Une catastrophe inévitable : Saint-Martin (Antilles), une île à risques majeurs

Par Yvette VEYRET, le 29 octobre 2017  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Yvette Veyret, professeur émérite des Universités, géographe. Elle vient de co-signer avec Richard Laganier et Helga-Jane Scarwell, « L’environnement. Concepts, enjeux et territoires », Paris, éd. Armand Colin. Cette étude est née d’une conférence donnée par Y. Veyret aux étudiants d’Hypokhâgne de l’ENC Blomet.

Au terme d’une étude géographique rigoureuse, Y. Veyret pose les questions éludées par la couverture médiatique de la catastrophe de Saint-Martin.

L’ILE DE SAINT-MARTIN, appartenant aux Antilles du Nord a enregistré début septembre 2017 le passage du cyclone Irma classé 5 sur l’échelle Simpson-Saffir, ce qui signifie des rafales de vents dépassant 249 km/h sur une minute. Les cyclones sont des phénomènes naturels fréquents aux Antilles, mais Irma, de très forte intensité, a eu des conséquences dramatiques qui ont entraîné la destruction des aménagements de l’île et provoqué plusieurs victimes. Face à un aléa de caractère récurrent, comment expliquer de telles conséquences ? L’aléa est-il seul en cause ? Ou faut-il envisager un effet accru d’usages discutables et pour beaucoup inadaptés du territoire ? L’éloignement de grands centres qui pourraient intervenir très rapidement pour aider les populations à faire face à la crise, ne constitue-t-il pas un facteur aggravant, d’autant que le territoire de Saint-Martin de très faible dimension n’offre pas tous les équipements attendus et nécessaires pour gérer une crise du type de celle que l’île vient de subir ? Un tel processus peut-il se reproduire ? Faut-il reconstruire Saint-Martin et à quel prix ?

Une catastrophe inévitable : Saint-Martin (Antilles), une île à risques majeurs
Saint-Martin et Sint Maarten (Antilles), une île partagée de 88 km2
Assemblée nationale

Doc n°1 Saint-Martin et Sint Maarten (Antilles), une île partagée de 88 km2 (Rapport à l’Assemblée Nationale 2014)

I. Statut de Saint-Martin : une collectivité d’outre mer originale

Saint-Martin, petite ile des Antilles du Nord (doc n°1) compte deux parties, l’une hollandaise et l’autre française. La partie française, 53 km2, a été érigée en Collectivité d’Outre-Mer (COM) relevant de l’article 74 de la Constitution, par la loi organique n°2007-223 (21 février 2007), modifiée en 2010 (loi organique n° 2010-92). Saint-Martin précédemment rattachée administrativement à la Guadeloupe comme simple commune, dispose donc désormais d’une organisation administrative, d’un dispositif de compétences et d’un régime législatif propres. La collectivité de Saint-Martin est dotée d’un Conseil territorial élu au suffrage universel, d’un Président assisté d’un conseil exécutif. La collectivité dispose d’un conseil économique, social et culturel. Un préfet délégué, représentant de l’Etat, est en charge des intérêts nationaux, du respect des lois et des traités, de l’ordre public et du contrôle administratif. Saint-Martin dispose d’un tribunal d’instance et d’un vice-procureur de la République. La collectivité exerce et cumule les compétences précédemment dévolues à la commune, au département et à la région de Guadeloupe. Elle est de plus, attributaire de compétences d’Etat, concernant notamment les impôts, droits et taxes,- la circulation routière et les transports routiers, - le droit domanial, - l’accès au travail des étrangers, - le tourisme, - l’urbanisme, la construction, l’habitation et le logement, (il n’est en rien question des risques pourtant bien connus) - l’énergie. Elle n’a pas de compétences en matière d’environnement. Le rôle de l’État en matière d’environnement consiste à veiller à l’application des lois et à mettre en oeuvre les politiques publiques dans les domaines concernés. Cependant la collectivité de Saint-Martin détient la possibilité d’adapter les lois et règlements en vigueur en matière d’environnement, aux spécificités de l’ile de Saint-Martin.

La Collectivité Territoriale de Saint-Martin apparaît « à l’avant garde de la République décentralisée" par ses responsabilités accrues et des moyens plus importants, parmi lesquels le statut fiscal.

