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Roumanie et Bulgarie: quels défis ?  

par P. Verluise, spécialiste de géopolitique

 

Un rapport de l'UE conduit à s’interroger: combien d’années – voire de décennies – seront  nécessaires pour que ces deux nouveaux Etats membres se dotent de capacités administratives à la hauteur des défis démocratiques, économiques et sécuritaires que tous les pays de l’Europe communautaire doivent relever? 

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La Roumanie et la Bulgarie sont membres de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2007. Ces deux pays sont beaucoup plus pauvres que les membres de l’ex-UE15. L’UE devra donc faire durant plusieurs décennies un effort de solidarité, mais quels enseignements tirer des programmes communautaires déjà financés durant la phase de pré-adhésion ? Par ailleurs, quelles sont les incidences de ce nouvel élargissement sur la sécurité des frontières extérieures de l’Europe communautaire ?  

La Cour des comptes de l’Union européenne pointe des défis pour aujourd’hui et demain. Après avoir audité les projets d’investissement du programme Phare en Roumanie et en Bulgarie, son rapport[i]  publié le 26 juillet 2006 met les pieds dans le plat : la Commission européenne et les autorités nationales y sont publiquement épinglées.  

Audit

L’adhésion à l’Union européenne de la Bulgarie et de la Roumanie, le 1er janvier 2007, confère un intérêt particulier à ce document. L’audit a porté sur des projets achevés ou en voie d’achèvement faisant partie des programmes nationaux Phare 2000, qui auraient dû être clôturés fin 2003, mais dont certains se sont poursuivis jusque fin 2005. Les montants du programme Phare pour la période 2000-2004 étaient de 511 millions d’euros pour la Bulgarie et de 1,4 milliard d’euros pour la Roumanie. 

Certes, la Cour des comptes concède au point III de sa synthèse que «Les projets audités étaient généralement conformes aux objectifs globaux de Phare en matière d’investissement, à savoir faciliter l’alignement sur les règles et les normes de l’UE ou apporter une assistance dans le cadre de programmes de cohésion économique et sociale (CES). La Cour a également obtenu l’assurance que, dans leur ensemble, les projets avaient été réalisés conformément aux conditions des marchés de fournitures et de travaux.»

 

Un projet sur deux pose question 

Cependant, dès le point IV de sa synthèse, la Cour des comptes fait observer que «Dans plus de la moitié des projets d’investissement audités, les biens n’avaient pas été affectés à l’usage qui leur était destiné, ou ne l’avaient été qu’en partie seulement. Par rapport au calendrier prévu, les réalisations et les résultats accusaient un retard considérable, allant parfois jusqu’à deux ans. Ces insuffisances étaient dues à un déficit constant des capacités administratives, mais aussi des ressources nationales. Cela montre que les autorités nationales doivent encore fournir des efforts importants afin de mener à bien les projets et d’atteindre les objectifs qui leur sont sous-jacents.» 

La Cour des comptes distribue ensuite les mauvais points: la Commission est explicitement nommée, alors que les pays en passe d’adhérer sont critiqués de façon plus indirecte.

 

Critiques de fond

Au point VII de la synthèse, «la Cour formule des critiques concernant trois aspects particuliers de la gestion globale des projets d’investissement pratiquée par la Commission:

- cette dernière a surestimé la capacité de gestion des pouvoirs publics bulgares et roumains et a souvent fixé, en accord avec ces pays, des objectifs et des délais trop ambitieux,

- elle a négligé les principes de durabilité et de cofinancement,

- elle n’a pas tenu suffisamment compte de la valeur ajoutée et de l’effet catalyseur escomptés du concours Phare dans les activités menées par des institutions financières internationales.» 

Dans ses réponses publiées à la fin du rapport cité, la Commission reconnaît que «la mise en oeuvre des programmes Phare a souffert des insuffisances de la capacité administrative de la Roumanie et de la Bulgarie dans de nombreux secteurs, ce qui a entraîné des retards dans l’exécution de certains projets. Néanmoins, la Commission souhaite souligner que, depuis l’année de programmation 2000, la capacité administrative des autorités bulgares et roumaines s’est améliorée, bien qu’elle n’ait pas atteint le niveau souhaité, et dans le cadre du programme pluriannuel 2004-2006, une attention spécifique a été accordée à cette question.»  

