Le capitalisme financier américain a fini brutalement par toucher ses limites. Initialement partie de la chute de l’immobilier, la crise s’est propagée à l’ensemble du système financier états-unien puis à l’économie réelle. La récession, déjà sévère en 2008, va se prolonger. Le plan de relance de l’administration Obama, combiné à une politique monétaire tout azimut, vise à compenser la chute des dépenses privées et à enrayer la spirale dépressive. Mais il n’est pas sûr que cela suffise.
Sur un plan structurel, cette crise a le mérite de dévoiler les dérives d’un système considéré par les économistes standard, à la fois comme le meilleur reflet de l’économie de marché et un modèle universel, supérieur aux autres. La réalité est autre. Le succès de ce modèle de capitalisme reposait sur des fondations et des institutions économiques qui se révèlent aberrantes, y compris pour ses partisans les plus acharnés. Ainsi, la crise impose, par son ampleur, de repenser des modalités d’organisation économique plus cohérentes. Au-delà de la remise en cause de la philosophie économique dominante, elle interroge aussi l’avenir de l’ordre économique mondial dominé par les États-Unis et sa puissante industrie financière.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site diploweb est heureux de vous présenter un article publié par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris dans la revue Accomex. Analyse et réflexion sur les marchés extérieurs, n°85, janvier/février 2009 : Etats-Unis Do they really can ?
LA SPHERE financière a toujours fait l’objet d’attentions continues de la part des autorités fédérales [1]. De fait, entre 1980 et 1999, quels que soient les gouvernements, le secteur de la "banque-finance" a été libéralisé [2]. L’industrie de la finance représente aujourd’hui 20 % du PIB des États-Unis, soit autant que le reste des activités de services.
Ce processus a été synchronisé avec la dérégulation et l’ouverture internationale des marchés de capitaux. Ce secteur a donc représenté un enjeu majeur du redressement des États-Unis dans la compétition mondiale. Il est devenu éminemment stratégique.
Les interventions de l’état fédéral ont créé un véritable "avantage concurrentiel" à l’origine de la suprématie états-unienne dans cette "industrie globale" pas comme les autres. Située en amont de tout le système productif, elle irrigue l’ensemble de l’économie. Maîtriser les sources de financement de l’économie est un privilège non négligeable à l’ère de l’ouverture internationale des marchés de capitaux. Aussi doit-on admettre la perspicacité et la cohérence des choix stratégiques états-uniens en la matière.
Malgré les velléités affichées pour mieux contrôler la finance internationale après les attentats de 2001, on ne peut pas dire que de réels progrès aient été réalisés… De même, lors de la crise financière de l’Internet du début du 21ème siècle, et des scandales financiers Enron, Wordlcom, etc., l’administration n’a pas souhaité contrevenir aux intérêts de son industrie financière. En dépit des crises, des scandales et des dérives, toute intervention a été proscrite. En 2002, les réponses de l’administration Bush ont consisté à moraliser les pratiques, en tablant sur l’autorégulation des marchés financiers. En privilégiant la liberté des acteurs, elle a évité de prendre les mesures réglementaires qui s’imposaient et, de ce fait, encouragé tous les excès. C’est un peu la face cachée du système. La quête de leadership international passe par la protection d’un secteur bancaire et financier puissant et dérégulé.
N’oublions pas que si l’industrie financière états-unienne est essentielle pour l’économie interne, elle opère aussi en dollar. Elle exerce ainsi une action sur le système économique et financier international, car le dollar est, à la fois, monnaie de transaction et de réserve internationales. C’est une arme dans la compétition mondiale.
Ainsi, l’intérêt national des États-Unis est évident :
1) en développant une industrie financière dominante à l’échelle mondiale, 2) elle assure la croissance de l’économie nationale, 3) en même temps que son financement international, de sorte que 4) elle conforte son leadership industriel et technologique, 5) s’affirme comme le pôle de l’économie mondiale et 6) renforce le rôle international du dollar. Sur cette base, 7) l’État a les moyens de sa politique d’hyper-puissance.
Malgré d’amples fluctuations, le dollar est ainsi resté au cœur du fonctionnement des marchés mondiaux. Il s’impose d’autant plus aisément qu’il est le vecteur du développement de la finance états-unienne et de la finance mondiale. Dans une telle optique, la recherche du contrôle et de la réglementation n’a pas de sens. Pire, elle télescope plus de trente ans d’un mouvement continu de financiarisation de l’économie et de libéralisation internationale.
