Géopolitique interne du Brésil. La cartographie révèle des indicateurs intéressants sur le fonctionnement des municipalités et de leur capacité à être des vecteurs des politiques publiques. Les 5 cartes présentées révèlent les grandes disparités qui caractérisent encore le territoire brésilien, et par conséquent les capacités inégales des gouvernements locaux à planifier, exécuter et contrôler des actions publiques susceptibles de peser sur l’organisation des territoires.
L’ANALYSE et la cartographie des informations sur les municipalités permettent de repérer quelques dimensions du développement local en mettant en relief des indicateurs – parfois préoccupants – sur leur fonctionnement. La base de travail sont des données publiées par l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistique), le Perfil dos Municípios Brasileiros – Gestão Pública), comparables à celles de l’Inventaire Communal, publié naguère par l’INSEE : comme dans celui-ci les données sont déclaratives, elles sont fondées sur les réponses faites aux questionnaires de l’IBGE par les 5 565 communes que compte le Brésil [1].
Comme le nombre de variables est grand, nous en avons choisi quelques-unes portant sur la structure organisationnelle, les aspects juridiques de la planification municipale et surtout sur les ressources humaines disponibles, trois domaines qui indiquent si les autorités locales ont (ou pas) les moyens de faire avancer la réalisation de leurs plans. Dans la dimension organisationnelle on a choisi la capacité à percevoir des impôts et la législation disponible pour la conservation des sites et du patrimoine. Dans la dimension de la planification municipale, l’existence de plans directeurs et de zones industrielles, prévus ou mis en œuvre. Enfin, les éléments sur les ressources humaines portent sur la formation des élus et le nombre des employés municipaux, permanents ou non. Dans le cadre limité de cet article [2] nous ne retiendrons qu’un élément de la première dimension, la perception des impôts locaux, et développerons dans la troisième la question du statut des personnels communaux.
Impôts locaux : les municipalités les plus pauvres et les plus isolées du pays, principalement dans le Norte (nord amazonien), ne les perçoivent pas.
La figure 1 [3] – outre qu’elle situe et nomme les États qui forment la République fédérative du Brésil – montre les municipalités qui perçoivent ou pas les impôts locaux : 5207 le font, 352 non. C’est évidemment l’un des indicateurs-clés de l’autonomie administrative, et la carte souligne que ce sont les municipalités les plus pauvres et les plus isolées du pays, principalement dans le Norte (nord amazonien), qui ne les perçoivent pas. Deux raisons convergentes l’expliquent, l’incapacité à mettre en place un système d’établissement de l’assiette et de collecte des impôts et la conviction des élus que, de toute façon, les habitants ne pourraient pas payer leurs impôts locaux et ne comptent, pour alimenter leur budget, que sur les transferts de l’État fédéral et de l’État fédéré dont la commune fait partie.
Pour concevoir, mettre en œuvre et appliquer leurs politiques, les municipalités doivent pouvoir compter sur une administration efficace, ce qui nécessite une qualification de son personnel et de ses représentants élus, à commencer par le maire. De ce point de vue, il existe de profondes différences entre les régions du Brésil, une grande diversité des niveaux d’études suivies par les élus communaux, depuis des maires qui n’ont pas terminé l’école primaire jusqu’à ceux qui ont obtenu un diplôme universitaire, en passant par ceux qui ont terminé l’équivalent du lycée. Dans la plus grande partie du pays prédominent des deux derniers types, tandis que dans l’état de Piauí, le plus pauvre du pays, compte bon nombre de maires ayant seulement suivi l’enseignement primaire, et pas toujours jusqu’au bout. Une autre information intéressante est la présence – rare – des femmes en politique, elles sont environ 10 % (512 maires de sexe féminin contre 5 046 hommes), mais sans répartition spatiale claire.
Le gouvernement municipal est visiblement une source importante d’emploi dans le Nordeste, contrairement au Sudeste.
La donnée qui aide finalement le mieux à cerner la capacité de gestion des communes est le nombre des employés municipaux par rapport à la population locale, une proportion élevée menant en général à s’attendre à une probable inefficacité. La figure 2 montre une nette opposition spatiale, avec de fortes proportions d’employés pour 10 000 habitants (les cercles y sont colorés de teintes forets) dans le Nordeste (nord-est du pays, sa région la plus pauvre), alors que dans le Sudeste et le Sul (Sud) elles sont plus faibles (et les cercles de couleurs plus claires). Le gouvernement municipal est visiblement une source importante d’emploi dans le Nordeste, contrairement au Sudeste – excepté l’État de Rio Janeiro – où, bien que les chiffres absolus soient beaucoup plus élevés, les proportions sont plus basses car il existe des alternatives d’emploi dans d’autres activités économiques.
