L’auteur présente d’abord un tableau très éclairant des causes de la crise économique en Russie. Puis il s’interroge sur les opportunités que l’économie pourrait offrir pour sortir de l’impasse diplomatique des relations Russie - UE sur fond de guerre en Ukraine.
L’ÉCONOMIE de la Russie commence l’année 2015 en difficile posture. Depuis 2012, la croissance montrait des signes d’essoufflement. Celui-ci a été confirmé en 2013 avec un taux de croissance à peine supérieur à 1 %, loin des ambitions de l’exécutif [1]. L’année 2014 devait être celle du redressement : elle aura été celle du basculement dans la crise. Les résultats préliminaires font apparaître une stagnation du PIB en 2014, tandis que le rouble cédait plus de 40 % vis-à-vis du dollar, diminuant d’autant la valeur en dollars du PIB de la Russie [2]. L’inflation a doublé et dépasse désormais les 11,5 % en rythme annuel. Les taux d’intérêts sont montés à des niveaux tels qu’ils découragent désormais l’investissement privé. Les arrêts et suspensions d’activité, les licenciements et le chômage partiel ont commencé à toucher des secteurs clés, comme la construction et la production automobile. Sapée par la stagflation, l’incertitude et la baisse du pouvoir d’achat, la demande domestique a cessé de croître à l’automne 2014. L’indice de confiance des ménages a décroché à partir du troisième trimestre 2014 et atteint désormais ses niveaux les plus bas depuis 2009. Seul dans ce contexte, le solde extérieur s’est redressé. Cela est lié au décrochage des importations, plus abrupt que celui des exportations sous l’effet du tassement de la demande intérieure, à la dégringolade du rouble et à l’interaction sanctions-contre sanctions.
Pour l’essentiel, les sanctions occidentales dans le cadre de la crise ukrainienne ne sont intervenues que fin juillet 2014. Elles ont ciblé le refinancement à moyen et long terme des principaux acteurs publics des secteurs financier et pétrolier et les transferts de technologies vers le complexe militaro-industriel et vers les industries d’exploitation pétrolière et gazière. Elles ne peuvent être la cause des phénomènes qui sont apparus au premier semestre : atonie de la consommation des ménages et déclin de l’investissement des entreprises, accélération brutale (un doublement en rythme annuel) des fuites de capitaux, effondrement des investissements directs étrangers (-40 % de janvier à juin 2014). A partir de septembre 2014, en revanche, elles ont joué un rôle de catalyseur des difficultés financières des « majors » des secteurs bancaire et des hydrocarbures endettés en devises, qui avaient besoin de renouveler leurs emprunts.
Dans sa dimension systémique, la crise économique subie actuellement par la Russie s’explique par des facteurs qui ne sont pas liées aux sanctions.
Indirectement, les sanctions occidentales ont également contribué au gel de nombre de projets d’investissement ou d’exportation vers la Russie en accélérant le retrait des établissements financiers occidentaux, qui ont préféré le risque de « surconformité » aux règlementations occidentales plutôt que s’exposer aux effets de la « jurisprudence BNP » [3]. Mais dans sa dimension systémique, la crise économique subie actuellement par la Russie s’explique par des facteurs qui ne sont pas liées aux sanctions. Ces facteurs sont les suivants.
. La cause profonde est l’absence de politique de modernisation économique en Russie depuis quinze ans. De 1999 à 2008, le pouvoir s’est contenté de surfer sur la vague montante des prix du pétrole, sans lutter systématiquement contre la polarisation croissante de l’économie autour des secteurs rentiers des hydrocarbures et de la haute finance. En prenant le contrôle des principaux acteurs de ces deux secteurs (les cinq principales banques, le premier producteur de gaz et les principaux producteurs de pétrole hormis Lukoil, sont des entreprises dont les dirigeants sont nommés par le gouvernement), l’État s’était pourtant donné les moyens d’une telle politique. Mais au lieu de la mener à bien, il a contribué à l’amplification et à l’extension aux finances publiques de cette sur-dépendance. Les recettes des budgets locaux et fédéraux ont progressivement dépendu pour moitié des revenus du secteur énergétique. Les dépenses sociales puis militaires, principales bénéficiaires de l’accroissement du budget de l’État, doivent l’essentiel de leur augmentation entre 1999 et 2008 à la multiplication par 15 des prix du pétrole durant cette période.
