Géopolitique de la Chine. Quand la politique intérieure chinoise dépasse ses frontières... Quelles sont les conséquences géopolitiques du ralentissement de la croissance économique chinoise ? I. Sand attire l’attention sur le nouvel intérêt de Pékin pour certaines des régions les moins développées du pays... à des fins à la fois économiques et politiques.
« Relations internationales » : cette rubrique du Diploweb.com analyse un thème précis à travers différentes publications dans une autre langue que le français, issues de revues ou d’instituts spécialisés dans les relations internationales. L’objectif est ici de présenter une étude approfondie d’un sujet ayant fait l’objet d’un traitement médiatique particulier durant les dernières semaines. Cette édition présente des publications en langue anglaise : International Crisis Group, The Gardian, Foreign Policy.
LE RALENTISSEMENT de l’économie chinoise – la croissance devrait être de 7,5% en 2013 alors qu’elle a régulièrement dépassé les 10% au cours des années 2000 – pousse les autorités à se tourner vers les régions les moins développées du pays. Le gouvernement a entamé depuis une dizaine d’années la mise en place d’un programme dénommé « Go West », destiné à déplacer une partie de l’économie, mais aussi de la population, vers les provinces les plus enclavées. Cette délocalisation interne permet également aux dirigeants chinois de modifier la situation géopolitique de certaines de ses provinces en proie à des mouvements contestataires ou indépendantistes.
Nous nous intéresserons plus précisément au cas des deux régions autonomes du Xinjiang et du Tibet ainsi qu’à la province du Yunnan, plus au Sud. Ces trois régions constituent la bordure Ouest de la Chine et cumulent des frontières communes avec treize pays d’Asie allant de la Mongolie au Nord jusqu’au Vietnam au Sud. Par conséquent, le désenclavement de ces provinces coïncide avec l’essor des relations diplomatiques et économiques entre la Chine et ses pays voisins.
Le rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG) du 27 février 2013, intitulé « Le problème chinois de l’Asie mineur » [1], accorde une très large part aux efforts stratégiques déployés par les autorités chinoises en vue de s’assurer de la stabilité politique de la région pauvre du Xinjiang. Cette province située à la pointe Nord-ouest du pays, isolée du reste de la Chine par le désert de Gobi, est historiquement habitée par les Ouïghours, un peuple turcophone et de religion musulmane. Depuis son rattachement à la Chine en 1949, le Xinjiang a connu des poussées de violence régulières mêlant revendications économiques et sociales et actions de mouvements séparatistes. Le rapport d’ICG, issu de plus d’un an d’enquêtes et entretiens menés en Chine et dans cinq pays d’Asie mineur, témoigne de la volonté des autorités chinoises de « stabiliser le Xinjiang en développant le commerce avec les pays frontaliers », notamment le Kazakhstan et le Kirghizstan. Ces deux états comptent les contingents les plus importants de la diaspora ouïghoure, respectivement 180 000 et 40 000 personnes, selon un recensement de 1989. D’après le rapport, « les Chinois sont convaincus de la position centrale des pays d’Asie mineur dans la question de leur sécurité intérieure ».
Une source proche du gouvernement citée par ICG déclare que « Pékin est prêt à participer à n’importe quel projet proposé par les autorités locales, parce que ses investissements sont le moteur de son influence ». La construction de l’oléoduc sino-kazakh, débutée en 2007, est en la parfaite illustration. Ce dernier relie le centre de la Chine via le Xinjiang à un des états les plus riches en matière première de la région. Selon ICG, des voix s’élèvent au Kazakhstan pour dénoncer l’influence politique croissante que Pékin tire de ses investissements dans le pays. Les autorités chinoises exigeraient notamment une surveillance accrue des associations ouïghoures basées au Kazakhstan. Le rapport montre également que le développement des liens commerciaux entre le Xinjiang et les pays frontaliers a créé de nombreux emplois dans la région et entraîné d’importants mouvements de migration en provenance des régions de l’Est. Plusieurs analystes s’accordent pour dire que ces déplacements de population sont très largement encouragés par Pékin afin de noyer le sentiment national ouïghour. Les Hans, l’ethnie majoritaire du pays, constituent aujourd’hui plus de 40% de la population du Xinjiang contre seulement 7% en 1949.
De même, les investissements chinois au Népal semblent être liés à la volonté du gouvernement d’accroître son contrôle sur la région autonome du Tibet. C’est ce qu’affirme un article du Guardian du 23 avril 2013, intitulé « La route de l’amitié sino-népalaise débouche au cœur du marché indien » [2]. Le reportage évoque la croissance très rapide des échanges commerciaux entre les deux pays, notamment via l’autoroute qui relie Katmandou à Lhassa, la principale ville du Tibet en Chine.
La Chine développe également dans ce pays plusieurs « grands projets d’infrastructures dans les domaines du transport, des télécommunications et de production d’énergie hydroélectrique », détaille le journaliste. Il est évident que l’incursion chinoise dans un pays traditionnellement lié à l’Inde, met en jeu des intérêts économiques et stratégiques internationaux. Le Népal constitue une porte d’entrée vers certains pays d’Asie du sud-est pour de nombreux produits d’exportation chinoise et pourrait être une première étape dans la conquête de l’immense marché indien.