La nécessité d’une amélioration de la capacité administrative n’a pas échappé à la Cour des comptes. En effet, son rapport épingle les autorités roumaines et bulgares, à travers les points d’incohérences mis à jour. Il est vrai que, à la date de l’audit (printemps 2005), plus de la moitié des projets n’étaient pas exploités comme prévu.

 

L’informatique a bon dos

Ainsi, le renforcement du ministère public en Bulgarie laisse entrevoir une modernisation insuffisante de la justice, donc de l’Etat de droit. «Ce projet visait spécifiquement la modernisation de tous les parquets aux niveaux central, régional et local. L’aide à l’investissement (valeur totale du contrat: 1,8 million d’euros) comprenait la fourniture de matériel informatique et de mise en réseau, ainsi que la mise en place d’un système unifié d’archivage des informations (SUI). Le logiciel SUI avait été fourni en 2003 mais n’était utilisé que dans l’un des huit parquets visités. Un certificat de réception finale pour le logiciel SUI n’avait pas été délivré au moment de l’audit, en mai 2005, car son fonctionnement était entaché d’un trop grand nombre d’erreurs. […] C’est pourquoi, dix-huit mois après la date cible fixée pour l’achèvement (fin 2003), le nouveau système unifié d’archivage se trouvait toujours en phase de test et ne pouvait pas encore jouer son rôle d’outil important dans la lutte contre le crime organisé et la corruption. La complexité, la faisabilité technique et la compatibilité avec les systèmes existants avaient été sous-estimées lors de la conception du projet par la Commission et les autorités bulgares» (points 20, 21 et 23).

Après avoir dénoncé l’efficacité insuffisante des pépinières de PME implantées dans des zones de déclin industriel en Bulgarie, la Cour des comptes pointe du doigt les responsables: «L’absence de progrès était essentiellement due à la faible capacité de mise en œuvre des autorités nationales. C’est la faible capacité administrative qui, pour l’essentiel, explique également l’annulation d’un autre projet dans le secteur des PME» (point 28).

 

Une piscine «véritablement hideuse»

La Roumanie n’est pas en reste. Après avoir étudié les projets d’infrastructures locales et régionales dans ce pays, la Cour des comptes note: «Un projet était intitulé "Modernisation et développement de l’infrastructure touristique à Piatra Neamt" (valeur du marché: 2,3 millions d’euros). L’infrastructure avait été réalisée conformément au marché de travaux. L’intitulé du projet prêtait toutefois à confusion, car la zone rénovée ne comportait guère d’élément susceptible d’attirer les touristes. Les principaux éléments financés étaient constitués par un pont et une route de 3 km, tous deux situés à l’extérieur de la zone de loisirs et régulièrement utilisés par le trafic local. La zone "touristique" proprement dite est une installation de loisirs principalement utilisée (au printemps et en été) par les habitants de la région. En outre, le site comporte une piscine olympique vide et détériorée, véritablement hideuse. La zone dénommée «le Strand» (la plage) n’a donc l’air qu’à moitié rénovée et n’a pu contribuer à la création de nouveaux emplois en attirant les touristes, comme cela était prévu» (point 30).

 

De nouvelles menaces aux frontières de l’UE 

Parce que l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie déplace une nouvelle fois les frontières extérieures de l’UE, la Cour des comptes aborde ensuite la question de sécurité aux frontières. 

En Roumanie, la situation frise le surréalisme. En effet, « Selon la police des frontières roumaine, deux des bateaux de patrouille fluviale (coûtant chacun 300 000 euros) ne pouvaient être utilisés dans le delta du Danube durant l’hiver, c’est-à-dire pendant deux à trois mois chaque année, en raison du gel du fleuve. Les spécifications techniques mentionnaient pourtant que les bateaux devaient pouvoir être utilisés jour et nuit, à travers la glace brisée et à des températures comprises entre – 15 et 45 degrés. » (point 49 c) Autrement dit, le matériel financé par le contribuable européen sera inutilisable un quart de l’année. A condition d’être bien équipés contre le froid, les trafiquants ont dès cet hiver d’intéressantes opportunités devant eux.