Source : IBGE, Perfil dos Municípios Brasileiros – Gestão Pública 2008.
Pour approfondir l’analyse des conditions dans lesquelles travaillent ces employés, on peut distinguer un autre élément, leur statut stable ou précaire, puisque la force d’une gestion municipale dépend en partie de la stabilité de son personnel technique et administratif, qui assure la continuité des activités administratives et techniques alors que chaque élection peut provoquer des changements parmi les dirigeants municipaux. La figure 3 montre que dans le Nord amazonien, le Nordeste et dans l’intérieur de l’État de São Paulo, la proportion des titulaires dans personnel communal est souvent inférieure à 52 % (cercles rouges), alors que dans le District fédéral la proportion d’actifs sous administration directe est majoritaire (cercles verts), ce qui n’a rien de très d’étonnant puisqu’il s’agit de la capitale fédérale, siège des trois branches de l’État brésilien, exécutif, législatif et judiciaire. Les municipalités de Rio de Janeiro et São Paulo sont dans la même situation, ainsi que la plupart des capitales d’État, parce qu’elles ont besoin d’une administration stable. La même chose se produit dans trois États du Sud et leurs projections – via la migration de leurs habitants – vers les régions pionnières du Centro-Oeste (Centre-Ouest).
Fonte : IBGE,Perfil dos Municípios Brasileiros – Gestão Pública 2008.
Pour compléter les effectifs du personnel communal statutaire, deux solutions sont possibles, le recours à des stagiaires ou à des contractuels. La figure 4 montre que la part des stagiaires dans le total des employés municipaux est très forte (cercles oranges et rouges) dans les régions Sul et Sudeste, avec des points de concentration dans les grandes villes universitaires, en particulier à São Paulo, et dans certaines capitales d’États fédérés du Nord-Est.
Avec les stagiaires, le processus de formation devient un éternel recommencement, tous les deux ou trois ans.
Le fait que les meilleures universités publiques et privées du Brésil se situent dans ces régions implique qu’y vivent un nombre élevé d’étudiants, qui recherchent dès la première année universitaire les structures publiques ou privées où ils puissent développer et améliorer leurs pratiques professionnelles. Mais cela peut parfois aller trop loin et il n’est pas rare de trouver des services municipaux constitués uniquement d’un responsable et d’un groupe de stagiaires… Si ce statut est utile pour l’apprentissage de l’étudiant, en lui permettant d’entrer tôt dans le monde du travail, y recourir peut dispenser – au moins en apparence – l’institution publique de chercher à former une main-d’œuvre qualifiée permanente. En apparence seulement, car lorsque le stagiaire atteint un bon niveau dans l’exercice de ses fonctions, il est habituellement sur le point de partir. Le processus de formation devient un éternel recommencement, tous les deux ou trois ans il doit être repris en recommençant à zéro.
Fonte : IBGE, Perfil dos Municípios Brasileiros – Gestão Pública 2008.
L’autre façon de compléter les effectifs des fonctionnaires municipaux permanents est d’avoir recours à des contractuels, engagés de gré à gré sur des contrats temporaires. Comme le montre la figure 5, dans le Nord amazonien, le Nordeste et dans l’État de Rio de Janeiro une forte part des employés municipaux travaillent sans contrat permanent (cercles rouges et oranges) alors que dans les très grandes villes et dans tout le Sudeste et le Sul cette proportion est faible (cercles verts).
Le recrutement des contractuels est fait directement par les autorités municipales, sans mise en concurrence. Il est fréquent que cela ouvre la porte au clientélisme ou même au népotisme.
Ces employés contractuels peuvent occuper des postes de gestion ou de conseil (formant une sorte de cabinet du maire), mais aussi des postes de moindre responsabilité, offerts à des personnes peu qualifiées mais proches du maire, ce qui est bien moins justifiable. Dans tous les cas le recrutement est fait directement par les autorités municipales, sans mise en concurrence, il est fréquent que cela ouvre la porte au clientélisme ou même au népotisme. Celui-ci est légalement interdit mais il n’est pas très difficile de contourner les règles en faisant recruter des parents par d’autres responsables politiques, en échange de services du même ordre à une prochaine occasion. Spatialement le plus grand pourcentage de ce type de recrutement (plus de la moitié du personnel communal, avec des proportions qui peuvent atteindre 97 %) est concentré dans le Nordeste. Outre le favoritisme, le pourcentage d’employés sans contrat permanent peut également être un effet pervers de l’afflux des royalties pétrolières, comme dans l’État de Rio de Janeiro.
