Espagne. Après une intense année électorale 2015, la scène politique espagnole et particulièrement catalane s’est vue quelque peu chamboulée. Entre la montée des indépendantistes et celle de Podemos ainsi que l’avortement d’un nouveau gouvernement, le panorama, avant des nouvelles élections, reste incertain. Le parti violet en profitera-t-il ?
L’ANNEE électorale 2015 a été d’une telle intensité qu’elle rend difficile la compréhension des multiples enjeux qui se sont entrelacés. Jusqu’à cinq scrutins différents, à divers niveaux, ont monopolisé les débats politiques du territoire espagnol. L’ascension du parti politique Podemos, tentant de représenter et de gagner des sièges au sein des institutions, l’ensemble des acteurs et citoyens composant ou sympathisants du mouvement 15-M (« indignés »), a constitué la principale nouveauté de la reconfiguration de l’échiquier politique espagnol. Sans omettre que certaines plateformes politiques traduisent directement la stratégie de certains mouvements sociaux (aujourd’hui nombre d’entre elles dirigent les principales mairies de l’Espagne, telles Madrid ou Barcelone). D’autre part, les forces souverainistes catalanes ont aussi été protagonistes de la montée des contradictions internes enregistrées outre-Pyrénées. Les élections régionales de la Catalogne du 27 septembre 2015 avaient d’ailleurs été décevantes pour Podemos qui avait atteint alors 8,94 %, soit 367 613 voix (11 élus régionaux avec la coalition Catalunya Sí Que es Pot « Catalogne, oui c’est possible », CSQP). Ses résultats ont en effet singulièrement contrasté avec l’ascension enregistrée lors des élections régionales andalouses de mars 2015 (14,84 % des suffrages, soit 590 011 voix, et 15 élus régionaux) et les régionales [1] de mai 2015 (13,48 % des suffrages, soit 1 796 930 voix, et 119 élus régionaux). Ainsi, les élections municipales de 24 mai 2015 (le même jour que les régionales) ont largement renforcé le parti politique Podemos avant même les régionales catalanes.
Ainsi, Podemos a-t-il réussi, uni à d’autres plateformes, à accéder à la conquête du pouvoir dans plusieurs capitales espagnoles (où Podemos, selon la capitale, possède plus ou moins d’élus municipaux (Madrid avec 9 sièges, Barcelone 2 sièges, Cadix 8 sièges …)
Lors des élections législatives du 20 décembre 2015, la liste catalane de confluence En Comú Podem, dont Podemos faisait et fait toujours partie, arrive en tête en Catalogne (24,74 % des suffrages exprimés). Un discours plus clair sur les problématiques territoriales espagnoles, et notamment sur la question catalane, a « catapulté » la formation de Pablo Iglesias (leader de Podemos) et ses partenaires, dont essentiellement en Catalogne, au Pays Basque (25,97 %), en Galice (25,04 %) et dans la Communauté de Valence (25,09 %). D’autre part, le discours sur les droits sociaux s’est révélé un atout de taille pour attirer l’électorat dans les grandes aires urbaines. A ce sujet, Ada Colau, ancienne militante et fondatrice d’une plateforme pour le droit au logement et mairesse de Barcelone depuis mai 2015, est sans doute aujourd’hui la plus efficace porte-parole de ce discours.
Enfin, Podemos semble avoir réussi à proposer une nouvelle feuille de route différente de celle des indépendantistes. Cette première s’inscrit dans une volonté de gagner assez de sièges au parlement espagnol. Ainsi, cela lui permettrait de mieux négocier avec les autres forces politiques et de parvenir à l’obtention d’un référendum aboutissant à un processus de réforme constitutionnelle. Les indépendantistes, pour leur part, ont négligé la possibilité de négocier un référendum avec le gouvernement espagnol, préférant poursuivre l’aventure d’un processus de « déconnexion politique » avec l’Etat espagnol (Processus participatif d’une nouvelle constitution, matérialisation des structures d’Etat et déclaration unilatérale d’indépendance).
