour premières victimes.

En ce qui concerne les tendances de fond, une évolution tout à fait majeure devrait être anticipée en conséquence du Brexit, à savoir que les relations internationales et la géopolitique sont appelées à retrouver leurs lettres de noblesse sur le continent. L’intégration économique est en effet parvenue à mettre en sourdine des siècles de conflits ayant notamment culminé en deux guerres mondiales. La sortie du Royaume-Uni pourrait cependant mettre à l’épreuve les équilibres qui ont garanti à l’Europe la plus longue période de paix des derniers siècles (depuis 1501 dans le cas de la France). Elle consoliderait probablement la position dominante de l’Allemagne et les craintes régionales face à la perspective, réelle ou fantasmée, d’une Europe germanique et romprait notamment le ménage à trois avec la France, laissant Paris et Berlin seuls face à leurs antagonismes géopolitiques et historiques.

Sur la question fondamentale de l’avenir de l’UE par exemple, la publication, dès le 27 juin 2016, d’un concept d’union beaucoup plus intégré [7] par les diplomaties allemande et française semble bien traduire un accord de principe sur la nécessité de bâtir sur la crise. Des divergences profondes demeurent cependant entre les deux piliers de l’Union. Les convulsions économiques et financières de la dernière décennie n’auront, en effet, rien révélé d’autre que l’inachèvement et les dysfonctionnements de l’union monétaire. D’aucuns estiment que l’intégration économique et politique encore plus poussée demande l’harmonisation des règles fiscales et, à l’instar des fédérations les plus abouties, les transferts budgétaires appropriés des régions les plus riches vers les plus pauvres. Une évolution souhaitée à Paris mais non à Berlin où la préférence est au contrôle et à l’austérité budgétaires. La crise de la dette grecque aura bien mis en lumière l’intransigeance du pouvoir allemand dans son refus de « payer pour la Grèce », comme l’impuissance française sur ce dossier. La crise bancaire italienne courante pourrait donc être l’occasion d’observer l’impact du nouvel environnement post-Brexit sur les positions des deux capitales.

L’enjeu structurant des rapports transatlantiques avec Washington devrait par ailleurs prendre davantage de place dans les nouvelles relations intereuropéennes. La sortie de leur plus proche allié de l’UE laisserait, en effet, les États-Unis dépendants de leurs relations déjà étroites avec l’Allemagne. Un axe névralgique Washington-Berlin actant et renforçant ouvertement l’hégémonie allemande aurait quant à lui pour contrecoup vraisemblable d’accentuer les inquiétudes de la France – désormais seule puissance militaire majeure au sein de l’Union – quant à son rang et à sa place en Europe.

Cette dynamique structurelle pourrait même avoir produit ses premiers effets dès le 8 juillet 2016 à Varsovie, à l’occasion du sommet de l’OTAN. Alors que la Chancelière Merkel parait avoir épousé la ligne dure de Washington face à la Russie, le Président Hollande affirmait à contrepied de toute la politique transatlantique depuis les évènements de Crimée en 2014 que « l’OTAN n’a pas du tout vocation à peser sur les relations que l’Europe doit avoir avec la Russie ; et pour la France, la Russie n’est pas un adversaire, n’est pas une menace » [8]. Cette puissante déclaration publique, son opposition inhabituellement frontale avec la direction américaine – sans doute la première depuis le « non » à l’invasion de l’Irak en 2003 – ne peuvent-elles pas être interprétées comme le premier coup de semonce français dans le jeu de positionnement dans l’Europe post-Brexit ou, à tout le moins, comme le marqueur d’un mouvement des lignes sur le continent ?

II. La fragilisation de la position des États-Unis en Europe

La régression de l’Union ou, à plus forte raison, sa dislocation précipitée par le Brexit constituerait un revers stratégique majeur pour Washington. Le maintien et le renforcement de la construction européenne constituent un objectif primordial dans la stratégie de puissance déployée par les États-Unis à l’échelle globale depuis 1945 ainsi qu’un axe de politique étrangère fondamental. Il s’agirait ainsi, selon les travaux bien connus de Zbigniew Brzezinski, de contenir les tendances géostratégiques naturelles du continent dans le but ultime de prévenir l’émergence d’une puissance eurasiatique capable de contester l’hégémonie globale étasunienne.

Cette politique repose en partie sur la forte bilatéralisation de la relation transatlantique au niveau d’un certain nombre d’États-clé dont le Royaume-Uni et l’Allemagne constituent le premier cercle, mais incluant aussi la Pologne, la Turquie (hors UE) et, dans une certaine mesure, la France, puisqu’après l’avoir quitté en 1966, celle-ci est de retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN à compter de 2008-2009.

