Le 23 juin 2016, le Premier ministre britannique organise un référendum sur le maintien de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Cette annonce soulève des interrogations quant aux équilibres politiques internes au royaume, à sa prospérité économique et à l’avenir du projet européen.
LE 23 juin 2016, les électeurs britanniques vont se prononcer, par référendum, sur le maintien du dans l’Union européenne.
Le Royaume-Uni est membre de l’Union européenne depuis 1973. Les Britanniques sont principalement intéressés par le marché unique et les échanges commerciaux. Leur économie présente plusieurs particularités par rapport à celles du continent. Il en résulte que le Royaume-Uni est doté d’une sorte de statut particulier au sein de l’Union européenne. Aujourd’hui, ceci ne semble plus suffire, mais les risques pour le Royaume-Uni, en cas de sortie de l’Union, sont considérables.
Pour l’Union européenne, la position que prendra le Royaume-Uni constitue également un enjeu de première importance, qu’il se détache de l’Union ou non. Une sortie d’un pays aussi important aurait des impacts majeurs sur l’Union elle-même. Ce référendum et les études et débats auxquels il a donné lieu soulèvent la question de l’avenir de la construction européenne, dans un contexte de crises multiples.
Le Royaume-Uni ne participe pas à toutes les politiques européennes. Il n’est pas membre de la zone euro et a conservé sa monnaie, la livre sterling, sa propre politique monétaire et de change, une supervision bancaire autonome. Il ne participe pas à la politique de justice et sécurité intérieure et n’est pas membre de l’espace Schengen. Il bénéficie d’une remise permanente sur sa contribution au budget de l’Union. Il n’a pas participé aux mécanismes financiers de secours des pays confrontés à la crise de la dette souveraine. En revanche, il participe pleinement au marché unique, à la politique commerciale de l’Union, ainsi qu’à sa politique extérieure et d’aide au développement.
Sur le plan économique, l’économie du Royaume-Uni n’est pas en phase avec les autres pays membres de l’Union européenne : importance du secteur des services, en particulier les services financiers (25% du PIB - produit intérieur brut), faible part de l’industrie manufacturière et de l’agriculture, rôle des prix de l’immobilier dans le cycle économique, dépendance vis-à-vis du cycle économique des pays anglo-saxons (Etats-Unis et membres du Commonwealth). De plus, l’économie britannique est plus libéralisée, notamment s’agissant du marché du travail.
Le Royaume-Uni est ainsi resté en dehors de la gouvernance économique de l’Union européenne, ce qui l’a plutôt favorisé. Après la crise, l’économie britannique s’est redressée plus vite que celles de la zone euro, grâce à une plus grande souplesse dans le recours aux instruments de politique économique : baisse des taux d’intérêt intervenue assez tôt, recours aux politiques monétaires non conventionnelles, stimulation budgétaire plus soutenue et adaptation précoce du taux de change. Et la règle d’or budgétaire - équilibrer le budget de fonctionnement - s’est révélée plus efficace que le pacte de stabilité et de croissance en vigueur dans la zone euro.
Les raisons d’un Brexit sont difficiles à identifier. Sur le plan politique et culturel, surtout dans un pays où le parlement joue un rôle majeur, les Britanniques ont le sentiment d’être dépossédés de leur souveraineté au profit d’une bureaucratie éloignée, inefficace et non représentative.
De plus, la crise économique a sensiblement modifié la structure institutionnelle de l’Union européenne : rôle accru de l’Eurogroupe (réunion des ministres des finances de la zone euro) et de la Banque centrale européenne, diminution de celui de la Commission européenne. Ces évolutions placent le Royaume-Uni en porte-à-faux dans la défense de ses intérêts. Les griefs britanniques portent aussi sur l’inefficacité de l’Union dans le domaine économique, sur les problèmes liés à l’immigration et sur les risques de discrimination entre les pays membres de la zone euro et les autres membres de l’Union européenne, les premiers étant majoritaires dans les votes à la majorité.
Dès sa victoire aux élections de 2015, le Premier ministre a engagé des négociations sur les réformes à ses yeux nécessaires pour que le Royaume-Uni demeure dans l’Union. Ces négociations ont conduit à un accord, en février 2016, qui porte sur quatre résultats :
. gouvernance économique : pas de droit de veto des pays non membres de la zone euro sur les décisions de celle-ci, mais il ne doit pas y avoir de discrimination entre les pays appartenant à la zone et les autres pays membres de l’Union européenne ; par ailleurs, les pays non membres de la zone euro ne contribuent pas aux mesures de soutien de l’euro ;
. compétitivité : renforcement du marché unique et amélioration de la régulation, allègement des lourdeurs administratives, qui pèsent particulièrement sur les petites et moyennes entreprises, politique commerciale plus ambitieuse ;
. souveraineté : il est admis que le Royaume-Uni n’est pas lié par l’objectif de renforcement de l’intégration politique au sein de l’Union ; dans certaines conditions de majorité, les parlements nationaux peuvent objecter à un projet d’acte législatif européen, qui peut se trouver bloqué ; le principe de subsidiarité est renforcé ;
. avantages sociaux octroyés aux migrants et liberté de circulation des personnes : mécanismes de sauvegarde en cas d’afflux exceptionnels, notamment en cas de menace sur la soutenabilité des systèmes de sécurité sociale, de difficultés sur le marché du travail ou de pressions excessives sur les services publics.
Suite à cet accord jugé satisfaisant, le Premier ministre a décidé d’organiser un référendum.