Les statuts français et européens de Saint-Martin et de Sint Martens

Les régions ultra périphériques (RUP), telle Saint-Martin, font partie intégrante de l’Union européenne, le droit communautaire leur est pleinement applicable. Les RUP sont définies depuis 2009 à l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’UE. La RUP Saint-Martin est aussi une collectivité d’outre mer (COM) à laquelle s’applique trois droits : le droit local (compétences de la Collectivité), le droit national français et le droit européen. L’article 74 distingue, au sein des COM, celles qui "sont dotées de l’autonomie" et les autres. Les assemblées locales peuvent élaborer des règlements relevant du domaine de la loi, à l’exclusion des matières régaliennes, (défense, police, justice, trésor) assurées par l’État français.

Les RUP se distinguent des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) auxquels appartiennent saint Barthélémy et Sint Maarten qui ne suivent qu’un droit, le droit local. Les PTOM ne font pas partie intégrante du territoire de l’Union européenne, mais leurs habitants sont des citoyens européens. Les PTOM ont un statut d’association avec l’UE et reçoivent des aides du Fonds européen de développement (FED), instrument principal de l’aide communautaire à la coopération et au développement. Ils bénéficient aussi de l’aide de la Banque européenne d’investissement (BEI) et participent à certains programmes communautaires (éducation, environnement, santé, transports)

La partie néerlandaise, Sint Maarten, est un « pays autonome » à l’intérieur du Royaume des Pays-Bas. Sint Maarten a un pouvoir de décision propre sur toutes les affaires intérieures et en réfère au Royaume des Pays-Bas dans les domaines de la défense, des relations extérieures, ainsi que dans certains aspects des fonctions judiciaires. Le souverain des Pays-Bas, chef de l’Etat est représenté par un Gouverneur. Sint Maarten a un Parlement démocratiquement élu et un cabinet dirigé par un Premier Ministre.

II. Un paradis touristique récent et aujourd’hui en crise

1. Le tourisme à Saint-Martin

Le territoire de Saint-Martin est devenu dans la seconde partie du XXe siècle, un « paradis touristique » (Chardon 1995). Dès les années 1960, de riches Américains achètent des résidences secondaires dans la zone des Terres Basses et quelques hôtels de luxe sont construits dans la partie hollandaise. Au cours de la décennie suivante de gros complexes sont implantés dans la partie hollandaise alors que la partie française stagne faute d’investisseurs. La troisième étape est celle de l’accélération de la croissance des années 1980 et du renouveau économique et démographique de la partie française insufflé par la loi Pons (1986). Celle-ci ouvre « droit à une réduction d’impôt sur le revenu pour une durée de cinq ans dans le cas d’un investissement réalisé par un particulier dans un territoire d’outre mer et à une déduction du résultat imposable pour une durée de dix ans dans le cas d’un investissement réalisé par une entreprise, le tout sans procédure d’agrément ou de contrôle urbanistique ». Cette loi a entraîné une véritable « révolution touristique et résidentielle » dans les années 1980 (Sanguin, 1982). En une décennie, le nombre de chambres à Saint-Martin est multiplié par huit, tandis qu’il n’est multiplié que par deux à Sint Maarten (Chardon, 1995). Cette activité a provoqué un changement démographique majeur en entraînant un afflux massif de population du côté français pour la construction et le tourisme. Le travail au noir sévit à tel point, que le procureur de Basse-Terre (Guadeloupe) jugeait « d’esclavagiste » la situation de l’île (GITSI, 1996). Mais dans les années 1990, le développement touristique s’essouffle, les populations immigrées demeurent, certaines travaillent alors dans la partie hollandaise de l’île contribuant à son développement et à son enrichissement. L’euphorie économique engendrée par la défiscalisation s’est rapidement dissipée.

2. Les difficultés du début des années 2010

Les difficultés récentes résultent à la fois du passé déjà évoqué, du changement de statut de l’île, et des problèmes internationaux (crise économique…). La collectivité doit faire face à plusieurs types de difficultés : une population jeune et le maintien des courants migratoires même moindre que lors des décennies précédentes, un retard de développement manifeste ; la paupérisation d’une partie importante de la population et une délinquance préoccupante.