. Un premier facteur déclencheur est l’élévation du niveau d’incertitude géopolitique et stratégique provoquée par l’annexion de la Crimée en mars 2014, puis le conflit militaire dans le Donbass à partir de mai-juin 2014. Ce climat de conflit a immédiatement exercé un effet de gel sur les courants d’affaires entre l’Europe occidentale et la Russie. Les fuites de capitaux sont principalement le fait d’acteurs économiques russes qui préfèrent placer leurs économies en devises fortes, si possible au delà du rayon d’action d’un pouvoir politique aux décisions jugées imprévisibles. La conjoncture se dégradant, la région apparaît aux entreprises comme une économie de plus en plus risquée produisant des rendements de plus en plus faibles. En conséquence, son attractivité s’effondre. Début août 2014, les contre-sanctions économiques russes à l’égard des pays occidentaux illustrent et aggravent à la fois l’incertitude concernant la politique menée par la Russie. Elles pénalisent les consommateurs russes, en diminuant la diversité et en renchérissant les prix des produits alimentaires (épargnant partiellement les boissons alcoolisées, laissées à l’écart des mesures de rétorsion) [4]. En même temps, elles ont stimulé les comportements d’adaptation de la part des acteurs russes et étrangers, sous forme de maquillage ou de contrebande, exploitant les failles du contrôle administratif et les occasions de corruption. En accélérant l’inflation, l’embargo sur les importations alimentaires a alimenté la défiance progressive de la population envers le rouble, qui a éclaté au grand jour en décembre 2014 sous l’effet d’autres événements.
La forte chute des cours mondiaux du pétrole à partir de septembre 2014 est un facteur aggravant. Elle achève de démentir les prévisions optimistes de nombre d’économistes proches du pouvoir en Russie, pourtant infirmées par le simple raisonnement économique et par les données statistiques qui remontent mois après mois du terrain. Divisant par deux le montant des recettes en devises récoltées par les exportateurs de pétrole et de produits pétroliers, cette chute réduit la base sur laquelle repose la stabilité macroéconomique en Russie. Elle fragilise la situation financière des grandes compagnies énergétiques qui se sont lancées depuis plusieurs années dans d’ambitieux plans de conquête, financés par un endettement en dollars avec pour garantie implicite la poursuite de bénéfices substantiels qui ne peuvent être engrangés que si les cours du pétrole sont suffisamment élevés. A 60 dollars le baril, cette garantie s’affaiblit et la charge financière de l’endettement en devises s’alourdit dans le résultat comptable. Il devient alors d’autant plus important que le taux de change du rouble ne cède pas de terrain face au dollar.
Or c’est précisément ce moment que choisit la Banque centrale de Russie pour annoncer la fin du soutien inconditionnel au taux de change du rouble, qui commence à mordre sérieusement sur ses réserves en devises, lesquelles ne se reconstituent plus à un rythme aussi élevé qu’auparavant. Les autorités monétaires affichent ainsi une confiance excessive dans leur capacité à piloter le taux de change non plus directement par des interventions sur le marché des changes, mais indirectement, via le contrôle de l’inflation. Dans le contexte de l’accélération de l’inflation provoquée par l’embargo sur les produits alimentaires occidentaux, cette politique n’est pas crédible, quel que soit le niveau des réserves de change. Du fait de la libre circulation des capitaux à court terme qui a cours en Russie depuis 2006, la sanction est immédiate : à partir de septembre 2014 la chute du rouble s’accélère par à-coups. On assiste même à un mouvement de panique le 16 décembre 2014, durant lequel les particuliers se précipitent dans les bureaux de change pour convertir leurs roubles en dollars ou en euros, contribuant à la chute du change de 20 % en un jour et forçant la Banque centrale de Russie à relever son taux directeur au niveau prohibitif de 17 %.
