Syrie. Guérilla urbaine

Par Gérard CHALIAND , le 3 octobre 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Géopolitologue, spécialiste des conflits armés. Gérard Chaliand est régulièrement professeur invité dans de nombreuses universités étrangères (Harvard, Montréal, Berkeley,…). Il est auteur de plus de 30 ouvrages, dont une quinzaine traduits. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique auquel est adossé le Diploweb.com.

Stratégie. Avec les conflits d’Irak et de Syrie, la guérilla urbaine réapparait. Gérard Chaliand met en perspective cette pratique. Puis il caractérise la situation en Irak comme en Syrie.

Compte tenu de l’urbanisation du monde, il importe d’appréhender clairement les enjeux de la guérilla urbaine.

Á l’ÉPOQUE moderne, la guérilla urbaine, c’est-à-dire l’usage du terrorisme et du sabotage en milieu urbain, commence avec les nationalistes irlandais menés par Michael Collins juste après la Première Guerre mondiale. Leur lutte déboucha sur l’indépendance de l’Irlande en 1921.

Histoire contemporaine de la guérilla urbaine

Substitut à la guérilla rurale, compte tenu, entre autres, des conditions géographiques, ce modèle a servi d’inspiration aux activités clandestines des sionistes de l’Irgoun et du groupe Stern (1945-1947), également avec succès. Deux décennies plus tard, l’Ira reprend en Ulster les mêmes méthodes à partir de 1969 et parvient, malgré la pugnacité des forces britanniques, à finalement arracher, après trois décennies, des concessions très substantielles.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cependant, la très grande majorité des luttes de libération ont été des guérillas rurales, en grande partie parce que les populations étaient, en Asie comme en Afrique, majoritairement paysannes. Lorsque le terrorisme urbain était pratiqué, comme en Algérie, il s’agissait surtout de dresser une communauté contre l’autre, de semer la suspicion, de renforcer l’hostilité réciproque. Enfin, de démontrer la capacité d’une organisation à frapper l’État jusque dans sa citadelle.

Le terrorisme en ville s’est développé avec l’urbanisation accélérée, la médiatisation par l’image et par la prolifération de groupes radicaux, souvent sans base de masse.

Les succès, lorsqu’il y en a, sont la conséquence de mouvements pourvus d’une large base de masse et d’un soutien organisé. Sinon, le terrorisme urbain reste une arme limitée à ses effets psychologiques, à sa nuisance, son coût économique mais sans parvenir à modifier un statu quo.

D’une façon générale, au cours des années qui ont suivi la mort d’Ernesto Che Guevara (1967), la guérilla urbaine a servi de substitut, en Amérique latine, à la guérilla rurale après une série d’échecs du foco guévariste. La lutte armée entamée sans préparation politique de la population qu’on entend entraîner ne débouchant que sur l’isolement du noyau combattant.

En Argentine, au Brésil (Carlos Marighella) et en Uruguay (Tupamaros), les tentatives de guérillas urbaines se sont soldées par des échecs, non sans avoir été imitées aux États-Unis (Weathermen, etc.) et au Québec (FLQ) avec aussi peu de succès.

Ces techniques ont été reprises en Europe, notamment par la Rote Armee Fraktion, mieux connue sous le nom de groupe Baader-Meinhof (qui finira par collaborer avec la Stasi d’Allemagne de l’Est) et les Brigades Rouges italiennes qui réussiront à perdurer une quinzaine d’années, mais sans résultats tangibles.

En 1968, à la même date que les mouvements de guérilla urbaine latino-américaine, débute, toujours comme substitut à la guérilla rurale, le terrorisme publicitaire palestinien. Détournement d’un avion de la compagnie Israélienne El Al d’Athènes au Caire puis récidive, toujours par le Front Populaire de Libération de la Palestine, d’autres avions, jusqu’en septembre 1970. Les Palestiniens se font ainsi connaître, mais en même temps commettent l’erreur de traiter par-dessus l’autorité du souverain de Jordanie ce qui consomme leurs pertes dans ce pays (Septembre noir).

Le zénith du terrorisme publicitaire est atteint aux Jeux olympiques de Berlin (1972) lorsqu’un commando palestinien enlève onze athlètes israéliens. L’affaire se termine par la mort des uns et des autres, un succès médiatique mais un échec stratégique.

On note bientôt la montée de groupes terroristes de plus en plus nombreux à mesure qu’ils sont utilisés par des États (Syrie, Irak, Libye) comme instrument de diplomatie coercitive. Par ailleurs, la guerre civile, à partir de 1975, au Liban, accélère la formation de groupes terroristes de toutes origines trouvant là une absence d’État où s’entraîner librement est facilité par les organisations palestiniennes, FPLP en tête.

Avec les conflits d’Irak et de Syrie, la guérilla urbaine réapparait

On ne peut pas décrire les actions d’Al Qaïda comme de la guérilla urbaine mais comme du terrorisme en ville, c’est-à-dire là où il est vu. L’impact du terrorisme en ville dépasse évidemment de beaucoup les actions rurales.

En revanche, avec les conflits d’Irak et, plus récemment, de Syrie, la guérilla urbaine refait surface.

Contrairement à l’Afghanistan où on assiste à une insurrection rurale ponctuée d’attentats en ville, l’Irak a été (et reste) le théâtre d’une guérilla urbaine compte tenu de la géographie de la Mésopotamie qui ne permet pas de pratiquer une guérilla rurale. Aussi a-t-on usé d’attentats en ville à partir de 2003 et de sabotage ainsi que d’engins explosifs sur les routes. Cela a été particulièrement facile dans les villes et quartiers où la minorité sunnite est très présente : Tikrit, Mossoul, Bagdad et dans la province de Dyala.

Avec la perspective de la chute du régime de Bachar al Assad due à la conjonction des États sunnites conduits par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie d’une part et de l’autre par les Occidentaux, les sunnites irakiens accentuent leurs actions violentes contre le régime chiite de Nourri al Maliki.

En Syrie les oppositions, très diverses mais toutes décidées à en finir avec le régime alaouite (15 % de la population par opposition à 70 % environ de sunnites) usent toutes d’opérations urbaines, tout particulièrement dans les villes stratégiquement décisives telles Alep. Celle-ci est située non loin de la frontière turque d’où provient une très grande partie des armes, de la logistique et des appuis à l’insurrection.

Le régime, avantagé par sa puissance de feu (tanks, hélicoptères, force aérienne) et la cohésion de ses troupes d’élites (alaouites) rencontre une opposition multiforme mais mieux armée avec le temps en armes anti-tanks et antiaériennes. C’est à ce niveau que se joue le contrôle du terrain urbain, tandis que les frontières paraissent de plus en plus poreuses, surtout au nord (Turquie).

Chaque camp est soutenu par des États amis, Iran et Irak pour le régime et États arabes, Turquie, États-Unis et ses alliés de l’autre. La décision finale viendra sans doute lorsque l’intervention turque sera mandatée par la ligue Arabe et les Occidentaux. Compte tenu de l’importance croissante des villes sur le plan du pouvoir politique et de la concentration humaine les insurrections urbaines ne seront pas rares.

Copyright Octobre 2012-Chaliand/Diploweb.com


Plus

. Voir un article de Xavier Guilhou, "L’énigme syrienne" Voir

. Voir l’entretien de Romain Aby avec Isabelle Feuerstoss, "Syrie : relecture de la crise" Voir

. Voir un autre article de Gérard Chaliand, "De la torture
La fin justifie-t-elle les moyens et jusqu’où ?"
Voir


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