De surcroît,  « En l’absence de garantie quant à la mise à disposition de ressources pour remplacer ou réviser du matériel ou des éléments qui atteignent la fin de leur vie utile, par exemple les moteurs des bateaux utilisés pour les patrouilles fluviales en Roumanie, il existe un risque que les équipements utilisés aux frontières et qui ont été audités ne soient plus pleinement opérationnels lorsque la Bulgarie et la Roumanie adhéreront à l’Union européenne (ou même à l’espace Schengen) et que leurs frontières constitueront une partie de la frontière extérieure de l’UE. » (point 50) 

Ubu roi

En Bulgarie, la situation est aussi ubuesque, puisque « Le service national de police des frontières (SNPF), a indiqué que le financement national de la maintenance du système de radiocommunication après l’expiration de la période de garantie n’avait pas été budgétisé. En outre, les composants électroniques des systèmes de surveillance infrarouge devraient être renouvelés après cinq à sept années de service. Or, en 2007, les caméras de thermovision auront été en service pendant cinq ans ». (point 46) La Cour des comptes note, de surcroît un défaut de formation du personnel. Ce qui risque de réduire à la fois le bon usage du matériel, sa longévité et les opportunités de coopération européenne.

Enfin, « La police des frontières bulgare prévoit des problèmes d’entretien des véhicules tout-terrain. La marque introduite par le soumissionnaire ayant remporté le marché n’a pas de service d’entretien local. La voiture de service habituelle du SNPF est un véhicule de construction russe, coûtant le tiers du prix du type de véhicule financé par le programme Phare et dont les pièces détachées sont meilleur marché. Les règles de Phare relatives à l’origine européenne interdisent toutefois l’achat de véhicules hors UE ou dans des pays candidats. » (point 48)  

 

Vers un espace Schengen amoindri ?

Ces éléments méritent réflexion. La Bulgarie et de la Roumanie sont en charge d’une partie de la frontière extérieure de l’UE. Et chacun sait qu’il suffit d’un maillon faible pour briser une chaîne. Tout le monde comprendra pourquoi ces deux pays n’ont pas été immédiatement intégrés à l’espace Schengen. D’autant que les Etats entrés en 2004 ne sont toujours pas intégrés à l’espace Schengen, sous des prétextes techniques qui cachent leur impréparation. Reste que les experts se pose déjà la question : les élargissements de 2004 et 2007 induisent-ils à terme un espace Schengen dégradé ? Quelques experts avancent qu'il existe des garanties suffisantes pour l'éviter. Reste à savoir si les administrations et les politiques sauront les faire jouer. Une seule certitude, les citoyens de l’Europe communautaire aspirent à la sécurité.  

Ce rapport conduit à s’interroger: combien d’années –voire de décennies– seront  nécessaires pour que ces deux nouveaux Etats membres se dotent de capacités administratives à la hauteur des défis démocratiques, économiques et sécuritaires que tous les pays de l’UE doivent relever? 

La lecture in extenso de ce rapport conduit à deux réflexions: d’une part, les institutions communautaires -ici la Cour des comptes- sont capables de produire des documents qui font abstraction de la langue de bois. Ce qui offre au citoyen les moyens de suivre de façon documentée les grands projets européens. D’autre part, ce rapport illustre de façon limpide les limites du volontarisme communautaire. Contrairement à ce que l’on voudrait trop souvent faire croire, vouloir n’est pas toujours pouvoir. Et à trop vouloir, on réduit parfois sa puissance…

Une prise de conscience tardive de cette problématique conduit maintenant à s’interroger sur les capacités de l’UE à intégrer de nouveaux candidats.  

Pierre Verluise

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[i] «Rapport spécial n°4/2006 relatif aux projets d’investissement dans le cadre de Phare, en Bulgarie et en Roumanie, accompagné des réponses de la Commission (2006/C 174/01)», Cour des comptes, Journal officiel de l’Union européenne, disponible à l’adresse http://www.eca.europa.eu/audit_reports/special_reports/docs/2006/rs04_06fr.pdf

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Date de la mise en ligne: janvier 2007

 

 

 

   

 

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