Enfin, les législatives du 20 décembre 2015 ont débouché sur un blocage institutionnel, lequel va conduire à une répétition d’élections le 26 juin 2016. Le parti violet, uni a d’autres partis et plateformes politiques, semble être derechef en mesure d’occuper la première position en Catalogne.
Lors de la campagne pour l’élection du Parlement autonome Catalan, Podemos a adopté une stratégie de confluence avec des groupes politiques d’extrême-gauche et écologistes au sein d’une coalition appelée Catalunya Sí Que es Pot (« Catalogne, oui c’est possible »), CSQP. Comme Podemos au niveau national, la liste CSQP proposait « un véritable processus constituant catalan » pour changer le modèle économique et social et les relations des régions avec l’Etat (reconnaissance de la nation catalane dans le cadre d’un Etat plurinational et plurilinguistique, reconnaissance du droit à décider, établissement de compétences exclusives, création de finances publiques régionales, mécanismes de décisions partagées entre l’état espagnol et la Catalogne ainsi qu’une représentation directe de la Catalogne dans les institutions Européennes). En conséquence, cette coalition s’engageait à organiser un référendum d’autodétermination tout en annonçant qu’elle voterait « non » à la séparation de la Catalogne. Dans la même logique, lors des élections législatives, Podemos a configuré une stratégie de confluence appelée En Comú Podem qui a rassemblé les mêmes acteurs que CSQP (ICV-EUiA, coalition d’écologistes et d’extrême-gauche, et Podem Catalunya), avec en sus EQUO (autres écologistes) et la plateforme ayant gagné les élections de Barcelone, Barcelona en Comú d’Ada Colau. Ainsi, Podemos a su profiter de la dynamique victorieuse d’Ada Colau, de la sortie aussi de la polarisation du débat catalan (entre l’électorat favorable et celui défavorable à l’indépendance) et enfin a pu définir une voie alternative à celle des nationalistes catalans afin d’inverser les mauvais résultats enregistrés lors des régionales catalanes.
A l’instar du cas des régionales catalanes avec CSQP, l’analyse géographique des résultats d’En Comú Podem à l’élection du Parlement autonome en septembre 2015, montre que ce sont les territoires urbains, peuplés et industriels qui ont le plus voté pour la plateforme de coalition. Les municipalités offrant le plus grand nombre de suffrages à En Comú Podem se trouvent pour la plupart autour de Barcelone et sur la côte dont, à titre d’exemple, la province de la capitale catalane a atteint 26,9 %. A noter que ces zones concentrent la majorité de la population de la Catalogne et celle qui agglomère la plupart des « catalans » nés en dehors de la communauté de cette région. Pour leur part, les partis indépendantistes connaissent un succès probant à l’intérieur de la Catalogne, moins densément peuplé.
Ces résultats pouvaient d’ailleurs être prévisibles car ces comarques concentrent la plupart des Cercles de militants de Podemos (environ 157 [2]) ainsi qu’une forte présence des acteurs d’action sociale non-gouvernementale, dont la plupart se sont coordonnés au cours de la crise économique, notamment avec l’apparition du mouvement des Indignés. Ces acteurs représentent, comme nous le verrons, des protagonistes vecteurs de la montée de Podemos. Par ailleurs, il est à souligner que la géographie des voix de la plateforme est très similaire à celle du Parti Socialiste Catalan (PSC) et, en moindre mesure, à celle d’ICV-EUiA (parti inclus dans la plateforme). Ceci corrobore l’origine d’une partie des voix d’En Comú Podem (d’une part, l’ICV-EUiA avait obtenu 280 152 voix aux élections générales de 2011 et, d’autre part, le PSC a perdu 333 526 voix depuis le scrutin général de 2011).
A l’échelle locale de Barcelone, on s’aperçoit rapidement que les soutiens à En Comú Podem aux législatives (ainsi que CSQP aux régionales) sont principalement présents dans les quartiers habités par les couches sociales populaires et où la proportion de catalans nés en dehors de la Catalogne est la plus significative. Mais à la différence des régionales, la part de catalans qui ont soutenu En Comú Podem a beaucoup crû : plus de 20 % des voix de ce parti ont été acquis dans 66 quartiers de Barcelone sur 73.
