Géographe, diplômé du Master 2 géopolitique ENS/Paris1, Louis Borer est senior analyste en sûreté maritime à la Risk Intelligence, au Danemark, après avoir travaillé à l’Asia Centre pendant 2 ans, puis au ministère des Armées pendant plus de 6 ans, principalement comme analyste géopolitique et menaces maritimes. Il est également officier de réserve dans la Marine Nationale.
Parce que la France dispose de la deuxième Zone économique exclusive mais peine à se doter d’une culture maritime largement partagée, le Diploweb publie régulièrement des travaux pour mieux connaitre ces enjeux majeurs pour aujourd’hui et plus encore pour demain.
Illustré de deux cartes, cet article fait le point sur la piraterie maritime autour de trois axes : Piraterie en océan Indien : contenue, mais non maîtrisée ; Golfe de Guinée, des groupes pirates organisés et violents, aux diverses activités ; L’Asie du Sud-est, région en proie à une piraterie endémique, opportuniste et peu violente.
LOIN des clichés du cinéma hollywoodien, la piraterie demeure une menace tangible pour les marins, l’industrie maritime, et les États côtiers qui bordent ces zones piratogènes. À l’instar des autres menaces maritimes asymétriques, la piraterie est souvent entremêlée à divers enjeux et crises, qui fluctuent au gré du contexte économique et géopolitique. Le niveau ou le type de menace est parfois difficile à qualifier, voire à quantifier, une attaque en mer étant susceptible d’être liée à des groupes mafieux locaux, aux trafics illicites ou, dans une moindre mesure, au terrorisme.
Historiquement, la piraterie s’est développée dans les grandes zones d’activités et de commerce maritime, d’abord en Méditerranée puis en Atlantique, avant de s’étendre vers l’Asie et l’océan Indien. Comme leurs prédécesseurs, les pirates modernes agissent le plus souvent à proximité immédiate des principales routes commerciales (ou Sea Line of Communication/SLOC), qui empruntent certains passages obligés, ou « seuils stratégiques » [1]. Or, la sécurisation de ces routes commerciales, par lesquelles transitent 90 % du commerce mondial en volume et 80 % en valeur, est d’une importance vitale pour la plupart des États souvent tributaires de leurs importations ou exportations de ressources naturelles, énergétiques, ou biens manufacturés.
La piraterie est souvent décrite, à raison, comme l’un des plus vieux métiers du monde. Si les modes opératoires évoluent et s’adaptent, les grandes zones de piraterie demeurent géographiquement bien ancrées. L’objectif de cet article sera dans un premier temps de décrypter les raisons de l’amélioration sensible, bien que fragile, de la situation au large de la Corne de l’Afrique, puis dans un second temps dans le Golfe de Guinée. Un bateau naviguant dans certains détroits d’Asie du Sud-est, ou au mouillage dans les Caraïbes étant susceptible de faire de mauvaises rencontres, ces zones seront abordées dans une troisième partie.
Le golfe d’Aden et la partie Occidentale de l’océan Indien (ou West Indian Ocean/WIO) ont été sous les projecteurs à partir de 2008, année marquée par 571 attaques (contre une cinquantaine d’attaques les années précédentes), et des abordages ambitieux, détournements de pétroliers [2] et kidnappings d’équipages qui resteront gravés dans les annales de la piraterie. Tous les ingrédients étaient alors réunis pour favoriser l’émergence d’une piraterie florissante. Géographiquement, les raids pouvaient être lancés depuis les côtes somaliennes, État failli à proximité immédiate de l’une des principales voies de communication maritime, transitant via le détroit de Bab el Mandeb. Le facteur social était aussi déterminant. Les populations littorales assistaient impuissantes au pillage de leurs ressources halieutiques dont elles étaient (et restent) tributaires, par des entreprises de pêche étrangères. En l’absence de moyens pour assurer la protection des ressources des Zones économiques exclusives (ZEE) somaliennes, les pêcheurs s’improvisaient garde-côtes afin d’arraisonner les navires en activité de pêche INN [3], avant que la prise d’otage du bateau et de son équipage devienne un business plus lucratif que la cargaison de poissons. Les groupes pirates développèrent ainsi un modèle économique constitué de groupes actions, de traducteurs et intermédiaires pour les négociations, et de logisticiens ayant la possibilité de s’appuyer sur des bases arrière et des zones de stockage dans des espaces hors de tout contrôle étatique. Les raids étaient alors menés par le biais de skiffs [4], qui pouvaient être embarqués ou tractés par des bateaux-mères pour les raids menés au-delà de 200 nautiques (nq). Les pirates disposaient d’un armement conséquent et dissuasif, divers armes automatiques type AK-47, des RPG-7, et d’échelles pour aborder le navire.