L’effondrement de son taux de change appauvrit la Russie. Mais il protège aussi son économie de la concurrence de certaines importations, notamment dans l’industrie des biens de consommation. Les discussions se développent en Russie sur les nouvelles possibilités de substitution aux importations et certains secteurs ont déjà montré des capacités de rebond dans le nouveau contexte concurrentiel. La dépréciation rend également les prix de ses actifs plus attractifs pour les investisseurs étrangers, dont le pouvoir d’achat en devises sur le territoire russe a presque été multiplié par deux en un an. Pour tenter de dessiner le devenir possible de la trajectoire économique de la Russie, il faut s’interroger sur les principaux paramètres qui la gouvernent.
Le modèle de croissance de l’économie russe n’a pas changé : il repose toujours sur la capacité de l’économie à tirer bénéfice d’entrées importantes de devises grâce à des cours élevés des matières premières exportées.
Lors de la précédente chute du taux de change, en 2009, le PIB de la Russie avait connu un plongeon de 8 %, puis avait rapidement rebondi. Ce rebond avait été tiré par la remontée des prix des matières premières, qui avaient retrouvé en quelques mois des niveaux proches de ceux précédant la crise des subprimes. Le modèle de croissance de l’économie russe n’a pas changé depuis lors : il repose toujours sur la capacité de l’économie à tirer bénéfice d’entrées importantes de devises grâce à des cours élevés des matières premières exportées, nourrissant en retour les dépenses publiques, la demande intérieure, les importations et les investissements directs étrangers. L’inertie du modèle de croissance russe implique qu’à court terme, le seul changement susceptible de donner une impulsion significative à l’économie serait le retournement des deux principaux facteurs conjoncturels de crise évoqués plus haut : les cours mondiaux du pétrole et la situation géopolitique.
Début 2014, personne n’envisageait une chute aussi rapide des cours du pétrole au cours du deuxième semestre. A posteriori toutefois, celle-ci peut s’expliquer : la croissance mondiale de la demande a davantage ralenti que prévu, la Chine et l’Europe occidentale ayant largement contribué au tassement des volumes demandés ; les évolutions technologiques et législatives qui ont fait de l’Amérique du Nord un important contributeur à la croissance de l’offre de pétrole sur les marchés mondiaux, ont exercé leurs effets plus rapidement que prévu ; la décision de l’Arabie Saoudite de résister aux pressions de l’OPEP pour limiter les volumes exportés n’était pas non plus aisément prévisible ; la production en Russie, premier producteur et exportateur mondial de pétrole avec l’Arabie Saoudite, a augmenté en 2014, contribuant au gonflement de l’offre, tandis que les nouveaux gisements (dont le méga-gisement de Kachagan, au Kazakhstan) passent progressivement en phase de production un peu partout dans le monde, ce qui laisse anticiper une poursuite de la croissance des volumes exportables ; les marchés mondiaux d’hydrocarbures, extrêmement financiarisés, amplifient la volatilité des cours, à la hausse comme à la baisse. Dans ce contexte hautement instable, nous nous bornerons à envisager quelques scénarios-cadres d’évolution des cours du pétrole pour estimer leur influence potentielle sur l’économie de la Russie.
Si les cours mondiaux du pétrole retrouvent un niveau moyen de 90 dollars en 2015, l’injection supplémentaire de devises dans l’économie russe par rapport à la situation actuelle sera de 100 à 130 milliards de dollars, soit près de 10 % du PIB au taux de change courant. Cette manne permettrait de limiter les effets du choc négatif de demande interne lié à la chute du rouble et aux anticipations négatives concernant la situation géopolitique.