Même si l’observation devrait être relativisée compte tenu de la prééminence de Berlin sur le continent, il est largement admis que la « relation spéciale » avec Londres faisait office, jusqu’au 24 juin 2016, de canal de projection privilégié et direct des intérêts américains dans l’Union – le Royaume-Uni ayant souvent été perçu par ses pairs comme un « cheval de Troie américain » dans l’UE. À très court terme, la sortie britannique pourrait donc se traduire par un recul, ne serait-ce que temporaire, de la prépondérance des États-Unis sur un certain nombre de dossiers, tout en notant qu’il resterait 21 États membres de l’OTAN dans l’UE, ce qui laisse à Washington d’importants leviers d’influence.

Parmi les plus importants figurent, sur le plan du commerce, les négociations relatives au traité de libre-échange transatlantique (TAFTA), destiné à créer la plus grande zone de libre échange du monde (comptant environ 800 millions de consommateurs et pour près de la moitié du PIB mondial). Conçu par Washington comme le pendant occidental du Partenariat Trans Pacifique (PTP) dans le cadre d’une stratégie plus large de reflux de la puissance commerciale chinoise, le projet de traité transatlantique butait déjà sur les réticences de certaines parties européennes, notamment au sujet de certains secteurs protégés, aux normes phytosanitaires ou encore au mécanisme « Investor-State Dispute Settlement » (ISDS).

La sortie du fer de lance du TAFTA dans l’Union et, avec lui, une certaine conception du libéralisme, accroit de façon considérable les inconnues autour du texte. Les contacts américano-britanniques en vue d’un accord commercial bilatéral, ainsi que l’arrangement à intervenir entre l’UE et le Royaume-Uni, semblent en outre devoir aboutir à la négociation simultanée de trois traités majeurs. Une évolution qui ne restera pas sans effets sur les tractations autour du TAFTA, chacun étant désormais susceptible de chercher à accroitre son pouvoir de négociation à même la nouvelle dynamique triangulaire. Dans cette perspective, il est permis de se demander si les déclarations du ministre de l’économie et vice-chancelier allemand à l’effet que le « TAFTA a de facto échoué » en raison du refus de l’Europe de « se soumettre aux exigences des États-Unis » [9] et l’interruption des négociations qui sera demandée fin septembre 2016 par la France [10] ne sont pas autant de tentatives de faire monter les enchères côté européen.

Les enjeux paraissent plus importants encore sur le plan stratégique. Ancrée sur l’Union, la politique d’isolement de la Russie impulsée par Washington pourrait être compromise à très court terme. Le bien-fondé des sanctions économiques et diplomatiques contre Moscou, adoptées avec réticence dans bien des cas [11], fait débat dans les capitales européennes. Plusieurs États-membres, y compris le Royaume-Uni, désirent une normalisation des relations avec le Kremlin [12]. La France apparait comme le moteur de cette tendance : les deux chambres du parlement ont chacune adopté une résolution (non contraignantes pour l’exécutif) demandant la levée des sanctions ; comme en Allemagne, une partie de l’opposition, proche des milieux d’affaires, milite pour leur abrogation et le rapprochement avec Moscou. Enfin, le gouvernement français s’est prononcé en faveur de la levée des sanctions et recevra le Président Vladimir Poutine à Paris en octobre 2016.

Dans ce contexte et en l’absence du soutien britannique aux sanctions, l’influence allemande ne suffira vraisemblablement pas à faire prolonger les sanctions au-delà de leur échéance, le 31 janvier 2017. D’autant plus que la Chancelière Merkel se trouve elle-même confrontée à une pression croissante au sein de sa coalition pour l’abandon des mesures contre Moscou et que pour aboutir, les pressions de certains des anciens satellites soviétiques pour le maintien, voire le renforcement des sanctions, devront obligatoirement susciter l’unanimité au sein du Conseil européen.

La principale préoccupation américaine au lendemain du vote concernait toutefoisl’OTAN, instrument primordial de contrôle du verrou eurasiatique et dont le premier secrétaire général (le Britannique Lord Ismay) avait résumé la raison d’être comme suit : « keep the Americans in, the Germans down and the Russians out » [13]. En effet, il est particulièrement évocateur qu’alors que le Royaume-Uni n’a voté que sur la question de son adhésion à l’UE, le premier élément de substance dans le communiqué de la présidence des États-Unis concerne la participation britannique à l’OTAN : « [...] la relation spéciale entre les États-Unis et le Royaume-Uni est durable, et la participation du Royaume-Uni dans l’OTAN demeure une pierre angulaire vitale des politiques étrangère, économique et de sécurité des États-Unis (traduction de l’auteur) » [14].

La sortie du Royaume-Uni de l’alliance ne semble pas à l’ordre du jour, même si le renouvellement des sous-marins Trident, prévu de longue date mais voté le 18 juillet 2016, traduit la volonté britannique de maintenir une capacité de dissuasion indépendante du parapluie nucléaire de l’OTAN à l’horizon 2030 et adresse, en pleine tourmente post-Brexit, un signal pour le moins intéressant. La victoire du Leave pourrait cependant avoir, à terme, un impact négatif indirect sur l’alliance si l’Union venait à s’affaiblir, la participation du Secrétaire général Jens Stoltenberg à la première réunion du Conseil européen post-Brexit du 29 juin 2016 rappelant au besoin l’étroite articulation entre UE et OTAN.

