Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.
L’étude des représentations est une véritable caractéristique de l’analyse géopolitique. Patrice Gourdin commence son propos par un document de référence d’Yves Lacoste puis liste trois questions structurantes d’une démarche géopolitique. Après avoir construit sa démonstration sur de nombreux exemples, P. Gourdin propose de concentrer l’étude sur le poids symbolique de certains lieux ; le sentiment national ; les différends hérités de l’histoire ; l’oppression (ou le sentiment d’oppression) ; le messianisme ; la volonté de puissance.
"Les discours de Machiavel étaient assez solides,
et pourtant il fut facile de les réfuter :
et ceux qui l’ont fait
n’ont pas laissé moins de facilité à réfuter les leurs."
Montaigne, Les Essais, Livre II, Chapitre XVII (édition de 1595)
La troisième phase de l’analyse géopolitique étudie ce qu’Yves Lacoste appelle les “représentations géopolitiques”. En effet,
« pour comprendre un conflit ou une rivalité géopolitique, il ne suffit pas de préciser et de cartographier ses enjeux, il faut aussi essayer […], surtout quand les causes sont complexes, de comprendre les raisons, les idées de ses acteurs principaux […], chacun traduisant et influençant à la fois l’état d’esprit de la partie de l’opinion publique qu’il représente. Le rôle des idées – même fausses – est capital en géopolitique car ce sont elles qui expliquent les projets et qui, autant que les données matérielles, déterminent le choix des stratégies. Ces idées, nous les appelons des REPRÉSENTATIONS [sic]. Si ce terme est employé maintes fois […], c’est que, par ses significations premières et sa richesse de sens, il correspond particulièrement bien à deux caractéristiques majeures des idées géopolitiques. D’une part, représenter (rendre présent), “montrer d’une manière concrète“ (définition du Robert), c’est d’abord dessiner [sic] ; or, les idées géopolitiques se réfèrent à des territoires, c’est-à-dire aux cartes qui en sont les représentations, de la même façon qu’un tableau représente un personnage. D’autre part, la représentation est l’acte par excellence du théâtre, l’acte qui rend présents symboliquement personnages et situation dramatique, ce qui est aussi le propre des idées géopolitiques. Peut-être ce sens de “tenir la place de quelqu’un, d’agir en son nom“ est-il à l’origine de l’utilisation diplomatique et politique de la “théorie de la représentation“, selon laquelle la souveraineté nationale s’exprime par ses représentants. Fondamentalement, aujourd’hui, ce dernier sens n’est pas le plus important dans les représentations géopolitiques ; c’est souvent le sens cartographique qui domine. Mais il ne faut pas minimiser pour autant la représentation au sens théâtral, car c’est en termes de drame que sont pensés la plupart des conflits géopolitiques, chacune des nations impliquées prenant symboliquement les atours d’un personnage (“la France“, “l’Allemagne“ etc.) ; la représentation historique de leurs rapports, la façon de raconter les causes de leurs conflits relèvent de la tragédie. Voilà pourquoi le terme de représentation est, dans les analyses géopolitiques, particulièrement utile dans ce qu’il a d’ambigu et riche de sens [1] ».
Ayant abordé la question des représentations cartographiques dans la première partie, nous nous attacherons ici à la seconde acception, celles des représentations en tant qu’idées utilisées par les différents protagonistes pour définir leurs objectifs dans la confrontation, élaborer leurs stratégies en vue d’y parvenir et justifier leurs comportements. Autrement dit, il faut rechercher dans les argumentaires développés par les parties en présence la réponse à trois questions : pour quoi chacun lutte-t-il ; comment entend-il y parvenir ; pourquoi se comporte-t-il de telle manière ?