Les enjeux du développement de cette industrie dépassent donc la technique financière proprement dite. La suprématie dans l’industrie financière représente une arme très efficace dans la quête globale de puissance. Ce n’est pas un hasard si cette crise advient au terme du second mandat de W. Bush. Le bilan est désastreux au plan militaire, diplomatique et économique. Et cette stratégie a contribué aux dérives financières. Finalement, c’est la construction idéologique néoconservatrice sous-jacente à cette politique générale qui est en échec.
Une des causes de cette crise tient aux mécanismes financiers proprement dits. L’avènement de la mondialisation amène les grandes institutions financières à innover et à développer la titrisation [3]. Cette technique, qui consiste à émettre des titres (de toute nature, notamment des crédits) s’avère utile pour le développement de l’industrie financière et le financement de l’économie états-unienne. On a, cependant, assisté à une véritable fuite en avant dans la titrisation ces dernières années, notamment pour les produits structurés et les dérivés de crédit [4].
Pour une institution financière, la titrisation de crédits n’a que des avantages ! Elle procure de l’activité d’ingénierie financière. Elle permet de se défausser des risques liés à ces titres, moyennant une prime versée à un assureur de risque, qui peut lui-même les renégocier. Elle améliore fondamentalement la liquidité des engagements bancaires et financiers. Elle allège le bilan et permet de contourner les réglementations concernant les ratios de solvabilité, notamment les engagements par rapport aux fonds propres [5]. Enfin, elle améliore la rentabilité des capitaux propres. Ce qui est l’objectif de base du capitalisme financier.
Pour les autorités publiques, la titrisation permet de repousser les contraintes de l’économie réelle, d’assurer le financement national et international et de générer de l’activité dans un secteur fondamental.
Les autorités de contrôle comme la SEC et les agences de notation (toutes états-uniennes) n’ont pas été regardantes sur certaines innovations. Car les problèmes de conflit d’intérêt entre les agences de notation et leurs clients sont de notoriété publique [6].
Par ailleurs, la libéralisation du secteur a été une constante. L’état fédéral a progressivement démantelé l’ensemble du dispositif issu de la crise de 1929, afin d’encourager les innovations et la libre concurrence dans le secteur financier. La suppression, en 1999, du Glass Steagall Act datant de 1933 [7]7, qui cloisonnait les métiers bancaires, afin d’éviter les risques de contagion a fait sauter le dernier verrou. Avec l’internationalisation, toutes les banques se sont précipitées dans les activités de finance de marché et d’investissement, qui sont plus lucratives que les activités bancaires classiques. Outre la volonté de liquider les leçons du passé, on a recréé les conditions de l’émulation bancaire et d’une nouvelle grande dépression.
L’ampleur de la crise et sa propagation sont inscrites dans la nouvelle structure financière mondialisée. La création de produits structurés et des dérivés de crédit en est à l’origine [8]. La technique consiste à regrouper dans un même titre plusieurs tranches de niveaux de risque différents. Les tranches les plus risquées (equity) semblent protégées par les tranches les moins risquées (senior), adossées à des emprunteurs solvables. Ce raisonnement, étayé statistiquement, conduit à des gains inespérés. Les tranches de risques élevés sont couvertes par les tranches senior. Les agences de notation les considèrent comme tel. Avant que n’éclate la crise, l’immense majorité de ces fameux titres à faibles risques et rendements élevés bénéficiaient de la meilleure note possible : le triple A [9].
Dans ce monde paradisiaque, les investisseurs affluent, profitant des effets de levier et d’un crédit quasi illimité. Ceux qui sont chargés de créer ces produits financiers les achètent pour leur propre compte. On assiste alors à la multiplication des produits et à l’accélération de leur vitesse de circulation sur le marché mondial. L’appât du gain, la libéralisation et la compétition financière font le reste. La spéculation prend une dimension inédite ; le caractère liquide de ces produits renforce l’impression de sécurité [10]. L’expansion de l’offre et de la demande conduit à une dissémination à l’intérieur de titres dérivés, notamment les CDO [11]14, qui eux-mêmes sont appelés à être dérivés… Ces montages, effectués dans les paradis fiscaux, rendent impossible toute traçabilité. Lorsque la crise éclate les risques sont éparpillés, ce qui aggrave le phénomène et conduit à une crise de confiance. Les assureurs de risques (AIG) et les institutions spécialisées dans l’achat des crédits hypothécaires (Freddie Mac, Fannie Mae) encaissent le choc car les taux de défauts sur ces titres dépassent la normale.