Dans l’immédiat, le vote britannique est susceptible d’affecter les équilibres internes de l’alliance, à un moment crucial des relations avec la Russie. Les derniers mois ont vu une escalade sans précédent en Europe de l’Est depuis la Seconde Guerre mondiale. La Pologne a été le lieu des exercices « Anaconda » impliquant 30 000 hommes (américains et polonais pour l’essentiel). Confirmé au sommet de Varsovie, le positionnement d’unités de combat aux portes de la Russie courant 2017– le Canada étant la nation-cadre en Lettonie, le Royaume-Uni en Estonie, l’Allemagne en Lituanie et les États-Unis en Pologne – pour un total de 4000 hommes a fait dire à certains observateurs que la dissuasion nucléaire ne fonctionne plus [15]. Enfin, l’activation en mai 2016 de la portion roumaine du bouclier antimissile américain marque une première étape vers l’opérationnalisation de l’ensemble du système défense, perçu de longue date par Moscou comme une menace à l’équilibre stratégique qui a prévenu l’affrontement nucléaire entre les deux blocs durant la Guerre froide. Dans la perspective du Président Poutine, « la défense antimissile stratégique balistique fait partie d’une capacité stratégique offensive fonctionnant en liaison avec un système de tir de missile agressif (traduction de l’auteur) » [16] et ferait courir un double danger stratégique à la Russie. Premièrement, les capsules de lancement des missiles défensifs seraient les mêmes que celles utilisées pour les missiles offensifs mer-sol « Tomahawk ». Cet état de fait laisserait donc les forces de défense russes dans l’incertitude quant au contenu des silos, lequel pourrait être « reprogrammé en quelques heures ». En second lieu, la portée des missiles américains, aujourd’hui estimée par le Kremlin à 500 km, devrait atteindre dans les prochaines années un rayon de 1000 km, voire davantage. Prévue en 2018, la mise en place du segment polonais du système de défense, à 250 km de l’enclave russe de Kaliningrad, permettrait donc à l’alliance d’intercepter un tir de missile jusqu’à 750 km à l’intérieur du territoire russe, neutralisant théoriquement – abstraction faite des submersibles qui sillonnent les mers du globe – toute capacité de riposte nucléaire de Moscou en cas de première frappe. Ce sont finalement là les modalités pratiques qui sous-tendent la théorie de la primauté nucléaire (« nuclear primacy  ») en vogue dans les cercles stratégiques américains, à savoir la capacité postulée de Washington de neutraliser les arsenaux nucléaires russes et/ou chinois par le développement de capacités de première frappe (« first strike capabilities  ») [17].

Le risque croissant d’un « incident » est néanmoins source de fébrilité dans les rangs de l’organisation. Le Président Bulgare excluait par exemple la participation de son pays au projet de flotte permanente de l’alliance dans la mer Baltique, déclarant « ne pas avoir de besoin de guerre » [18]. Le Ministre des Affaires étrangères allemand Steinmeir se désolidarisait quant à lui de façon retentissante de l’action de la Chancelière Merkel, en dénonçant l’« intimidation » et le « bellicisme » [19] de l’OTAN – cette distanciation ne révélant que mieux le niveau de tension au sein même de certains États.

Dans ce contexte de division, la prise de position française précédemment soulignée – « l’OTAN n’a pas du tout vocation à peser sur les relations que l’Europe doit avoir avec la Russie ; et pour la France, la Russie n’est pas un adversaire, n’est pas une menace » – acquiert une toute autre portée et pourrait, mise en perspective par rapport à l’orientation poursuivie par l’Allemagne, contribuer à polariser les membres européens de l’alliance.

Du reste, le Royaume-Uni post-Brexit semble lui-même enclin à renverser la vapeur avec le Kremlin. La nomination de Boris Johnson, connu pour ses prises de positions favorables à la Russie, comme Ministre des affaires étrangères apparaissait comme un signe d’ouverture vers Moscou. La conversation téléphonique du 9 juillet 2016 entre Theresa May et Vladimir Poutine déplorant de part et d’autre l’état de la relation bilatérale, puis le désir d’une normalisation formellement exprimé par Londres, ne laissent plus de doute.

L’embellie pourrait cependant n’être que passagère dans la mesure où le Kremlin cherchera vraisemblablement à faire surseoir le positionnement annoncé de forces britanniques en Estonie. Une décision qui parait a priori improbable dans la mesure où elle équivaudrait de fait à une déclaration d’indépendance au sommet de l’alliance, avec les répercussions que l’on imagine. Cependant, après la Grèce, l’Italie, la France et la Turquie, le nombre d’États souhaitant calmer le jeu avec Moscou pourrait, avec la rencontre annoncée entre May et Poutine en marge du G20 de septembre 2016 à Pékin, atteindre la masse critique fatale à la politique russe de Washington.

