L’UE se dirige vers des Europe à la carte, à géométrie variable et à plusieurs vitesses, explique Thierry Garcin. A l’approche du XXe anniversaire de l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, le 1er novembre, l’auteur démontre que le ciment fédéraliste n’a pas pris.
PEUT-ON encore vraiment parler d’Union européenne ? Celle qui renverrait à un Grand Tout fédérateur. Le traité de Maastricht, acte fondateur paraphé dès 1991, entra en vigueur le 1er novembre 1993 : on en fêtera cet automne le XXe anniversaire en catimini. D’autant plus que les élections européennes se tiendront au printemps 2014 [1], qu’elles enregistrent toujours des records d’abstention (57 % en 2009) et que des poussées populistes ou anti-européennes sont attendues. Comment en est-on arrivé à cet effondrement de l’intérêt pour la construction européenne ? Pourquoi la crise économique mondiale a-t-elle révélé de durables fractures politiques franco-allemandes ? Les Britanniques finiront sans doute par gagner, adeptes forcenés du seul libre-échange.
Durant les bouleversements internationaux, le traité de Maastricht avait installé l’Allemagne génétiquement fédérale dans une boîte fédérale qui n’existait pas : on l’appela Union européenne (UE), avec une monnaie unique à la clé, retirant à l’Allemagne la puissance de son Deutsche Mark. Vingt ans après, le pari n’a pas été tenu : Berlin est devenu prépondérant dans la plupart des domaines, si l’on excepte politique étrangère et défense. C’est d’ailleurs son cœur de métier : l’unité du pays s’est constituée grâce à la culture (langue) et à l’économie (Zollverein, ou union douanière). Berlin est d’abord un État marchand, raisonnant en sphère d’influence beaucoup plus qu’en termes de frontière. À l’opposé, nombre des 28 membres de l’UE ne peuvent se fédéraliser : leur géographie ou leur histoire s’y refusent, ils sont trop petits, Bruxelles est loin de leur cœur, etc. Bref, le ciment fédéraliste n’a pas pris. Cela, d’autant plus que l’UE s’est elle-même beaucoup fragilisée. Comment ?
1. Par son constant déficit démocratique (on avait fait revoter les Danois en 1993 et les Irlandais en 2002 et en 2009, jusqu’à obtenir la bonne réponse) et par des réformes institutionnelles permanentes : quatre traités entre 1993 et 2009, sans compter le traité constitutionnel de 2005 - étrange projet voulant donner une Constitution à une absence d’État. Les fédéralistes pensaient avancer immanquablement par un phénomène de cliquets. L’extension du vote à la majorité qualifiée (par rapport à la règle de l’unanimité), telle que pratiquée par le traité de Lisbonne depuis 2009, et la rétrogradation du Conseil européen en l’une des quatre institutions, ont ajouté à la complexité de la prise de décision et aux rapports de force entre les « grands » pays, les « moyens » et les « petits ».
2. Par des divisions incessantes en matière de politique étrangère, sur des dossiers clés : Yougoslavie et ex-Yougoslavie, génocide du Rwanda, essais nucléaires français, droits de l’homme, guerre d’Irak de 2003, antimissiles américains en Europe, Union méditerranéenne, question palestinienne, soulèvements arabes… La politique étrangère européenne reste une coquille quasi vide. Le fait est aggravé par l’obsolescence de la relation transatlantique : même si Washington possède des États-clients en Europe, même si la France a réintégré le commandement militaire de l’OTAN (2009), « l’atlantisme de papa » a vécu. Henry Kissinger le disait il y a une vingtaine d’années : à force d’être alliés avec tout le monde, nous ne serons alliés avec personne. Et le projet de traité de libre-échange États-Unis-Europe en sera bientôt une illustration vivante : les Européens y vont déjà désunis.
3. Par des trains d’élargissements démesurés (16 pays en 18 ans ! [2]), soudains et mal préparés. En fait, on n’a pas laissé le temps aux populations de l’ancien Est de se « renationaliser », pensant que l’esprit communautaire allait s’étendre élégamment par capillarité jusqu’aux confins de l’Ukraine. Sans parler de l’absurdité d’avoir intégré Chypre, un État qui n’est pas souverain sur son territoire : un pays candidat (la Turquie négocie même depuis 2005) occupe militairement 38 % d’un pays membre.