Afin d’endiguer le phénomène, la réponse internationale fut d’abord étatique, par le biais du déploiement des Équipes de protection embarquée (EPE), de l’opération aéronavale européenne EUNAVFOR Atalante (prolongée jusqu’en décembre 2024, mais dont le mandat a été modifié), épaulée par la mission otanienne Ocean Shield, et de la Combined Task Force (CTF) 151, dont l’objectif premier était de mettre en place un corridor sécurisé, l’IRTC (International Recommended Transit Corridor), le long duquel les navires les plus vulnérables étaient escortés. Les armateurs ont emboîté le pas, remplaçant les EPE par des Entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD, ou PMSCs en anglais, la plupart de ces entreprises étant anglosaxonnes) et la mise en place de mesures de protection soutenues par l’Organisation maritime internationale (Best Management Practice). L’ensemble de ces mesures a contribué à faire drastiquement chuter le nombre d’attaques réussies dès 2012. Le ratio gain/risque d’une attaque en mer devenant défavorable et trop périlleux, les groupes se sont progressivement tournés vers d’autres sources de trafics plus lucratives.
À ce jour, si l’âge d’or de la piraterie somalienne semble terminé – la dernière opération sophistiquée et recoupée datant du 21 avril 2019 à 240 nautiques de Mogadiscio – les conditions ayant provoqué le développement de la piraterie sont toujours réunies. L’absence d’attaque ne signifie pas l’absence de menace, considérée comme contenue, mais non maîtrisée. Bien que la probabilité demeure faible, une attaque opportuniste ou un détournement de navire reste possible dans un rayon de 300 nautiques, en particulier dans le secteur de Bab el Mandeb et du golfe d’Aden. La zone est par ailleurs en proie à de multiples trafics (drogues, armes, cigarettes…), auxquels s’ajoutent de nombreux navires de pêche et de boutres en transit. La prolifération de ces petites embarcations, au comportement parfois erratique et pouvant disposer d’armes à bord, rendent leurs intentions incertaines, et la discrimination d’une menace potentielle souvent difficile à identifier, certains adoptant une attitude hostile et suspecte. Effectivement, les navires suspects sont susceptibles d’être des trafiquants ou des militants, voire dans certains cas, des garde-côtes yéménites, à l’instar du voilier Lakota abordé par ces derniers le 19 mai 2022, où ils étaient intervenus, comme souvent, de façon musclée, sans uniforme ni protocole d’appel VHF.
Le profil du pirate type a donc laissé la place à un modèle plus complexe, impliqué dans des activités illégales duales, où un trafiquant peut (re)devenir pirate en cas d’opportunité. Avec la baisse du nombre d’attaques, la vigilance peut également baisser et créer de nouvelles cibles.
À moyen terme, les perspectives dans le WIO restent donc fragiles. Si l’industrie maritime a retiré au 1er janvier 2023, la qualification High Risk Area (HRA) du WIO, ils demandent néanmoins le maintien strict des BMP5. Par ailleurs, la zone est le théâtre de compétitions entre États qui se livrent une bataille navale clandestine à travers l’usage de proxys et de modes d’action hybrides, et les détroits de la région demeurent une zone d’intérêt – du moins dans la propagande jihadiste – de Daesh et al-Qaïda.
À terre, malgré une amélioration des capacités garde-côtières somaliennes, ces derniers ne disposent toujours pas de capacité hauturière crédibles. De plus, les priorités de la Somalie ne sont pas en mer, mais bien à terre, où le pays doit faire face à une famine, et aux attaques de la puissante branche qaïdiste al-Shebbab, dont le nombre d’attaques a augmenté de 30 % par rapport à 2021.
Bien que la piraterie semble donc jugulée dans la zone, le large de la Corne de l’Afrique demeure très instable, en proie à diverses menaces, groupes mafieux et convoitises géopolitiques susceptibles de provoquer une reprise des attaques en mer, notamment en cas de désengagement des forces aéronavales multinationales.
Malgré les efforts des États riverains du Golfe de Guinée (GoG), la région est confrontée à une piraterie [5]protéiforme, menée par des gangs organisés et violents.