III. La préemption d’un nouvel ordre monétaire international ?

L’ampleur de ces enjeux et les conséquences négatives tout à fait prévisibles du Brexit sur la position globale des États-Unis [20] invitent à se demander si la victoire du Leave n’est pas l’expression d’un phénomène plus profond que l’analyse de classe, prédominante dans les commentaires, pourrait empêcher de percevoir. Les résultats du plébiscite sont effectivement analysés par une majorité de médias traditionnels et de think tanks comme le rejet de l’« élite » par le « peuple » et des gouvernants par les gouvernés [21]. C’est clairement l’un des sens que l’on doit leur donner, tant il est vrai, au Royaume-Uni comme dans nombre d’États occidentaux – le phénomène Trump semble en être l’expression aux États-Unis – que les affres de la mondialisation économique et financière (politiques d’austérité, chômage et immigration de masse) semblent avoir aliéné classes moyenne et ouvrière.

Poser cette interprétation du vote comme l’alpha et l’oméga du Brexit fait néanmoins oublier qu’au-delà de l’engagement bien visible des partis politiques, la campagne référendaire a mobilisé jusque dans les rangs de l’establishment. L’on sait par exemple que l’élite intellectuelle et universitaire s’est majoritairement prononcée en faveur du Remain mais, surtout, que le camp du Leave a été porté à bout de bras par certains grands propriétaires de médias [22]. À telle enseigne que nombre de commentateurs sous le choc attribuaient les résultats du 24 juin aux « mensonges des tabloïdes sur l’UE ». Le quotidien Sun violait même le sacrosaint principe de neutralité de la Couronne, en titrant « la Reine soutient le Brexit » et persistait malgré sa condamnation par l’organisme de régulation de la presse britannique [23].

Ces quelques éléments d’analyse préliminaires devraient donc rappeler que l’establishment, au Royaume-Uni et ailleurs, n’est jamais monolithique. Il semble en l’occurrence qu’au moins une de ses factions, dont la composition et les contours précis gagneraient à être déterminés, se trouvait en faveur de la sortie de l’UE. L’analyse de classe atteint ici ses limites, en ce qu’elle explique mal la convergence (paradoxale) entre la volonté d’une majorité de britanniques issus du « peuple » de quitter l’Union et celle d’une partie de l’establishment de voir le pays se désamarrer de la structure européenne, affaiblissant ce faisant le statu quo international ayant précisément permis à l’« élite » de tirer le meilleur parti de la mondialisation économique et financière.

Une hypothèse digne d’intérêt a néanmoins été avancée par certains observateurs et envisage le Brexit comme le fruit du réalignement pragmatique du Royaume-Uni face à la mutation radicale de l’ordre mondial [24]. Il est vrai que le vote britannique intervient à une période sans précédent dans l’histoire des relations internationales contemporaines. Les États-Unis ne semblent effectivement plus en mesure de perpétuer leur hégémonie globale, l’affaire de la ligne rouge du Président Obama (2013), les évènements de Crimée (2014), l’intervention russe en Syrie (2015) et, désormais, le Brexit apparaissant comme les marqueurs d’une influence politique et stratégique déclinante. Brzezinski, le géostratège et théoricien par excellence de la suprématie globale américaine, concède désormais que confrontés à la fin de leur dominance mondiale, les États-Unis n’ont plus que le « compromis régional » avec la Russie, la Chine et certains États du Moyen-Orient comme option viable [25].

L’adhésion de l’Inde et du Pakistan à l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS), le même jour que le Brexit, constitue ainsi tout un symbole. Les craintes que suscitent la tectonique géopolitique actuelle dans certains cercles de politique étrangère aux États-Unis transparaissaient nettement sous la plume d’un ancien ambassadeur américain à Moscou, qui écrivait au lendemain du vote britannique : « l’Europe s’affaiblit alors que la Russie, ses alliés et ses organisations multilatérales se consolident, ajoutant même de nouveaux membres. Poutine, bien sûr, n’a pas provoqué le vote en faveur du Brexit, mais lui et ses objectifs de politique étrangère sont en position d’en tirer des avantages considérables (traduction de l’auteur) » [26].

Dans le même temps, la Chine, deuxième puissance économique mondiale en produit intérieur brut (PIB) nominal est, depuis 2014, la première en parité de pouvoir d’achat. De nombreuses initiatives stratégiques se structurent autour du géant asiatique, telles que la nouvelle route de la soie et la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII), impulsée par Beijing pour faire contrepoids à la Banque Mondiale, pilier, avec le Fonds Monétaire International (FMI), de la Pax Americana.