Evolution de la population de Saint-Martin de 1974 à 2010
Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau de l’évolution de la population de Saint-Martin de 1974 à 2010. Réalisation : Y. Veyret pour Diploweb.com
Veyret/Diploweb.com

Le poids d’une population immigrée largement paupérisée constitue une difficulté importante. La part de cette population est difficile à établir faute de statistiques précises. On admet qu’en 2010, 12 394 étrangers vivaient à Saint-Martin, ce qui représente alors environ le tiers de la population totale. La plupart de ces étrangers sont originaires de la zone Caraïbe (77 %), en particulier d’Haïti (47 %), de la Dominique (16 %) et de République dominicaine (6 %). 16 % de la population étrangère est européenne. Une partie de la population immigrée a quitté son pays à la suite de catastrophes naturelles. Une part non négligeable n’a pas de formation professionnelle. L’île française se caractérise par une forte délinquance. Les statistiques renvoient l’image d’une société confrontée à une insécurité croissante. Entre 2003 et 2013, on a noté une hausse de 39% de la délinquance.

3. « Une autonomie prometteuse » mais de nombreux dysfonctionnements

La politique de Saint-Martin doit satisfaire la population qui attend l’amélioration de ses conditions de vie. Or cette demande sociale demeure aujourd’hui insatisfaite.

a. Une communauté très endettée

Les représentants de la Direction générale des finances publiques (DGIP) ont estimé le besoin de trésorerie de la collectivité à 35 millions d’euros. Or la question qui se pose ne concerne pas tant la dette considérable de Saint-Martin que les capacités de la COM à la rembourser. Pourquoi une telle situation ? La COM a cessé de bénéficier des avances mensuelles de l’État correspondant au produit voté des impositions revenant aux régions, départements et communes. En outre, depuis le changement de statut, les dépenses de personnel ont fortement augmenté dans l’île.

Avant 2007, la commune de Saint-Martin, rattachée au département de la Guadeloupe, bénéficiait d’une exonération douanière et fiscale en raison de son statut de port franc adopté en 1850 par le Conseil privé de la Guadeloupe, situation confirmée en 1946, puis reconnue par le code des douanes communautaires. Les habitants de Saint-Martin n’ont pas été assujettis à l’octroi de mer, l’administration fiscale en a déduit que la TVA n’était pas applicable à Saint-Martin qui pourtant perçoit les versements du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Seule la perception de la TVA en matière immobilière a été mise en œuvre après décision du Conseil d’État en 2005.

En 2007 un nouveau système fiscal a été établi. Plusieurs impôts ou taxes existants ont été abrogés : – l’impôt sur la fortune ; – la TVA qui n’était pas appliquée ; – la taxe sur les salaires ; – l’imposition forfaitaire annuelle des sociétés ; – la redevance télévision ; – la taxe d’habitation ; -la taxe professionnelle. Ont en revanche été maintenus : l’impôt sur le revenu qui s’applique selon des modalités proches de celles en vigueur en métropole, avec toutefois une réduction de 40 % dans la limite de 6 700 euros ; – l’impôt sur les sociétés dont le taux est fixé à 22,22 % mais dont l’assiette est similaire à celle applicable en métropole…. Parmi les impôts locaux, certains ont été maintenus ou aménagés c’est le cas de la taxe foncière. Enfin, de nouvelles impositions ont été créées en 2010, la taxe générale sur le chiffre d’affaires (depuis 2013, son taux a été porté à 4 % pour les services ; – le droit de licence et la contribution des patentes…). Nonobstant la notion d’impôt restant mal connue de la population, des comportements d’incivisme fiscal sont fréquents.

Pour certains, les choix opérés par la collectivité en matière fiscale (suppression de certains impôts, baisse du taux de l’impôt sur les sociétés...etc.) expliquent en grande partie l’insuffisance de recettes fiscales. La Cour des Comptes estime ainsi que « la politique mise en place par la collectivité de Saint-Martin a eu des répercussions sur les recettes fiscales collectées (...). La politique de concurrence fiscale avec la partie néerlandaise de l’île, Sint Maarten, a été pour partie à l’origine d’une sensible aggravation des problèmes budgétaires et financiers de Saint-Martin ». Pour la collectivité en revanche les difficultés sont liées aux opérations d’assiette, de recouvrement et de contrôle à la charge de l’État.

b. Les difficultés économiques et sociales à Saint-Martin avant le passage du cyclone Irma