En revanche, s’ils se maintiennent sur l’année au niveau atteint fin janvier 2015 (soit environ 50 dollars le baril), voire s’il chute encore, l’impact de la dégradation conjoncturelle interne ne sera pas compensé par un regain de recettes en devises, même s’il l’on tient compte de la chute du rouble [5]. L’insuffisance de recettes fiscales qui en résultera peut dépasser 10 % du budget, rendant beaucoup plus difficile le soutien à l’économie, les deux fonds souverains constitués lors de la période de croissance des cours étant déjà partiellement mobilisés [6]. Dans ce scénario, l’ampleur de la chute du PIB en 2015 peut atteindre, voire dépasser celle de 2009.
Deuxième paramètre fondamental pour la situation macroéconomique de la Russie, la situation géopolitique est tout aussi impossible à prédire. La complexité des interactions entre l’évolution de la situation sur le terrain et le cours des négociations entre chancelleries est telle que, pas plus que pour les cours du pétrole, il n’est raisonnable de se prononcer sur des probabilités associées à tel ou tel scénario. Dans une étude publiée à l’automne 2014, nous avons simulé les effets sur l’économie russe de l’évolution de la situation géopolitique au travers de trois scénarios de base (scénario 1 : apaisement militaire obtenu par la négociation et l’ouverture de portes de sorties diplomatiques aux belligérants, décrue progressive des tensions entre la Russie et les pays de l’OCDE ; scénario 2 : enlisement de la situation actuelle, sans dégradation militaire marquée ouvrant la voie à de nouvelles mesures diplomatiques ; scénario 3 : nouvelles déflagrations militaires provoquant un regain de tensions diplomatiques et des mesures de rétorsions de type économique entre les pays concernés). A prix du pétrole constants - et élevés par rapport à la situation prévalant début 2015 -, ces scénarios se traduisaient par des écarts de croissance du PIB sur 2015 de 6 % (-3 % à +3 %) entre les deux scénarios extrêmes [7].
Mais ces simulations ne tenaient pas compte de la chute des prix des hydrocarbures, intervenue par la suite et de celle, corrélative, du taux de change du rouble. Compte tenu de ces deux événements, de leur impact macroéconomique et des corrections de politique économique qu’ils induiront en 2015, les estimations précédentes doivent être corrigées à la baisse. La dégradation du moral des ménages russes, mesurée par les enquêtes récente de Rosstat [8], montre d’ores et déjà une situation proche de celle de 2008-2009. Il devient impératif de restaurer un climat de confiance dans l’économie, pour éviter une période prolongée de dépression économique qui aurait des effets sociaux et politiques délétères. Les conseillers économiques de Vladimir Poutine en sont désormais conscients.
Restaurer la confiance implique d’abord de stopper la dégradation actuelle de la situation géopolitique, puis d’en réparer les dégâts sur le climat d’investissement, lesquels sont devenus considérables. Au delà du très court terme, qui est du ressort des diplomates et non des économistes, ceci suppose de trouver un accord sur l’Ukraine qui mette un terme définitif aux sanctions et contre-sanctions.
L’une des faiblesses de l’Union européenne dans sa position de négociation actuelle est l’absence de stratégie post-sanction. Il paraît pourtant évident que pour que l’apaisement dure dans le temps, il faut qu’il soit complété par un nouveau cadre institutionnel, capable de relancer les relations économiques entre l’Union européenne et la Russie. Il faut se souvenir à ce propos que ce sont les inquiétudes de la Russie quant aux conséquences d’une évolution non souhaitée par ses dirigeants de ces relations économiques dans son « étranger proche » – l’extension du cadre normatif de l’Union européenne à l’Ukraine par le biais de l’accord de libre échange complet et approfondi (ALECA) - qui ont alimenté les hésitations [9] du Président ukrainien de l’époque, Victor Ianoukovitch, lesquelles ont conduit aux rassemblements de Maidan suivis des événements dramatiques que l’on sait. Il faut donc apporter une réponse concrète et stabilisatrice à ces inquiétudes, pour éviter de sortir d’une impasse pour tomber dans une autre. Comment ?
