Auteur de : "Le partenariat euro-méditerranéen, l’échec d’une ambition régionale", Presses Universitaires de Grenoble, Prix de la société de Géographie 2007. Rédacteur en chef adjoint de la revue Maghreb-Machrek Paris, Choiseul
Les éléments de la refondation ne peuvent être définis à l’avance. Celle-ci se fera avec l’accord des nouveaux gouvernements des pays arabes entrés dans le système démocratique. Elle reposera sur des objectifs plus ciblés sur un nombre plus réduits de pays. Elle supposera la prise en compte des dimensions civilisationnelles de nos voisins clairement acceptés dans leur altérité mais aussi dans la reconnaissance des valeurs communes qui animent les mouvements sociaux et enfin par une certaine modestie et la prise en compte de tout ce qui n’a pas marché jusqu’à présent.
LA nécessité de refonder le partenariat euroméditerranéen est devenue une évidence devant les mutations du monde arabe. Construites laborieusement par un empilage institutionnel au cours des quinze dernières années, les relations entre l’Europe et la rive sud de la Méditerranée doivent prendre la mesure d’une aspiration radicale à la démocratie, à l’état de droit économique et plus généralement à la modernité. Autant de dimensions qui caractérisent la révolution arabe et qui, vingt ans après les pays du bloc soviétique, signent une nouvelle phase historique au voisinage de l’Europe.
Face à ces enjeux, le dispositif actuel de l’Union pour la Méditerranée est inadapté. Rappelons tout d’abord qu’elle n’a plus de secrétaire général depuis plus d’un mois. Fait étonnant, son site internet n’évoque d’ailleurs pas la révolution arabe en cours. Surtout, l’Union pour la Méditerranée n’a plus de co-président puisqu’en face de Nicolas Sarkozy, Hosny Moubarak représentait le pilier de la rive sud. Vu le contexte actuel, il n’est pas sûr qu’un candidat alternatif se manifeste rapidement.
L’Union pour la Méditerranée, bien mal en point aujourd’hui succède à deux tentatives antérieures pour structurer les relations euro-méditerranéennes : le Processus de Barcelone en 1995 qui constituait une stratégie régionale globale visant à créer une zone de prospérité et de paix partagée ; et la Politique de Voisinage, mise en place en 2004 pour adapter le dispositif à l’élargissement de l’Union européenne à l’Est. En 2007, l’Union pour la Méditerranée prenait cependant acte de l’échec relatif ces deux dispositifs de plus en plus poussifs et qui devaient régulièrement être relancés. Elle changeait la philosophie du partenariat en étant plus politique et surtout en s’appuyant sur six projets concrets : la dépollution de la Méditerranée, la création d’autoroutes terrestres et maritimes, développement de la protection civile, la construction d’universités euro-méditerranéennes, le soutien aux petites et moyennes entreprises, et enfin le Plan Solaire Méditerranéen.
Ce dernier projet est certainement, le plus prometteurs et le plus structurant à long terme. Il s’inscrit dans les défis environnementaux de l’après pétrole et est un moyen intéressant de répondre à l’augmentation des besoins électriques au sud de la Méditerranée. Il est supporté par les consortia industriels puissants comme MedGrid et Desertec. Il vise à construire des capacités de production d’électricité solaire dans le désert afin d’exporter des électrons verts en Europe. Toute proportion gardée, ce projet pourrait jouer un rôle similaire à ce que fut la CECA (la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier mise en place en 1951) dans la construction de l’Union européenne.
Mis à part le Plan Solaire Méditerranéen, les projets actuels de l’Union pour la Méditerranée sont très loin de répondre à l’ampleur des révolutions arabes. Le problème aujourd’hui pour refonder un projet est que l’empilage antérieur des politiques euro-méditerranéennes a provoqué auprès de nos partenaires au sud une profonde « fatigue institutionnelle ». Certains pays commencent à se lasser d’une succession rapide de programmes méditerranéens décidés en Europe, où ils se sentent de moins en moins partie prenante.
Mais toutes ces considérations sont presque aujourd’hui obsolètes. Elles ne sont utiles que si la refondation en cours prend le temps d’examiner en détail les raisons pour lesquelles les politiques antérieures depuis 1995 ont eu des résultats décevants. Le conflit israélo-arabe est une cause. La faiblesse de l’aide publique au développement, notamment si on la compare avec l’Europe de l’Est en est une autre. Mais plus fondamentalement, il est peut-être nécessaire de concentrer l’action sur un ensemble de pays plus réduits et plus proches de l’Europe comme l’a fait par exemple, le dispositif 5+5 qui réunissait seulement les états riverains de la Méditerranée occidentale.
Il est un autre point sur lequel nous voulons insister. La référence constante à la Méditerranée est peu pertinente pour les pays de la zone sud. Si la Méditerranée est pour nous profondément enracinée dans notre imaginaire, il n’en est rien pour nos voisins qui se réfèrent aux espaces civilisationnels arabes voir berbères, islamiques ou africains. Paradoxalement, la Méditerranée est loin d’être le référentiel pertinent de l’Union à reconstruire pour nos partenaires du sud. Il faudra en tenir compte.
Une autre condition de réussite de la refondation du partenariat euroméditerranéen suppose de rompre définitivement avec des tentations néo-coloniales et d’inscrire la construction du nouveau projet dans un processus démocratique s’appuyant sérieusement sur la participation de la société civile. Cela signifie qu’il faut accompagner l’émergence de mouvements démocratiques et préparer le terrain en attendant que les gouvernements représentatifs nés des révolutions arabes soient en mesure de co-construire avec le nord un nouveau projet.
En conclusion, les éléments de la refondation ne peuvent être définis à l’avance. Celle-ci se fera avec l’accord des nouveaux gouvernements des pays arabes entrés dans le système démocratique. Elle reposera sur des objectifs plus ciblés sur un nombre plus réduits de pays. Elle supposera la prise en compte des dimensions civilisationnelles de nos voisins clairement acceptés dans leur altérité mais aussi dans la reconnaissance des valeurs communes qui animent les mouvements sociaux et enfin par une certaine modestie et la prise en compte de tout ce qui n’a pas marché jusqu’à présent. Paradoxalement, la révolution arabe est une chance et une opportunité exceptionnelle pour redéfinir un vrai projet entre les deux rives.
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Pierre Verluise, "L’Union pour la Méditerranée deux ans après le Sommet de Paris", publié sur le Diploweb.com le 16 juin 2010 Voir
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