Le rapport de l’Assemblée Nationale (op.cité) souligne qu’il « est particulièrement difficile de disposer d’une vision globale de la situation économique de Saint-Martin » faute de statistiques. Le PIB de Saint-Martin de la fin des années 1990 a été évalué à 421 millions d’euros, soit environ 14 500 euros par habitant (il est inférieur de 39 % à la moyenne métropolitaine et de 21 % au PIB par habitant de Sint-Maarten). Le recul de la fréquentation touristique de l’île notamment à la suite des cyclones de 1999 et 2000 a conduit à la fermeture de nombreux établissements hôteliers. En 2012, l’offre hôtelière de Saint-Martin a reculé de 43,6 % par rapport à 1998, de nombreux hôtels ayant été transformés en immeubles d’appartements. La catégorie des foyers fiscaux déclarant un revenu supérieur à 18 750 euros ne représentait que 6,9 % de l’ensemble (contre 27,4 % en Guadeloupe, 34,4 %à Saint-Barthélemy et 43,6 % en métropole (rapport Assemblée Nationale). La reprise récente (avant septembre 2017) de l’activité touristique est cependant encore insuffisante, le taux d’occupation des chambres n’a été que de 49,8 % en 2012, tandis que le taux de rentabilité est estimé à 60 %. On peut considérer que le taux de chômage à Saint-Martin s’établit en mars 2014 à 27,1 % de la population active.

III. Un territoire soumis à de nombreux aléas et caractérisé par une très forte vulnérabilité

1. Une île exposée à de nombreux aléas

a. Saint-Martin, une île sur la trajectoire des cyclones

Saint-Martin, une île sur la trajectoire des cyclones
Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation : Y. Veyret pour Diploweb.com
Veyret/Diploweb.com

Le cyclone s’accompagne d’une hauteur des vagues accrue, d’une surcote barométrique, de la baisse de pression atmosphérique produisant une élévation du niveau de la mer (– 1 hPa = + 1 cm) et de l’effet du vent qui entraîne l’accumulation d’eau marine au contact des côtes (Paskoff, 1996, cité par V. Duvat 2008). La succession des cyclones aux Antilles est longue (doc n°3). Parmi ces évènements, les plus récents qui ont marqué Saint-Martin sont LUIS (1995, catégorie 4) et en 1999, à un mois d’intervalle, JOSE et LENNY (respectivement de catégorie 1 et 4) qui se sont caractérisés par de fortes précipitations. LUIS a provoqué de gros dégâts sur les littoraux, en raison des vagues qui ont dépassé les 10 mètres et d’une surcote de l’ordre de 2 m. Le total pluviométrique lors du passage de JOSE s’établit à 498 mm (station de Marigot) en 48 heures. Lors du passage de LENNY, outre la force des vents, les précipitations ont dépassé celles de JOSE un mois plus tôt, atteignant en deux jours, 866 mm à Marigot. Le ruissellement torrentiel et les mouvements de terrain ont fortement affecté l’île.

Ainsi les cyclones peuvent provoquer de gros dégâts en raison de la force des vents, ou/et par suite d’inondations catastrophiques et de mouvements de terrain si de fortes pluies se produisent. C’est sur les littoraux que l’effet des cyclones est le plus important en raison de l’importance des vagues, de la surcote. Dans le cadre du changement climatique, les cyclones peuvent soit se multiplier dans le futur, soit se renforcer, il est donc nécessaire d’envisager cette évolution dans les pratiques d’aménagement et d’usage du territoire (rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, GIEC, 2014).

b. Le relief de l’île de Saint-Martin, un facteur de risque

Le relief de l’île caractéristique des Petites Antilles présente de nombreux mornes (collines), des pentes fortes qui réduisent les espaces plats aux zones littorales où se concentrent historiquement les principales zones habitées. L’île de Saint-Martin ne comporte pas de cours d’eau permanents. Lors des fortes précipitations, les nombreuses ravines sont empruntées par des écoulements torrentiels. Les côtes basses de Saint-Martin composées pour la plupart de cordon sableux et de lagune sont très exposées aux cyclones. En raison de leur étroitesse (25 à 400 m de largeur) et de leur faible altitude (1 à 3 m. ), les cordons littoraux sont facilement submergés par les vagues de tempête, et que dire du possible déroulement d’un tsunami sur de tels reliefs ? La forte pluviosité souvent associée aux cyclones provoque des inondations dans les zones basses. Le niveau des eaux peut monter fortement dans les lagunes dont le débordement affecte alors les cordons sableux. Ce phénomène d’inondation a été aggravé par le remblayage partiel de nombreuses lagunes. (V. Duvat, 2008)

