"La Russie de Poutine", par le CEDUCEE

Depuis son lancement en janvier 2000, la nouvelle formule du Courrier des pays de l'Est s'affirme de mois en mois. La livraison d'avril 2000 propose fort à propos un dossier consacré à La Russie de Poutine. Le premier article, signé de Jean-Robert Raviot, s'intitule Le triomphe de l'ordre établi. Le deuxième, sous la plume d'Isabelle Facon, analyse L'armée et la seconde guerre de Tchétchènie. Marie-Agnès Crosnier, rédactrice en chef, présente ensuite un bilan nuancé d'une décennie de Réformes économiques en Russie. Des dérapages à l'embardée. Enfin, la rédaction rassemble un choix d'articles sur le conflit tchétchène.

La section articles et documents propose un bilan des privatisations dans les pays de la CEI et une synthèse à propos des coûts économiques et humains de la guerre du Kosovo, de 1998 à 2000.

Enfin, la section portrait dépeint sous la plume d'Hervé Gicquiau Maïak, le géant du nucléaire militaire russe.

Marchandages en coulisses

L'article de Jean-Robert Raviot, Le triomphe de l'ordre établi, voit dans l'élection de Vladimir Poutine "un tournant, celui du retour à l'ordre, plébiscité par les électeurs" (p. 4). Pour autant, l'unanimité des élites autour du nouveau président ne lui semble pas acquise avec certitude sur le long terme.

L'analyse des élections du 19 décembre 1999, pour le renouvellement des représentants de la Douma d'Etat, donne l'occasion d'une étude des mœurs politiques. "La pratique montre que les clivages politiques ou idéologiques ne jouent aucun rôle à la Douma. […] Le Kremlin exerçant un effet magnétique sur la vie politique et parlementaire, la confrontation de la Chambre basse avec le pouvoir exécutif s'apparente à une mise en scène destinée à masquer les marchandages qui s'opèrent en coulisse" (p.5). En fait, "la majorité des électeurs semble consentir à la domination d'une classe dirigeante qui combine et agrège le pouvoir économique et le pouvoir politique et respecte les procédures formelles de la démocratie. Pour cette classe dirigeante, le métier d'homme politique, plus qu'une vocation, est un passage, une obligation née de l'ambition de s'élever dans la hiérarchie ou dans la nécessité de consolider une position acquise. C'est la raison pour laquelle ne peut exister en son sein, ni règle éthique intangible, ni véritable clivage qui ne soit fondé sur des conflits d'intérêts et des rapports de force" (p. 10)

J-R. Raviot détaille la hiérarchie de l'oligarchie qui gouverne maintenant la Russie. Quelques oligarques se disputent l'appropriation du patrimoine de l'Etat, par le biais des privatisations dont les occidentaux attendaient - ou pour certains espèrent encore - des miracles. Pour ce chercheur, "les oligarques demeurent sur la défensive. Après avoir prêté allégeance au nouveau Président, ils bloqueront désormais toute initiative qui ne servirait pas leurs intérêts" (p. 21). Enfin, V. Poutine doit s'imposer aux chefs d'administration régionale. Ce qui renvoie à l'immensité, à la diversité et à la complexité du plus grand territoire du monde.

Vers un renouveau militaire ?

De son côté, Isabelle Facon s'attache à discerner les évolutions de l'armée russe, au vu de son attitude lors de la seconde guerre de Tchétchènie. Il semble que la réforme militaire récemment engagée commence à porter ses fruits. "Le programme de réforme militaire adopté met l'accent sur la rationalisation et l'optimisation de la structure des forces, par la suppression des structures redondantes au profit de formations moins nombreuses, mais mieux entraînées, mieux équipées, dotées de personnels plus compétents"(p. 33). Ainsi, l'armée russe que l'on se plaisait à décrire à l'abandon commence à présenter un nouveau visage, mieux entraînée et davantage coordonnée. Il faut noter qu'Isabelle Facon a publié "La politique de sécurité de la Russie : entre continuité et rupture", éd. Ellipses.

A l'occasion de son étude des Réformes économiques en Russie, Marie-Agnès Crosnier met évidence des résultats contradictoires et met en perspective le débat concernant l'aide occidentale. A son sujet, l'auteur se demande : "Est -elle justifiée alors que le pays dégage chaque année des excédents confortables de ses échanges avec l'extérieur et que des capitaux, plus que suffisants pour assurer le service de la dette, ont été placés dans des paradis fiscaux ou des banques occidentales ?" (p. 49) Chaque mois, 5 à 10 milliards de dollars quitteraient clandestinement la Russie, par exemple via des contrats off-shore portant sur des ventes de ressources naturelles ou des activités touristiques, non sans relations parfois peu conventionnelles avec des partenaires occidentaux. Ce qui, outre les considérations dites politiques, pèse parfois lourd dans la pérennité d'une "aide" que beaucoup savent discutable à bien des égards.

Pierre Verluise

"Le Courrier des pays de l'Est", le numéro : 12 euros. L'abonnement d'un an (10 n°) : France, 106 euros ; Europe, 113 euros ; autres pays, 120 euros. Il est possible de commander à l'adresse suivante : http://www.ladocfrancaise.gouv.fr