Les Etats-Unis ont ces dernières années fait un retour remarqué sur le continent africain. L’agenda régional des Etats-Unis peut être synthétisé en cinq points : éradiquer les cellules terroristes, exploiter les gisements pétroliers, garantir la sécurité des routes maritimes (Golfe d’Aden, Mer Rouge), tenter de projeter la puissance américaine à partir de l’île de Socotra, de Djibouti, etc. Et, enfin encourager la démocratisation et le libre échange.
Dans le cadre de ses synergies, le diploweb.com remercie l’éditeur de Diplomatie Magazine de l’autoriser à mettre en ligne cet article publié dans son n°12 ( janvier-février 2005, pp.32-34). Cette publication est disponible par abonnement et en kiosque.
TANDIS que les médias se focalisent sur la politique américaine menée en Irak et, d’une façon plus générale, au Moyen-Orient, très peu ont évoqué le retour des Etats-Unis sur le continent africain, de la Méditerranée à l’Afrique du Sud.
L’espace méditerranéen représente un enjeu d’importance pour Washington qui a fait sienne les doctrines des géopoliticiens de la mer. Voie incontournable, la Méditerranée constitue un ensemble des plus vaste, s’étalant du Maroc à la Turquie. Certains l’étendent, d’ailleurs, à l’Asie centrale. Bref, un ensemble qui ne peut que concerner directement les préoccupations géopolitiques et géostratégiques américaines. Depuis de nombreuses années, la force militaire se décline déjà dans la région par la présence de la sixième flotte, le prépositionnement en mer d’une brigade de Marines, la multiplication d’exercices conjoints, l’aménagement consécutif de bases et de ports nord-africains en vue de leur éventuelle utilisation en cas de conflit, et la formation de militaires aux Etats-Unis dans le cadre du programme Imet (International Military Education and Training Program).
Bien qu’elle dispose déjà de facilités au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie, Washington souhaiterait encore renforcer sa position en installant des bases militaires en d’autres pays. Les Etats-Unis aimeraient ainsi construire une base dans le Sud de l’Algérie ; laquelle serait sous la responsabilité directe et exclusive des autorités algériennes, et n’abriterait pas en permanence des forces américaines. Elle devrait être utilisée pour lutter contre Al Qaeda. L’ancienne route des caravanes allant de la Libye à la Mauritanie est en effet une zone susceptible d’intéresser Al Qaeda et consort. Des pays comme la Mauritanie, le Mali, le Niger le Tchad sont quelques exemples de pays qui intéressent Al Qaeda. Aussi, les Etats-Unis ont-ils lancé l’initiative pan-Sahel. Il s’agit d’un partenariat entre les Etats-Unis, le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie portant sur la formation de militaires et encourageant la coopération sahélo-maghrébine en matière de lutte contre le terrorisme. Ce programme qui s’achèvera fin 2004 est financé à hauteur de 7,5 millions de dollars et comprend une formation de base sur le maniement d’armes, la planification, les communications, la navigation terrestre, la conduite de patrouilles et l’apport de soins médicaux.[i] La formation est assurée par des militaires américains et par des sociétés de sécurité privées. Le modèle qui a servi de base à l’’initiative pan-sahel s’est, entre-temps, essaimé vers d’autres espaces géopolitiques puisque les Etats-Unis ont conclu des accords de coopération similaires avec, entre autres, le Gabon, le Nigeria et le Rwanda. La présence américaine ne s’arrête cependant pas là.
Afin de mieux contrôler la Corne de l’Afrique, ses voies maritimes et de faciliter la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis sont aujourd’hui présents à Djibouti, chasse gardée traditionnelle de la France. En octobre 2002, Washington a créé à Djibouti, le Combined Joint Task Force-Horn of Africa afin de lutter contre le terrorisme et d’améliorer la sécurité en Ethiopie, en Erythrée, au Soudan, au Kenya, en Somalie, au Yémen, et en Mer Rouge, dans le Golfe d’Aden et dans l’Océan Indien. Les Etats-Unis ont également des vues sur l’île de Socotra, propriété du Yémen, située à quelques 400 Km des côtes yéménites. Stratégiquement bien située, celle-ci est faiblement habitée et peut être ainsi facilement sécurisée. L’île pourrait, en outre, se présenter comme une heureuse alternative à la présence américaine – sans cesse contestée - dans le Golfe.[ii] Un autre pays qui a renforcé ses rapports avec Washington est l’Erythrée. Ce dernier a, notamment, offert aux Américains l’utilisation de ses installations le long de ses 1.200 km de côtes, le long de la Mer Rouge, et permis la mise à disposition de deux ports profonds à Assab et à Massawa, et du nouvel aéroport près du port de Massawa, lequel peut accueillir des avions de n’importe quelle taille. L’Erythrée a enfin offert un droit illimité de survol de son territoire et le partage d’informations obtenues par ses services de renseignement.[iii]
Cela étant, et depuis l’échec en Somalie, les Américains demeurent réticents à l’envoi de forces militaires dans des guerres civiles et ethniques. Favorisant les initiatives régionales, ils ont créé l’African Crisis Response Initiative (ACRI) et l’Africa Center for Strategic Studies (ACSS). Ils apportent également des ressources et un support logistique aux forces de maintien de la paix de l’Union africaine et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ils sont, enfin, parvenus à convaincre les chefs d’Etat et de gouvernement du groupe des Huit (G8) de soutenir leur proposition du Global Peace Operations Initiative. Cette dernière propose d’organiser et de financer la formation de quelques 75.000 soldats du monde entier (principalement issus du continent africain) d’ici à 2010. Ils visent également à équiper certains d’entre eux pour accélérer l’exécution d’opérations de maintien de la paix dans les pays qui en auront besoin, notamment des opérations effectuées sous la direction de l’ONU dans des pays d’Afrique.