Plus important encore, le quasi-monopole du dollar américain sur les échanges commerciaux semble parvenu à son terme : le Renminbi (ou Yuan) chinois entrera dans le panier des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI à compter du 1er octobre 2016. Cette réforme du système financier international pourrait rétrospectivement apparaitre comme le point de bascule du centre de gravité mondial. Alors qu’un nombre croissant d’États effectuent déjà leurs règlements commerciaux en Yuan, son inclusion dans les DTS lui assurera une convertibilité en n’importe quelle monnaie et une détention automatique par 188 États. La monnaie chinoise pourrait ainsi s’affranchir de la tutelle politico-financière de Washington et éroder graduellement la part du dollar dans le commerce international, lequel compte pour 87% des échanges commerciaux et 60% des réserves de change détenues par les banques centrales.

Si les États-Unis n’ont pas opposé leur véto à cette évolution, le Royaume-Uni y aura joué un rôle de premier plan. Le gouvernement conservateur de David Cameron et la City de Londres ont, en effet, activement participé à la stratégie d’internationalisation du Yuan de Beijing par une série de décisions qui s’inscrivent comme autant de détonations silencieuses dans l’architecture financière internationale. En octobre 2013, Londres autorise les banques chinoises à opérer à la City alors que le centre financier est déjà le deuxième centre off-shore du Renminbi et abrite 60% des transactions internationales libellées en Yuan. En octobre 2014, le Chancelier de l’échiquier lance la première émission d’obligations britanniques en Yuan pour un montant de 3 milliards, avec pour objectif de « renforcer la position de la Grande-Bretagne comme centre de la finance mondiale » [27]. En octobre 2015, la visite en grande pompe du Président Xi Jinping à Londres entérine la nouvelle « ère dorée » entre les deux nations, alors que le Royaume-Uni devenait quelques mois plus tôt le premier pays occidental à intégrer la BAII, contre la volonté des États-Unis [28]. Plusieurs centaines de millions de dollars de contrats décisifs pour un Royaume désindustrialisé et dépendant de son secteur financier sont signés pour des projets d’infrastructure (notamment dans le nucléaire et les chemins de fer). David Cameron s’engage à soutenir au mois de décembre 2015 l’inclusion du Yuan dans les DTS.

Le mois d’octobre 2016 verra donc l’accession officielle de la monnaie chinoise au statut de monnaie de réserve mondiale et marquera ainsi l’émergence potentielle d’un nouvel ordre monétaire international. Grâce à des choix stratégiques résolument tournés vers l’avenir, le Royaume-Uni s’y trouverait en position privilégiée. L’hypothèse a de quoi séduire. D’autant qu’avec le pivot vers l’Asie de Washington, l’objectif de sécurité nationale américain d’endiguement de la Chine se trouve en opposition objective avec la stratégie financière britannique.

Nombre de questions demeurent cependant. Après tout, les « déclinistes » n’ont-ils pas maintes fois annoncé la fin de l’hégémonie américaine ? Par-delà les liens historiques et culturels, le Royaume-Uni est-il véritablement en mesure de s’aliéner son principal débouché commercial (66.5G$ en 2015, soit 14,5% de ses exportations) ? L’économie chinoise n’est-elle pas en proie à un certain nombre de bulles et ainsi qu’à d’importants problèmes structurels ? Si tant est qu’une partie de l’establishment britannique soit attirée par un pivot vers l’est, à quel point l’idée fait-elle consensus parmi les « élites » demeurant étroitement imbriquées avec l’establishment outre atlantique ? Quel intérêt stratégique la Chine trouverait-elle dans un Royaume-Uni hors UE ?

La politique du Royaume-Uni « indépendant » vis-à-vis de Pékin sera donc le meilleur indicateur de la validité de cette analyse. Le projet de construction d’une nouvelle centrale nucléaire à Hinkley Point par un consortium chinois (avec la participation et le savoir-faire du français EDF) met d’ores et déjà le gouvernement face à un nœud gordien, dans le contexte d’une affaire d’espionnage impliquant les États-Unis [29]. L’entreprise d’État China General Nuclear Power, investisseur majoritaire dans le consortium (à hauteur 33%), est poursuivie par le gouvernement américain pour vol de secrets nucléaires mettant prétendument en cause le plus haut niveau de l’État chinois. Les inquiétudes relatives à la sécurité des infrastructures britanniques suscitées par ce développement contraignaient Theresa May à suspendre l’exécution du projet de 23G$, pourtant au cœur de la stratégie énergétique britannique.

La lettre de réassurances adressée aux dirigeants chinois [30] montre bien le dilemme de l’exécutif britannique. Les enjeux commerciaux sont majeurs : Hinkley Point devrait être la première de trois centrales construites par la Chine à travers le pays ; d’autres secteurs de l’économie sont également concernés par des investissements stratégiques de Pékin. Pour citer l’ambassadeur de Chine à Londres, l’issue de ce dossier « à un moment historique crucial » des relations bilatérales pourrait être d’autant plus lourde de conséquences financières pour le Royaume-Uni qu’il est en voie de quitter l’UE. La décision finale, repoussée à l’automne 2016, sera donc déterminante et devrait nous édifier tant sur l’importance de la relation Londres-Pékin que sur la réalité de la puissance chinoise.