4. Par la multiplication délétère des revendications régionalistes indépendantistes [3].
5. C’est surtout la crise économique qui a mis à plat les visées politiques différentes de Berlin et de Paris. Fonds européen de stabilité financière, euro-obligations, dette grecque, fonction de la BCE, recapitalisation des banques, sanctions automatiques, pouvoirs de la zone euro, etc., les oppositions frontales sont légion. Et l’Allemagne est dans son rôle : elle veut contrôler, sanctionner, juger, pour exercer à l’allemande la direction économique de l’Europe. Elle s’attribue même une « responsabilité particulière » (Wolfgang Schäuble). Mais, l’Allemagne n’a ni la volonté ni les moyens de diriger politiquement la nouvelle Europe qui se dessine, elle a d’autre fers aux feux (premier exportateur mondial de 2003 à 2009). Et l’ancien chancelier Helmut Schmidt l’avait remarqué avec courage : les Européens se méfient de l’Allemagne, « sans doute encore pour de nombreuses générations ». Bref, la question allemande reste bien la question européenne par excellence, d’autant plus que les relations franco-allemandes ne sont plus le chas de l’aiguille. Pour des raisons inverses, le Royaume-Uni est lui aussi logique avec lui-même. Le premier ministre britannique, D. Cameron, le répète assez : il n’y a que le marché unique qui intéresse Londres.
Nous n’allons pas vers deux Europe : zone euro versus zone non-euro ; petite Europe vertueuse versus les pays du « club Med » ; reconfiguration du tandem franco-allemand, accompagné de quelques pays nordiques, versus tous les autres. Nous nous dirigeons inexorablement vers des Europe à la carte, à géométrie variable, à plusieurs vitesses, ce que nous avions prévu il y a vingt ans [4]. Cela n’exclura pas des avancées fédéralistes ponctuelles, et d’ailleurs hasardeuses. En un mot, l’Union européenne n’est plus un modèle pertinent : elle ne se suffit plus à elle-même.
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. Voir tous les articles et toutes les cartes sur l’Union européenne disponibles sur le Diploweb.com
. Pierre Verluise, Geopolityka granic Wspólnoty Europejskiej, Wydawnictwo Adam Marszałek, 2014, ISBN : 978-83-8019-016-0
Unia Europejska, światowa potęga gospodarcza, przechodzi kryzys. Obecny brak wewnętrznej jedności i koordynacji jest słabością, zagraża zdolności działania i wpływom UE w coraz bardziej konkurencyjnym świecie. Europa waha się : Partnerstwo ? Z kim ? Czy nadal rozszerzać Unię Europejską ? Czy te rozszerzenia, których już dokonano, były korzystne ? Czy przyjąć Turcję do Wspólnoty ? Co z Rosją ? Jakie zobowiązania mogą wyniknąć z dalszych rozszerzeń ? Badając kwestię granic geopolitycznych Europy, Pierre Verluise przedstawia aktualne rozważania – swoje i nie tylko. Jego nastawienie do badania konkretnych przypadków – Maroka, Turcji, Rosji itd. – sprawia, że lektura tej książki jest zarówno przyjemna, jak i konkretna.
Auteur de Les Grandes Questions internationales, Economica, 2e éd., 2009 et de Géopolitique de l’Arctique, Economica, 2013.
[1] NDLR : Selon le site europarl.europa.eu, « les élections du Parlement européen de 2014 devraient se tenir du 22 au 25 mai 2014, au lieu du 5 au 8 juin, affirme un projet de décision adopté en plénière du 21 mai 2013. Avancer les élections donnerait davantage de temps au nouveau Parlement pour préparer l’élection du Président de la Commission en juillet 2014 ».
[2] NDLR : 3 pays en 1995, 10 en 2004, 2 en 2007 et 1 en 2013, la Croatie.
[3] Thierry Garcin : « Vers une Europe de plus en plus fragmentée ? », Diploweb, 24 août 2011.
[4] Thierry Garcin, La France dans le nouveau désordre international, Bruylant, 1992.
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Date de publication / Date of publication : 4 septembre 2013
Titre de l'article / Article title : Feu l’Union européenne ?
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L’UE se dirige vers des Europe à la carte, à géométrie variable et à plusieurs vitesses, explique Thierry Garcin. A l’approche du XXe anniversaire de l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, le 1er novembre, l’auteur démontre que le ciment fédéraliste n’a pas pris.
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