Face à la crise de l’euro, il existe deux grandes grilles de lecture. La première en tire argument pour prôner l’éclatement de la zone euro. La deuxième considère qu’il faut pour la dépasser mettre en œuvre de manière démocratique une Europe plus fédérale afin d’engager une convergence économique et sociale tournée vers la croissance. Philippe Condé et Franck Lirzin s’inscrivent dans cette approche.
LES ACCORDS du 8 et 9 décembre 2011 entre les Etats membres de l’Union européenne (UE) sur la gouvernance économique constituent un pas institutionnel décisif vers une plus grande intégration communautaire. Mais cette avancée importante est-elle le signe que les pays européens ont pris conscience des enjeux de la crise de la zone euro et sont capables d’y apporter les réponses adéquates, ou bien signifie-t-elle la fin de l’UE telle qu’elle a existé jusqu’à présent dans une forme communautaire et le début d’une Union intergouvernementale, dont le Royaume-Uni est exclu, partageant une monnaie commune et se fixant des règles de bonne conduite budgétaire ? L’esprit européen, longtemps hésitant entre plusieurs aspirations, a-t-il définitivement adopté la lecture allemande de la crise et les solutions à lui apporter ? Quelque soit la forme d’intégration choisie, elle se heurtera à une passivité ou plutôt une résistance des citoyens tant qu’elle ne prendra pas une forme plus démocratique, politique et proche des préoccupations quotidiennes.
Depuis le début de la crise de la zone euro, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont exposé leur interprétation du déroulement des événements et les solutions qui devaient y être apportées.
Pour les Français, l’enjeu est politique
En France, la question a vite été perçue comme un problème de politique économique européenne. Le manque de coordination des politiques budgétaires aurait conduit à un aveuglement collectif, où chaque pays allant à sa guise, la situation devenait incontrôlable. Le problème réside dans la structure de la zone euro, et non dans les comportements des différents pays.
Dans cette perspective, conformément à sa tradition centralisatrice, la France a proposé un renforcement de la gouvernance économique. L’idée d’un Ministre des Finances ou d’euro-obligations, c’est-à-dire d’une forme de centralisation des pouvoirs économiques au niveau communautaire, a été évoquée de nombreuses fois.
Au lieu de se soumettre à une cure d’austérité, les français étaient partisans d’une intervention accrue de la Banque Centrale européenne (BCE) sur le marché des obligations d’Etat. Cette politique constitue, bien que de manière implicite, une forme de transferts, mais qui n’est pas exempte, à terme, de risques inflationnistes, ce qui est néfaste pour le pouvoir d’achat de l’ensemble des citoyens européens.
Pour les Français, l’enjeu est politique.
Pour les Allemands, l’enjeu est moral
En Allemagne, la question a très rapidement pris une tournure morale : si les pays du Sud se sont endettés, c’est qu’ils n’ont pas su gérer leurs finances publiques et mener les politiques économiques adéquates. Ils sont donc responsables des difficultés qu’ils rencontrent et doivent en assumer les conséquences. L’endettement est, en quelque sorte, une punition pour leur manque de rigueur, de transparence ou d’efforts, valeurs importantes aux yeux des Allemands.
Dès lors, comme le rappellent les Traités, l’UE n’a pas été conçue pour aider, sans contrepartie, un pays en difficulté. Les pays européens peuvent prêter, conseiller et apporter leur garantie mais n’ont pas le droit d’intervenir directement et encore moins verser des aides. Les différents pactes proposés par l’Allemagne (Pacte Euro plus, Pacte de discipline monétaire) s’inscrivent dans l’idée que chaque pays doit se soumettre aux règles de la collectivité pour garantir l’unité et la confiance.
Pour les Allemands, l’enjeu est moral.