L’hypothèse a en tout cas le mérite d’aller au-delà de la conjoncture internationale qui conduit notamment à faire le lien, répandu dans l’analyse, entre rejet de l’immigration et crise des migrants à l’échelle européenne. Elle interroge la matrice géopolitique du Brexit, exercice sans lequel celui-ci apparait comme un évènement historique certes, mais sans aucune plus-value ni raison d’être stratégique. Le pays quitterait tout bonnement l’Union au terme d’un processus de négociation avec Bruxelles, très vraisemblablement avec un accord commercial. Cependant, Londres se trouverait rapidement isolée sur le continent : évoluant déjà hors espace Schengen et hors zone euro, elle perdrait l’avantage de sa présence au Conseil européen pour peser sur les sujets de haute politique dans la région et au-delà. Ses dimensions historique et commerciale mises de côté, la « relation spéciale » perdrait tout aussi rapidement son intérêt pour Washington, à la faveur d’une relation consolidée et désormais vitale avec Berlin. Le Brexit aurait en définitive un bilan stratégique négatif ; un résultat qui devrait laisser circonspect au vu de la capacité démontrée par le Royaume-Uni à maintenir la suprématie de sa place financière à travers l’effondrement de l’empire britannique et deux guerres mondiales.

Conclusion. Brexit : to be or not be ?

Le Brexit apparait finalement comme un évènement géopolitique absolument majeur. L’intervention du Président Obama dans la campagne référendaire et son avertissement à l’effet que le Royaume-Uni se retrouverait « au bout de la file » («  at the back of the queue ») en cas de sortie – perçue par nombre de britanniques comme une menace [31] – soulignaient déjà l’immensité des enjeux pour l’Europe, les États-Unis et l’architecture du système international contemporain.

Que l’on privilégie l’hypothèse d’un pivot vers l’est de Londres, ou celle d’un Royaume-Uni tout simplement indépendant au sein du bloc transatlantique, ce sont les conservatismes de ce que l’on peut désormais appeler « l’ordre ancien » qui devraient constituer les principaux obstacles à sa sortie de l’UE. Et ce, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, le Secrétaire d’État américain John Kerry évoquant par exemple dès le 28 juin 2016 « un certain nombre de manières » dont le Brexit pourrait être renversé [32].

Les autorités britanniques semblent en tout cas avoir écarté l’option d’ignorer le référendum. Le choc des résultats avait initialement paru plonger le pays dans une profonde crise politique mais le gouvernement de Theresa May émergeait dès la mi-juillet 2016, avec le leitmotiv « Brexit means Brexit  » et des portefeuilles clé dévolus aux Brexiteers (Boris Johnson aux Affaires étrangères et David Davis ministre du Brexit). Sauf dégradation radicale du contexte international – par l’aggravation brutale de la situation économique et financière mondiale, une escalade militaire en mer de Chine, à la frontière de la Russie, en Syrie ou ailleurs – le Royaume-Uni devrait donc formellement engager la procédure de retrait de l’UE conformément à l’article 50 du Traité de Lisbonne.

Aux termes de cette disposition, le calendrier du retrait britannique s’étalerait sur une période d’au moins deux ans à compter de la notification au Conseil européen. La forme de l’accord qui formaliserait les nouveaux rapports euro-britanniques sera tout le sujet des négociations avec Bruxelles. Un point de blocage émerge néanmoins en amont, Londres souhaitant un accord sur mesure plutôt qu’une convention calquée sur les « modèles » norvégien ou suisse, Bruxelles écartant tout « special deal » et Paris posant la libre circulation des personnes comme condition de l’accès au marché unique. L’équation se complique davantage avec la menace d’un nouveau référendum en Écosse si l’accès au marché unique n’était pas garanti et les inquiétudes de l’Irlande du Nord relatives à la libre-circulation avec l’Irlande.

La raison commerciale devrait toutefois prendre le dessus sur les postures politiques. En 2015, le Royaume-Uni était le deuxième marché d’exportation de l’Irlande (16,8G$, 14%) et de la Pologne (13,4G$, 6,8%) et le troisième de l’Allemagne (98,7G$, 7,4%) et des Pays-Bas (50,9G$, 9%). À tout évènement, le projet de fusion des bourses de Londres et Frankfort, initié avant le Brexit, devrait assurer aux banques de la City, moteur de l’économie britannique, l’accès au marché unique [33].