Dans le domaine économique, deux voies mériteraient d’être explorées. La première concerne les relations de l’Union européenne (UE) avec l’Union Économique Eurasienne (UEE). En dépit de ses insuffisances de construction et bien qu’il ne soit pas encore abouti du point de vue institutionnel, l’établissement formel, en janvier 2015, de l’UEE donne l’occasion d’établir de nouvelles relations à ce niveau et de dépasser ainsi dans plusieurs domaines le climat actuel de confrontation. Plusieurs sujets d’intérêt commun pourraient être traités à ce niveau : accords commerciaux préférentiels (la fameuse « zone de libre échange de Lisbonne à Vladivostok » proposée un temps par Vladimir Poutine) ; renforcement des coopérations dans les projets d’infrastructures logistiques terrestres Europe-Asie (des projets et des réalisations existent déjà, qui sont portés par des institutions différentes : TRACECA, CAREC [10], BERD, Banque Eurasiatique de Développement) ; programmes d’amélioration la gestion des villes, de l’efficacité de l’administration publique et de la lutte anti-corruption ; développement des coopérations plurilatérales dans le domaine universitaire et de recherche ; programmes pluriannuels communs de modernisation des infrastructures et d’accroissement de l’efficacité énergétique. Dans tous ces domaines, les besoins en investissement sont immenses dans l’ensemble de la région eurasiatique et particulièrement à l’Est. Compte tenu des effets externes qui leur sont associés, l’échelle pertinente de traitement de ces projets est plurilatérale et non bilatérale. En acceptant d’ouvrir ces chantiers communs, l’UE et l’UEE jetteraient les bases d’une coopération économique continentale, ouverte à des partenaires non membres en Europe du Sud Est et en Europe du Nord, mais aussi dans le Caucase et l’Asie centrale, ainsi qu’à la Turquie. Ils ouvriraient d’immenses perspectives pour la relance de l’investissement et d’amélioration de l’équipement des territoires, dont les retombées seraient systémiques non seulement pour la Russie, mais aussi pour l’Europe occidentale.
Deux secteurs cruciaux doivent cependant être exclus de ce format plurilatéral, du fait que la Russie et ses partenaires ne les ont pas intégrés à leurs programmes de coopération au sein de l’UEE. C’est en particulier le cas de la production et de la distribution énergétique et les questions financières. Cette limitation n’implique nullement que ces deux secteurs doivent être écartés des projets de coopération renforcée, mais qu’ils resteront, tant que l’UEE ne sera pas davantage approfondie, du ressort des relations bilatérales. Dans ces deux domaines, l’objectif devrait être de créer les conditions d’une réduction des vulnérabilités associées aux interdépendances. Dans le domaine de l’énergie, la vulnérabilité des fournisseurs de gaz aux dépenses englouties dans les systèmes de transport (les réseaux de gazoducs et, dans une moindre mesure, les installations de stockage) constitue le pendant de celle des distributeurs vis-à-vis d’une réduction non anticipée des volumes servis. Dans le domaine financier, ce sont les modalités de l’interconnexion des réseaux bancaires et financiers entre l’Est et l’Ouest de l’Europe qu’il faut redéfinir de manière à limiter la volatilité des marchés financiers et la vulnérabilité des secteurs bancaires nationaux à des chocs financiers exogènes, à la hausse comme à la baisse. De ce point de vue, les coopérations envisageables pourraient viser la coordination des politiques monétaires et financières dans l’ensemble eurasiatique, dans l’objectif de limiter les effets des mouvements spéculatifs sur les marchés des changes.