c. Une île sismique

Les Petites Antilles subissent régulièrement des mouvements sismiques. Saint-Martin a enregistré un séisme d’intensité V, le 8 février 1843. Depuis, de nombreux séismes ont été ressentis avec une intensité faible mais l’ensemble de l’arc antillais attend une secousse de forte magnitude. La collectivité de Saint-Martin est classée au niveau maximum de sismicité au niveau national. Les règles de construction para-simiques doivent être respectées par tous les constructeurs.

Pourra-t-on continuer à prendre en charge les dysfonctionnements coûteux (que l’Etat n’a pas su ni pu empêcher) dont on voit mal comment ils cesseraient si l’on n’oblige pas la population à quitter les espaces les plus dangereux ?

2. Une très forte vulnérabilité

a. Les effets de l’insularité et de la séparation en deux entités.

La vulnérabilité résulte d’abord du caractère insulaire de Saint-Martin, de l’éloignement de l’île par rapport aux grands centres bien équipés (armée, police, corps de pompiers, médecins d’urgence…) pouvant encadrer la population lors du déroulement des crises. En outre l’exiguïté de l’île, toute entière soumise à l’aléa qu’il soit climatique ou sismique justifie la difficulté de définir des espaces moins exposés voire protégés où la population pourrait se réfugier en cas de crise. La séparation en deux entités d’un territoire aussi exigu constitue aussi un handicap, l’amont de certains bassins versants se situant à Sint Maarten et l’aval à Saint-Martin qui doit gérer le trop plein d’eau en cas de fortes pluies, ne facilite pas la gestion de l’aléa. Un autre facteur tient à la forte densité de population plus de 600 habitants au km2 et beaucoup de population très jeune. La vulnérabilité tient à la paupérisation d’une partie non négligeable de cette population qui vit dans des quartiers informels, mal construits où le bâti fragile est soumis aux risques de submersion, d’inondation (Quartier d’Orléans par exemple) et aux vents violents (doc n°4). Cette population ne dispose pas des connaissances suffisantes en matière de risques et n’a pas les moyens de se protéger efficacement.

b. Les caractéristiques topographiques

Les caractéristiques topographiques de l’île, dont la partie centrale très accidentée est peu propices à la construction, et d’un accès difficile, ont poussé historiquement la population à s’établir à proximité immédiate du littoral, voire les « pieds dans l’eau ». Des ensembles d’habitations ou d’activités économiques sont installés directement sur les cordons dunaires. Ces zones arrivant à saturation, l’urbanisation progresse sur les hauteurs. Saint-Martin voit désormais se multiplier la construction sur les mornes, notamment dans l’agglomération de Marigot, parfois à proximité immédiate de ravines qui sont fréquemment comblées lors des travaux. Les abords des zones humides (étangs) ont eux aussi été assez largement grignotés par des aménagements sauvages, ce qui a amoindri leur capacité à absorber l’eau des précipitations, déjà réduite par les phénomènes d’envasement [1].

c. L’anarchie de la construction à Saint-Martin, est un facteur majeur de vulnérabilité