En effet, la crise immobilière est plus forte que prévue. Bientôt, l’économie réelle rattrape la sphère financière. Le hiatus devient manifeste. La faillite de Bear Stearns, à l’été 2007, annonce le début du processus qui va conduire au blocage du marché interbancaire, à la crise de liquidité et de confiance. On atteint l’apothéose le 15 septembre avec la faillite de Lehman Brothers, sacrifié par les autorités publiques sur l’autel de la concurrence.
L’assèchement du crédit se répercute à l’ensemble de l’économie, tandis que consommation et investissement privés s’effondrent. De septembre 2008 à février 2009, près de 2 millions d’emplois sont détruits. Le PIB chute de 6,8 % au dernier trimestre 2008. L’ensemble des activités est touché. L’industrie automobile est placée sous perfusion, etc. Malgré le plan Paulson et les interventions de la Fed, le bilan est catastrophique. Le taux de chômage, à plus de 7 % en début d’année, pourrait atteindre le seuil des 10 % fin 2009. Enfin, la croissance reculerait d’au moins 2 % en moyenne cette année [12].
Les États-Unis connaissent la pire récession depuis la guerre. La première évidence est que la stratégie économique de B. Obama tourne le dos aux recettes libérales, aujourd’hui discréditées. S’il est encore prématuré d’en évaluer les résultats, on voit déjà se dessiner une tendance.
La politique macro-économique recourt à la relance keynésienne. Un effort budgétaire de 787 milliards de dollars, étalé sur deux ans, va substituer la dépense publique d’investissement et de consommation aux dépenses privées qui chutent. Au premier trimestre 2009, le recul du PIB pourrait avoir atteint 5 %. Le levier budgétaire vient en appoint de la politique monétaire, qui n’a plus de marge de manœuvre en termes de taux, depuis janvier dernier, puisqu’ils varient dans une fourchette de 0 à 0,25 %. Le plan de relance porte, pour un tiers, sur des mesures d’allègement d’impôts (états, entreprises et ménages). Le reste concerne des dépenses publiques dans les infrastructures et les énergies propres et des aides aux plus défavorisés. En dépit d’un montant nominal élevé et du creusement record du déficit budgétaire [13]16, la récession se poursuivra en 2009.
L’impact budgétaire devrait être moins vigoureux qu’escompté. Le plan initialement présenté au Congrès, d’un montant de 825 milliards de dollars, a été revu à la baisse, et certaines dispositions ont été abandonnées. Les pressions exercées par les partisans de la modération budgétaire, les concessions faites aux républicains sur les baisses d’impôts et le saupoudrage électoral vont diminuer l’effet global. Comme l’effort n’est pas ciblé sur les bas revenus, l’effet sur la consommation sera dilué. D’autre part, l’effet multiplicateur de l’investissement ne jouera que sur une partie de la dépense. Enfin, le surcroît de dépenses publiques ne couvre qu’une partie de la baisse des dépenses privées [14]. La relance budgétaire permettra donc d’atténuer la récession, pas de l’éviter.
Cependant, la Fed, dont le rôle est déjà central, pourrait prendre une part décisive dans un scénario optimiste de sortie de crise pour 2010. En effet, la politique monétaire est de plus en plus audacieuse. Du fait d’interventions tout azimut, le bilan comptable de la Fed a été multiplié par trois l’an dernier, atteignant 3 000 milliards de dollars. Et il va croître de manière substantielle en 2009. La Fed injecte directement des liquidités dans le système bancaire et financier. Elle se substitue aux banques en finançant directement, à court terme, les entreprises en difficulté ou victimes du credit crunch.
Fin mars, le programme de soutien à la consommation (TALF) a été activé, pour un montant prévu de 1 000 milliards de dollars, afin de relancer la mécanique du crédit et de la titrisation. Cette politique osée est d’autant plus nécessaire que la déflation menace. Elle ne pourra, cependant, être prolongée éternellement sans créer de nouvelles difficultés.
