Le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale se fait attendre mais les questions demeurent. Sans langue de bois, le général d’armée Jean Cot (2S) et Catherine Durandin (IHEDN, 37e session) dialoguent à propos du lien Armée / Nation en France. Cet échange a lieu à l’occasion de la publication du nouvel ouvrage de Catherine Durandin, Le déclin de l’armée française, Paris, François Bourin Editeur, 2013, 266 p.
Jean Cot : Dans ce livre, Catherine Durandin, vous proposez un panorama très vaste, non seulement de l’armée d’aujourd’hui, mais vous abordez aussi des thèmes plus larges comme l’esprit et l’enseignement de Défense, les causes justes, la mort du soldat et beaucoup d’autres.
On ne peut que se réjouir qu’une universitaire porte un tel intérêt à ces questions et en connaisse aussi bien les nuances.
Catherine Durandin : Universitaire, oui, historienne de formation, disciple de Jean Baptiste Duroselle [1] en relations internationales. J’ai été toujours passionnée par le rapport Armée/Nation, la réflexion sur la puissance et sur les évolutions des identités nationales. J’ai beaucoup apprécié mon année passée à l’IHEDN (37e session) et ai eu la chance de servir comme consultante à la Direction aux affaires stratégiques du ministère de la Défense de 1992 à 2010. Ces expériences m’ont amenée à fréquenter, à écouter mes collègues militaires.
Jean Cot : On pourrait relever que vous posez plus de questions que vous n’apportez de réponses mais, après tout, un problème bien énoncé n’est-il pas à moitié résolu ?
Catherine Durandin : Bien sûr des questions sans réponse. La réponse n’appartient- elle pas aux politiques ? Je ne maîtrise pas le budget de la France. Je prends des positions : je m’inquiète du développement des Sociétés Militaires Privées (SMP). J’ouvre des perspectives et propose de réfléchir à une alternative à la suspension du Service National sous forme d’un engagement citoyen d’un an au service de notre société, engagement obligatoire et universel.
Jean Cot : J’ai lu votre livre d’une traite parce qu’il est bien écrit et offre beaucoup plus que ce qu’annonce son titre, « Le déclin de l’armée française » n’étant évoqué que de manière dispersée, presque « entre les lignes ». C’est pourquoi, mis en appétit, j’aimerais que vous reveniez sur ce thème précis, à l’occasion d’un autre écrit.
Catherine Durandin : L’écriture ! Oui écrire me structure, écrire est une manière d’organiser les images et de tracer le fil du sens. C’est pourquoi, j’écris aussi des romans : le dernier Douce France s’inscrit en cette quête de l’identité française à travers trois générations de femmes…Quant au déclin…
Jean Cot : Le déclin ! Si ce déclin évident résultait seulement, aux yeux des citoyens, de l’éloignement de la menace, il suffirait, pour l’endiguer, que le pouvoir développe - ce qu’il ne fait pas - une pédagogie intelligente. Elle montrerait que dans un monde globalisé, les risques et menaces, souvent mal cernés, lointains dans le temps et dans l’espace, n’en sont pas moins réels et vitaux pour la France et l’Europe, et requièrent, parmi d’autres moyens, un outil de défense efficace qui ne saurait être reconstitué au moment du besoin.
Catherine Durandin : Le déclin est indéniable et sans doute n’ai-je pas évité quelques moments de nostalgie en cet ouvrage. Rappelons des faits qui vous sont connus et que vous déplorez : la diminution du budget de la défense qui se chiffre à moins de 1,6 % du PIB, la déflation des effectifs de l’armée de terre en particulier, l’insuffisance des matériels dont témoignent les opérations au Mali, aujourd’hui aidées par les transporteurs et les drones américains. Je souligne longuement le délitement du lien Armée / Nation depuis la suspension du service national votée en 1996. Votre propre analyse des causes de ce déclin ?
Jean Cot : Je crois que l’une des raisons principales de ce déclin vient de la perte de poids et d’influence des hautes autorités militaires dans l’appareil gouvernemental. Cela est d’autant plus préoccupant que les dites autorités semblent s’en accommoder et même avoir été choisies pour cela.
Sans parler du silence assourdissant de ces autorités dans les médias, comment expliquer le passage du militaire au civil de grands organismes à haute teneur stratégique et militaire que sont le SGDSN, la DGSE, la DICOD, la DPSD, la DAS et d’autres encore ? Pourquoi pas demain, sur proposition du contrôle des armées, un haut fonctionnaire CEMA.
Catherine Durandin, OTAN, Histoire et fin ? Ed. Diploweb, 2013
Le livre complet au format pdf. 2,2 Mo
Catherine Durandin : La tendance est à l’extension du contrôle civil sur le militaire. C’est la ligne qui fut d’ailleurs imposée aux candidats à l’intégration dans l’OTAN, ex membres du Pacte de Varsovie, lors de sa mise en œuvre en 1994 du Partenariat pour la Paix.