La plupart des attaques se déroulent près des côtes et à l’approche des ports, notamment dans les Eaux territoriales (ET) et la ZEE nigérianes, qui concentrent la plupart des attaques. Les eaux du Togo, Bénin, et Cameroun sont également concernées. Une partie des groupes opèrent à une distance de 40 nautiques, ciblant des navires de pêches, de logistique pétrolière, ou des cargos de faible tonnage en opération de cabotage, auxquels s’ajoutent de nombreux vols opportunistes à quai ou au mouillage. Certains bandits attaquent également dans les méandres du delta du Niger, mais ces derniers n’entrent pas dans la définition de la piraterie [6]. Environ quatre à six groupes disposent de capacités sophistiquées d’action en haute mer, jusqu’à environ 250 nautiques. À ces différents gangs s’ajoutent des groupes militants tels que le MEND, qui usent de modes d’action similaires et ciblent l’industrie pétrolière dans le cadre de leurs revendications.
Les pirates utilisent des embarcations rapides avec plusieurs individus aguerris à leurs bords, dotés d’un large éventail d’armes de poings et d’épaules. Certains disposent d’équipements et de bonnes connaissances en navigation, ou d’expertises techniques spécifiques. Les attaques se déroulent de jour comme de nuit, avec toutefois un taux d’échecs supérieurs le jour. Les cibles lentes et basses seront privilégiées : petits cargos, navires de pêche ou de liaison logistique qui opèrent dans l’exploitation pétrolière off-shore.
Environ 75 % des gangs les mieux organisés sont concentrés dans les États du Bayelsa, Rivers, Akwa Ibom et Delta, au Nigéria. Disposant de bases arrière sûres, l’objectif de ces groupes est l’enlèvement contre rançon ou le soutage (« bunkering ») de tanker en mer, qui nécessite une expertise technique et un solide réseau à terre pour revendre la cargaison.
Comme en Somalie, un phénomène similaire de montée en puissance capacitaire des gangs nigérians a été observé, avec l’usage de bateaux-mères pour cibler des navires jusqu’à 250 nautiques des côtes, par météo favorable. L’attaque du pétrolier Kerala [7] au large de l’Angola en janvier 2014 marquait le début d’une tendance qui persistait en 2022, avec l’attaque à 270 nautiques de Lomé de l’Arch Gabriel le 3 avril, et le détournement du tanker B Ocean, le 23 novembre à 230 nautiques des côtes ivoiriennes.
Parmi les modes d’actions figurent le soutage illégal de pétrole entre deux navires, qui résulte d’une opération complexe nécessitant une prise de renseignements en amont, l’abordage et une prise de contrôle du tanker, avant d’effectuer un transfert technique, et souvent périlleux, sur l’autre navire. Ces opérations de transbordement devenaient rentables en fonction du prix du baril (entre 60 et 100$). La diminution actuelle de cette tendance s’explique notamment par l’amélioration des capacités navales des États riverains du GoG, et la vigilance accrue des armateurs [8]. Avec l’augmentation des attaques ratées, les pirates qui, en plus des risques encourus, revenaient endettés envers leurs commanditaires (frais de carburant et matériels), se sont tournés vers des activités illicites assurant un meilleur ratio gain/risque, comme le soutage de pétrole à terre, plus rentable [9].
L’amélioration des capacités régionales et la diversification des activités illicites à terre ont eu pour conséquence une amélioration de la situation en mer. D’après les données de la RiskIntelligence, pour respectivement 134 incidents recensés en 2019 et 135 en 2020, seuls 78 attaques furent reportées en 2021, et près de la moitié pour 2022, ne comptant « que » deux kidnappings, le 13 décembre, [10] contre 68 en 2021 et 142 en 2020 [11]. Si la tendance à venir est incertaine, les vols à quai et au mouillage devraient probablement se poursuivre.
En 2013, le processus de Yaoundé marqua un tournant dans la prise de conscience la montée en puissance des capacités maritimes et navales des États riverains du GoG. Soutenues par l’UE et l’ONU, plusieurs projets de sécurité maritime se sont développés, comme la mise en place d’IFC régionaux ayant - comme à Singapour - pour objectif de coordonner les efforts et le partage de renseignements. La montée en puissance opérationnelle des marines riveraines passe également par leur participation aux exercices navals [12] régionaux avec un appui international. Toutefois, outre les nombreuses disparités entre États, ces progrès sont freinés par une forte corruption des autorités locales, le manque de cohérence, d’entraînement et de maintenance de leurs équipements. De plus, les priorités politiques sont souvent ailleurs, avec la pêche INN sur le plan maritime, et la menace jihadiste [13] qui s’étend aux frontières septentrionales du GoG sur le plan continental.