Si les Etats-Unis se replacent stratégiquement sur le continent africain, leurs visées politiques se révèlent, toutefois, plus ambitieuses encore et concernent le libre échange et les matières premières. Revenons d’abord sur la question du libre-échange. Bien que n’étant pas présents dans le processus de Barcelone, les Etats-Unis tentent tout de même de pénétrer une zone économique jusqu’ici réservée à l’Union européenne et en particulier à la France. Washington tente ainsi de promouvoir l’Initiative de Partenariat politique et économique avec l’ensemble de ces pays (Algérie, Maroc, Mauritanie, Tunisie et Libye). Européens et Américains se disputent ainsi un marché de 60 millions de consommateurs potentiels. Si cette politique américaine n’est pas nouvelle et remonte à la fin des années 90 avec, à titre d’illustration, le projet Eizenstat, les événements de ces dernières années en ont, cependant, accéléré le processus. Nous avons d’ailleurs pu observer un ballet diplomatique en 2003 entre les officiels américains se rendant au Maghreb et vice-versa. L’accord de libre-échange[iv] conclu entre le Maroc et les Etats-Unis en juin 2004 en est un bel exemple. Cet accord forme également le premier pas du projet du gouvernement Bush visant à créer une zone de libre-échange avec le Moyen-Orient d’ici à 2013. La création d’une multitude d’accords de libre-échange entre les Etats-Unis et des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devrait donc se poursuivre dans les années à venir.
Les Etats-Unis mettent également en avant leur projet de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) adopté en 2000. Cette loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique, a accordé aux produits africains un accès accru au marché américain. Cette loi a dernièrement été renouvelée en juillet 2004 (AGOA III) prorogeant l’AGOA jusqu’en 2015 et élargissant, au demeurant, sa portée. La principale disposition de la loi permet aux Africains d’exporter des vêtements en franchise de droits de douane vers les Etats-Unis. Depuis que la première AGOA a été adoptée en 2000, les investissements en Afrique ont augmenté et le commerce avec l’Afrique s’est accentué. La valeur des vêtements africains envoyés aux Etats-Unis est passée d’environ 600 millions de dollars en 1999 à environ 1,5 milliard de dollars en 2003. Sur les 48 pays que comporte l’Afrique subsaharienne, 37 peuvent bénéficier des avantages conférés par l’AGOA. Selon un rapport publié par la Maison-Blanche, les importations couvertes par cette loi ont augmenté de 55 % entre 2002 et 2003 et atteignaient 14 milliards de dollars.[v] D’autres initiatives américaines afin d’améliorer la condition des Africains sont le « Compte du millénaire » (Millennium Challenge Account) et l’initiative de lutte contre le SIDA. Le premier est un programme qui accroîtra fortement l’aide des Etats-Unis à l’étranger et qui bénéficiera aux pays qui gouvernent de façon équitable, qui investissent dans leur société et qui encouragent la liberté économique. Le gouvernement Bush a proposé un financement initial du MCA s’élevant à 1,3 milliard de dollars. Ce financement devrait atteindre 5 milliards de dollars d’ici 2006. L’initiative de lutte contre le Sida, quant à elle, réside dans un plan quinquennal d’aide de 15 milliards de dollars répartis sur 5 ans.