Dans les quartiers de la moitié nord ainsi que du nord-est et du sud de Barcelone ( forte proportion de chômage -plus de 10 %- et de personnes nées en Espagne hors Catalogne -plus de 20 %- ) l’ascension du parti Ciudadanos hostile au séparatisme avait été très forte et concurrençait CQSP lors des régionales du 27 septembre 2015. Grâce à ce succès à la fois dans des quartiers populaires et bourgeois, Ciudadanos, un parti de centre-droit créé en Catalogne en 2006 pour combattre le nationalisme catalan (et qui est devenu lors des dernières législatives la 4ème force au niveau national), s’est donc révélé (en 2e position avec 17,8%) aux régionales de septembre 2015, freinant ainsi l’élan qu’aurait dû donner à CSQP l’élection, en mai 2015, d’Ada Colau comme mairesse de Barcelone. Mais contre tout pronostic, Ciudadanos a échoué au cours des législatives dans ces quartiers populaires tout en enregistrant un score élevé dans les quartiers les plus aisés (47 820 voix perdues). Ainsi, En Comú Podem, sans la polarisation du débat souverainiste, a su attirer les voix perdues durant les régionales, avec en sus des voix catalanes (passant de 85 841 voix en septembre 2015 à 218 080 à Barcelone aux législatives de décembre).
Ainsi, ces résultats ont démontré que l’électorat catalan était particulièrement versatile en fonction du type de scrutin. En ce sens, si les acteurs indépendantistes (partis politiques et associations civiles) semblaient hégémoniques lors des régionales et au cours du débat identitaire (allant jusqu’à diriger un gouvernement instable en Catalogne : CDC, ERC et CUP), lorsqu’il s’agit des législatives (plus séparées de la question identitaire), l’électorat catalan s’est vu tourner vers des programmes favorables aux droits sociaux. Il en est allé de même pour les élections locales du 24 mai 2015. Néanmoins, il est essentiel de ne pas oublier que le soutien de Podemos au référendum d’autodétermination catalan (selon le Centre d’Études d’Opinion (CEO) presque 80 % de la population catalane en droit de voter approuve cette initiative), ainsi qu’un processus constituant national -avec l’inclusion d’une réalité territoriale plurinationale (qui n’est pas d’ailleurs définie)- ont été primordiaux. Podemos envisage de promouvoir une discussion transversale dans la société et ainsi permettre la participation citoyenne à partir de la loi 92 de la Constitution. Laquelle établit que « les décisions politiques d’une importance capitale pourront être soumises au référendum consultatif de tous les citoyens ».
Ces exigences sont la pierre angulaire du discours politique, pas seulement dans la campagne des élections législatives du 20 décembre 2015, mais aussi lors des pourparlers avec le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) pour soutenir l’investiture de Pedro Sanchez en tant que chef de gouvernement. Désormais, le discours sur la question catalane semble bel et bien bénéficier à Podemos, ce qui probablement pourrait conduire les autres partis à vouloir la détourner. De facto, la problématique catalane occupe moins de place dans les débats politiques actuels.
La crise de légitimité politique sans précédent de la classe politique espagnole a provoqué l’apparition des mouvements citoyens, associations et plateformes, notamment à partir de 2007 et principalement dans les provinces plus densément peuplées de Catalogne (dans la province de Barcelone, 1 079 associations de type idéologique et culturel ont été créées entre 2008 et 2013). Le mouvement des Indignés a été en fait une sorte d’accumulation des mouvements, associations, plateformes, citoyens… qui ont su se coordonner et créer une représentation d’ensemble : « La Gente » (« les gens »). Les acteurs non-gouvernementaux ont beaucoup pesé dans l’articulation du mouvement des indignés. En conséquence, ces derniers ont joué un rôle majeur dans la création d’une représentation du peuple opprimé face aux élites corrompues, thème aussi très développé par Podemos, CSQP et En Comú Podem. Ces acteurs ont fondé une sorte de contre-pouvoir citoyen que Podemos et En Comú Podem ont pu propulser dans les institutions. Ce lien organique entre associations et partis se vérifie, d’abord par la présence des nombreux activistes qui adhérent à Podemos tout en participant à l’action sociale non-gouvernementale. Ensuite, une bonne part des exigences politiques de ces derniers ont été reprises par Podemos et ses alliés (telles l’Initiative Legislative Populaire (ILP), l’hébergement d’urgence ou des mesures contre la pauvreté énergétique). Enfin ces partis et ces associations fonctionnent sur un mode comparable, accordant une grande importance aux assemblées de militants.