La nature de la politique monétaire change. La Fed, déjà omniprésente dans tous les compartiments de l’économie, vient de s’engager à acheter des bons du Trésor, pour 300 milliards de dollars. Ce que l’on appelle pudiquement des interventions non conventionnelles, revient à monétiser une partie du déficit budgétaire comme au bon vieux temps keynésien. Cette stratégie d’achat de bons du Trésor permet de financer une partie du déficit et de faire baisser les taux à long terme [15]. Elle limite la hausse prévisible de la dette publique, qui, faut-il le rappeler, n’a pas atteint les niveaux européens. Si les marges de manœuvre se rétrécissent, le policy mix a le mérite de la cohérence. Les craintes d’inflation qu’elle suscite auprès des économistes standards paraissent infondées dans un tel contexte déflationniste.
Ces interventions de la Banque centrale sont complétées par des mesures qui concernent le marché immobilier. En effet, les défauts de paiement gagnent maintenant les mid-primes [16]19. Dans le cadre de son plan de soutien à l’immobilier, la Fed intervient par une politique de rachat de créances immobilières, de manière à faire baisser les taux d’emprunt à long terme. Son plafond d’intervention, fixé à 600 milliards de dollars, vient d’ailleurs d’être ré-haussé à 750 milliards. En outre, l’état fédéral encourage les banques à rééchelonner la dette des particuliers et propose des mesures d’aides aux ménages.
Le système bancaire reste paralysé. La situation des banques est telle, qu’elles renoncent à prêter. Leurs comptes sont plombés par les titres toxiques. Les faillites des banques régionales se poursuivent. On en dénombre 20 depuis le début de l’année. La demande de crédit est en panne, car les agents cherchent à se désendetter. Après un cafouillage, la seconde version du plan Geithner, présentée le 23 mars, a été bien accueillie par les marchés. Mais il est encore trop tôt pour savoir s’il constitue une solution crédible pour assainir les banques. On estime que ces titres représenteraient 3 à 4 000 milliards de dollars. Or, le plan de rachat des actifs toxiques des banques n’est "que" de 500 milliards, extensibles jusqu’à 1 000 milliards de dollars.
Cette solution a le mérite de la nouveauté, puisqu’elle tourne le dos à la solution classique de la structure publique de défaisance. Le programme d’investissement public-privé alimenté par l’état à hauteur de 100 milliards est-il à la hauteur des enjeux ? C’est un coup de poker qui peut fonctionner, à condition que les acteurs privés croient dans les chances de succès de la stratégie d’Obama et que les gains escomptés soient suffisants. L’ironie de l’affaire est de se servir d’un mécanisme d’incitation qui fait appel aux pulsions spéculatives d’hier… Enfin, la question est de savoir à quels prix ces titres seront rachetés ?
On ne peut exclure un scénario dans lequel la récession, atténuée en 2009, serait suivie d’une reprise modeste en 2010. Quant à en connaître la robustesse, il est impossible de le prédire. En outre, un phénomène de "second tour" pourrait entraîner une rechute rapide. Quelle sera la nature des réformes structurelles pour réguler l’industrie financière états-unienne et mondiale ? Comment les autres puissances vont-elles traverser cette récession et leurs stratégies seront-elles coopératives ? Les politiques mises en œuvre vont-elles déboucher sur une crise du dollar ?
La réunion du G20 de début avril donne de premières indications sur les orientations générales. Le bilan est à la fois inespéré et limité : le FMI renforce ses moyens de lutte contre la crise dans les pays émergents et change sa philosophie d’intervention, sans modifications des rapports de force internes ; la volonté de contrôler la finance globale et les paradis fiscaux est affichée, mais les réformes de la gouvernance et de la finance internationales restent ambivalentes ; le contrôle a minima des hedge funds et des agences de notation ne change pas la nature du système, tout comme les listes de paradis fiscaux semblent insuffisantes pour modifier la compétition fiscale et les mécanismes opaques de transferts de capitaux. Au total, seuls les excès les plus manifestes sont amendés, sans nouvelles perspectives. Au niveau international comme au niveau national, la logique qui s’impose consiste à "replâtrer" les structures qui sont à l’origine de la crise, sans remise en cause systémique. Enfin, le contrôle des centres off shore illustre la stratégie états-unienne pour restaurer sa maîtrise sur la finance globale. En dernier ressort, on peut parier que des considérations géostratégiques s’avéreront déterminantes pour l’avenir. Dans la grande transformation qui s’opère, c’est en effet la question du rôle et de la place des États-Unis dans le nouvel ordre mondial qui est posée. Et personne ne sait encore jusqu’où la nouvelle administration peut aller pour tenter de maintenir son leadership mondial, ni ce que ses partenaires sont prêts à accepter.