Le second volet de l’offensive économique américaine est la question des matières premières. Outre les réserves de gaz naturel (quelque 8 % des réserves mondiales prouvées de gaz naturel, sa production représentant un peu plus de 5 % de la production mondiale de gaz), le chrome, le platine et le coltan, les réserves pétrolières ne sont pas à sous-estimer. A l’heure actuelle, 15 % des importations de pétrole des Etats-Unis proviennent de pays africains, et ce pourcentage devrait passer à 25 % au cours des 10 années à venir au fur et à mesure de l’exploitation de nouveaux gisements (vu la baisse de la production pétrolière américaine et de la Mer du Nord). Au cours des dix prochaines années,l’Afrique deviendra donc un fournisseur de pétrole et de gaz naturel de plus en plus important pour les Etats-Unis. Le Nigeria et l’Angola figurent déjà parmi les 10 principaux fournisseurs de pétrole des Etats-Unis. Les estimations de réserves prouvées de pétrole en Afrique varient considérablement d’une source à une autre, mais la plupart indiquent que les réserves prouvées de l’Afrique représenteraient environ 7 à 9 % des réserves mondiales, soit 80 à 100 milliards de barils. Nombre de ces pays ont, en outre, un avantage non-négligeable par rapport au Golfe persique : la plupart des gisements sont off-shore, facilitant non seulement le transport maritime, mais permettant aussi la continuité de la production en cas d’instabilité dans les pays concernés. L’exploitation s’opère, en outre, par l’entremise de joint-venture ou au travers de contrats de partage de production associant les sociétés pétrolières nationales aux compagnies internationales.[vi] De là, découle également l’intérêt que portent les Etats-Unis à São Tomé pour y installer une base avancée en plein golfe de Guinée. Dans ce contexte, les Etats-Unis (avec l’aide du Portugal) attachent également une attention particulière au Cap Vert, archipel au sud des Canaries, afin de faire usage des ports et aéroports pour surveiller le Golfe de Guinée.
Enfin, par rapport aux succès stratégiques et économiques, le bilan diplomatique est plus nuancé. Si la Maison-Blanche n’a pas hésité à s’engager diplomatiquement sur le continent afin de résoudre une série de crises pendantes, les résultats restent toutefois mitigés. Parmi les succès figurent les négociations avec la Libye (d’autant plus que les concessions des sociétés anglo-saxonnes, gelées depuis plus de 15 ans s’expiraient en 2005) et celles concernant le Soudan (accords de mai 2004 entre le gouvernement de Khartoum et le Mouvement populaire de libération du Soudan). Parmi les déceptions, on retrouve les questions du Sahara occidental, du Darfour et des Grands Lacs.
En conclusion, l’agenda régional des Etats-Unis peut être synthétisé en cinq points : éradiquer les cellules terroristes, exploiter les gisements pétroliers, garantir la sécurité des routes maritimes (Golfe d’Aden, Mer Rouge), tenter de projeter la puissance américaine à partir de l’île de Socotra, de Djibouti, etc. Et, enfin encourager la démocratisation et le libre échange. En définitive, nous observons que les Etats-Unis ont ces dernières années fait un retour remarqué sur le continent africain.
Copyright janvier 2005 -Struye de Swielande /
Notes de l’article
[i] Andrew Koch, « US is now set to turn the focus on African security », Jane’s Defense Weekly, 21 Arpil 2004.
[ii] M. Bounajem, « Conjectures sur de nouvelles relations », Arabies, décembre 2000, pp. 30-31.
[iii] « L’Erythrée s’associe pleinement à la lutte contre le terrorisme », l’ambassadeur d’Erythrée auprès des Etats-Unis, M. Girma Asmerom, déclarations devant le Club national de la Presse, 26 mai 2004. WF-ACTUALITES Digest - 27 May 2004 to 28 May 2004 (#2004-103).
[iv] L’accord porte sur les droits de propriété intellectuelle, les produits industriels et agricoles, les services, les douanes, l’emploi, l’environnement et les télécommunications. Il sera accompagné d’une assistance technique et d’une aide au développement.
[v] « Le vote au Sénat en faveur de l’AGOA III envoie un signal positif à l’Afrique », WF-ACTUALITES Digest - 25 June 2004 to 28 June 2004 (#2004-122).
[vi] J. Bonnifat, « Grandes manœuvres aux pas de l’or noir », Journal de l’Afrique en Expansion, n° 353, février 2004, p. 52
Docteur en Sciences Politiques, chercheur au CECRI et membre du RMES.
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Date de publication / Date of publication : 1er septembre 2005
Titre de l'article / Article title : Le retour de Washington sur le continent africain
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Les Etats-Unis ont ces dernières années fait un retour remarqué sur le continent africain. L’agenda régional des Etats-Unis peut être synthétisé en cinq points : éradiquer les cellules terroristes, exploiter les gisements pétroliers, garantir la sécurité des routes maritimes (Golfe d’Aden, Mer Rouge), tenter de projeter la puissance américaine à partir de l’île de Socotra, de Djibouti, etc. Et, enfin encourager la démocratisation et le libre échange.
Dans le cadre de ses synergies, le diploweb.com remercie l’éditeur de Diplomatie Magazine de l’autoriser à mettre en ligne cet article publié dans son n°12 ( janvier-février 2005, pp.32-34). Cette publication est disponible par abonnement et en kiosque.
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