Le dépassement de la situation actuelle suppose non seulement de prendre conscience des pertes potentielles d’une prolongation du conflit en Ukraine, mais aussi des nouvelles possibilités qui s’offriraient aux partenaires dans le cas d’un changement durable dans la nature des relations entre la Russie et l’Union européenne. Il est impératif de trouver rapidement des portes de sortie aux parties prenantes du conflit ukrainien, tout en préparant l’après sanctions. Les autorités russes sont conscientes des risques d’aggravation de la situation économique portés par un statu quo diplomatique. De leur côté, les autorités européennes savent qu’elles n’ont aucun intérêt à ce que la Russie plonge brutalement et durablement dans la crise. Tout comme durant l’immédiat après guerre, l’économique peut venir au secours de la diplomatie pour contribuer à allonger l’horizon des décisions politiques et sortir de la loi du talion.
Certes, il ne faut pas se bercer d’illusions et minorer les oppositions qui ne manqueront pas de s’élever contre la conduite d’un agenda économique ambitieux le long des lignes qui viennent d’être évoquées ou d’autres lignes similaires. Mais il serait bien plus naïf et plus dangereux de croire que la solution au conflit actuel en Ukraine puisse reposer sur l’affaiblissement économique de la Russie ou sur un basculement du rapport de force militaire sur le terrain.
Manuscrit achevé le 3 février 2015
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Julien Vercueil est maître de conférences de sciences économiques à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris (INALCO) où il enseigne l’économie des États post soviétiques. Il est directeur de recherches au Centre de Recherches Europes Eurasie de l’institut et rédacteur en chef adjoint de la « Revue de la Régulation ».
[1] Au printemps 2012, Vladimir Poutine fixait l’objectif de croissance du PIB durant son mandat de président à 6 % par an.
[2] Le PIB de la Russie estimé fin janvier 2015 par Rosstat pour l’année 2014 s’établissait à 70975 milliards de roubles. Converti au taux de change du 31 janvier 2015 (70 roubles pour un dollar), ce montant correspondait à 1014 milliards de dollars.
[3] Début juillet 2014, la justice américaine a jugé la BNP coupable d’infraction à la législation sur les sanctions américaines à l’encontre du Soudan et de l’Iran. Elle a fixé l’amende à 6,6 milliards de dollars.
[4] L’effet de l’embargo sur l’indice des prix à la consommation est estimé à +1,5 % en 2014 par les économistes du Centre de prévision de l’économie nationale de l’Académie des Sciences de Russie (Communication de B. Porfyriev au Séminaire Franco-Russe, Sotchi, janvier 2015).
[5] Sur l’ensemble de l’année 2014, la chute des prix du pétrole a dépassé celle du taux de change du rouble. De ce fait, les recettes pétrolières converties en rouble ont chuté de 14 %.
[6] En décembre 2014, le gouvernement a annoncé son intention de mobiliser 18 milliards de dollars puisés dans les fonds de réserve pour renflouer le secteur bancaire.
[7] Vercueil J. : « L’économie russe et les sanctions. Une évaluation des conséquences du conflit ukrainien ». Note de l’Observatoire franco-russe, N°9, novembre 2014.
[8] gks.ru/wps/wcm/connect/rosstat_main/rosstat/ru/materials/
[9] NDLR : on pourrait aussi parler d’un refus de signer l’Accord d’Association avec l’UE.
[10] TRACECA : Transport Corridor Europe-Caucase-Asie ; CAREC : Central Asia Regional Economic Cooperation.
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Date de publication / Date of publication : 15 février 2015
Titre de l'article / Article title : Russie - UE : L’économie peut-elle venir au secours de la diplomatie ?
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L’auteur présente d’abord un tableau très éclairant des causes de la crise économique en Russie. Puis il s’interroge sur les opportunités que l’économie pourrait offrir pour sortir de l’impasse diplomatique des relations Russie - UE sur fond de guerre en Ukraine.
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