Russie : l’orthodoxie, une idéologie de substitution ?

Par Nathalie OUVAROFF, le 27 décembre 2009  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Journaliste, correspondante à Moscou durant plusieurs années

Alors que s’approche le Noël orthodoxe, début janvier, il est utile de s’interroger sur la place de l’orthodoxie dans la Russie de 2010.

LA FIN de l’Union soviétique (1991) et l’effondrement du système communiste ont laissé les Russes dans un vide idéologique. Dans ce contexte, la population a tenté d’assimiler maladroitement les valeurs occidentales. Elle s’est également mise en quête de ses racines en se retournant vers les traditions dont l’orthodoxie, occultée pendant sept décennies de soviétisme sauf pendant la Seconde Guerre mondiale. Il ne faut pas oublier que c’est Joseph Staline qui a rétabli le patriarcat ...

Russie : l'orthodoxie, une idéologie de substitution ?
Russie, église orthodoxe. Crédits : P. Verluise

Dès le début de la période Eltsine (1990-1999), des Russes de tous âges se sont précipités vers les églises pour recevoir le sacrement du baptême. La grande majorité n’avait aucune formation religieuse et considérait l’orthodoxie comme une composante ethnique et culturelle. Par ailleurs, ils se sont jetés frénétiquement dans la société de consommation… adoptant dans certains cas une éthique quasi protestante. Alors que pendant le régime communiste (1917-1991) la richesse était considérée comme « honteuse », après l’effondrement du pouvoir soviétique la pauvreté se trouve stigmatisée et ressentie comme une tare.

Ces deux démarches parallèles aboutissent à une crise profonde de la société : loi de la jungle, règlements de comptes, patriotisme en berne, cynisme, dépression et corruption.

En 2000, lorsque l’ancien colonel du KGB, Vladimir Poutine est élu président de la Fédération de Russie, il hérite d’un pays profondément traumatisé qui a perdu confiance en son avenir.

Le président Eltsine avait consacré la réconciliation entre l’Eglise et l’Etat, amorcée timidement par Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991). Toutefois, s’il se réclamait de l’orthodoxie, il assumait plutôt timidement ses convictions religieuses.

Vladimir Poutine

Avec Vladimir Poutine (2000-2008) les choses changent radicalement. Le chef de l’Etat s’affirme un orthodoxe fervent et se rapproche du patriarcat.
En outre, il soutient ouvertement les efforts du Patriarche Alexis pour redonner à l’Eglise sa place dans la société et récupérer les communautés russes séparées de Moscou depuis la Révolution d’Octobre 1917. C’est le chef de l’Etat lui même qui a initialisé le rapprochement avec l’Eglise hors frontières qui a aboutit à l’acte de réunification canonique.

Par ailleurs, le ministère des Affaires étrangères soutient activement les tentatives du patriarcat de Moscou pour mettre la main sur les églises russes et les monastères appartenant aux autres juridictions, que ce soit en Terre sainte ou en Europe.

Toutefois, en dépit de leur implication personnelle, tant V. Poutine que D. Medvedev ont toujours pris soin de souligner leur adhésion au principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat ainsi qu’au caractère laïc de l’Etat russe.

D’un autre coté, des idéologues proches du Kremlin ont tenté de mettre au point des idéologies de substitution laïques. Première tentative celle de Sourkov avec le concept de « démocratie souverainiste » défendue par V. Poutine lors de son discours de Munich (10 février 2007). En bref il s’agit d’aménager le concept démocratique aux réalités politiques et à l’héritage culturel de la Russie…
Plus tard, au moment de l’élection à la présidence de Dimitri Medvedev (2008), certains on lancé l’idée d’un V. Poutine leader national, recours suprême en dehors des partis.

Les deux tentatives ont échoué faute de soutien.

Reste l’orthodoxie. C’est la religion dominante : 80% des habitants de la Fédération de Russie se réclament de l’orthodoxie mais seulement 10% pratiquent régulièrement. Cependant, la religion devient de plus en plus présente dans la vie de la nation. Pas une manifestation publique sans la bénédiction d’un prêtre. Les médias couvrent toutes les fêtes religieuses et rapportent la moindre des interventions du Patriarche. Certains voudraient aller plus loin et évoquent avec nostalgie la « symphonie byzantine ».

Reste que, pour le moment, ces idées n’ont ni le soutien de l’Etat ni celui du patriarcat. Pour trois raisons : le caractère multiconfessionnel du pays, la survivance d’un courant athée vivace et enfin la crainte que l’orthodoxie en prenant la place du Parti communiste d’Union soviétique ne devienne avec le temps aussi obsolète que ce dernier.

Il semble donc que la Russie s’orienterait plutôt vers une forme de « conservatisme social » dont l’orthodoxie serait une composante au même titre que les autres religions traditionnelles. Ce qui n’empêche pas de l’utiliser sur le plan international comme un étendard permettant de rallier, voire d’instrumentaliser, les communautés russes de l’étranger en cas de besoin.

Copyright décembre 2009-Ouvaroff


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