Prenons l’exemple des “Musulmans“ de Bosnie-Herzégovine durant la guerre de 1991-1995 contre la Serbie. Pour légitimer leur revendication d’indépendance et justifier leur combat, ils se définissaient comme différents des Serbes et des Croates, l’islam étant devenu leur principal marqueur identitaire durant la période titiste. Or, depuis la fin du XIXe siècle, Serbes et Croates mobilisaient l’histoire, la linguistique et l’ethnographie pour démontrer le contraire. Les Serbes invoquaient la communauté de langue pour affirmer une appartenance ethnique commune. La “différence” aurait été le fruit de “trahisons” successives : la conversion des Bosniaques à l’islam au moment de la conquête turque, l’oppression des paysans serbes par les propriétaires bosniaques, la participation aux exactions antiserbes des oustachis durant la Seconde Guerre mondiale (la Bosnie-Herzégovine faisait partie de la Croatie fasciste d’Ante Pavelic et les “Musulmans“ étaient considérés comme partie intégrante du peuple croate). Les Croates, pour leur part, rappelaient que la région faisait partie de leur royaume originel, celui créé par le roi Tomislav, au Xe siècle, ce qui attestait de la même appartenance ethnique. De nombreux habitants de la Bosnie auraient été des Bogomiles, donc des hérétiques, chrétiens romains à l’origine, convertis à l’islam pour échapper aux persécutions. Bref, là où les Bosniaques voyaient des caractéristiques identitaires justifiant leur volonté d’indépendance, les Serbes, comme les Croates, trouvaient des points communs qui légitimaient leurs propres visées annexionnistes. Enfin, le poids des souffrances subies par tous “justifiait” le recours à la violence généralisée [2]. Aucun ne prenait en considération ni la totalité des caractéristiques, ni la somme de divergences et de convergences qui existaient, pour souligner la complexité de la situation et préconiser une solution pacifique
Autre exemple, celui des Arabes du Darfour. Dans cette province du Soudan, tous les habitants sont musulmans et les ethnies se sont mêlées depuis des siècles, donc le clivage entre les différents groupes ne se fait pas sur ces critères. Mais les modes de vie diffèrent et la population se partage entre “Arabes“, nomades ou semi-nomades, pour la plupart et “Africains“, essentiellement sédentaires. Ceux-ci attribuèrent les morts de la famine de 1984 à ceux-là car ils savaient que l’un des leurs, Ahmed Diraige, avait demandé en vain aux dirigeants de Khartoum – des Arabes de la vallée du Nil – de les aider. En outre, ces derniers (ou des Libyens) avaient distribué aux nomades des armes avec lesquelles ils attaquaient les paysans noirs : ils étaient donc également responsables de la guerre civile qui se mettait en place. A contrario, pour les éleveurs nomades, les paysans noirs, dont l’islam passait pour douteux, constituaient l’obstacle à leur survie qu’il convenait d’éliminer. En outre, parut en 2000 un Livre noir [3] démontrant, chiffres à l’appui, la marginalisation des Noirs dans la société soudanaise. Ainsi s’imposa dans les esprits, sans fondement biologique, une césure ethnique, qui cristallisa les ressentiments, alimenta les craintes réciproques et contribua beaucoup au déclenchement des affrontements [4].
Dernier exemple, celui des Libanais : les plus lucides constatent l’absence d’une vision commune de leur histoire et en font l’une des causes de la persistance de ces tensions intercommunautaires qui les menèrent à la guerre civile en 1975 et entravèrent le retour à la stabilité politique en 2007-2008. Certaines écoles chrétiennes font remonter l’histoire du Liban aux Phéniciens, mais beaucoup d’écoles musulmanes taisent les épisodes antérieurs à la conquête arabe et à l’islamisation. Selon l’appartenance confessionnelle et la région de résidence, on dit que, durant la période ottomane, le pays fut « occupé », « assujetti » ou une « principauté ». Pour certains, le mandat français (1920-1943) se réduit à une colonisation, pour d’autres, il mérite d’être considéré comme une administration, voire s’élève au rang de modèle stimulant. Une tentative de rédaction de manuels scolaires dépolitisés, analysant en profondeur la guerre civile, échoua en 2000, de même que plusieurs tentatives ultérieures. D’aucuns pensent que la Syrie porte la responsabilité de cet échec : elle ne voulait pas favoriser la définition d’une identité nationale libanaise que toute sa politique visait à nier [5]. Mais cet échec n’étaye-t-il pas la thèse syrienne ; ne démontrerait-il pas, sinon l’inexistence, du moins la fragilité du sentiment national libanais ?
Il importe fort de se défier de l’histoire évoquée par les protagonistes, car elle se trouve, dans bien des cas, volontairement ou involontairement déformée. En effet, si l’histoire fournit des références à chaque nouvelle génération et contribue à forger le sentiment national, elle peut aussi esquiver l’élucidation des points litigieux ou alimenter les controverses. Dans ce cas, il faut se méfier, car telles les fractures de l’écorce terrestre, les failles de l’histoire peuvent rejouer et provoquer des séismes de plus ou moins grande amplitude.