Le seul document d’urbanisme en vigueur est un très ancien Plan d’occupation des sols (POS), peu ou pas respecté, y compris par les autorités publiques. Un projet de Plan local d’urbanisme (PLU) existe désormais mais que faire des constructions « de fait » ? Les occupations illicites cesseront-elles avec ce nouveau document ? La mission de l’Assemblée Nationale (op.cité) souligne que le cadastre est « dans un état dramatique ». La préfète déléguée indique un nombre ridiculement faible de permis de construire déposés à Saint-Martin (moins de 200 par an) alors même que la construction a été très considérable au cours des décennies écoulées. Selon les conclusions du rapport de l’Assemblée Nationale, il ne « serait pas excessif de considérer que plus de la moitié du patrimoine bâti sur Saint-Martin l’a été de manière irrégulière et dans des espaces particulièrement dangereux » comme en témoigne le quartier de la Baie Orientale, sur la côte est de l’île où sont construits de nombreux hôtels et locations estivales. Dans le quartier de Grand-Case, sur la côte ouest, hôtels et restaurants ont été construits directement sur la plage, le quartier dit « Sandy Grounds » situé au sud-ouest de Marigot, constitué pour l’essentiel d’habitations en dur construites de manière anarchique, se situe à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer, sur un mince cordon entre le littoral et la grande lagune de Saint-Martin. Pour la population, et de nombreux élus, il est possible de construire partout y compris dans la zone « des cinquante pas géométriques ». Constitués d’une bande de terrain de 81,20 mètres de large déterminée à partir de la limite du rivage, les « cinquante pas géométriques », création de Colbert, définissent une bande littorale alors utilisée à des fins militaires pour la protection des habitants, elle appartenait au domaine public de l’Etat. Au fil du temps, des parcelles de terrain de la zone des « cinquante pas » ont été appropriées notamment après la promulgation de la loi n° 55-349 du 2 avril 1955, qui a placé cette zone dans le domaine privé de l’Etat, la rendant aliénable et prescriptible. La loi littorale n° 86-2 du 3 janvier 1986 a de nouveau classé la zone des « cinquante pas » dans le domaine public maritime de l’Etat, interdisant toute cession et toute appropriation privée. Mais les terrains appartenant à des personnes privées ou publiques pouvant justifier de leur titre de propriété, ne font pas partie du domaine public maritime de l’Etat. La loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone des « cinquante pas géométriques » dans les départements d’outre-mer conduit à la régularisation de la situation des occupants sans titre en leur permettant d’acquérir le terrain qu’ils occupent à usage d’habitation principale, afin d’améliorer la salubrité d’immeubles souvent construits dans des conditions précaires. Elle vise par ailleurs à assurer une meilleure protection des espaces naturels encore non construits et situés dans le domaine public, et en confie la gestion au Conservatoire du littoral.

IV. Un début d’application des règlements métropolitains en termes de risques mais une efficacité réduite

1. L’établissement de documents réglementaires

Un Plan de prévention des risques naturels (PPRN) approuvé en 2011 prend en compte l’ensemble des aléas naturels (inondations, mouvements de terrains, séismes et cyclones), il a été approuvé en 2011 (Doc n°4, 5 et 6).

Saint-Martin, carte du Plan de prévention des risques naturels, l’aléa d’inondation
PPRN

Doc n°4 Carte du PPRN, aléa inondation (2011).

La carte de l’aléa inondation (doc n°4) du PPRN souligne que les espaces littoraux particulièrement dangereux sont densément occupés, l’inondation ainsi définie relève des torrents et paraît envisagée à minima. Les autres types d’inondations (submersion marine) ne sont pas intégrés au document.

Carte de Saint-Martin, extrait du Plan de prévention des risques naturels, l’aléa cyclonique
PPRN

Doc n°5 carte du PPRN, aléa cyclonique.

La carte (doc n°5) du PPRN figurant l’extension potentielle des effets de l’aléa cyclonique minimise fortement ce dernier. Prend-elle en compte les vents violents dont l’effet peut concerner l’ensemble du territoire ? Quel type de cyclone (1 à 5 ?) justifie la délimitation faite ici des espaces potentiellement dangereux ?

Ces cartes d’aléas sont faites « à minima » pour répondre à la loi française et éviter toute poursuite des responsables en cas de déroulement de la crise, elles ne correspondent pas aux réalités du danger en cas de cyclone majeur notamment et de forte inondation. La situation de septembre 2017 avec Irma en témoigne largement.

Les deux cartes du PPRN n’indiquent rien sur un possible tsunami aux Antilles et dont les effets seraient désastreux sur les littoraux de Saint-Martin.

Saint-Martin, carte réglementaire du PPRN
PPR

Doc. n°6 La carte réglementaire du PPR de Saint-Martin [2]

Saint-Martin, légende de la carte réglementaire du PPRN, le zonage à intégrer au plan local d’urbanisme