Pour les Britanniques, l’enjeu est économique
Au Royaume-Uni, et pour la plupart des investisseurs, le problème fondamental de la zone euro réside dans son absence de mécanismes de redistribution. Une zone monétaire ne peut exister sans être adossée à une économie où les travailleurs se déplacent facilement, où le niveau technologique est relativement similaire partout et où existent des mécanismes de redistribution. Le Royaume-Uni sait que la zone euro n’a pas le choix : elle doit pousser plus loin l’intégration budgétaire pour continuer à exister. Cette montée en compétence signifie un recul de la souveraineté des Etats, ce que le Royaume-Uni ne peut accepter.
Pour les Britanniques, l’enjeu est économique.
Cependant, ce qui rapprochait la France et l’Allemagne, outre bien sûr leur appartenance à la zone euro, c’est leur méfiance vis-à-vis des marchés. Alors que les observateurs anglo-saxons voyaient les marchés comme les « taons » de Socrate, aiguillant les gouvernements pour les forcer à aller plus loin dans leur intégration, ceux de France et d’Allemagne les considéraient comme des spéculateurs souhaitant l’effondrement de la zone euro. Cette différence explique que, trop longtemps, la situation en Grèce a été considérée comme une crise de liquidité (une défiance soudaine et irrationnelle des investisseurs) et non comme une crise de solvabilité (l’incapacité du pays à rembourser ses emprunts, provoquant une défiance rationnelle des investisseurs).
Finalement, la solution retenue est d’inspiration allemande : instauration de règles de vie en commun, pénalisation des pays « délinquants », responsabilisation des gouvernements. L’approche française n’aura survécu que dans l’idée de coordination des politiques budgétaires. Quant aux Britanniques, ils ont quitté la partie.
Alors que le couple franco-allemand s’est imposé tout au long de la gestion de crise comme l’élément moteur et fédérateur, il est surprenant qu’à la fin, seules les propositions allemandes, ou presque, aient été retenues.
Quand on regarde le pouvoir de négociation de chacun des deux pays, cela n’est guère surprenant. Dans le cas de cette crise, la capacité à négocier reposait en grande partie sur la capacité à mettre en œuvre les solutions.
Par exemple, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) repose entièrement sur la crédibilité des pays qui le portent. Son taux d’intervention est basé sur les taux d’emprunt des différents pays. Or, le pays le plus sûr en Europe est l’Allemagne – et l’écart entre les taux français et allemands n’a cessé d’augmenter tout au long de 2011. La crédibilité du FESF, et donc du système de gestion des crises de liquidité dans les petits pays européens, dépend en grande partie de l’Allemagne. La France est évidemment un acteur important, mais la dégradation par l’Agence Standard & Poor’s de la note de sa dette souveraine, ainsi que de neuf autres Etats de la zone euro, le 13 janvier 2012, souligne ses faibles perspectives économiques et diminue son poids politique en Europe.
Cependant, les craintes qui pèsent sur la notation du FESF rappellent que l’Allemagne ne peut pas porter seule cet outil financier. Le 16 janvier 2012, la dégradation de la note du FESF par Standard & Poor’s, montre l’enchaînement possible et le lien fort entre crédibilité des pays et crédibilité du mécanisme de soutien financier.
Autre exemple, la Grèce. En 2010, selon la Banque des Règlements Internationaux (BIS), le système bancaire allemand était exposé à la dette publique grecque à hauteur de 22,7 milliards de dollars, contre 15 milliards pour la France, loin devant le Royaume-Uni (3,4 milliards de dollars). L’Italie et l’Allemagne sont, par ailleurs, les principaux partenaires commerciaux de la Grèce. L’Allemagne a donc plus intérêt à « sauver » la Grèce que la France, et réciproquement, la Grèce a plus intérêt à se plier aux demandes de l’Allemagne pour conserver un partenaire important.