Un certain nombre d’incertitudes demeurent aussi en ce qui concerne la date précise à laquelle le gouvernement britannique activera l’article 50. Le premier déplacement officiel de Theresa May à Berlin et Paris aura permis d’établir que la procédure ne serait pas enclenchée avant 2017. Le choix du meilleur moment pour Londres s’avère être un exercice délicat au regard de plusieurs facteurs, notamment juridiques. Un consensus sur les modalités du retrait et de la négociation semble tout d’abord devoir être trouvé dans la classe politique. Or, la légalité même du déclenchement de l’article 50 par l’exécutif sans l’approbation préalable du parlement est contestée, y compris par des intérêts privés [34]. Pour le gouvernement, la conclusion ou le retrait d’engagements internationaux constitue une prérogative royale et relève de sa compétence. La question devrait être tranchée par les tribunaux au courant de l’automne 2016. Mais même en cas d’issue favorable, le soutien des deux chambres demeure indispensable puisque l’abrogation des traités européens comme la ratification d’une convention de sortie sont, elles, des prérogatives législatives.

Pour ce qui est des déterminants extérieurs, l’horizon temporel semble obscurci par le renouvèlement des exécutifs français et allemand, respectivement prévus au printemps et à l’automne 2017, lesquels seraient susceptibles de changer drastiquement le contexte de négociations déjà engagées le cas échéant. L’activation de l’article 50 pourrait donc ne pas se produire avant la fin de l’année 2017, ce qui repousserait le départ effectif du Royaume-Uni au quatrième trimestre 2019.

D’autre part, il semble que l’enclenchement formel de la procédure de sortie puisse avoir des répercussions majeures sur la situation économique et financière mondiale. Il apparait en effet que d’importantes banques se préparent à un « hiver nucléaire économique » [35] consécutif à l’activation de l’article 50. Il se peut très bien que nous soyons là dans le prolongement du catastrophisme qui a caractérisé une bonne partie de la campagne en faveur du Remain. Pour autant, la réaction des opérateurs économiques internationaux devrait constituer, sous une forme ou une autre, l’un des principaux paramètres de l’équation britannique.

En tout état de cause, le gouvernement de Theresa May ne semble pas nécessairement pressé par le temps. Si le contrecoup économique du vote commence à se faire sentir, la baisse de la livre sterling profite aux exportations et a déjà permis d’atteindre des records touristiques saisonniers. Mais plus important encore, les vents contraires auxquels l’UE est désormais confrontée sont tels que c’est une Commission européenne en position de négociation beaucoup plus faible qui pourrait, avec le temps, se voir notifier l’avis selon l’article 50.

Copyright Septembre 2016- Sow/Diploweb.


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[1Nicolas Dupont-Aignant, Député de l’Essone, Président de Debout la France, « Le mur de Bruxelles est tombé ! - Message aux amis de Debout la France », 25 juin 2016, en ligne.

[2La Commission européenne avait prévu de soustraire l’accord à la ratification des parlements nationaux. Mais sous pression, Angela Merkel, suivie de la France, avait annoncé que le traité serait soumis au Bundestag. Dans un revirement tout à fait inattendu, le Président de la commission Jean-Claude Juncker a proposé d’étendre la consultation à tous les parlements nationaux. v. « EU Commission : CETA should be approved by national parliaments », dw.com (Deutsche Welle), 5 juillet 2016, en ligne.

[3Ce mécanisme permet aux entreprises étrangères de poursuivre un État partie à un traité d’investissement devant un tribunal arbitral international si elles estiment que l’action dudit État est de nature à porter préjudice à la pleine rentabilité de leur(s) investissement(s). Le concept des tribunaux d’investissement a permis aux négociateurs canadiens et européens de contourner les résistances politiques suscitées par l’ISDS et d’aller de l’avant. Le mécanisme demeure cependant un des points d’achoppement des négociations du traité de libre-échange entre l’UE et les États-Unis. v. l’analyse du professeur David Schneiderman, « A CETA investment court is not the solution », Theglobeandmail.com, 5 mars 2016, en ligne.

[4Note de la rédaction : Dans une large mesure, cette « Europe à la carte » est depuis longtemps un réalité au vu des différences des engagements des Etats membres à l’égard de la Convention Schengen, de l’euro ou de l’OTAN.

[5v. Soeren Kern, « Could Italy Bring Down the Euro ? », Gatestone Institute, 14 juillet 2016, en ligne.

[6« Le patron de la DGSI craint une guerre civile en France », Directmatin.fr, 12 juillet 2016, en ligne.

[7Le projet d’approfondissement s’articule autour de trois axes : sécurité, immigration, croissance et union monétaire. v. Jean-Marc Ayrault and Frank-Walter Steinmeier, « A strong Europe in a world of uncertainties », en ligne.

[8« Sommet de l’OTAN : la Russie n’est ‘pas un adversaire, pas une menace’, selon Hollande », Lemonde.fr, 8 juillet 2016, en ligne.

[9« Germany’s economy minister : U.S.-EU free trade talks have failed », Reuters.com, 28 août 2016, en ligne.

[10Cécile Ducourtieux, « Tafta : la France réclame l’arrêt des négociations sur le traité de libre-échange transatlantique », Lemonde.fr, 30 aout 2016, en ligne.