L’examen de la carte réglementaire (doc n°6) opposable au tiers, fait une part réduite aux zones rouges, les plus dangereuses construites ou non. Ce qui limite d’autant l’intérêt du PPRN comme moyen de connaissance du risque pour les populations concernées. L’essentiel du territoire est bleu y compris quand l’aléa est défini comme fort (cyclone, submersion marine..) ce qui signifie que l’espace est constructible, certes avec des aménagements préalables. Le PPRN stipule que son existence ne remet pas en cause l’obligation pour les sociétés d’assurance d’étendre leurs garanties concernant les biens et activités, aux effets des catastrophes naturelles (code des assurances, articles L.125-1 à L.125-5). Toutefois, « cette obligation ne s’impose pas à l’égard des biens immobiliers construits et des activités exercées en violation des règles administratives en vigueur et tendant à prévenir les dommages causés par une catastrophe naturelle (code des assurances, article L.125-6). Il en ira ainsi des biens immobiliers et des activités nouvelles créées en violation du présent PPR ». Il est évident que de telles dispositions devraient éviter les constructions « sauvages ». Le régime d’assurance des catastrophes naturelles (dit CAT NAT) et le Fonds Barnier sont opérationnels dans les COM. Néanmoins, à Saint-Martin toutes les personnes affectées par Irma ne seront pas indemnisées. En effet, la garantie « catastrophe naturelle » prévoit la prise en charge des dégâts subis par les logements, les véhicules, les commerçants, les artisans, les entreprises, les biens des collectivités locales dès lors qu’ils sont assurés par un contrat d’assurance dommages. Or les populations les plus paupérisées, les populations sans papier dépourvues du contrat d’assurance ne seront pas prises en charge.

Le « plan de submersion rapide » (PSR) a été lancé après les événements catastrophiques survenus sur la façade Atlantique du territoire métropolitain lors de la tempête Xynthia, et lors des inondations rapides du Var en 2010. Le PSR est, en théorie, pleinement applicable dans les DROM mais de l’avis des experts rédacteurs du rapport cité « Il s’agit, dans le cas de Saint-Martin, d’un domaine particulièrement critique au regard du succès du PSR » (Rapport n° 15120-15032-01 (IGA) et009151-02 (CGEDD)

La COM travaille à l’élaboration d’un dossier d’information territoriale sur les risques majeurs (DITRIM) et d’un plan territorial de sauvegarde (PTS). Selon le rapport n°15120-15032 CGEDD (Evaluation du plan de prévention des submersions rapides dans les Outre-Mer) la population est historiquement très sensible aux risques liés aux cyclones, mais la perception du lien entre comportements et risques, notamment en matière d’urbanisation sauvage est, elle, plus ténue.

Le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) a réalisé, entre 2011 et 2014, les microzonages sismiques de la collectivité territoriale de Saint-Martin. Cette action a été menée dans le cadre de la première phase du Plan séisme Antilles, en partenariat avec la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DEAL) de la Guadeloupe. Une cartographie des différentes réponses du sol des territoires des Îles du Nord a été réalisée L’analyse des effets induits, tels que la liquéfaction et les mouvements de terrain, y est intégrée. Une étude de vulnérabilité en particulier des bâtiments à usage d’habitation sur les territoires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy complète cette analyse. Les microzonages sismiques doivent être pris en compte dans l’aménagement et la construction d’un territoire, par le biais de l’outil réglementaire que constitue le PPRN.

La carte du zonage spécifique de Saint-Martin indique les zones de réponse sismique homogène. Pour chacune des zones, les paramètres des spectres de réponse élastiques sont précisés, permettant aux bureaux d’étude et architectes de dimensionner leurs ouvrages. Des cartes d’aléas mouvement de terrain et liquéfaction pour les territoires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont également été produites.

Consciente de l’ampleur des risques la COM de Saint-Martin lors d’une conférence sur l’environnement tenue en Guadeloupe en 2016 a proposé les avancées suivantes, certes utiles mais quelque peu dérisoires par rapport à la situation de crise survenue en septembre 2017 :
. « La mise en place d’un nouveau radar, qui viendra appuyer les prévisions de Météo France et du département météorologique de St-Maarten et qui permettra de coordonner nos actions de prévention, d’information et d’alerte.
. La mise en place d’un système automatisé d’observations météorologiques (AWOS) qui permettra de disposer d’une méthode supplémentaire d’acquisition et de diffusion de renseignements météorologiques fiables et de développer la connaissance des phénomènes climatiques et de leurs occurrences pour une meilleure appréhension du risque.
. L’installation d’une station marégraphique qui viendra compléter le réseau de stations de surveillance du niveau de la mer de l’Arc antillais et permettra d’améliorer le dispositif d’alerte du risque tsunami.
. La sensibilisation de la population et la diffusion d’informations fiables ».