85% de l’excédent commercial de l’Allemagne viendraient de ses relations avec les autres pays de l’UE
Dans cette crise où priment les enjeux économiques, le pouvoir de négociation reflète à la fois la santé financière et le positionnement commercial des pays. Et, à ce jeu, l’Allemagne est avantagée. Les réformes dites Hartz qu’elle a menées au début des années 2000 ont permis à l’Allemagne de flexibiliser son marché du travail et de pratiquer une politique de désinflation compétitive en limitant la hausse des salaires réels. Les importants excédents commerciaux que l’Allemagne connaît aujourd’hui grâce à ses industries et aux services aux entreprises en sont les fruits, mais ils ont été réalisés au détriment des autres pays européens : selon l’IFRI, 85% de l’excédent commercial vient des relations avec les autres pays de l’UE [1]. Si le modèle allemand est si souvent montré en exemple, notamment en France, il n’en demeure pas moins que le très bas taux de chômage a comme contrepartie une fragilisation et une insatisfaction des travailleurs, qui devrait conduire à une revalorisation des salaires.
La balance commerciale de la France, au contraire, n’a cessé de se dégrader, reflétant une compétitivité-coût qui ne lui permet plus de faire jeu égal avec l’Allemagne et une spécialisation productive qui l’expose fortement à la concurrence internationale, notamment celle des pays émergents [2]. La politique économique de la France la place donc actuellement en situation de faiblesse par rapport à l’Allemagne. Les perspectives négatives des finances publiques et de la croissance françaises ne font que renforcer cette situation. Le 13 février 2012, l’Agence Moody’s a menacé à son tour de dégrader la note française à moyen terme. Ce dernier événement vient illustrer, une fois de plus, les différences de stratégie économique entre ces deux grands partenaires commerciaux et politiques.
Les différents facteurs du succès allemand – positionnement économique stratégique, implication bancaire et commerciale, crédibilité des finances publiques allemandes – expliquent mieux la position de force de l’Allemagne dans les discussions diplomatiques que la qualité de son analyse ou sa lecture de la crise.
Une approche historique permet de bien comprendre les propositions allemandes : Zollverein, hyperinflation des années 1920, échec de la politique industrielle dirigiste de Hitler, mais aussi déflation des années 1930, chaque épisode historique a apporté sa touche à la conception allemande d’une union économique.
Le Zollverein (mise en place à partir de 1828) constitue une première expérience, réussie, d’union économique. En réunissant dans une union monétaire et fiscale la quasi-totalité des Etats allemands, en créant ainsi un marché commun sans barrière ni droit de douane et partageant une monnaie commune, le thaler prussien, Bismarck est parvenu à poser les bases de l’Allemagne moderne.
Si la zone euro ressemble beaucoup au Zollverein, elle s’en écarte cependant sur deux points : son manque de protectionnisme affiché et son absence d’utilisation politique. L’objectif du Zollverein n’était pas tant de créer les conditions de la prospérité en Allemagne que de forger une entité politique englobant l’ensemble des Allemands et accédant au rang de première puissance industrielle mondiale. Aujourd’hui, si l’on parle de fédéralisme budgétaire, il s’agit moins d’un grand dessein politique que d’une nécessité économique pour maintenir l’unité et nul ne songerait à créer une nation où coexisteraient Portugais, Français et Allemands. De même, si l’on parle de « protectionnisme européen » en France, il s’agit moins de mener une politique industrielle agressive que d’équilibrer les relations commerciales internationales.
Quelle est l’ambition politique de la zone euro ? Zéro
Mais ces deux différences expliquent aussi, dans une large mesure, pourquoi le Zollverein a été un succès, conduisant à la création de la première puissance industrielle de l’Europe continentale au début du XXe siècle, tandis que la zone euro se débat dans son impuissance à constituer une gouvernance politique stable et forte. Les débats sur les euro-obligations, la création d’un Ministère européen des Finances ou la coordination des politiques économiques ne renvoie à rien d’autre qu’à ce défaut de conception initial : contrairement au Zollverein, la zone euro n’a jamais eu d’ambition politique. Mais peut-elle véritablement en avoir, sans le soutien des citoyens ? Et sachant ce vers quoi cette volonté politique a conduit, est-ce véritablement souhaitable ?