Dans le souci, a priori louable, d’éteindre les ressentiments et d’entretenir une concorde plus ou moins fragile, nombre de gouvernements occultent plus ou moins durablement les guerres civiles qui ensanglantèrent l’histoire des États qu’ils dirigent. À terme, le résultat peut s’avérer catastrophique car le silence officiel n’empêche pas la mémoire individuelle, familiale, communautaire ou partisane de survivre et d’ancrer le ressentiment, la haine, l’esprit de vengeance, le sentiment de culpabilité, le déni. Or, tous ces ingrédients s’avèrent aisément manipulables par certains chefs politiques. À titre d’exemples, citons les pays européens occupés par les nazis ou soumis à des autorités collaborant avec ces derniers durant la Seconde Guerre mondiale, comme la Yougoslavie, les Pays-Bas ou la France : résistants et collaborateurs s’affrontèrent sans merci et ce passé “ne passe pas“, pour reprendre la formule qu’Éric Conan et Henry Rousso utilisent au sujet du régime de Vichy [6]. Il plane sur les sociétés de ces pays depuis plus de soixante ans. On peut également évoquer le Liban de 1975 à 1989 : « dans les manuels scolaires, l’histoire semble tout simplement s’arrêter au début des années 1970 [7] ». Or, en 2007,
« alors que les tensions sectaires se rallument, certains enseignants craignent que l’échec dans l’élaboration d’une lecture commune des événements ne condamne la jeunesse à reproduire le passé, la plupart d’entre eux apprenant l’histoire récente de leurs familles, dans la rue ou de la bouche de politiciens qui poursuivent leurs propres objectifs… Alors que les États-Unis utilisèrent l’école pour forger une nation, nous l’avons utilisé pour renforcer l’identité communautaire au détriment de l’identité nationale…Et le pire, c’est que ceux qui encouragèrent cela furent les intellectuels eux-mêmes [8] ».
L’affrontement sino-tibétain, nous offre un exemple d’argumentations reposant sur des vérités partielles. Les partisans du dalaï-lama entretiennent avant tout le souvenir des exactions subies depuis 1949, tandis que Pékin insiste sur la “libération“ qui, en 1949-1950, jeta bas une société féodale [9]. Le chef spirituel et temporel des Tibétains dénonce le processus de sinisation, alors que les dirigeants chinois mettent en avant le développement et le progrès qu’ils promeuvent pour le “plus grand bien“ des habitants du Toit du monde [10]. Nous nous trouvons en présence de réalités incontestables, mais chaque partie retient seulement celles qui justifient son action.
En situation de crise ou de conflit, l’histoire et l’action politique invoquées par les acteurs constituent donc avant tout un argumentaire et il faut systématiquement passer au crible de la critique leur valeur scientifique. Véracité des faits sujette à caution, confrontation des points de vue inexistante ou biaisée, mise en exergue de certains épisodes et occultation de certains autres, amalgames, déformation du sens des décisions prises et mises en œuvre font partie de la panoplie de base de tous les protagonistes. Il ne faut jamais oublier que la manipulation se trouve au cœur de tous les conflits et que l’histoire comme le discours politique en sont des instruments très prisés.
Tout autant que l’histoire, l’archéologie s’avère, dans cette perspective, une science hautement politique [11]. Depuis la fin du XVIIIe siècle, avec les traces matérielles de cultures qu’elle produit, elle est partie prenante des affirmations nationales. Mais les progrès de cette science conduisent à bien des révisions, parfois déchirantes voire conflictuelles. Elle se retrouve donc sous très étroite surveillance dans nombre de litiges sur lesquels pèsent des controverses identitaires [12] ou des conflits d’antériorité en un lieu donné.