2. Des questions majeures en guise de bilan

De cette liste de préconisation il ressort que Saint-Martin est une île totalement sous équipée en moyen de détection, de suivi des aléas et d’alerte à la population. Comment dans ces conditions prévenir en temps utile la population, la mobiliser afin qu’elle puisse contribuer à une gestion acceptable de la crise ? Il serait certainement très utile que les deux parties de l’île associent leurs efforts, mettent en commun leurs pratiques de gestion du risque et de la crise. Des discussions paraissaient être en cours avant la catastrophe de septembre 2017 qui va peut être favoriser une association plus étroite.

En dépit d’une connaissance croissante des aléas par la COM et des efforts dans les années récentes pour prendre en compte les risques naturels, une proportion importante de la population permanente mais également de passage (touristes) est exposée à des risques sismiques et à des risques de submersion rapide et d’inondations également rapides en cas d’épisodes de pluies torrentielles ou cycloniques. La catastrophe de septembre 2017 à Saint-Martin était tout à fait prévisible d’autant que les cyclones de la fin du XXe siècle et notamment le cyclone Luis (1995) qui avait déjà provoqué des dégâts considérables, aurait dû permettre une réflexion sur les aménagements de l’île, sur l’importance des risques. La mémoire du risque paraît bien courte à Saint-Martin !

Dans un tel contexte d’urbanisation dense et anarchique dans des espaces particulièrement dangereux, il n’est pas surprenant qu’un aléa de forte intensité ait eu les conséquences que l’on sait en septembre 2017. Les hommes, l’histoire et les gouvernements successifs de la métropole en sont d’abord responsables et si l’ensemble de l’île a été fortement affecté par le cyclone Irma, les populations paupérisées ont plus que d’autres subi cet aléa.

Il est évident aussi que la reconstruction réalisée, notamment grâce à l’intervention de la métropole, tout recommencera et cela peut- être à très court terme. La question qui se pose ainsi est de savoir si l’on peut, si l’on doit continuer à vivre dans un territoire aussi exigüe où de toute évidence il est bien difficile de mettre la population à l’abri…et dans un espace aussi éloigné de grands pôles capables de venir en aide rapidement aux populations malmenées par la crise. Comment mettre la population à l’abri alors que soit les constructions ne répondent pas aux normes en vigueur (s’agissant de leur localisation comme de la construction proprement dite), soit elles sont inadaptées, dangereuses dans les quartiers pauvres ? Quelle peut être l’efficacité d’un PSR ou d’un PPRN dans un contexte où la population et pas seulement la population pauvre, mais les hôtels, les villas de prestige…sont principalement installés dans les espaces les plus dangereux, sinon éventuellement de faire prendre conscience à cette population des risques encourus et d’être conforme aux réglementations françaises ? Car la protection en cas de crise demeure forcément problématique : où se réfugier ? Comment survivre dans un contexte de crise où l’eau potable manque ? On rejoint la question bien connue quand il s’agit de gérer le risque, faut-il se protéger par des travaux très coûteux et souvent peu efficaces (digues notamment..) ? Faut-il s’adapter (constructions sur pilotis par exemple pour réduire l’effet des inondations) ou faut-il reculer, abandonner les espaces les plus dangereux, ce qui dans de nombreux espaces littoraux de l’île serait la sagesse ? Si dans bien des cas, le profit économique passe avant la gestion du risque, dans un territoire comme Saint-Martin les choix effectués engagent une population importante et des financements de l’Etat, lesquels témoignent de la solidarité qui prévaut en France lors des catastrophes naturelles. Cette solidarité impose une gestion tendant autant que faire se peut à réduire le risque sur les territoires concernés, or jusqu’ici ce n’est en rien le cas de Saint-Martin où des cyclones violents peuvent pourtant survenir chaque année, où un tsunami peut se produire…Pourra-t-on continuer à prendre en charge les dysfonctionnements coûteux (que l’Etat n’a pas su ni pu empêcher) dont on voit mal comment ils cesseraient si l’on n’oblige pas la population à quitter les espaces les plus dangereux ?

Copyright Octobre 2017-Veyret/Diploweb.com


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Bibliographie pour l’étude de Saint-Martin, par Yvette Veyret
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