Je crois de mon côté que le statut social des armées s’est dégradé. Et je constate un fossé entre la médiocrité de la banalité quotidienne au retour des Opérations Extérieures à risque et les motivations, service, honneur, aventure des jeunes recrues engagées. Il est rare qu’après cinq ans, ils renouvellent le contrat.
Enfin, cette perception que l’armée a de son déclin vient du fait que le métier de soldat n’est plus compris : le droit de donner la mort, le risque de la recevoir. La mort du soldat émeut et choque, ponctuellement, comme s’il s’agissait d’un accident qui aurait pu être évité. Que l’éducation nationale s’emploie à intégrer les questions de Défense dans les programmes d’Education civique juridique et sociale (ECJS) ne modifie pas le rapport à la mort, une mort refusée.
Jean Cot : Qu’un général en retraite ose s’exprimer en toute liberté et demander que les directions des organismes de défense, reviennent à des militaires, cela ne peut avoir aucun écho. Si vous vous y engagiez, ce serait autre chose ! Chiche ?
Catherine Durandin : Vous vous méprenez sur l’absence d’écho des écrits et des propos des généraux en retraite. Ces voix venues de la compétence, de l’expérience sont essentielles. Ecouter les généraux, stratèges, humanistes, les lire m’a beaucoup appris. Il y a là une culture militaire vivante.
En tant qu’universitaire, citoyenne et écrivain, j’ai voulu me faire la porte parole « des blues » de nos armées. Car ces mécontentements, ces frustrations et ces désenchantements sont ceux de larges parties de la société qui s’interrogent sur leur République, leur Nation et sa sécurité. Le déclin, c’est un affaiblissement de leur pays que ressentent nombre de Français. Alors, c’est de remobilisation dont il faut parler, de mémoire, d’éducation et d’espoir. Du bonheur, pourquoi pas, d’être français et de sa signification.
Tournons la page du déclin.
Copyright Mars 2013-Cot-Durandin/Diploweb.com
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Catherine Durandin, Le déclin de l’armée française, Paris, François Bourin Editeur, 2013, 266 p.
4e de couverture
L’armée française est en danger.
Avec l’avènement d’une armée de soldats professionnels, le lien tissé par la conscription entre le soldat et le citoyen s’est délité.
De l’Afghanistan à la Libye en passant par la Côte d’Ivoire, le soldat est ignoré, les blessés oubliés. L’armée, isolée en son code d’honneur et sa discipline, a le blues. Elle subit également de plein fouet les effets des économies de budget.
Paradoxalement, les citoyens très attachés à la garantie de leur sécurité, se satisfont des rituels bien huilés des commémorations, du 14 juillet au 11 novembre. Les Français restent sensibles à la mise en scène de la puissance nationale.
Mais s’en tenir aux parades militaires, c’est s’aveugler. C’est ignorer que la conduite de la guerre se privatise : voici venue l’époque des mercenaires et des sociétés militaires privées.
Faut-il renoncer ainsi à l’engagement citoyen en faveur de la défense des valeurs démocratiques ? Une prise de conscience de la réalité des menaces du temps présent est nécessaire. Le déclin de l’armée française est-il vraiment inéluctable ?
. Sur le site de François Bourin éditeur, lire le premier chapitre du livre de Catherine Durandin, Le déclin de l’armée française.
Jean Cot, général d’armée (2S). Ancien commandant de la 1ère armée, de 1990 jusqu’à 1993. Il a été à la tête de la Forpronu (Force de protection des Nations unies) en ex-Yougoslavie de juillet 1993 à mars 1994. Catherine Durandin est écrivain, historienne. Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, Agrégée d’Histoire, Docteur es Lettres. Diplômée de roumain, INALCO. Auditrice IHEDN, 37 éme session. Conseiller scientifique du Centre géopolitique.
[1] Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994) a été professeur à l’Institut d’études politiques de Paris de 1946 à 1983, et professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne à partir de 1970. Jean-Baptiste Duroselle est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont : « Les Relations internationales de 1968 à nos jours », Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1978, 256 p. « Politique extérieure de la France. La décadence (1932-1939) », Paris, Imprimerie nationale, 1979, 568 p. « Tout empire périra. Théorie des relations internationales », Paris, Publications de la Sorbonne, 1981. « Politique extérieure de la France. L’abîme, 1939-1945 », Paris, Imprimerie nationale, 1982-1986, 611 p.
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,Date de publication / Date of publication : 8 mars 2013
Titre de l'article / Article title : Déclin de l’armée française ? Dialogue Jean Cot – Catherine Durandin
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Le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale se fait attendre mais les questions demeurent. Sans langue de bois, le général d’armée Jean Cot (2S) et Catherine Durandin (IHEDN, 37e session) dialoguent à propos du lien Armée / Nation en France. Cet échange a lieu à l’occasion de la publication du nouvel ouvrage de Catherine Durandin, Le déclin de l’armée française, Paris, François Bourin Editeur, 2013, 266 p.
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