L’affrontement franco-allemand naquit dans le contexte de l’affirmation de l’État-nation au XIXe siècle en Europe. De la Révolution de 1789 sortirent ces fameux Gaulois, ancêtres des Français, campés par Amédée Thierry [13] puis Camille Jullian [14]. Le premier écrivait :
« Qu’on ouvre l’histoire ancienne, qu’on suive dans leurs brigandages deux hordes, l’une de Gaulois, l’autre de Germains : la situation est la même, des deux côtés ignorance, brutalité, barbarie égales ; mais comme on sent néanmoins que la nature n’a pas jeté ces hommes-là dans le même moule ! […] Les traits saillants de la famille gauloise, ceux qui la différencient le plus, à mon avis, des autres familles humaines peuvent se résumer ainsi : une bravoure personnelle que rien n’égale chez les peuples anciens ; un esprit franc, impétueux, ouvert à toutes les impressions, éminemment intelligent ; mais à côté de cela une mobilité extrême, point de constance, une répugnance marquée aux idées de discipline et d’ordre, si puissantes chez les races germaniques, beaucoup d’ostentation, enfin une désunion perpétuelle, fruit de l’excessive vanité. Si l’on voulait comparer sommairement la famille gauloise à cette famille germanique, que nous venons de nommer, on pourrait dire que le sentiment personnel, le moi individuel est trop développé chez la première, et que, chez l’autre, il ne l’est pas assez ; aussi trouvons-nous à chaque page de l’histoire des Gaulois des personnages originaux, qui excitent vivement et concentrent sur eux notre sympathie, en nous faisant oublier les masses ; tandis que, dans l’histoire des Germains, c’est ordinairement des masses que ressort tout l’effet [15] »
Il fallut attendre le processus de construction-réconciliation européenne pour que la connaissance scientifique seule fût prise en considération [16]. Alors s’effondra le mythe de la “nation gauloise“, unie et différenciée de la “nation germanique“, forgé par Henri Martin dans les années 1830 [17].
L’URSS recourut largement aux traces du passé pour justifier son découpage interne :
« Pour le bien fondé du statut privilégié donné à un peuple particulier sur un territoire, il fallait un récit dit “scientifique“ de l’ethnogenèse du peuple en question. On remontait parfois à l’âge de pierre, en déclarant doctement que telle ou telle tribu était l’ancêtre de telle ou telle nationalité soviétique. Les nombreux instituts de recherche et les très officielles Académies des sciences s’y attelaient [18] ».
L’archéologue Israël Filkenstein, professeur à l’université de Tel-Aviv, déclarait en 2005 : « l’archéologie a toujours été manipulée par les nations et les hommes politiques, pour donner une légitimité à leurs projets et créer un passé, une identité [19] ». Ce qu’illustra la découverte du présumé tombeau du roi Hérode en Cisjordanie, au printemps 2007. Immédiatement, la querelle territoriale entre Israéliens et Palestiniens rebondit. Les colons juifs puisèrent là un argument supplémentaire étayant leurs “droits historiques“, tandis que les Palestiniens évoquèrent un “prétexte“ pour justifier l’extension des colonies juives au sud de Jérusalem [20]. Une part de l’argumentaire des partisans de Eretz Israël (Terre d’Israël) – de l’extension maximale d’Israël –, s’appuie effectivement sur l’archéologie biblique pour revendiquer l’appartenance à l’État hébreu de tout territoire où est attestée une présence juive avant la Dispersion. Il en résulte une multitude de litiges et d’affrontements avec les Palestiniens des territoires occupés, ainsi que des polémiques entre citoyens israéliens et au sein de la communauté juive à travers le monde. Ainsi, récemment, un historien israélien, Shlomo Sand, s’appuya, entre autres “preuves“, sur des acquis de l’archéologie pour contester l’homogénéité ethnique du peuple juif, ce qui remet en cause le schéma argumentaire sioniste [21]. Cela suscita un vif émoi et une critique scientifique plutôt sévère [22]. En dernière analyse, l’ouvrage apparaît comme un exemple... de représentation géopolitique.
Ces dernières années, la République populaire de Chine se distingua par une utilisation massive de l’archéologie. Pékin n’hésita pas à organiser, début 1999, une exposition destinée à produire les “preuves” de l’appartenance du Tibet à l’empire chinois [23]. Pour étayer les prétentions de la Chine sur une partie de l’État indien d’Aranuchal Pradesh, l’ambassadeur Sun Yuxi s’appuya sur la présence du monastère de Tawang. Comme il s’agit d’un établissement du bouddhisme mahayana (i.e. tibétain), cela démontrerait l’appartenance de la région au Tibet, province… chinoise [24]. Toutefois, l’archéologie ne corrobore pas toujours les thèses chinoises, comme l’illustre le cas des Ouighours : l’étude des momies découvertes dans le bassin du Tarim tendrait à démontrer l’antériorité de la présence de ces derniers au Xinjiang, ainsi que la diversité des populations qui l’occupèrent et s’y mélangèrent au fil des millénaires [25].