[11Le vice-président américain Joe Biden déclarera à ce sujet dans une intervention à l’université Harvard : « il est vrai qu’ils ne voulaient pas le faire. Mais encore une fois, ce fut sous le leadership de l’Amérique et à l’insistance du Président des États-Unis, allant parfois jusqu’à quasiment embarrasser l’Europe [pour la contraindre à] se lever et à accuser des coups économiques pour imposer des coûts [à la Russie] (traduction de l’auteur) ». United States of America, The White House, « Remarks by the Vice President at the John F. Kennedy Forum », 3 octobre 2014, en ligne.

[12Tim Sculthorpe, « Britain and Russia must ’normalise’ their relations, Boris Johnson tells his counterpart in the Kremlin », Thedailymail.co.uk, 11 aout 2016, en ligne et Arnaud Dubien, « Russie : vers une levée des sanctions fin 2016 ? », Institut des Relations Internationales et Stratégiques [IRIS], 23 mai 2016, en ligne.

[13North Atlantic Treaty Organization [NATO], « After-Dinner Speech by Admiral Giampaolo di Paola, Chairman of the Military Committee, honouring SHAPE Officers’ Association’s 50th Annual Symposium in Mons », 16 octobre 2010, en ligne.

[14United States of America, The White House, « Statement by the President on the UK Referendum », 24 juin 2016, en ligne.

[15Pascal Boniface, « L’Otan a besoin de faire valoir une menace », Institut des Relations Internationales et Stratégiques [IRIS], 9 juin 2016, en ligne.

[16« Putin : ‘We know when US will get new missile threatening Russia’s nuclear capability’ », Rt.com (Russia Today), 18 juin 2016, en ligne.

[17v. notamment Keir A. Lieber et Daryl G. Press, « The Rise of U.S. Nuclear Primacy », Foreignaffairs.com, Mars/avril 2006, en ligne.

[18« Bulgaria says will not join any NATO Black Sea fleet after Russian warning », Reuters.com, 16 juin 2016, en ligne.

[19Justin Huggler, « German foreign minister condemns NATO’s ‘loud sabre-rattling and warmongering’ against Russia », Nationalpost.com, 19 juin 2016, en ligne.

[20v. notamment Tim Oliver, « A European Union Without the United Kingdom. The Geopolitics of a British Exit from the EU », LSE Ideas, Strategic Update 16.1, February 2016, en ligne.

[21v. notamment James Traub, « It’s Time for the Elite to Rise Up Against the Ignorant Masses », Foreignpolicy.com, 28 juin 2016, en ligne.

[22Une étude de l’université Oxford à paraître en septembre 2016 a montré que sur la période du 20 février au 20 avril 2016, 45% des journaux nationaux assuraient une couverture favorable au Leave contre seulement 27% favorable au Remain. v. Megan Izzo, « Newspaper study finds pro-Brexit bias », Oxfordstudent.com, 29 mai 2016, en ligne ; Jess Staufenberg, « EU referendum : The Sun urges readers to vote Leave as Rupert Murdoch applies pressure », Theindependant.co.uk, 14 juin 2016, en ligne.

[23« Sun editor defends ’Queen backs Brexit’ headline as watchdog rules it inaccurate », Theguardian.com, 18 mai 2016, en ligne.

[24v. notamment la contribution de Badia Benjelloun, « La dérive des continents », Dedefensa.org, 28 juin 2016, en ligne.

[25Zbigniew Brzezinski, « Toward a global realignment », The National Interest, 17 avril 2016, en ligne.

[26Michael McFaul, « How Brexit is a win for Putin », Washingtonpost.com, 25 juin 2016, en ligne.

[27Pierre Fay, « Le Royaume-Uni prépare la première émission obligataire en yuan, hors de Chine », Lesechos.fr, 9 octobre 2014, en ligne..

[28Nicholas Watt, « US Anger at Britain joining Chinese-led investment Bank AIIB », Theguardian.com, 13 mars 2015, en ligne.

[29Robin Pagnamenta, Sean O’Neil, « Chinese Hinkley backer is accused of espionage », Thetimes.co.uk, 11 août 2016, en ligne.

[30Georges Keate, « May sends trade letter to China amid Hinkley row », Thetimes.co.uk, 16 août 2016, en ligne.

[31Andrew Roberts, « Britain and Obama’s ‘Back of the Queue’ », 17 juin 2016, wsj.com (The Wall Street Journal), en ligne.

[32« Brexit can be curbed in ‘number of ways’, says John Kerry – video », The Guardian.com, 29 juin 2016, en ligne.

[33« Fusion approuvée entre Deutsche Börse et la Bourse de Londres », Ledevoir.com, 5 juillet 2016, en ligne.

[34« Top law firm to challenge UK government on Brexit », dw.com (Deutsche Welle), 4 juillet 2016, en ligne.

[35Spriha Srivastsava, « Banks are preparing for an ‘economic nuclear winter’ », CNBC.com, 29 août 2016, en ligne.

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