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Retour sur le contexte de la crise des subprimes
LES CAUSES immédiates et formelles de la crise sont connues. En 2006, la remontée des taux directeurs de la banque centrale américaine provoque l’éclatement de la bulle immobilière qui portait la croissance américaine. Grâce aux prêts hypothécaires rechargeables, la consommation des ménages s’est vivement développée durant cette période. Ce système permet d’accroître proportionnellement son endettement (via le crédit immobilier et à la consommation) à la valeur de ses biens immobiliers.
Il faut bien comprendre que ce mécanisme s’est substitué aux augmentations salariales. Du point de vue de la politique des revenus, en effet, l’administration Bush s’est illustrée par une approche délibérément inégalitaire, dans la tradition des "supply siders" les plus radicaux, par une politique fiscale favorable aux hauts revenus et aux entreprises. Aucune politique salariale active n’a été envisagée, dans la plus pure tradition libérale états-unienne. Dans une optique ricardienne, l’ouverture aux échanges (avec la Chine en particulier) était conçue pour faire baisser les prix des produits de consommation courante importés et garantir le pouvoir d’achat.
Cette option de politique économique a conduit à une impasse économique et sociale qui a fait retour lors de la campagne électorale. L’adhésion de la classe moyenne américaine au projet démocrate a coïncidé avec une inquiétude de déclassement social accrue par la crise.
Alors que les salaires médian et moyen américains ont stagné ou même reculé depuis 2000, le surcroît de consommation des ménages n’a pu se faire que grâce aux largesses d’une économie d’endettement particulièrement inventive [17] : la hausse des plus hauts revenus n’a pas suffi…
La consommation, moteur de la croissance américaine, a été encouragée au prix d’une forte progression des crédits accordés aux particuliers, dans un contexte marqué par la doctrine de l’ownership society chère aux républicains. Cette envolée du crédit, stimulée par la politique de taux réels négatifs de la Fed, a été rendue possible grâce aux innovations financières, et aux célèbres subprimes. Ces crédits hypothécaires à risque contractés par les ménages les plus modestes, n’ont cessé de croître [18], alimentant une intense spéculation [19]11. à partir de la reprise de 2002, c’est la progression continue de l’endettement des ménages qui a permis la croissance de l’économie américaine. Ainsi, le taux d’épargne, déjà structurellement faible, est devenu nul ces dernières années.
Les taux de ces prêts, variables, et donc attractifs en début de période, ont été ajustés à la hausse avec la remontée des taux directeurs de la Fed à partir de 2004. Or, pour les plus pauvres et les plus précaires, ces hausses n’étaient pas soutenables. Pour finir, en 2006, la baisse du prix de l’immobilier a gelé toute possibilité d’endettement supplémentaire. Le piège s’est ainsi refermé sur les ménages les plus modestes et a fait dérailler le train de la finance lancé à toute vapeur.
Le cercle "vertueux", en cas de hausse, s’est transformé en cercle vicieux avec le retournement immobilier. La baisse de la valeur des biens a grippé le système, en bloquant la mécanique du crédit et en pesant sur la consommation des ménages pauvres, pour ensuite se répandre vers les classes moyennes, etc. Les défauts de crédit se sont alors multipliés avec des conséquences inouïes sur le secteur bancaire et financier. Il est, en effet, surprenant que de telles causes produisent de tels effets. Si l’administration Bush, le monde financier et les partisans de la dérégulation n’ont rien vu venir, c’est qu’ils ont surestimé les vertus supposées de l’autorégulation des marchés. La doctrine économique sous-jacente est donc en cause. Cependant, dans le cas états-unien, celle-ci n’est pas indépendante de considérations de nature géopolitique.
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De l’espoir suscité par l’élection de Barack Obama aux inquiétudes nées de la crise économique et financière, en passant par les risques de montée du protectionnisme ou le renforcement des mesures sécuritaires aux douanes, il règne, en cette année 2009, une atmosphère bien particulière et contrastée sur le premier marché du monde…
Entre craintes et espoir, que doivent penser les entreprises désireuses de travailler avec les Etats-Unis ?