Un vote positif au référendum du 23 juin 2016 aurait pour première conséquence d’ouvrir une longue période d’incertitude juridique. Le traité de Lisbonne prévoit en effet la négociation d’un traité de sortie pendant une période de deux ans, éventuellement prolongée de deux années supplémentaires, à l’issue de laquelle le retrait devient effectif. L’ampleur des questions à traiter par le Royaume-Uni risque de se traduire par une période d’incertitude beaucoup plus longue.
Le pays devrait d’abord trouver un accord sur ses relations avec l’Union européenne. Quatre "modèles" sont envisageables :
. l’espace économique européen (EEE - Norvège, Islande, Liechtenstein) : il implique une contribution au budget européen, la liberté de circulation des personnes et la reprise de la législation européenne sans pouvoir influer sur son contenu ;
. accords bilatéraux de la Suisse : le pays doit aussi contribuer de manière substantielle au budget européen, reprendre la législation européenne sans possibilité d’influer sur son contenu, conclure des accords commerciaux spécifiques, sans accès au marché financier européen pour les banques ;
. l’union douanière, sur le modèle des accords avec la Turquie, qui comporte : un accès sans droits de douane au marché unique, sauf pour les services financiers, et une très faible influence sur la législation ;
. le régime de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) : application de la clause de la nation la plus favorisée et du tarif extérieur commun de l’Union européenne.
Aucun de ces régimes n’est satisfaisant pour le Royaume-Uni. Ils impliquent, pour les trois premiers, de reprendre des dispositions auxquelles, en cas de sortie de l’Union, il s’oppose (contribution au budget de l’Union, reprise de sa législation, acceptation de la liberté de circulation des personnes, limites aux possibilités d’exportation de services financiers). Quant au quatrième régime, il est de nature à freiner les exportations de biens et services sur le marché européen. Or le marché de l’Union européenne représente, pour le Royaume-Uni, environ la moitié de ses exportations et de ses importations.
Par ailleurs, le Royaume-Uni aurait à renégocier des accords commerciaux avec les cinquante-cinq pays avec lesquels l’Union européenne est actuellement engagée. Il aurait également à redéfinir les législations internes dans les secteurs, nombreux, où s’applique la législation européenne. Enfin, last but not least, la place financière britannique serait menacée, surtout avec la limitation prévisible de ses exportations de services financiers sur le marché européen.
Toutes les analyses, y compris britanniques, convergent aujourd’hui pour considérer qu’une sortie de l’Union européenne entrainerait une baisse de la croissance économique du royaume. Sans parler des risques d’éclatement politique, l’Ecosse étant attachée à son appartenance à l’Union européenne.
Outre l’encouragement qui serait ainsi donné aux forces centrifuges en Europe, une sortie du Royaume-Uni porterait atteinte au statut international de l’Union européenne.
Sur le plan interne, après ce référendum, quel que soit son résultat, il faudra statuer sur l’avenir du projet européen : pause dans la construction européenne, comme l’incite à penser la mise entre parenthèses, au bénéfice du seul Royaume-Uni pour le moment, de l’objectif d’une union toujours plus étroite, ou renforcement de l’intégration, en particulier au niveau de la zone euro.
Au plan externe,une sortie du Royaume-Uni ferait d’abord apparaître que la construction européenne n’est pas nécessairement définitive puisque certains Etats pourraient y renoncer. Cette sortie pourrait aussi être perçue comme le signe de désaccords importants au sein de l’Union, qui évoluerait alors vers un rassemblement économique et commercial de portée plus limitée. Ensuite, l’Union européenne perdrait en puissance, notamment dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, le Royaume-Uni étant avec la France le seul pays à disposer d’une réelle capacité militaire. Cette perte d’influence concernerait également le domaine économique puisque le Royaume-Uni est l’une des principales économies de l’Union européenne.
Les instances européennes et les Etats membres ont pris conscience de ces problèmes, mais la solution n’est pas en vue. Elle passe par deux voies complémentaires : un renforcement de l’intégration politique dans le respect du principe de subsidiarité et la poursuite d’une stratégie de convergence économique, de manière à ce que les instruments supranationaux soient efficaces.
Copyright 14 juin 2016-Perrin/Diploweb.com
Plus
Bibliographie
. Deal Done : Now for the Hard Work - Charles Grant & John Springford, Centre for European Reform, 20 February 2016.
. The Economic Consequences of Brexit : a Taxing Decision - OCDE Economic Policy Paper, April 2016, n° 16.
. The Debate over "Brexit" - James McBride, Council on Foreign Relations, April 22, 2016.
. UE(M) et Royaume-Uni : une ou plusieurs Europe ? - Thierry Chopin, Claire Darmé et Sébastien Richard, Policy Paper, Fondation Robert Schuman, 15 février 2016.
. Exiting the EU : impact on key UK policies aeras - Briefing Paper n° 07213, Chambre des Communes, 12 février 2016.
. Brexit to nowhere : the Foreign Policy Consequences of "Out" - Essay, Nick Witney, European Council on Foreign Relations, November 2015.
. The Review of the Balance of Competences between The UK and the EU - Rapport, Chambre des Lords, 25 mars 2015.
. Britain’s Future in Europe (Balance of Competences Review) - Michael Emerson et al., Centre for European Policies Studies, February 2015.
Consultant, Emile-Robert Perrin est ancien conseiller à la direction générale du Trésor (ministère de l’Economie)
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Date de publication / Date of publication : 17 juin 2016
Titre de l'article / Article title : Brexit : un révélateur des contradictions européennes
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Le 23 juin 2016, le Premier ministre britannique organise un référendum sur le maintien de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Cette annonce soulève des interrogations quant aux équilibres politiques internes au royaume, à sa prospérité économique et à l’avenir du projet européen.
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