Lorsqu’en 1990, à Ayodhya, des archéologues indiens “découvrirent”, sous la mosquée construite au XVIe siècle par l’empereur moghol Babur, les vestiges d’un temple hindouiste, qu’ils identifièrent comme celui où serait né le dieu Rama, cela déclencha des troubles durables.L’affrontement entre hindouistes et musulmans autour de ce lieu sacré n’est pas nouveau : déjà une polémique avait éclaté au XIXe siècle ; les premiers accrochages sérieux survinrent en 1949. Or, aucune base scientifique incontestable ne vient appuyer les affirmations contradictoires. Personne ne peut trancher la question de savoir s’il y avait ou non un temple hindouiste à l’emplacement de la mosquée [26]. Pourtant, le 6 décembre 1992, des extrémistes hindouistes détruisirent la mosquée, ce qui enflamma la minorité musulmane et provoqua la mort de plusieurs centaines de personnes. Depuis lors, le lieu se trouve sous très haute surveillance et la crise interreligieuse endémique en Inde depuis 1947 y trouve un catalyseur supplémentaire [27].
L’ouverture, en octobre 2007, d’un musée à proximité du site d’Angkor suscita de vives polémiques au Cambodge. Parmi les thèmes de controverse, le fait qu’il s’agisse d’une initiative privée étrangère, en l’occurrence, la compagnie thaïlandaise Vilailuck International Holdings. Certains, rappelant que le territoire où se trouve l’ensemble d’Angkor appartint au royaume de Siam jusqu’en 1907, soupçonnent Bangkok de visées annexionnistes [28].
La possession du Nagorny Karabakh (4 390 km2) affronte Arméniens et Azéris depuis 1991 et les premiers produisent des traces archéologiques d’une présence plus ancienne, comme les fondations de l’église de Martouni, édifiée par leur premier catholicos, Grégoire l’Illuminateur (circa 240- circa 326).
En 2008, la restitution de la “Vénus de Cyrène“, une statue découverte en 1913 par des archéologues italiens, peu après la conquête de la Libye en 1911, inspira le commentaire suivant au ministre libyen des Affaires étrangères : « la Libye récupère son identité et une partie de son histoire [29] ».
Toute “représentation” doit être étudiée, indépendamment de l’opinion que l’on peut nourrir à son endroit. Elle se trouve au cœur de la motivation des acteurs directs, elle révèle leurs débats et leurs polémiques, elle nous livre leur “pourquoi nous combattons” et elle seule nous permet de comprendre pourquoi (et pour quoi) des êtres humains s’affrontent, souffrent, voire meurent. Les principales catégories de représentations géopolitiques que l’on rencontre ressortissent à la valeur symbolique de certains lieux, à l’identité nationale, aux contentieux historiques, à l’oppression, au messianisme ou à la volonté de puissance. Chacun des protagonistes monte sa propre représentation géopolitique, qu’il faut analyser à la fois en elle-même et par rapport à celle(s) de son (ses) adversaire(s). Une lecture critique s’impose car la préoccupation première de ce genre de discours réside dans la démonstration par chacun qu’il est dans son “bon droit“. Tout n’est pas forcément faux, mais la vérité elle-même peut faire l’objet d’une instrumentalisation, notamment lorsqu’elle est partielle. Il existe des désinformations par omission.
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PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE LIÉE AUX REPRÉSENTATIONS
Quels sont les arguments des acteurs de la crise ou du conflit ?
CHAMPS DE RECHERCHE
Outils pour étudier les arguments des différentes factions de la population du territoire sur lequel se déroule la crise ou le conflit :
. les ouvrages consacrés à l’archéologie, à l’histoire, à l’ethnologie, à l’anthropologie, à la sociologie, au droit, à la science politique, à la géographie et à l’économie.
Les informations recueillies servent à repérer les arguments des différentes factions de la population impliquées dans les événements. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :
. le poids symbolique de certains lieux,
. le sentiment national,
. les différends hérités de l’histoire,
. l’oppression (ou le sentiment d’oppression),
. le messianisme,
. la volonté de puissance.
La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.
Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.
Plus
[1] . Lacoste Yves, « Préambule » au Dictionnaire..., op. cit., p. 4. Voir aussi l’article « Représentations géopolitiques », Ibidem, pp. 1274-1277.
[2] . Samary Catherine, « Mouvante identité des Musulmans », Le Monde diplomatique, octobre 1995.
[3] . Le texte, en anglais, peut être consulté sur Internet (http://www.sudanjem.com). De manière significative, le titre intégral est : Les déséquilibres du pouvoir et de la richesse au Soudan. Le livre noir.
[4] . Waal Alexander (de), « Who Are the Darfurians ? Arab and African Identities, Violence and External Engagement », Contemporary Conflicts, December, 10, 2004 (http://conconflicts.ssrc.org/hornofafrica/dewaal) et Prunier Gérard, Le Darfour. Un génocide ambigu, Paris, 2005, La Table Ronde.