Il semble toutefois que des considérations de politique intérieure chinoise entrent effectivement en jeu dans les relations sino-népalaises. L’article révèle en effet les pressions de Pékin visant à encourager un durcissement des autorités népalaises à l’égard des 20 000 réfugiés tibétains vivant sur son territoire. « En échange de certaines facilités économiques, Pékin a demandé au Népal de reconnaître l’annexion du Tibet et la légitimité de la répression des opposants politiques dans la région », analyse l’article. Des premiers signes de rapprochement entre les deux pays à propos de la question tibétaine étaient déjà apparus en janvier 2012 au cours d’une visite de l’ancien premier ministre Wen Jiabao. La déclaration commune faite à cette occasion rappelle que « Taiwan et le Tibet sont des parties intégrantes du territoire chinois » et que « les autorités népalaises soutiennent les efforts chinois en vue de maintenir l’unité nationale et interdisent tout usage du territoire népalais pour des activités antichinoises ou séparatistes ».
Plus à l’est, la province du Yunnan constitue un des principaux accès de la Chine aux pays d’Asie du sud-est. Elle comprend notamment les 2 185 km de frontière commune avec la Birmanie, où la Chine a de nombreux intérêts diplomatiques et économiques. Les récentes évolutions démocratiques du Myanmar, nom donné à la Birmanie par la junte au pouvoir, inquiètent fortement les officiels chinois. Dans un article [3] du 15 janvier 2013 publiée dans la revue Foreign Policy, Yun Sun, spécialiste de politique étrangère chinoise, exprime les craintes de Pékin de perdre de son influence dans un pays qu’il considère comme son pré carré.
La politique d’ouverture engagée en 2011 par le président Thein Sein semble en effet conduire les Birmans à se tourner de plus en plus vers l’Occident. « Depuis des décennies, la Chine entretenait une relation intime avec ce pays autoritaire, profitant d’un quasi-monopole sur ses ressources naturelles » écrit Yun Sun. « Mais maintenant, […] Pékin est vu comme le pays qui a soutenu la junte durant toutes ces années et qui exploite les ressources du pays ». Le sentiment d’insécurité chinois s’est accru lorsqu’un de ses plus grands projets d’investissement au Myanmar, le barrage de Myistone, a été arrêté par les autorités birmanes suite à de nombreuses protestations des populations locales. Dès lors, les Chinois sont convaincus que s’ils ne font rien, ils risquent de perdre un allié politique et laisser échapper un marché en pleine croissance. Dans son article intitulé « La Chine a-t-elle perdu Myanmar ? », Yun Sun décrit l’instrumentalisation que fait la Chine des rebelles Kachin du nord de la Birmanie en vue de retarder ou d’empêcher l’ouverture du pays au reste du monde. Elle cite notamment une publication de Liang Jinyun, professeur de science politique dans une université du Yunnan, qui prétend que « bien utilisés, ces groupes ethniques deviendront le plus fidèle allié de la Chine dans sa confrontation avec les Etats-Unis au Myanmar »
Les rebelles Kachin, basés dans la région nord du pays, contrôlent la quasi-totalité de la frontière avec la Chine. Ils sont engagés dans une lutte armée avec le pouvoir central de Naypiydaw (la nouvelle capitale du pays) en vue d’obtenir plus d’autonomie. On compte également une poignée d’habitants Kachin au Yunnan en Chine, de l’autre côté de la frontière. Le développement de l’économie du Yunnan est très fortement lié aux échanges commerciaux entretenus avec la Birmanie. Une perte d’influence dans ce pays ralentirait considérablement la stratégie de désenclavement de cette province qui reste une des plus pauvres de la Chine, malgré l’essor du tourisme. Pékin pourrait donc être tenté d’utiliser ces conflits ethniques au Myanmar en vue d’accroître sa pression sur le gouvernement si ce dernier venait à prendre des décisions en sa défaveur.
Soutenir la lutte Kachin au Myanmar peut paraître contradictoire avec la répression menée par le pouvoir chinois contre les mouvements indépendantistes ouïghour et tibétain. « Mais les alliances politiques échappent à ce type de considérations et l’aide chinoise à une minorité rebelle contre un pouvoir central très répressif en est le meilleur exemple », conclut Yun Sun.
Copyright Juin 2013-Sand/Diploweb.com
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. Voir le numéro précédent de cette rubrique, Relations internationales 04/2013, Pakistan : vers un nouvel équilibre diplomatique ?
Note de la direction
Ce numéro de la rubrique « Relations internationales » présente des articles en langue anglaise mais le Diploweb.com est ouvert à des contributions de qualité qui présenteraient en d’autres langues des articles de référence sous l’angle des relations internationales. Dans tous les cas, l’objectif est de proposer une présentation honnête d’un thème qui s’impose dans d’autres langues que le français. Il s’agit d’un exercice de « décentrage » à la fois classique et nécessaire en géopolitique.
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