Un autre épisode qui a marqué les esprits allemands est celui de l’hyperinflation des années 1920. A la suite de la Première guerre mondiale, les réparations payées par l’Allemagne et la fragilité de son économie ont provoqué un écroulement de son système monétaire qui s’est traduit par une inflation importante. Depuis que de nombreux Allemands, déjà affaiblis par la Première guerre mondiale, ont définitivement perdu leurs économies, subsiste une hantise de toute hausse des prix et de dépréciation de la monnaie. Ce souvenir explique en partie le conservatisme de la Banque Centrale européenne inscrit dans des textes garantissant son indépendance : contrairement à d’autres Banques centrales, son seul objectif reste la stabilité des prix pour garantir une monnaie forte.
Il a fallu le risque d’une explosion du marché des dettes publiques et l’insistance de nombreux pays, dont la France, pour que la BCE accepte de se poser en prêteur de dernier ressort et de sortir de sa prudence.
Enfin, beaucoup des concepts de politique économique en Allemagne, comme la nécessité de l’indépendance de la Banque centrale, l’importance de garantir une concurrence libre et non faussée pour éviter l’apparition de monopoles et l’importance d’un cadre règlementaire stable, sont nés au milieu de la crise des années 1930, sous l’impulsion d’économistes de l’Ecole d’économie nationale de Fribourg. Cet ordolibéralisme se démarque aussi bien des politiques interventionnistes de l’Etat que du laissez-faire libéral et il imprègne encore aujourd’hui la conduite de l’action publique outre-Rhin. Toute idée d’un gouvernement économique, dirigiste, centralisé ou planificateur est donc complètement étrangère à la conception allemande de ce que doit être une politique économique ou industrielle.
Le pouvoir de négociation acquis par l’Allemagne dans la conjoncture actuelle lui a permis de mettre en avant sa conception de la crise et des solutions à y apporter, à savoir :
. une politique monétaire garantissant la stabilité des prix et la solidité de la monnaie, mais n’ayant pas à intervenir pour racheter des dettes publiques ;
. une politique économique consistant à créer un cadre favorable aux entreprises mais sans intervention centralisée ;
. une union monétaire et économique créant un marché commun mais sans ambition d’union politique ;
. une responsabilisation de chaque gouvernement, selon une approche morale.
Pourtant, étrangement, il est un épisode que l’Allemagne semble avoir oublié : la déflation des années 1930. Pour ancrer le Mark à l’or, les gouvernements occidentaux, et en particulier l’Allemagne, ont mené des politiques déflationnistes, de baisse des prix et des salaires. Outre que cette politique s’est révélée inefficace, elle a contribué à porter Hitler au pouvoir.
Or, aujourd’hui, l’euro a remplacé l’or et des pays comme l’Espagne, le Portugal ou l’Italie mènent la même politique que l’Allemagne hier. Au lieu de mener des politiques expansionnistes pour relancer la croissance – mais il y a évidemment un problème de finances publiques – les gouvernements choisissent l’austérité, au risque de s’enfoncer dans une spirale négative, avec les conséquences sociales et politiques néfastes que l’on entrevoit déjà en Grèce.
Cette politique économique de désinflation compétitive est d’autant plus étonnante, qu’inspirée et promue, par l’Allemagne, elle est en partie à l’origine de la crise de la zone euro. Ainsi, 85% de l’excédent commercial allemand provient de ses échanges avec les autres pays Européens : son positionnement industriel sur les produits haut de gamme mais essentiels aux autres secteurs économiques (chimie, machines-outils, automobiles) et ses coûts de main-d’œuvre raisonnables, grâce aux réformes Hartz et à des déploiements d’activité dans les pays d’Europe de l’Est lui ont clairement donné un atout au sein de l’UE.