La piraterie du GoG s’adapte ainsi au contexte économique et géopolitique local. Les États riverains du GoG sont très soucieux du respect de leur souveraineté régionale, compliquant parfois la coopération navale. De plus, outre la corruption, leurs divergences contribuent souvent à laisser le champ libre aux groupes pirates.
Si la géopolitique tente de s’affranchir de tout déterminisme géographique, le cadre géophysique sud-est asiatique [14] prodigue un terrain d’action particulièrement favorable au développement d’une piraterie quasi endémique. Le détroit de Malacca, par lequel transitent un tiers du commerce et la moitié des ressources énergétiques mondiales, et dans lequel s’engouffrent 400 navires par jour, offre une multitude de cibles potentielles aux pirates, qui agissent à l’extrémité Sud-Est du détroit et son prolongement, le détroit de Singapour (entre les îles indonésiennes de Batam et Karimun) où se concentraient 62 % des attaques en 2022. Si, à la différence de la Somalie, les États riverains du détroit de Malacca sont souverains, le nombre important d’îles et îlots susceptibles de fournir autant de caches, les disparités de développement entre Singapour et l’archipel indonésien des Riau qui lui fait face, et le flux de navires qui mouillent ou transitent dans ces détroits sont autant de facteurs favorisant la piraterie.
Contrairement au WIO, le nombre d’attaques dans la région reste conséquent et quasi constant, ayant même connu une augmentation du nombre d’attaques, avec plus d’une centaine d’incidents observés en 2022. Toutefois, la moitié d’entre eux sont des attaques ratées, et rien n’a été volé sur la moitié des abordages réussis. Appelés Bajak Laut, la plupart des pirates sont Indonésiens et opèrent depuis des petites embarcations traditionnelles locales de transport et de pêche (sampans). Le mode opératoire est essentiellement opportuniste, nocturne, et caractérisé par un faible niveau de violence [15]. Equipés principalement d’armes blanches (machettes, kriss, couteaux), les pirates cherchent des cibles faciles. Par conséquent, en transit dans le détroit de Singapour, un navire lent, peu éclairé, avec une faible hauteur de franc-bord pour faciliter l’abordage, sera privilégié par les malfaiteurs opportuns, raisons pour lesquelles les petits tankers, barges tractées et remorqueurs figurent parmi les principaux types de navires ciblés. De nombreux navires sont également abordés au mouillage (en particulier en mer des Sulu et des Célèbes, à Belawan, Tanjung Priok ou Sandakan) de manière très discrète, parfois sans éveiller les soupçons de l’équipage, et en prenant la tangente plutôt que de risquer un affrontement lorsqu’ils sont découverts. Les pirates s’emparent alors de pièces de rechange pour moteur, d’équipements ou de câbles. Des opérations plus ambitieuses ont été observées lors du détournement de tankers assurant des liaisons régionales, notamment au Sud-est de la Sulawesi, dans l’objectif de siphonner la cargaison et de la revendre sur le marché noir. La hausse du prix de l’énergie avec la relance de la guerre en Ukraine est susceptible d’augmenter la tendance de ce type d’action, rendant de fait les tankers plus exposés. Plus généralement, la récession de l’économie et l’inflation sont des facteurs à terre susceptibles d’entraîner des répercussions en mer.
Compte tenu du caractère hautement stratégique de ces détroits, et afin d’éviter toute tentative d’ingérence étrangère, les États riverains ont dû prendre des mesures concrètes pour limiter le phénomène. Singapour, l’Indonésie et la Malaisie ont mis en place des patrouilles coordonnées en 2004, les MSSP [16] (Malacca Strait Sea Patrol) et leur volet aérien EiS (Eyes in the Sky), ainsi qu’un centre de fusion de l’information à Singapour (Information Fusion Center, IFC) au sein duquel des officiers de liaisons de nombreux pays (dont la France) partagent du renseignement. Face au succès de l’IFC, l’initiative a été dupliquée en Océan indien et par les pays riverains du golfe de Guinée.
Toutefois, une certaine méfiance entre les États riverains du détroit de Malacca, héritée d’une histoire commune marquée par de nombreux affrontements, a également limité l’efficacité de ces initiatives.