La collusion entre acteurs d’action sociale non-gouvernementales et partis politiques dits « du changement » (Podemos et En Comú Podem) est indéniable : en 2013, 34 % des citoyens de Barcelone étaient encartés dans une association citoyenne et 25 % des associations étaient partie prenante dans l’action sociale ; 57 % des associations considéraient que « l’action à caractère politique » était prioritaire. [3] Ada Colau a été la fondatrice et leader de la Plateforme des Affectés par l’Hypothèque (PAH), l’une des plus influentes plateformes citoyennes espagnoles apparue en 2009 au cours de la grande dépression économique. Cette plateforme est constituée d’assemblées travaillant sur la problématique hypothécaire. Des milliers de personnes ont rejoint cette plateforme qui est devenue particulièrement puissante. Cent quatre-vingt-seize plateformes (locales ou supra-locales) dispersées sur tout le territoire espagnol lui ont donné une importante capacité d’action mobilisatrice. Cette mobilisation a été particulièrement forte en Catalogne, là où il y a eu en 2013 et 2014 le plus d’expulsions (4 420 au premier trimestre 2015). C’est l’élan même de cette plateforme qui a conduit Ada Colau à devenir mairesse de Barcelone.
En Comú Podem intègre les candidats de Podemos et Barcelona en Comú, mais aussi d’ICV-EUiA et de EQUO, dans l’idée de bénéficier de l’élan de mobilisation citoyenne qui a donné la victoire aux municipales. La liste En Comú Podem, est dirigée par un proche de Pablo Iglesias et d’Ada Colau, Xavier Domènech, professeur d’histoire à l’Université Autonome de Barcelone, jusqu’à récemment en charge de responsabilités dans l’équipe municipale de Barcelone ; il est actuellement député national issu des rangs d’En Comú Podem –coalisé avec Podemos.
La structure de Barcelona en Comú (à l’instar de CSQP) est indépendante de celle de Podemos, mais les Cercles de ce dernier constituent un espace profitable pour ce premier. Qui plus est, l’affinité politique et les liens entre les deux noyaux centraux sont plus étroits que ceux observés actuellement avec CSQP. En effet, la popularité d’Ada Colau a éclipsé CSQP, lui permettant ainsi de postuler comme prochaine candidate pour les élections régionales de Catalogne en 2019. Même si cela demeure une hypothèse (laquelle est démentie par la mairesse de Barcelone), l’équipe d’Ada Colau a d’ores et déjà décidé de prendre contact avec les différentes forces politiques que sont ICV, EUiA et EQUO, et ce dans la perspective d’une constitution de liste régionale sous l’égide « d’En Comú » -se substituant ainsi à celle de CSQP, moins attractive. Pour sa part, Podemos en Catalogne demeure sans secrétaire depuis la défaite des régionales (septembre 2015). Selon Alejandro Pérez, membre du conseil citoyen de la Catalogne de Podemos (entretien réalisé le 27 janvier 2016), le courant interne Revolta Global, équivalent à l’Izquierda Anticapitalista (courant interne trotskiste de Podemos au niveau national), rivalise sérieusement avec les secteurs proches de Pablo Iglesias. Ainsi le noyau central de Podemos envisage-t-il de promouvoir la candidature de Raimundo Viejo, proche d’Ada Colau et des leaders du parti d’extrême-gauche, afin d’affaiblir Revolta Global dans l’organisation. L’opposant de Raimundo Viejo, Albano Dante (député régional pour CSQP), est plus proche, quant à lui, des thèses du courant trotskiste (tout en cependant restant proche de l’équipe d’Ada Colau).