La création de l’euro a permis aux entreprises déjà bien positionnées sur leur marché domestique et à l’étranger de se développer davantage, au détriment des entreprises sur des marchés domestiques plus petits ou fragiles. La mesure de cet effet, qui a été étudié par l’économiste Andrew Rose, montre que l’Allemagne a été le plus grand bénéficiaire, avec l’Espagne, de la création de l’euro [3].
La carte européenne de l’Innovation Scoreboard [4] révèle une forte concentration des activités les plus innovantes autour d’un triangle Londres – Francfort – Stockholm, dont les pays périphériques du Sud, et a fortiori la France, sont exclus. Il y a naturellement des spécialisations technologiques dans chacun des différents territoires mais qu’aucun ajustement de change ne permet d’équilibrer les relations commerciales. Ces déséquilibres se sont traduits par des divergences entre les comptes courants : au troisième trimestre 2011, l’Allemagne avait un excédent du compte de ses opérations courantes de 30,3 milliards d’euros alors que la France avait un déficit de -8,7, l’Italie de -8,2 et l’Espagne de -6,4 [5].
Quelle homogénéité ?
Sans doute que la responsabilité de la crise actuelle, si responsabilité il y a, n’est à chercher ni dans un défaut de conception de la zone euro ni dans des comportements de « passager clandestin » de certains pays mais dans un manque d’homogénéité technologique et industrielle ainsi que dans les écarts de productivité.
Dès lors, demander à des pays de suivre des règles de vie communes n’a de sens que si l’on esquisse également une solidarité par laquelle les pays s’entraident pour parvenir à des niveaux technologiques équivalents, pour nouer des partenariats commerciaux et pour faciliter la mobilité des citoyens européens. Le pacte de discipline budgétaire ne fonctionnera qu’adossé à une volonté de faire de la zone euro un espace politique, sous la forme d’une fédération.
Vers une Europe plus fédérale ?
Mais une fédération est-elle possible en Europe ? Nous en avons deux exemples réussis dans le monde : l’Allemagne et les Etats-Unis. Or, dans les deux cas, elles ont été créées sur le long terme et alors que les citoyens partageaient plus ou moins, un sentiment d’appartenance à une même communauté. Plus encore, les structures sociales et politiques se sont construites avec la fédération et sont relativement uniformes, ce qui n’est pas le cas de la zone euro. Par ailleurs, les citoyens ne veulent pas d’une Europe non démocratique, c’est-à-dire imposée par les instances de Bruxelles.
Pourtant, la politique hétérodoxe, menée par la BCE depuis l’arrivée de Mario Draghi à sa tête en novembre 2011, semble avoir stabilisé la zone euro. En décembre 2011, la BCE a prêté 489 milliards d’euros aux banques européennes au taux de 1%, sur une durée de trois ans. Cette opération est à l’origine de la forte détente constatée depuis sur les taux des obligations d’Etat, notamment italiennes et espagnoles [6]. Cette politique d’assouplissement quantitatif, version européenne, peut contribuer à une sortie de crise plus rapide et à un retour de la confiance des citoyens dans le projet européen.
C’est pourquoi l’Europe d’après crise devra nécessairement être plus démocratique et plus fédérale afin d’engager une véritable convergence économique et sociale entre les Etats grâce à un policy mix tourné vers la croissance. Dans cette optique, le mandat de la BCE devra évoluer en permettant la mise en place d’une politique monétaire plus souple [7]. En outre une politique de change, inexistante, depuis la création de la zone euro, du fait de l’absence d’un Trésor européen, devra être instaurée afin de gagner en crédibilité vis-à-vis des partenaires chinois et américains.
Vers l’éclatement de la zone euro ?
L’alternative serait l’éclatement de la zone euro en deux régions. Une zone Nord regroupant les Etats vertueux autour de l’Allemagne et qui pourraient adopter l’ancien Deutschemark comme monnaie unique (Pays-Bas, Luxembourg, Autriche, Finlande voire Estonie) et une zone Sud constituée des Etats moins vertueux qui conserveraient l’euro actuel.