Dans le prolongement de l’imaginaire collectif, les Caraïbes et le golfe du Mexique sont également en proie à de la piraterie opportuniste, souvent violente et armée, commentant des vols d’équipement sur des navires au mouillage, ou des plateformes off-shore. Les faits reportés en Amérique du Sud sont quant à eux souvent liés au banditisme ou au trafic de drogue (dissimulation ou récupération de drogue sur un conteneur).
Dans les Caraïbes, comme ailleurs, les incidents sont mal reportés, et il est souvent difficile d’obtenir des données fiables et recoupées [17], soit par manque de volonté des États de reporter des incidents dans leurs ET qui pourraient entacher leur réputation, soit pour l’armateur qui - outre le risque réputationnel - risque de voir ses primes d’assurance s’envoler, et de voir son navire immobilisé à quai dans le cadre d’une investigation. De plus, les statistiques peuvent évoluer en fonction des critères retenus [18]. Ainsi les IFCs, les Marines de guerre, ou le Bureau maritime international (BMI) pourront avoir une définition différente de la piraterie que l’Organisation maritime internationale, suivant la définition d’UNCLOS selon laquelle, pour une attaque du même type, un acte de « piraterie » se déroule en haute mer, et le « banditisme en mer » dans les ET, rendant le décompte d’autant plus difficile.
Afin de couvrir les multiples implications de la piraterie, une approche pluridisciplinaire et multiscalaire s’avère nécessaire. Tout d’abord humaines et sociales, les répercussions sont également économiques, la piraterie engendrant d’importants surcoûts [19] à toute l’industrie maritime. Enfin, outre la dimension souvent complexe de la juridiction [20]en mer, la piraterie peut également servir d’alibi légitimant certaines présences navales à la mer [21]. C’est notamment le cas des Marines indépendantes qui, en contribuant à la lutte contre la piraterie dans le WIO, s’assurent une présence miliaire à proximité des SLOC et seuils stratégiques. Ces déploiements hauturiers longues durées permettent une mise en condition opérationnelle de ces Marines sur des théâtres d’opérations maritimes souvent éloignés de leurs bases. Ainsi, non sans une pointe de sarcasme, le spectre de la menace pirate dans une zone stratégique pourrait donc s’avérer « d’utilité géopolitique ».
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Bonus vidéo. F. Manet Quelles menaces sur notre sécurité maritime ?
[1] Est appelé « Seuil stratégique » un lieu d’importance vital pour le commerce maritime et les déploiements militaires. L’étroitesse de ces détroits ou canaux et la proximité avec la côte rendent les navires ou bâtiments militaires davantage exposés à un tir depuis la côte en cas d’attaque pirate ou terroriste.
[2] Parmi lesquels figurent le superpétrolier saoudien Sirius Star, le Carré d’As et le Ponant côté français, ou la prise d’otages du porte-conteneurs Maersk Alabama au large d’Eyl l’année suivante, ayant inspiré le film « Captain Phillips » (2013).
[3] Pêche INN : Illégale, Non réglementée, Non déclarée. La pêche INN est une cause majeure de la paupérisation de populations littorales fragiles, susceptibles de se tourner vers des activités de subsistances illégales comme la piraterie ou les trafics. Plusieurs initiatives soutenues par l’ONU, l’UE, ou encore Interpol tentent de mettre en œuvre des moyens pour limiter la pêche INN, par le biais de patrouilles ou de solutions techniques telles que le suivi par satellite des émissions AIS suspectes dans les zones de pêche. De nombreux pays sont impliqués dans la pêche INN, comme la Chine, l’Inde, le Pakistan ou le Japon pour le cas de la Somalie.
[4] Le skiff est l’embarcation traditionnelle locale en bois ou fibre de verre, le nombre de tonneaux embarqués pour le carburant indiquait le rayon d’action théorique de l’embarcation. Les bateaux-mère étaient quant à eux constitués de boutres ou dhows, navires tenant mieux la mer servant de plateforme de lancement logistique pour les raids.
[5] Approfondir : Katja Lindskov Jacobsen, UNODC, Global Maritime Crime Programme, « Pirates of the Niger Delta », 2021, Ministry of foreign affairs of Denmark.
https://www.unodc.org/res/piracy/index_html/UNODC_GMCP_Pirates_of_the_Niger_Delta_between_brown_and_blue_waters.pdf
[6] Selon la Convention d’UNCLOS, dite de « Montego Bay » (1982) sur le droit de la mer, qui définit légalement l’acte de piraterie comme une attaque perpétrée à des fins privées, sur un bateau en haute mer (soit au-delà de la limite des 12 nautiques), et avec violence. https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf
[7] Après avoir coupé l’AIS du navire, les assaillants avaient repeint les éléments permettant d’identifier le navire (IMO, nom, pavillon), avant de transférer vers une barge plus de 12 000 tonnes de cargaison.
https://www.meretmarine.com/fr/marine-marchande/le-kerala-a-bien-ete-attaque-par-des-pirates-devant-l-angola
[8] Qui appliquent une version adaptée des BMP5 dans la zone, « BMP GoG », dernière version de juin 2021. Les armateurs disposent également de meilleures protections dans les aires de mouillage par des ESSD, qui opèrent essentiellement dans les ET nigérianes.