[5] . Fattah Hassan M., « A Nation with a Long Memory, but a Truncated History », The New York Times, January 10, 2007.
[6] . Conan Éric et Rousso Henry, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, 1994, Fayard, 327 p.
[7] . Fattah Hassan M., « A Nation… », op. cit.
[8] . Ibidem.
[9] . « ‘The Past of Tibet‘ Shows that Old Tibet Was Not a Shangri-la », People’s Daily Online, April 7, 2008.
[10] . Demick Barbara, « China’s Tibet Exhibit Toes The Party Line », Los Angeles Times, July 8, 2008.
[11] . À titre d’exemple, le lecteur pourra consulter l’ouvrage collectif publié, en 1990, par des historiens, anthropologues et théologiens serbes (tous qualifiés en quatrième de couverture d’“éminents“) : Samardzic Radovan (dir.), Le Kosovo-Metohija dans l’histoire serbe, Lausanne, 1990, L’Âge d’Homme, 351 p. illustrées. On peut y lire, page 344, ces quelques mots révélateurs : « Comme beaucoup d’ouvrages précédents, celui-ci a pu voir le jour grâce à la générosité du peuple serbe. Les moyens financiers nécessaires ont été collectés par l’“Association pour la protection des monuments et la sauvegarde des traditions des guerres libératrices de la Serbie jusqu’en 1918“ » (section suisse) […] ».
[12] . Cf. Bonis Armelle, Burnouf Joëlle et Demoule Jean-Paul (dir.) « Archéologie et passions identitaires », Les Nouvelles de l’archéologie, n° 67, printemps 1997 ; Demoule Jean-Paul et Stiegler Bernard (dir.), L’avenir du passé. Modernité de l’archéologie, « IV – Archéologie et passions identitaires », Paris, 2008, La Découverte, pp. 171 à 245.
[13] . Thierry Amédée, Histoire des Gaulois, Paris, 1828.
[14] . Jullian Camille, Histoire de la Gaule, Paris, 1907-1926. Voir, à ce sujet, Camille Jullian, l’histoire de la Gaule et le nationalisme français, Actes du Colloque du 6 décembre 1988 à Lyon, 1991, Presses Universitaires de Lyon, 162 p.
[15] . Thierry Amédée, op. cit. Extrait de l’introduction.
[16] . Pour une mise au point actualisée, cf. Brunaux Jean-Louis, Nos ancêtres les Gaulois. Idées reçues sur la Gaule, Paris, 2008, Le Seuil ; Monteil Martial et Tranoy Laurence, La France gallo-romaine, Paris, 2008, La Découverte.
[17] . Martin Henri, Histoire de France, Paris, 1833-1836.
[18] . Gordadzé Thorniké, « Un effet de la politique soviétique des nationalités », propos recueillis par Sophie Shihab, Le Monde, 31 août 2008.
[19] . Propos recueillis par Patrick Saint-Paul, « Israël remodèle la Jérusalem-Est arabe », Le Figaro, 4 juin 2005.
[20] . Saint-Paul Patrick, « Israël trouve le tombeau d’Hérode en Cisjordanie », Le Figaro, 8 mai 2007 ; Sockol Samuel, « At Herod’s Site, New Hopes and Fears », The Washington Post, May 9, 2007.
[21] . Sand Shlomo, « Comment fut inventé le peuple juif », Le Monde diplomatique, août 2008.
[22] . Weill Nicolas, « Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme, de Shlomo Sand : à fiction, fiction et demie », Le Monde, 12 février 2010.
[23] . Puel Caroline, « Une partie inaliénable de la Chine », Libération, 10 mars 1999.
[24] . « Straight Talk : “Arunachal is Chinese Territory“ », CNN-IBN, November 13, 2006.
[25] . Wong Edward, « The Dead Tell a Tale China Doesn’t Care to Listen to », The New York Times, November 19, 2008.
[26] . Noorani A.G. (dir.), The Babri Masjid Question, 1528-2003 : a Matter of National Honour, New Delhi, 2003, Tulika Books.
[27] . Racine Jean-Luc, « Ayodhya », article in Lacoste Yves (dir.), Dictionnaire..., op. cit.,, p. 232.
[28] . Turnbull Robert, « Thai Museum at Angkor Draws Tourists, and Criticism », The New York Times, July 6, 2008.
[29] . « L’Italie va indemniser la Libye pour la période coloniale », Le Monde, 30 août 2008
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