L’indépendantisme catalan semble, petit à petit, s’affaiblir face aux idées de réconciliation (pluri)nationales et souverainistes de Podemos. Le dernier sondage de Metroscopia montre que, par exemple, dans la circonscription de Barcelone, En Comú Podem serait l’unique parti politique à améliorer son score (de 26,91 % à 34,1 % des voix). Pour leur part, ERC enregistrerait une faible baisse (de 13,5 % à 12,3 % voix) tandis que Convergència Democràtica de Catalunya (CDC) subirait un vrai revers (de 13,2% à 9,5 % voix). Xavier Domènech (un inconnu au cours des élections du 20 décembre 2015) et Ada Colau, qui fermera la liste d’En Comú Podem, sauront sans doute tirer leur épingle du jeu, et ce grâce à une image d’honnêteté désormais très répandue dans la société catalane. À Barcelone, l’opinion des citoyens dénote, popularité faisant, un accroissement de la confiance vis-à-vis de l’équipe d’Ada Colau, même si cette dernière a dû négocier l’entrée au gouvernement du Parti Socialiste Catalan (sévèrement critiqué par les groupes indépendantistes). Une mesure destinée à renforcer un gouvernement en minorité (de 11 députés sur 41 à désormais 15). Les faiblesses du processus indépendantiste catalan semblent se matérialiser au travers de l’instabilité accrue du gouvernement régional. Il en va de même quant aux perspectives électorales des partis nationaux (notamment, celles du PSOE). Ainsi, le leadership du parti CDC, « uni » à ERC dans l’exécutif catalan (liste Junts pel Sí), a connu de sérieux problèmes, à tel point qu’il n’a pas réussi à se constituer assez de supports parlementaires pour approuver le budget (la CUP demeurant très hostile à la totalité de la proposition du budget 2016). Ceci a obligé le président du gouvernement régional, rupture faisant du « pacte de stabilité » parlementaire avec la CUP (signé in extremis à la fin de la date limite pour la formation d’un gouvernement), à proposer en septembre 2016 une motion de confiance au parlement. Cette modification conduira, peut-être, Junts pel Sí à chercher de nouveaux alliés, tel CSQP, avec probablement un affaiblissement conséquent du processus indépendantiste. Des élections anticipées pour la Catalogne constituent un scénario de plus en plus envisageable. En Comú Podem se positionne ainsi comme le parti le mieux placé dans le cadre national pour défendre le référendum en Catalogne.
Au Parlement espagnol, Podemos, les forces coalisées (En Comú Podem, Compromís et En Marea) ainsi qu’Izquierda Unida (IU) ont tenté de sceller un pacte de gouvernement avec le PSOE après les élections du 20 décembre 2015. Mais l’exigence de Podemos et de son partenaire En Comú Podem de l’organisation d’un référendum d’autodétermination de la Catalogne, a constitué une ligne rouge pour le PSOE, hostile au référendum). D’autre part, le PSOE a finalement proposé un pacte de gouvernement avec Ciudadanos. Mais les voix de leurs députés réunis n’ont pas suffi à obtenir l’investiture à la majorité absolue et ni Podemos, ni le PP ne se sont abstenus pour que celle-ci puisse se faire à la majorité relative. L’hostilité affichée de Ciudadanos vis-à-vis des revendications nationalistes catalanes empêche Podemos (uni à une frange « catalaniste » au sein d’En Comú Podem et CSQP) de voter en faveur ou de s’abstenir pour l’élection d’un gouvernement socialiste allié à Ciudadanos. Par ailleurs, 80,23 % des militants de Podemos (« militants en ligne » soit environ 204 844 activistes sur un total de 393 538) ont rejeté, lors d’un référendum interne, un gouvernement sous la base du pacte entre le PSOE et Ciudadanos. Enfin, Podemos veut s’approprier le débat territorial en proposant un référendum qui est présenté comme le socle d’un nouveau consensus social et politique. Podemos tente de persuader les Espagnols « que l’unique moyen de construire une Espagne unitaire passe par la reconnaissance de sa diversité » note Manolo Monereo. Mais ce constat va au-delà d’une démonstration de la diversité espagnole (celle-ci est déjà visible dans la Constitution) par la redéfinition des espaces de pouvoir. Et ce facteur, semble-t-il, est a priori démontrable (à démontrer en pratique) avec les coalitions électorales formées, par exemple, en Catalogne avec CSQP et En Comú Podem qui réclament haut et fort plus de souveraineté catalane à l’endroit de l’Etat espagnol.