Ce numéro d’Accomex apporte quelques éléments de réponse, en dressant un panorama sincère et sans détour de la première économie mondiale : au-delà de la crise et des défaillances d’entreprises, il est nécessaire de se projeter plus avant, de s’intéresser aux ambitieuses réformes d’Obama (assurance-maladie, plan-climat, etc.) et de rappeler le potentiel de croissance du marché états-uniens.
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Professeur d’économie internationale et industrielle à l’ESIEE Management (Université Paris-Est). Il est chercheur associé au Centre d’études des modes d’industrialisation (CEMI) à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS).
[1] Rédaction achevée le 3 avril 2009.
[2] Vanel G. (2008), "L’étalon-dollar rattrapé par la crise ?", Recherches Internationales n° 83, juillet-septembre, p. 119 et s.
[3] Aglietta M. (2004), Les dérives du capitalisme financier, éditions Odile Jacob, Paris.
[4] Dodd R. (2007), "Subprime : topographie d’une crise", DC 20431, FMI, Washington, décembre.
[5] On évoque ici la législation Bâle II.
[6] Stiglitz J. (2003), Quand le capitalisme perd la tête, éditions Odile Jacob, Paris.
[7] Krosner Randall S. (2000), "The Economics and Politics of Financial Modernization", Economic Policy Review, vol. 6, n° 4, October.
[8] Pour une présentation facile d’accès, voir : Aglietta M. (2008), La crise pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ?, Éditions Michalon.
[9] Cf. F. Lordon (2008), Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, éditions Raisons d’agir.
[10] Cf. A. Orléan (2008),"Quel cadre théorique pour comprendre la crise financière : efficience, finance comportementale ou finance autoréférentielle ?", Séminaire ARCII, 15 décembre.
[11] Pour des précisions Cf. Aglietta M., "La crise", etc., op. cit.
[12] Les prévisions données par le FMI, le 19 mars, en vue de la préparation de la réunion du G20 sont de - 2,6 %.
[13] Les estimations du déficit budgétaire vont jusqu’à 1 750 milliards de dollars sur l’exercice 2008-2009.
[14] Selon P. Krugman, le plan de relance ne permettrait que de limiter d’environ 50 % la chute des dépenses privées.
[15] En annonçant qu’elle achètera pour 300 milliards de dollars de bons du Trésor, la Fed a fait baisser le taux des emprunts à dix ans de 3 % à 2,46 %. Cf. La Tribune, 19 mars 2009.
[16] Ces titres de crédits ont un niveau de risque considéré comme intermédiaire et donc inférieur aux subprimes.
[17] Sapir J. (2008), "Une décade prodigieuse. La crise financière entre temps court et temps long", Revue de la régulation n° 3, 2ème semestre.
[18] La part des subprimes dans les émissions hypothécaires est passée de 4,8 % en 1994 à 20 % en 2006 ; Cf. Sapir J., "Une décade prodigieuse", etc. op. cit. p. 9.
[19] Cf. R. Dodd (2007), "Subprime : topographie d’une crise", Washington DC 20431, FMI, décembre.
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Date de publication / Date of publication : 12 septembre 2009
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Le capitalisme financier américain a fini brutalement par toucher ses limites. Initialement partie de la chute de l’immobilier, la crise s’est propagée à l’ensemble du système financier états-unien puis à l’économie réelle. La récession, déjà sévère en 2008, va se prolonger. Le plan de relance de l’administration Obama, combiné à une politique monétaire tout azimut, vise à compenser la chute des dépenses privées et à enrayer la spirale dépressive. Mais il n’est pas sûr que cela suffise.
Sur un plan structurel, cette crise a le mérite de dévoiler les dérives d’un système considéré par les économistes standard, à la fois comme le meilleur reflet de l’économie de marché et un modèle universel, supérieur aux autres. La réalité est autre. Le succès de ce modèle de capitalisme reposait sur des fondations et des institutions économiques qui se révèlent aberrantes, y compris pour ses partisans les plus acharnés. Ainsi, la crise impose, par son ampleur, de repenser des modalités d’organisation économique plus cohérentes. Au-delà de la remise en cause de la philosophie économique dominante, elle interroge aussi l’avenir de l’ordre économique mondial dominé par les États-Unis et sa puissante industrie financière.
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