[9] Courant 2022, le vol de pétrole brut et de produits pétroliers illégalement raffinés à terre ont atteint des niveaux records, permettant aux groupes criminels de recevoir des revenus élevés et constants, impliquant de grosses pertes de revenus pour le Nigéria.
”Why are gulf of Guinea pirates shifting to illegal oil bunkering”, 4 décembre 2022, Maritime executive, https://www.maritime-executive.com/article/why-are-gulf-of-guinea-pirates-shifting-to-illegal-oil-bunkering
[10] En dépit de la baisse conjoncturelle, les gangs basés dans le Delta du Niger, Bayelsa, et River State sont structurés, et disposent de camps retranchés et protégés des autres gangs et des autorités pendant toute la durée des négociations. Plusieurs raids peuvent être regroupés sur 24h, notamment en cas d’attaque ratée. Les attaques réussies aux mouillages au large de Lomé, Cotonou et Douala en 2019 et début 2020 ont entraîné une réaction des autorités responsables, où les navires au mouillage peuvent désormais demander à bénéficier gratuitement de personnel militaire. Des mesures de sécurité similaires ont été mises en œuvre par les autorités du Bénin et du Togo.
[11] RiskIntelligence, « Monthly Intelligence Report, January 2023 ».
Gaël Cogné, « La piraterie dans le golfe de Guinée n’a pas disparu », 5 janvier 2023, Mer et Marine, https://www.meretmarine.com/fr/marine-marchande/la-piraterie-dans-le-golfe-de-guinee-n-a-pas-disparu-alerte-un-rapport-pour-la
[12] Comme African Nemo ou Obangame Express pour les plus importants, ou par le biais de la mission permanente de la Marine nationale Corymbe, par laquelle la France joue un rôle important de formation, sécurisation, et promotion de son modèle d’Action de l’État en mer.
[13] Outre Boko Haram qui évolue au Nord-est du Nigéria, l’État islamique au grand Sahara (EIGS), et la coalition qaïdiste JNIM (Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin) s’étendent comme une tache d’huile dans la région.
[14] Se référer aux travaux d’Éric Frécon, référent français dans le domaine de la piraterie en Asie.
[15] Toutefois, selon le Bureau maritime international, parmi les 38 incidents signalés en 2022, deux membres d’équipage ont été menacés et quatre ont été pris en otage pendant la durée de l’attaque. Une arme à feu a été utilisée pour menacer l’équipage dans au moins trois incidents.
[16] Le modèle MSSP a inspiré en 2016 l’initiative de sécurité maritime et de patrouilles trilatérales INDOMALPHI, entre l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines en mer des Sulu et des Célèbes, notamment dans le cadre de la lutte contre le groupe Abu Sayyaf.
[17] Le rapport annuel du MICA Center, à Brest, dresse un tableau exhaustif et fiable de la situation annuelle.
https://www.mica-center.org/en/mica-center-annual-report-2022-is-out
Auquel s’ajoute le rapport annuel du Bureau maritime international « Piracy and armed Robbery against ship 1 January – 31 December 2022 » https://www.icc-ccs.org/
[18] Une attaque est souvent définie en cas de coup de feu ou contact au grappin, on parlera sinon d’approches si l’intention est identifiée, ou d’activité suspecte.
[19] Primes d’assurances, ESSD embarquées et équipements de défenses passifs (canons à eau, citadelle…), et principalement, l’augmentation de la vitesse dans les zones dangereuses ou un changement de cap entraînant une plus grande consommation.
[20] Certains cas impliquant le droit de la mer, celui de l’Etat du pavillon. D’autres problématiques peuvent concerner l’embarquement d’armes à bords de navires, l’usage disproportionné de la force, ou la présence d’armureries flottantes, la plupart des navires n’étant pas autorisés à pénétrer dans les ET d’un pays avec des armes à leurs bords.
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