A l’échelle nationale, il s’est constitué une candidature de coalition plus élargie avec d’autres forces politiques, dont principalement celle du parti d’extrême-gauche IU. En fait, il y a 6 mois, cette coalition aurait pu être créée mais les divergences stratégiques entre Podemos et IU avaient phagocyté cette possibilité. Le premier souhaitait qu’IU s’intègre dans la structure de Podemos, tandis que le second espérait créer une coalition de partis à l’image de Bcn en Comú ou Ahora Madrid (qui administrent Barcelone et Madrid). Les raisons qui expliquent l’actuelle coalition sont diverses. D’abord, Podemos a besoin de nouveau de mobiliser l’électorat, car étant un parti de masse, il est nécessaire d’introduire des éléments motivants. De plus, la possibilité d’attirer l’électorat andalou, où IU est historiquement et fortement implanté, permettrait à la coalition de gagner plus d’élus (l’Andalousie, région la plus peuplée et bastion du PSOE, est l’unique territoire à forte personnalité qui se montre la plus réticente aux idées de Podemos). En mai 2016, un référendum interne d’IU a donné son soutien à la coalition avec Podemos (84,3 % des voix). Ainsi, Alberto Garzón, candidat aux législatives du 20 décembre 2015 pour IU et proche du noyau central de Podemos, s’est imposé aux élections internes du parti le 6 juin 2016. En outre, Garzón demeure le politicien le plus crédible pour la société espagnole, ce qui devrait permettre d’améliorer l’image de Pablo Iglesias, quelque peu dégradée.
Unidos Podemos , le nouveau nom de la liste candidate aux législatives de juin 2016, traduit non seulement la volonté d’unifier tous les acteurs précités (Podemos, En Marea, En Comú Podem), mais aussi Izquierda Unida, la liste régionaliste des îles Baléares MES ainsi que les écologistes d’EQUO (sans oublier la coalition de Podemos Valence avec celle de la Valencienne Compromís qui occupera cependant un groupe indépendant). Selon la plupart des sondages, cette nouvelle coalition semble être en mesure de dépasser le parti socialiste. Reste que la question se pose de savoir si, dans ce cas, le PSOE votera ou non pour que l’extrême gauche puisse prendre les rênes du pouvoir.
Copyright 18 Juin 2016-Borras/Diploweb
Diplômé d’un Master II de recherche en Géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique (IFG, Université Paris 8).
[1] Sauf pour l’Andalousie, la Catalogne, le Pays Basque et la Galice.
[2] Nous n’avons pas les données exactes du nombre de Cercles sur ce territoire car les Cercles sont en train d’être validés par la Commission de Garanties Démocratiques de Podemos. Pour l’instant, 157 Cercles sont validés sur le territoire catalan.
[3] Panoràmic de les associacions de Barcelona 2014, Torre Jussana, Barcelona.
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Date de publication / Date of publication : 18 juin 2016
Titre de l'article / Article title : L’indépendantisme catalan mis en doute par Podemos
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Espagne. Après une intense année électorale 2015, la scène politique espagnole et particulièrement catalane s’est vue quelque peu chamboulée. Entre la montée des indépendantistes et celle de Podemos ainsi que l’avortement d’un nouveau gouvernement, le panorama, avant des nouvelles élections, reste incertain. Le parti violet en profitera-t-il ?
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