Il s’ensuivrait une forte dévaluation de l’euro accompagnée de défauts de paiement dans les pays de la zone Sud. Cette situation leur permettrait de réaliser des gains importants de compétitivité et de retrouver la croissance (cas de l’Argentine après 2001). Symétriquement, dans la zone Nord, le Deutschemark serait fortement réévalué, ce qui entrainerait une contraction de l’excédent commercial.
Afin de gérer le choc de cette rupture, les deux zones pourraient rester liées par des accords commerciaux. Par ailleurs, cette séparation pourrait n’être que transitoire, le temps que les ajustements nécessaires soient réalisés.
En 2012, la zone euro est toujours plongée dans une crise sans précédent depuis la mise en place de la monnaie unique au 1er janvier 1999.
Les politiques d’austérité préconisées par l’UE et le FMI marquent la victoire de la conception allemande de résolution des crises en Europe. Berlin a d’autant mieux réussi à imposer sa puissance économique et politique qu’elle a su mettre en place les réformes indispensables pour retrouver sa compétitivité alors que ses partenaires, et particulièrement la France, n’ont pas fait preuve de la même audace.
Pourtant, à court terme, les conséquences économiques et sociales des politiques d’austérité sont très dures : récession, chute des revenus, forte hausse du chômage et de la pauvreté, comme on le constate en Grèce [8], au Portugal, en Espagne ou en Italie.
Ainsi, la zone euro se trouve chaque jour plus fragilisée. C’est pourquoi ces mesures restrictives doivent impérativement être accompagnées d’un projet politique de construction d’une véritable fédération en Europe continentale. La poursuite de l’intégration économique et sociale, via la convergence des niveaux de productivité et de technologie, grâce notamment à la mise en place d’une politique monétaire tournée vers la croissance semble être la voie à suivre. A défaut, la zone euro pourrait être emportée dans les flots du Styx.
Manuscrit clos le 23 février 2012
Copyright Mars 2012-Condé-Lirzin/Diploweb.com
Philippe Condé est docteur en Economie Internationale, chercheur associé à l’Institut portugais de relations internationales et de sécurité. Franck Lirzin (Ecole Polytechnique, Corps des Mines) est économiste à la Fondation Robert Schuman
[1] O. Giraud, A. Lechevalier, Les réformes Hartz des politiques de l’emploi, instrument ou reflet de la normalisation du marché du travail ?, Note du CERFA n°54, IFRI, avril 2008.
[2] P. Artus et M.-P. Virard, La France sans ses usines, Editions Fayard, 2011.
[3] R. Baldwin, The euro’s trade effects, Working paper series ECB, n°594, March 2006.
[4] ec.europa.eu/dgs/jrc/index.cfm ?id=2820&dt_code=HLN&obj_id=430&lang=en
[5] Source : Eurostat
[6] Fin janvier 2012, l’Italie a placé sur les marchés 8 milliards d’euros d’obligations à 6 mois à un taux de1,96 contre 6,5% en novembre 2011.
[7] S. Tilford, Ph. Whyte, Why stricter rules threaten the eurozone, CER, November 2011.
[8] Durant la nuit du 12 au 13 février 2012, le plan d’austérité voté par le parlement grec prévoit notamment la baisse du salaire minimum de 22% et la suppression de 15.000 emplois de fonctionnaires durant l’année.
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,Date de publication / Date of publication : 4 mars 2012
Titre de l'article / Article title : Vers une Fédération européenne continentale ?
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Face à la crise de l’euro, il existe deux grandes grilles de lecture. La première en tire argument pour prôner l’éclatement de la zone euro. La deuxième considère qu’il faut pour la dépasser mettre en œuvre de manière démocratique une Europe plus fédérale afin d’engager une convergence économique et sociale tournée vers la croissance. Philippe Condé et Franck Lirzin s’inscrivent dans cette approche.
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