Fonte : IBGE,Perfil dos Municípios Brasileiros – Gestão Pública 2008.
La cartographie des très officielles données du Perfil dos Municípios Brasileiros révèle donc des indicateurs intéressants sur le fonctionnement des municipalités et de leur capacité à être des vecteurs des politiques publiques. Ces cartes révèlent les grandes disparités qui caractérisent encore le territoire brésilien, et par conséquent les capacités inégales des gouvernements locaux à planifier, exécuter et contrôler des actions publiques susceptibles de peser sur l’organisation des territoires.
Copyright Juin 2014-Théry/Diploweb.com
Bibliographie
IBGE, Perfil dos Municípios Brasileiros – Gestão Pública 2008, [ibge.gov.br/munic2008/]
MOURA, Rosa. “Gestão desarticulada : políticas urbanas em tempos de ajuste estrutural”, In Spósito, M. E. Beltrão:Urbanização e Cidades, 2001, pp. 331-356.
MELLO-THÉRY, N. A. de ; THÉRY, H. Políticas públicas territoriais e inclusão social. In : Wagner Costa Ribeiro. (Org.), Governança da ordem ambiental internacional e inclusão social. São Paulo, Annablume Editora e Comunicação, 2012, v., p. 199-221.
VITTE, Claudete de Castro Silva. “Planejamento urbano, sustentabilidade urbana e qualidade de vida : considerações sobre o significado de cidade e de cidadania no início do século XXI” In KEINERT, Tânia M. M. e KARRUZ, Ana Paula (orgs.) Qualidade de vida : observatórios, experiências e metodologias, São Paulo, Annablume/Fapesp, 2002. pp. 21-38.
Vient de paraître
Hervé Théry, Le Brésil, pays émergé, Collection Perspectives géopolitiques, éd. Armand Colin, 2014.
4e de couverture
Entre fantasmes exotiques et réalités, le Brésil a toujours suscité un vif intérêt voire une irrésistible attraction, qui s’est accrue ces dernières années : intérêt structurel dans tous les pays développés, notamment en France, en raison de la forte croissance économique de ce géant latino-américain (8,5 millions de km2 pour plus de 196 millions d’habitants) ; intérêt conjoncturel pour un pays qui s’est vu attribuer coup sur coup l’organisation de la Coupe du Monde (en 2014) et des Jeux olympiques (en 2016) ; intérêt politique lié à l’espoir incarné par le charismatique « Lula », et par celle dont il a voulu qu’il lui succède, Dilma Rousseff…
En revenant sur les raisons de la montée en puissance du Brésil, aussi bien sur le plan interne (ressources naturelles et agricoles, population jeune et qualifiée, institutions solides, etc.) qu’externe (jeu géopolitique sur le continent sud-américain, avec les autres pays BRICS, sur la scène internationale), cet ouvrage abondamment documenté, et rédigé par un observateur attentif de la culture brésilienne, dresse le portrait original d’un pays désormais « émergé ».
Voir l’introduction et le sommaire du livre d’Hervé Théry, Le Brésil, pays émergé, Collection Perspectives géopolitiques, sur le site des éd. Armand Colin
Directeur de recherche au CNRS Creda. Hervé Théry est Professeur invité à l’Universidade de São Paulo (USP). Il vient de publier un nouvel ouvrage : Le Brésil, pays émergé, éd. Armand Colin, 2014. hthery aol.com
[1] Soit 6,5 fois moins de communes que la France sur un territoire près de seize fois plus vaste.
[2] Ce texte reprend la partie sur le personnel municipal, d’une communication présentée par Hervé Théry e Neli de Mello-Théry au VIIe Congrès du CEISAL (Consejo Europeo de Investigaciones Sociales de América Latina), intitulé “Memoria, presente y porvenir”, qui s’est tenu à Porto en juin 2013, texte qui sera publié (en portugais) dans les Actes du congrès. Il a été pré-publié sur la carnet de recherche Braises (http://braises.hypotheses.org/).
[3] Ces données ont été cartographiées en utilisant les logiciels Philcarto philcarto.free.fr/) et Cartes et Données (articque.com/solutions/cartes-et-donnees/).
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Date de publication / Date of publication : 10 juin 2014
Titre de l'article / Article title : Brésil : du clientélisme ?
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Géopolitique interne du Brésil. La cartographie révèle des indicateurs intéressants sur le fonctionnement des municipalités et de leur capacité à être des vecteurs des politiques publiques. Les 5 cartes présentées révèlent les grandes disparités qui caractérisent encore le territoire brésilien, et par conséquent les capacités inégales des gouvernements locaux à planifier, exécuter et contrôler des actions publiques susceptibles de peser sur l’organisation des territoires.
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